ments. Mieux vaut que chaque association nationale cherche dores et déjà les moyens d'une unification relative. En formulant une proposition du genre de celle que nous suggérons, le comité français contribuerait sans doute, et c'est là un de ses buts, à l'amélioration de la législation nationale, puisqu'une telle proposition tendrait à donner aux armateurs français la même protection que celle dont jouissent les armateurs anglais. Mais, en même temps, ne travaillerait-il pas à la grande œuvre de l'unification du droit maritime, puisqu'il essaierait ainsi de fournir aux autres associations nationales une solution qui, grâce au cumulet à la fusion des deux systèmes en conflit, serait susceptible d'être adoptée par elles ? Nous n'insistons pas. C'est assez d'avoir indiqué comment on peut, de tous côtés, faire converger vers un même but des efforts variés. R. VERNEAUX. III CAMILLE JORDAN ET SES CORRESPONDANTS : BONAPARTE, MOUNIER, BENJAMIN CONSTANT, CARDINAL SPINA, DECAZES, ROYER-COLLARD, SISMONDI, GUIZOT, LA FAYETTE, etc. (Suite et fin.) (1) XIX LETTRE DE M. PERMON, COMMISSAIRE GÉNÉRAL DE POLICE EN 1818, A LYON, A CAMILLE JORDAN Très confidentielle (2). Lyon, 4 avril 1818. Monsieur, Depuis longtemps, je désire avoir l'honneur de m'entretenir avec vous. Indépendamment des hautes qualités qui vous distinguent si éminemment, j'ai l'avantage de connaître plusieurs personnes qui (1) Voyez Revue Politique et Parlementaire des 10 janvier et 10 février 1897. (2) Cette lettre n'est pas inédite, elle a paru isolément dans un numéro du Salut Public à Lyon en 1894. Vu son importance nous n'hésitons pas à la reproduire. Elle met en lumière le rôle équivoque joué alors par certains ultra et prouve en outre qu'à toute époque certains fonctionnaires ont adressé des rapports aux députés indépendamment de leurs chefs hiérarchiques. Cette lettre fait allusion aux événements qui se déroulèrent à Lyon en 1818, et dont en résumé le général Canuel, commandant la police de Lyon et le comte de Fargues, maire de Lyon, n'étaient que les agents provocateurs. Quand M. Decazes envoya à Lyon le maréchal Marmont succéder au général Canuel, le maréchal s'aperçut bientôt que son prédécesseur avait joué la comédie d'une conspiration. vous rendent à l'envi le tribut d'éloges qui vous est dû. Sous un autre rapport, j'exerce dans une ville importante des fonctions délicates et que les circonstances rendent assez difficiles. Cependant je voyais avec une satisfaction vivement sentie l'ordre se rétablir et la confiance renaître, lorsque tout à coup un lugubre cri d'alarme s'est fait entendre. J'étais sur mes gardes et je n'ai pas tardé à m'assurer que ces bruits perfides de complots, de conspiration, étaient l'ouvrage de certains incitateurs comprimés mais non pas abattus et toujours fidèles à leur système de tendre des pièges pour livrer des victimes. C'est le 15 mars, à point nommé, que des bruits sinistres ont commencé à circuler. D'abord c'était le jour du vendredi saint (20 mars) que le mouvement devait avoir lieu, ensuite le jour de Pâques, puis le 24 et puis le 28. La population soumise et résignée ignorait que la malveillance lui prêtât d'aussi affreux desseins. Les pamphlets qui ont paru pour et contre sur cette malheureuse affaire du 8 juin ont réveillé les haines. Le Moniteurroyaliste, infâme libelle, provoque le parti de l'exagération. Le n° 8 contient le passage suivant : « Ce serait une grande erreur après un premier échec de supposer la conspiration anéantie, de croire les conspirateurs découragés, leur plan était fortement conçu. Si les autorités de Lyon eussent été alors ce qu'elles sont aujourd'hui il avait un plein succès, et c'est encore ce même plan qu'on se propose d'exécuter. >>> Une note qui termine ce libelle est conçue ainsi qu'il suit : <<< Les nouvelles que nous recevons de Lyon deviennent de moment en moment plus alarmantes. Tout y annonce une crise nouvelle imminente contre laquelle, dans l'état actuel des choses, on n'aura aucun moyen suffisant de résistance. Les agents d'un parti ont répété en échos ces calomnies. Presqu'au même moment on dénonçait officiellement et dans des termes très inquiétants à l'autorité le réarmement des campagnes, et il a été constaté que ce réarmement se réduisait à la restitution