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INTRODUCTION NÉCESSAIRE.

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L arrive une époque où les langues ne s'enrichissent plus, parce que la richesse réelle des langues consiste à fournir à la pensée tous les instruments dont elle a besoin, et que ce besoin a des bornes rationelles, déterminées par la portée possible de notre intelligence.

Il n'arrive point d'époque où les langues ne puissent s'augmenter, parce que les notions de faits sont inépuisables, et que les faits se présentent sous des aspects infinis.

Le langage ne s'arrête pas devant cette difficulté: il ne produit plus de mots nouveaux, car il est défendu à l'homme de produire un mot nouveau qui ne représente pas une idée nouvelle; - mais il combine des mots anciens, empruntés çà et là, et souvent employés au hasard, pour exprimer un nouveau fait, ou pour en modifier le nom par de nouvelles acceptions.

Telles sont en général les nouvelles nomenclatures scientifiques, et ce n'est pas ici le lieu de chercher quel intérêt ont les sciences à traduire leurs nomenclatures dans les langues mortes, quand la langue vivante est devenue trop vulgaire. Ce qu'il y a de certain, c'est que tous ces mots survenus à la suite des langues faites composent des argots plus ou moins utiles dans l'usage des langues techniques, mais qu'ils n'appartiennent plus à la série, d'ailleurs assez difficile à fixer, des vocables naturels.

L'Académie française, instituée pour régler et pour conserver la langue, eut la sagesse de circonscrire son travail, et de rester dans ses véritables attributions. Elle laissa une large part à la féconde industrie du lexicographe qui croissait avec toutes les autres, une large part au néologisme et à la fantaisie. Elle se prescrivit de ne rien accueillir qui n'eût l'autorité d'un livre avoué par le public, ou d'une manière de parler confirmée par l'habitude.

Son plan, ainsi restreint, n'admet que la partie exacte de la langue, et c'est peut-être avec cette sobriété scrupuleuse que devait être exécuté le Dictionnaire de l'usage. Il ne nous appartient pas de décider, cependant, si l'Académie aurait langue admirable qui n'était déjà plus, et une langue également admirable qui faire mieux quand elle entra dans l'exercice de son mandat, entre une attendait encore ses maîtres et ses modèles. Quoi qu'il en soit, son Dictionnaire, sans doute un peu prématuré, influa d'une manière essentielle sur la langue française, dont il est resté la règle, et dont il sera pour l'avenir le plus précieux document.

Renfermé dans le cadre dont nous parlons, le Dictionnaire de l'Académie est encore, par son étendue, un de ces livres d'étude qui demandent pour être consultés les facilités du pupitre et du bureau; il ne peut guère mieux s'accommoder à la chaise de poste du voyageur riche qu'à la poche du piéton; il a dů pourvoir d'ailleurs à une multitude de difficultés de détail, qui surgissent à tout moment dans une conversation très-développée, ou dans une lecture trèsattentive, mais qui ne sont que d'une importance fort secondaire dans les communications essentielles de la parole. On ne saurait s'en passer pour écrire avec justesse; on peut trouver dans un Abrégé fait avec soin tous les renseignements nécessaires pour s'exprimer correctement. Telle est l'origine de ces Vocabulaires, si multipliés dans le commerce de la librairie, sous des noms justement estimés, et auxquels des additions plus ou moins heureuses ont donné quelquefois un air de nouveauté, mais qui sont toujours calqués, en dernière analyse, sur le Dictionnaire de l'Académie.

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L'éditeur du Dictionnaire de l'Académie a dû penser, par conséquent, à le résumer dans un Vocabulaire usuel et portatif, qui aurait, par dessus les autres, l'autorité du grand ouvrage dont il est la plus simple expression possible, et qui serait, en quelque sorte, exécuté sous les yeux de l'Académie ellemême. C'est une œuvre d'autant plus difficile que, partout où il y a concurrence, il y a nécessité d'enchérir, et que les Vocabulaires privés dont nous parlons n'ont pas manqué d'enchérir sur l'Académie, en suppléant à l'exiguïté de la définition par des illustrations dont l'Académie, si elle l'avait voulu, pouvait aisément leur enlever l'initiative, comme l'Étymologie et la Prononciation.

