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3o L'amour-propre. L'on ne saurait compter toutes les espèces de vanités, a dit un moraliste. C'en est une de tous les temps et de tous les régimes, que de se donner l'air de conduire et de trancher toutes les affaires, de jouer un rôle considérable dans la commune et dans l'État, et d'être celui par qui tout arrive, sans qui rien ne se fait.

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Tel est le milieu et le moment, telles sont les mœurs admi nistratives et politiques qui servent pour ainsi dire de fond de tableau et de cadre à la proposition de M. Humbert. Cette proposition consiste moins à innover qu'à consolider et à régulariser un état de choses établi. Elle n'ajoute aucune liberté, aucune fonction importante à celles que la Ville s'est attribuées; elle donne un titre légal et exact à la magistrature du Président du Conseil municipal. Si les bonnes lois doivent être préparées et devancées par les mœurs, celle-ci serait une loi excellente. Et comme la marche et l'évolution du Conseil municipal dans le sens que nous avons indiqué sont continues, nous ne sommes peut-être pas éloignés du jour où la proposition de M. Humbert, qui ne change pas pendant que le courant s'accentue et se précipite autour d'elle, apparaîtra aux modérés et aux conservateurs comme une barrière à opposer aux entreprises des représentants de la Ville. Nous verrions alors un ministère libéral s'y rallier et la soutenir devant les Chambres, puisqu'en somme elle maintient et assure entre les mains du gouvernement tous les pouvoirs de police. Nous ne garantirons pas cependant que, la loi une fois votée, l'Hôtel de Ville se tiendra tranquille et se déclarera satisfait.

A. COMBARIEU.

LA QUESTION DU DOMAINE AUX COLONIES

M. Leveillé a déposé sur le bureau de la Chambre, le 1er avril dernier, une proposition de loi relative au régime légal du domaine de l'État dans les colonies, et à laquelle la situation parlementaire de l'éminent député donne un intérêt particulier.

« Il semble, dit un passage de l'exposé des motifs, à en juger par les actes de l'administration supérieure des colonies et par un arrêt récent qui a déjà provoqué dans cette Chambre le dépôt d'une interpellation, que le régime légal du domaine dans les colonies soit mal défini. Des solutions souvent contradictoires ont été tour à tour formulées, suivant l'opinion changeante des ministres ou suivant le crédit des solliciteurs. Tantôt, par exemple, on a pensé, conformément aux règles fondamentales de notre droit public, que les immeubles sans maitres, situés dans nos colonies, appartenaient à l'État. Tantôt on s'est conduit comme si les biens sans maîtres appartenaient au contraire aux colonies ellesmêmes. Tout le monde s'est mis à les aliéner, à les affecter, à les gérer.

Je prie la Chambre d'évoquer le règlement de cette affaire, afin que les mandataires élus du pays puissent enfin poser des règles directrices que les administrateurs désormais pourront suivre et qui garantiront dans l'avenir la solidité des actes que ces administrateurs passeraient avec les tiers. >>>

L'article Ior prescrit qu'il sera dressé un inventaire du domaine de l'Etat aux Colonies. Par là, et l'exposé des motifs le laisse bien voir, M. Leveillé entend faire trancher par le Parlement la question de savoir si l'Etat, aux Colonies, a conservé la propriété des terres vacantes et sans maître (1) que lui attribue l'article 539 du Code civil, et qui, en fait, est actuellement détenue, par les Colonies (2).

(1) Il est à peine utile de faire remarquer que les terres vacantes, peu nombreuses naturellement en France, constituent une grande partie de certaines de nos colonies et en sont une des principales richesses, puisque de leur mise en valeur dépend l'œuvre même de la colonisation. En Nouvelle-Calédonie l'aliénation des terres domaniales a déjà produit environ 6 millions.

(2) Voici comment s'exprime la note préliminaire de l'inventaire général des propriétés de l'Etat non affectées à des services publics, dressé en 1875 : « 11 n'existe pas dans les colonies de propriétés appartenant à l'Etat et non affectées à des services publics; ces immeubles et notamment les bois et forêts, dépendent du domaine colonial ».