d'une trentraine de fusils à des habitants d'une commune du département sur le certificat du maire et d'après l'autorisation de M. le préfet. On a beaucoup parlé du passage du Prince Eugène à Lyon, et j'ai prouvé par une enquête que ce bruit avait été répandu par le courrier d'un personnage étranger de distinction. Presqu'au même moment on provoquait des cris séditeux dans les prisons et dans quelques lieux de la ville et les enquêtes faites d'après mes ordres prouvent, du moins moralement, que des provocateurs cherchaient des coupables. Les incitateurs disent qu'il y a des réunions, des enrôlements. Je demande des preuves, des indices, on ne peut m'en donner. Presqu'au même moment encore les chasseurs des Pyrénées se livrent à des scènes d'insubordination à cinq reprises différentes. Un caporal de la légion de la Loire-Inférieure prétend qu'on a crié: Vive l'Empereur! sur la rive droite de la Saône, et lui-même est convaincu d'avoir chanté une chanson séditieuse dont le refrain était : Vive la Victoire! Vive Napoléon !. (Il est traduit devant le conseil de guerre.) Enfin, Monsieur le Conseiller d'Etat, il n'est pas de tentatives insidieuses que les incitateurs ne mettent en usage pour alarmer les esprits, inquiéter l'autorité, et s'efforcer de l'amener à prendre l'effet pour la cause. J'ai immédiatement apprécié à leur juste valeur ces misérables moyens. J'ai éclairé ces ténébreuses manœuvres. M. le préfet, M. le lieutenant général commandant la division, M. le maréchal de camp commandant le dépôt, M. le chef d'escadron de gendarmerie commandant celle du Rhône, nous sommes très bien avertis. Nous vivons dans une union parfaite, mais le génie du mal s'agite avec une sorte d'impunité que l'on doit attribuer au masque de royalisme dont il se couvre. M. Desuttes, prévôt de la Cour prévôtale, est le coryphée du parti. C'est lui qui donne à Lyon l'impulsion qu'il doit recevoir d'ailleurs. Ce renseignement confidentiel est positif. J'avais cru d'abord que tout se réduisait à une guerre pamphlétaire, mais non. Ce sont des ligueurs qui outragent le Roi et son gouvernement, ce sont eux qui organisent une prétendue conspiration pour l'attribuer au parti opposé. L'impunité accroît leur audace. Elle est telle que si Paris ne les frappe pas, ils finiront par faire accroire que Lyon conspire encore. Peut-être même (et cette idée est cruelle) ils parviendront à atteindre leur but par la raison toute simple que, malgré tout le zèle et la clairvoyance imaginables de l'autorité, les méchants réussissent souvent lorsque les moyens de défense ne sont pas proportionnés aux moyens d'attaque. Ces personnages indignes du beau nom de Français ne se doutent pas du mal qu'ils font à la patrie aux yeux de l'Europe. En vous parlant ainsi à cœur ouvert au premier abord je sais à qui je m'adresse. Je me permets d'ailleurs de vous prior de regarder cette lettre comme très confidentielle. Je n'ai pas cessé un seul moment de prêcher l'union et l'oubli. Je ne tolère aucune qualification de partis. Je suis impartial pour tous, mais j'ai affaire à quelques hommes incorrigibles, implacables, qu'aucun procédé ne peut calmer, qu'aucun raisonnement ne peut convaincre. J'ai depuis longtemps pour maxime que le véritable courage consiste dans la modération, mais je suis en même temps convaincu qu'elle doit être accompagnée de fermeté, sinon les incitateurs la qualifieraient de faiblesse. La masse est calme, tranquille, je dirai presque inerte, mais la perfide audace du parti de l'exagération s'efforce de la mettre en mouvement. C'est à regret que je retrace le mot partis. J'ai la douce consolation de penser que, dans les divers pays où le gouvernement a daigné m'honorer de sa confiance, je me suis constamment attaché à rallier, à réunir, à amener à l'obéissance par la conviction, mais à Lyon les meneurs du parti de l'exagération royaliste ne peuvent se résoudre à renoncer à l'influence qu'ils avaient usurpée, ni à consentir que les nouvelles autorités fassent le bien sans eux. Or Lyon est un point de mire. Il est temps enfin que les hommes et les choses soient mis à leur place. Agréez, je vous prie, Monsieur le Conseiller d'Etat, la sincère assurance de ma haute considération. PERMON. XX LETTRE (1) DE LA FAYETTE A CAMILLE JORDAN A M. Camille