ce qui revient au même, s'il en est aimé, il sera un maître écouté, compris, obéi sans avoir commandé. Son pouvoir naîtra de l'amour autant que de la maturité de sa pensée, de sa volonté réfléchie, de l'importance de son rôle extérieur pour l'existence de la famille. Il sera le chef, naturellement, sans effort. Plus grande sera la supériorité de sa raison et de sa volonté, moins il lui faudra faire acte d'autorité. L'homme doit prendre dans la famille un tel ascendant qu'il n'ait jamais besoin de dire : « Je veux », qu'il n'ait pas à employer la forme impérative pour être écouté. C'est envers sa jeune femme surtout qu'il aura à se montrer réservé, qu'il agira par la seule persuasion affectueuse, certain d'obtenir de cette manière tout ce qu'il voudra, tout ce qui sera raisonnable. La tendresse, le désir de plaire mettront l'épouse à sa merci, lui permettront de la modeler, de la faire complètement sienne. L'homme de droite raison et de caractère ne peut manquer d'avoir la compagne qu'il mérite, la douce et vigilante gardienne du foyer, la femme aimable, vertueuse, qui répand le bonheur autour d'elle. Celui à qui manque la volonté, et à plus forte raison la moralité, peut transformer une jeune fille foncièrement honnête en une femme qui le vaudra, LE MARIAGE. 155 c'est-à-dire qui vaudra peu et sera préparée à toutes les chutes. L'action du mari sur la femme se constate dans la vie, à chaque instant, à chaque pas. Voyez, par exemple, deux sœurs de même éducation, ayant sensiblement les mêmes qualités, la même aptitude à faire des épouses et des mères excellentes. Elles se marient. Leur destin est bien différent, si les hommes qu'elles ont épousés ne se ressemblent pas. Supposons que l'un ait la sagesse et la droiture en partage; qu'il soit de valeur intellectuelle et de valeur morale supérieures. Sa jeune femme se forme peu à peu sur lui; elle devient sa digne compagne; on l'admire et on l'aime à l'égal du mari. L'autre sœur épouse un homme médiocre et de moralité douteuse. Au bout d'un temps, le ménage se désunit, se disloque, et la femme va au mal, perdant toute pudeur et toute dignité. Qui de nous n'a eu maintes fois sous les yeux un pareil spectacle? On ne peut pas dire que la règle soit absolue; elle est au moins très générale, et les exceptions. qu'on citerait ne l'infirmeraient pas. C'est l'amour, c'est la générosité des sentiments régnant au foyer qui élèvent, ennoblissent l'homme et la femme, comme plus tard ils contribueront à la formation morale des enfants. L'affection et les égards réciproques des époux, leur attachement au devoir, à tous les devoirs de la vie, feront la beauté, la force et la sécurité de la famille. L'amour et la vertu sont des talismans qui préservent du sort contraire. Proudhon, qu'on ne trouve pas toujours aussi bien inspiré, a dit excellemment : << Pour former une famille, pour que l'homme et la femme y trouvent la joie et le calme auxquels ils aspirent, sans lesquels, rapprochés par le désir, ils ne seront jamais qu'incomplètement unis, il faut une foi conjugale, j'entends par là une idée de leur mutuelle dignité qui les élève au-dessus des sens, les rende l'un à l'autre encore plus sacrés que chers, et leur fasse de leur communauté féconde une religion plus douce que l'amour même. » La religion de la famille, honorée et servie sans qu'il soit besoin des rites antiques, est nécessaire à tous les individus qui veulent avoir une existence digne et utile, à tous les peuples qui veulent vivre et grandir. CHAPITRE XIII. LES ENFANTS. Seigneur! préservez-moi, préservez ceux que j'aime, Dans le mal triomphants, De jamais voir, Seigneur, l'été sans fleurs vermeilles, La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles, La maison sans enfants. Victor Hugo, dans ces vers, montre combien est triste et désolée la situation d'une famille sans enfants. On disait couramment, autrefois, que la malédiction du ciel l'avait frappée. On le dit moins aujourd'hui. Le but principal du mariage, cependant, c'est la naissance des enfants. Sauf les rares exceptions physiologiques, que malheureusement la vie mondaine rend plus fréquentes qu'il ne serait naturel, l'amour du jeune homme et de la jeune femme doit créer la vie. De leur union naissent les petits êtres qui sont la chair de leur chair, le fruit délicat et charmant de leur tendresse. Il faut avoir des enfants. Il faut les désirer, et accueillir avec résolution et avec joie ceux que la nature nous donne. Si lourds que puissent être les soucis et les charges qu'ils imposent à une famille peu fortunée, on doit les accepter résolument parce que c'est le devoir, joyeusement parce que c'est le bonheur. Quand nous arrivons au déclin de la vie et que nous faisons la somme des peines et du travail que chaque enfant nous a coûtés pour atteindre l'âge d'homme, puis des satisfactions morales, des émotions douces et fortes qu'il nous a données, l'équilibre ne s'établit pas. C'est le dernier total qui l'emporte sur le premier, et de beaucoup. Tout compte fait, nous avons un gros bénéfice. Le père et la mère dont la vie est dure, qui élèvent non sans effort plusieurs enfants déjà et qui savent qu'un nouveau arrive, se disent tout bas, en souriant, que le cher petit être a été bien pressé, qu'il eût été plus sage de sa part d'attendre que ses frères fussent un peu plus grands. Sa venue n'en est pas moins saluée gaiement, comme celle des aînés. Au bout de quelque temps, les choses se sont tassées; on a aménagé et la maison et les ressources pour que le petit intrus y ait sa place, et une grande place, la première, puisqu'il est le plus jeune. Les parents le regardent et se regardent, avec cette tendresse admirative, si naïve et si touchante qu'on ne lit que dans les yeux du père et de la mère penchés |