Le but de cette étude est d'indiquer les conditions dans lesquelles se présente cette question, dont l'origine remonte à 1825, et qui est encore controversée aujourd'hui.

On examinera la question successivement : en ce qui concerne les colonies que nous possédions en 1825, celles qu'on appelle généralement les anciennes colonies; et en ce qui

concerne celles acquises depuis.

1. ANCIENNES COLONIES.

Avant 1825. - Il n'y avait dans les colonies, avant 1825, d'autre domaine que le domaine de l'Etat, le domaine du Roi, comme on disait alors. Mais il faut observer que, sous l'ancien droit comme après la Révolution, les colonies n'étaient pas soumises à la législation domaniale de la métropole.

On sait que, sous l'ancienne monarchie, l'ordonnance de Moulins de 1566 avait déclaré inaliénable le domaine du Roi (1), et qu'un des premiers actes de l'Assemblée constituante fut au contraire de déclarer que les biens nationaux pourraient être aliénés, mais en soumettant chaque opération à une autorisation formelle du pouvoir législatif (2).

Or ni l'ordonnance de Moulins, ni la loi de 1790 ne furent appliquées aux Colonies. Sous l'ancienne monarchie, non-seulement les gouverneurs et intendants furent autorisés à faire des concessions entières et définitives des terres du Domaine (3), mais les rois se reconnurent le droit d'aliéner les colonies ellesmêmes. C'est ainsi que la Martinique fut vendue par l'Etat, en 1664, à la compagnie des Indes occidentales; que, la même année, la même compagnie reçut la propriété des îles et terres

(1) Son auteur, le chancelier de l'Hôpital, avait voulu protéger les souverains contre une générosité imprévoyante ou l'avidité des favoris, et leur fournir les moyens de puiser dans leurs revenus domaniaux, ainsi préservés des dilapidations, les ressources nécessaires aux dépenses du royaume au lieu de les demander à l'impôt. Le principe de l'inaliénabilité, plus ou moins bien observé, répondit mal à ces espérances. - Voir Laferrière, Histoire du droit français.

(2) Le domaine de la nation, dit en substance la loi, qui a suffi longtemps aux dépenses du gouvernement, est aujourd'hui trop au dessous des besoins de l'Etat pour remplir sa destination primitive; d'autre part des possessions foncières livrées à une administration générale sont frappées d'une sorte de stérilité, tandis que dans les mains de propriétaires actifs et vigilants elle se fertilisent; la maxime de l'inaliénabilité est devenue ainsi sans motifs et préjudiciable à l'intérêt général; en conséquence les biens nationaux peuvent êtrs vendus et aliénés, mais seulement par un acte formel du Corps législatif.

(3) Edit du Roi du 25 aout 1716 Code de la Martinique.

habitées par des Français à la Guyane ; qu'en 1671 l'île Bourbon fut expressement cédée à la grande compagnie des Indes orientales. Quant à la loi de 1790, elle ne fut pas promulguée aux colonies (1), et même avant 1825, où le Domaine aux colonies relevait exclusivement de l'Etat, il est constant que les aliénations de terres domaniales y furent toujours effectuées sans la condition essentielle, prescrite par la loi de 1790, de l'autorisation du Corps législatif.

Les ordonnances de 1825. Ces ordonnances font partie de l'ensemble des importantes modifications qu'apporta le ministère Villèle à l'organisation des colonies.

Jusqu'à cette époque, les colonies n'avaient pas de budget propre; l'Etat y percevait les recettes et supportait les dépenses. La loi de finances du 13 juin 1825 décida, au contraire, que, sauf pour les dépenses métropolitaines qui continueraient à être portées aux budgets de la guerre et de la marine, les colonies ne figureraient plus au budget et supporteraient les frais de leur administration intérieure, mais que, par contre, il leur serait fait abandon de leurs revenus locaux, qui disparaîtraient également du budget (2).