Jordan, député. Hôtel Castellane, rue de Grenelle, à Paris. Mardi matin. J'aime trop notre cause et vous, mon cher collègue, pour ne pas souhaiter vivement que vous soyez en état de parler aujourd'hui ou demain; néanmoins, si malheureusement votre santé exigeait que vous attendissiez la discussion des articles, je vous demanderais en toute défiance de moi-même une place qui serait sans compliment mieux remplie par vous. Benjamin Constant parlera aujourd'hui ou demain suivant ce que vous devez lui mander avant midi. Il y a bien aussi, dit-on, une place cédée par notre collègue Jobey (2) d'après un arrangement que je ne sais pas très clairement, mais c'est dans trois jours et je doute que la discussion soit autant prolongée. Cependant si ne pouviez pas monter plus tôt à la tribune, il faudrait batailler pour aller jusque-là. Je mets du prix à parler, entre nous soit dit, parce qu'il y a eu de la part des ministres à diverses reprises quelques reproches qu'il m'appartient d'éclaircir au nom de mes anciens compagnons de liberté et d'ordre public. Bonjour et amitié bien sincère. LA FAYETTE. (1) Cette lettre, dont nous n'avons pas la date exacte, doit avoir été écrite en 1820, lors de la discussion des trois grandes lois (loi électorale, loi sur la liberté individuelle, loi sur la presse) si éloquemment combattues par les libéraux. (2) Emmanuel Jobey (1775-1828), écrivain et homme politique. Elu député à plusieurs reprises pendant la Restauration, il vota avec le parti libéral. XXI LETTRE D'AUGUSTE DE STAEL A CAMILLE JORDAN Coppet, 8 août 1820. J'espérais une lettre de vous, cher Camille, et c'est ce qui m'a empêché de vous exprimer plus tôt l'indignation que j'ai ressentie de la conduite du ministère (1) envers vous et vos amis. Certes, M. Dubuc avait bien raison de dire: Respectez la toute puissance des sots, car il n'y a pas de haine plus indestructible que celle de la médiocrité contre l'esprit. Mais de Serre, comment ne pas le regretter, comment ne pas gémir de le voir déshonorer à ce point son beau talent! Au reste, dans ma retraite, je ne sais rien que confusément, et vous ferez une œuvre de charité en dictant quelques lignes pour moi..... Dites-moi aussi quelques mots sur les affaires publiques, car vous ètes au centre et je suis à l'extrémité d'un des rayons. Je ne suis pas même mieux instruit des affaires d'Italie qu'on ne l'est à Paris. Les dernières lettres de Naples que j'ai vues annoncent que les malheureuses scènes de Palerme ont été opposées par les efforts du clergé et par la résolution qu'à pris le gouvernement de laisser la Sicile se constituer à son gré. Le nord de l'Italie est tranquille et le ton de la Gazette de Milan semble même indiquer que l'Autriche est plus disposée à étouffer les choses qu'à manifester sa colère... Mon adresse est à Ferney, département de l'Ain. XXII AUGUSTE DE STAEL (2). LETTRE DE M. LE GARDE DES SCEAUX DE SERRE A CAMILLE JORDAN 17 juillet 1820. Monsieur et honorable collègue. Votre santé ne vous permettait plus depuis longtemps de remplir les fonctions de conseiller d'Etat (1) M. de Staël fait allusion ici à l'obligation dans laquelle M. de Serre avait mis Camille Jordan de quitter le Conseil d'Etat pour cause de santé. En réalité Camille Jordan fut destitué. Il avait repoussé les lois d'exception que proposait le ministère Richelieu après la mort du duc de Berry. « Inquiet, disait-il à la Chambre, pour les destinées de la patrie et du trône, il m'est permis peut-être de m'affliger aussi de la situation où le devoir me place lorsque, fonctionnaire du gouvernement, je me vois obligé de repousser les mesures qu'il propose. » M. de Richelieu avait porté au Conseil d'Etat la question de savoir si l'on romprait avec les doctrinaires par une destitution publique. M. de Serre démontra qu'il y avait impossibilité pour les doctrinaires et les ministres à rester dans une situation équivoque. Il était inadmissible que des projets du gouvernement fussent combattus par des fonctionnaires du gouvernement. En conséquence, le nouveau tableau du Conseil d'Etat en service ordinaire ne comprendrait plus les noms de MM. Royer-Collard, Guizot, Barante, Camille Jordan. (2) Le baron Auguste-Louis de Staël-Holstein (1790-1827), libéral convaincu, était le fils de Mme de Staël. |