Ces deux grandes questions que l'Académie a laissées, presque partout, à l'arbitre du lecteur de son Dictionnaire, en attendant qu'elle eût le soisir ou la volonté de leur consacrer un travail plus vaste et plus lumineux qui l'occupe, dit-on, dès aujourd'hui, sont en effet élémentaires dans la connaissance des langues; et on peut même dire absolument que personne n'a le droit de proférer le mot avec autorité, que personne n'est capable de lui donner sa valeur virtuelle, sans en connaître l'Etymologie et la Prononciation; mais les auteurs de Vocabulaires ont jusqu'ici tranché cette question plutôt que de la résoudre, parce qu'elle est insoluble dans beaucoup de points, et qu'il fallait que la saine raison, qui émane pour nous de quelques excellents écrits, la dégageât d'abord de ses exceptions nécessaires.

Nous admettrons donc ce système d'additions, malgré sa hardiesse, dont aucune théorie écrite n'a pu encore régler les écarts; nous l'admettrons, dis-je, pour ne pas rester en arrière avec les Vocabulaires qui nous ont précédés, et pour jeter un peu de clarté, si nous en sommes capables, dans ce chaos de faits douteux auxquels manquent à la fois les principes et les signes; mais nous avons besoin pour cela de trouver quelque attention dans l'homme qui sent la nécessité d'apprendre, parce qu'il a conçu la ferme volonté de savoir. C'est pour lui seul que ces pages sont écrites, car nous les tenons pour inutiles à l'usage habituel et aux communications vulgaires de la parole.

Nous dirons donc d'abord ce que nous entendons par les Étymologies d'une langue, et de la langue française en particulier.

Nous chercherons ensuite à faire comprendre ce que nous croyons comprendre nous-mêmes de sa Prononciation.

Nous réduirons enfin ces dernières notions à leur expression la plus abrégée, pour fournir à l'étude autant de renseignements qu'il nous est possible de lui en offrir par un rappel commode à l'ordre alphabétique du Vocabulaire.

DE L'ÉTYMOLOGIE.

L'Étymologie, suivant les racines de son nom, c'est la vérité de la langue; et on conçoit à merveille l'intérêt que les hommes ont pu trouver à remonter de plus en plus aux origines de leur parole, pour se rendre compte de ce mystère qu'ils ne connaîtront jamais. L'Étymologie, raison du langage, a donc nécessairement occupé les bons esprits, et son étude a tant d'attraits pour les intelligences inventives et curieuses, qu'il n'est pas étonnant qu'elle en ait égaré plusieurs.

Nous n'entendons rien à l'Étymologie, prise dans son sens absolu, puisque la langue primitive est encore à découvrir. C'est une solution qui résoudrait tout en lexicologie, mais qu'on n'obtiendra point.

Quant aux étymologies d'une langue actuelle, quant à la manière dont les mots s'y sont introduits, c'est une recherche vulgaire, et que nous pouvons entreprendre. Le plan de notre ouvrage ne demande rien de plus.

Soit que tous les peuples aient puisé leurs langues à une source commune, soit que la faculté de les produire et de les modifier ait été subordonnée partout á de certaines conditions de localité qu'on peut assujettir, sans trop d'effort, à des circonscriptions géographiques assez bien déterminées , partout où il s'est formé une société d'hommes il s'est formé une langue. C'est ce qu'on appelle la langue autochthone, la première langue de la patrie. C'est, relativement à chaque langue en particulier, la seule langue primitive où il lui soit permis de chercher ses titres et ses crigines.

Mais aucune langue n'avait pu se renfermer dans des limites infranchissables, Le commerce lui rapportait à chacune de ses investigations autant de mots nouveaux que de produits inconnus. La guerre lui imposait des formes nouvelles, même quand elle ne parvenait pas à lui substituer une langue toute faite. La science passait sur le tout avec ces habiles nomenclatures dans lesquelles elle se complut toujours à envelopper ses secrets.