Les ordonnances de 1825 appliquèrent ces dispositions. L'une, à la vérité, celle du 26 janvier, qui concerne les deux colonies des Antilles et la Réunion, les avait même précédées, mais, ainsi que le montre le préambule de la seconde, elle ne devait entrer en vigueur qu'après avoir reçu la sanction des Chambres; l'autre, celle du 17 août, concerne les autres colonies que nous possédions à cette époque, c'est-à-dire la Guyane, le Sénégal et l'Inde. En raison de l'importance qu'elles offrent au point de vue domanial, il est utile d'en reproduire intégralement certaines dispositions :

Ordonnance du Roi qui charge la Martinique, la Guadeloupe et l'ile Bourbon de pourvoir à leurs dépenses intérieures sur leurs revenus locaux (26 janvier 1825).

ART. 3. Les dépenses des colonies qui se rattachent aux dépenses de la guerre et de la marine, étant ainsi mises à la charge des deux départements, il

(1) Il n'était pas nécessaire, en effet, de supprimer l'inaliénabilité du domaine aux colonies, puisqu'il n'avait jamais cessé d'être aliénable.

(2) Rapport fait au nom de la Commission des Finances chargée d'examiner le projet de budget de 1826.

ne sera plus fait d'allocation spéciale sur les fonds du Trésor royal aux colonies de la Martinique, de la Guadeloupe et de Bourbon; ces colonies seront désormais chargées de pourvoir sur leurs revenus locaux à toutes dépenses autres que celles qui sont portées au compte de la guerre et de la marine; à cet effet, il leur est fait entier abandon desdits revenus, quelles qu'en soient la nature et l'origine.

Ordonnance du Roi qui fait abandon aux colonies de la Guyane française, du négal et des Etablissements de l'Inde, de leurs revenus locaux pour leurs depenses intérieures (17 août 1825).

Vu notre ordonnance du 26 janvier dernier qui a prescrit, à dater de 1826, diverses dispositions relatives à une nouvelle classification des dépenses des colonies;

Vu la loi de finances du 13 juin 1825, laquelle a confirmé celles de ces dispositions qui exigeaient le concours des Chambres;

Voulant pourvoir aux mesures nécessaires pour le complément d'exécution de ce nouveau système, dont l'effet est de faire payer sur les fonds de la guerre et de la marine les dépenses coloniales qui se rattachent au service de ces deux départements, et de laisser à la charge des colonies toutes celles qui intéressent leur administration intérieure,

Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :

ART. ler. En conséquence de ce qui a été stipulé à l'égard de nos colonies de la Martinique, de la Guadeloupe et de Bourbon, par l'article 3 de notre seconde ordonnance du 26 janvier dernier, il est fait, à dater de 1826, à nos colonies de la Guyane française et du Sénégal, et à nos établissements de l'Inde, entier abandon de leurs revenus locaux pour être appliqués à l'acquittement des dépenses de leur service extérieur.

ART. 3. - Les établissements publics de toute nature et les propriétés domaniales existant dans nos diverses colonies leur seront remis en toute propriété, à la charge de les réparer et entretenir, et de n'en disposer que sur notre autorisation.

Sont également remis aux colonies les noirs et les objets mobiliers attachés aux différentes branches du service.

ART. 4. Ne sont pas compris, dans les établissements dont il est question à l'article précédent, les bâtiments militaires (à l'exception des hôpitaux), les fortifications, les batteries, forts et autres ouvrages, lesquels restent propriété de l'Etat.

Les dispositions combinées de ces deux actes peuvent se resumer ainsi : dorénavant les diverses colonies paieront, sur leurs revenus locaux qui leur sont abandonnés, leurs dépenses autres que celles portées au compte de la Guerre et de la Marine; à cet effet, il leur est fait remise en toute propriété, à toutes sans exception (art. 3 de l'ordonnance du 17 août), des propriétés domaniales, moins les terrains et bâtiments militaires.

C'est cet art. 3 de la seconde ordonnance qui est devenu le fondement de la législation domaniale aux colonies. Il a été interprété comme ayant entraîné la dévolution aux colonies de l'ensemble du domaine privé de l'Etat, notamment des biens vacants et sans maîtres, de telle sorte que le domaine a cessé d'y

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