Cette action progressive ou destructive, comme on voudra l'appeler, l'action irrésistible des temps et des choses, qui change incessamment la première forme donnée du langage, ne peut guère s'exprimer que par des exemples; et cette nécessité nous fait rentrer naturellement dans notre sujet, en nous ramenant à la langue française en particulier.

Nous accordons volontiers qu'une très-grande partie de cette unité géographique, fort composée d'ailleurs, qui est aujourd'hui LA FRANCE, a eu pour langue autochthone le celte, gaulois ou breton, et nous ne connaissons aucune langue congénère à celle-là qui paraisse lui disputer cet avantage. Il ne sera donc pas étonnant qu'on y retrouve un grand nombre de nos radicaux.

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La conquête romaine (car je ne m'arrête ici qu'aux époques historiques et décisivės) produisit une révolution considérable dans les usages de la parole. Romains, dont l'antipathie pour tout ce qui n'était pas romain forme des caractères les plus distinctifs, avaient dans un profond mépris toutes les langues barbares; mais le bon sens de cette nation lui faisait sentir l'impossibilité de les détruire. Ils acceptèrent le mot en le soumettant à quelques-unes de leurs flexions et de leurs désinences. Par manière de compensation, ils introduisirent, sans le savoir, dans notre langue naissante, une multitude d'expressions, recommandées par la nécessité ou accréditées par l'euphonie. C'est probablement ainsi que se forma cette langue intermédiaire qu'on appelle la langue romane, et que M. Raynouard a fixée par d'admirables travaux, mais qui n'avait jamais fourni avant lui des théories classiques aux langues nouvelles. L'invasion franque dut exercer beaucoup moins d'influence. Il était du naturel de ces vainqueurs, qui avaient à peine un langage et des dieux, d'adopter facilement l'idiome et la religion des pays conquis. Jamais un déluge d'hommes, passé à travers les peuples, n'a laissé moins de traces de son irruption et de ses ravages. C'était une matière propre à la civilisation qui se moulait dans la nôtre, comme un métal en ébullition qui jaillit de la fournaise en torrents de feu, sous l'œil impassible d'un ouvrier intelligent.

D'autres siècles arrivèrent: l'élément latin fut fortifié par les sciences de Charlemagne; il s'agrandit de règne en règne, jusqu'à ce que des femmes italiennes, assises au trône de France, vinssent l'assouplir, par l'exemple de la cour et Pobséquieuse imitation des provinces, à des articulations plus molles, à des vocalisations sans diphthongues. Le Français abdiqua dès lors sa belle et sonore gravité; il sacrifia son énergie à la grâce, et la sacrifia en pure perte, car il fut bien loin de gagner en froide et inexpressive harmonie ce qu'il perdait en vigueur. L'Étymologie avait déjà péri dans cette prononciation puérile; M. de Voltaire, à la suite de quelques mauvais grammairiens des deux siècles précédents, la poursuivit jusque dans l'orthographe, qui devait être l'autorité invariable du mot, et non pas la vague et mobile figure de son émission orale. Telle est cependant chez nous la puissance tyrannique des noms (car il est impossible de reconnaître dans l'occasion dont nous parlons la puissance légitime du savoir et de l'esprit), que cette orthographe, tout-à-fait dénuée de raison orthographique, prévalut aux yeux de l'Académie française, et que nous sommes obligés de l'adopter dans l'Abrégé de son Dictionnaire. Jamais révolution ne jeta un désordre plus grave que celui-ci dans l'histoire généalogique des étymo logies naturelles. Nous venons de voir que les sauvages du Nord eux-mêmes avaient respecté ce qu'un philosophe a détruit.

Au milieu des grands mouvements du corps politique, l'action de clergé et d'université, l'action littéraire et technique, allaient toujours en croissant, et immatriculait le grec dans tous nos titres de langue, le grec qui était devenu naturellement la langue savante d'un peuple dont le latin était presque devenu la langue vulgaire. Les nomenclatures allèrent plus loin. Elles mirent le grec partout où la facilité de cohérence et de composition qui se trouve entre ses radicaux leur permit de substituer une contraction, ou, pour parler comme

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