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insuffisants dont disposait le port de Bizerte. Je passe sur les péripéties de ce sauvetage, où le matériel fut retiré à peu près sauf, mais non pas les hommes.

Ceux-ci se rendaient compte des efforts qu'on faisait pour les secourir, ils révélaient leur présence aux scaphandriers en frappant sur la coque du bateau, paroi de leur prison et bientôt de leur cercueil. L'eau montait, montait toujours, réduisant l'espace encore libre. C'était la mort qui approchait. Jusqu'au dernier moment ils se défendirent, tentèrent tout pour conserver un peu d'air respirable. Et la lutte finie, l'inévitable défaite arrivée, ils entrèrent dans le grand repos.

Quelques jours plus tard, le bateau renfloué, on retrouva les corps des dix hommes. Leur visage était calme, leurs muscles n'étaient point contractés. Ils semblaient s'être endormis dans la paix de l'âme, en braves gens qui ont fait leur devoir jusqu'au bout et à qui le sacrifice de la vie ne coûte pas.

Pour qui connaît le caractère des marins, beau de courage, de simplicité héroïque, il n'est pas douteux que les hommes et le jeune officier du Farfadet ont noblement fini leur vie. Ils ont vu venir la mort sans effroi, et l'ont acceptée sans plainte, sans révolte. On peut inscrire sur la pierre qui recouvre aujourd'hui leurs restes : morts au devoir, en servant la Patrie.

Que des plus nobles fleurs leur tombe soit couverte!

LE COURAGE.

57

Toutes les philosophies, toutes les morales qui ne sont pas des théories de corruption et de décadence, ont célébré le courage devant la mort.

Les stoïciens sont allés jusqu'à l'excès dans les conséquences de la doctrine, en approuvant le suicide.

Il n'est pas possible d'être d'accord avec eux sur ce point.

Le suicide est le plus souvent une lâcheté.
C'est toujours un manquement au devoir.

Le suicide est une lâcheté, quand l'homme y a recours pour fuir les charges de la vie qui lui paraissent trop lourdes, pour échapper à des responsabilités qui l'effraient, pour en finir avec des souffrances physiques ou morales qu'il ne peut supporter.

Il se soustrait à son devoir, puisque vivre est le devoir, le premier des devoirs envers soi, envers les siens, envers le pays.

Dans un seul cas le suicide paraît admissible, excusable au moins, c'est lorsqu'il peut sauver du déshonneur.

On le blâme là encore, cependant; et l'on dit avec raison que, dans ce cas, l'homme doit vivre pour expier les fautes qui l'ont conduit à cette irrémédiable déchéance. C'est moralement fort juste. Mais, humainement, peut-on reprocher à un homme de ne pouvoir pas vivre sans honneur ?

Juvénal a dit :

« Le plus grand des maux est de préférer la vie à l'honneur et de sauver sa vie aux dépens de ce qui la rend digne d'être supportée. »

Cela est vrai dans tous les cas.

L'honneur est le seul bien qui ne se regagne jamais si on a le malheur de l'avoir perdu. Celui qui a vu sombrer son honneur peut lire, sur la page blanche où l'avenir écrira, l'inscription que Dante a vue gravée sur la porte de l'enfer : «Vous qui entrez ici, laissez toute espérance. »

C'est le cas où la morale la plus rigoureuse ne peut condamner absolument un acte de désespoir.

Je laisse ces circonstances terribles; je me reproche même d'y avoir un instant arrêté le lecteur.

Le jeune homme de caractère bien trempé, de saine raison et de courage, ne saurait jamais les connaître personnellement. Il ne pourrait avoir à les envisager qu'en vue du jugement à porter sur les actions d'autrui.

Les lois de Solon n'avaient pas prévu le parricide, un crime aussi monstrueux paraissant impossible à Athènes. Je ne puis, moi non plus, croire que ceux qui seront, dans quelque mesure, moralement mes fils, puissent jamais perdre l'honneur.

Mais ils auront, bien au contraire, à connaître et à pratiquer tous les genres de courage.

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sique et moral dont il a été question jusqu'ici, un courage particulier qu'on nomme le courage civil, ou courage civique.

Les philosophes font encore une autre distinction dont il doit être dit quelques mots. Ils relèvent une différence entre le courage de l'esprit et le courage moral, désignant par courage de l'esprit l'acceptation par la raison d'idées nouvelles, hardies, sans que les résistances ou les critiques les fassent aisément abandonner.

La différence se fait communément apprécier par l'exposé du cas de Galilée. Le grand physicien, jugé et condamné pour avoir professé que la terre tourne, manque de courage moral en s'inclinant devant la condamnation du tribunal de l'Inquisition et en faisant publiquement amende honorable; mais il conserve le courage de l'esprit en continuant à croire à la rotation de notre planète.

Si ce sont là simples subtilités philosophiques, il n'en est pas de même de la spécialisation de cette nature de courage qu'on nomme le courage civique. C'est celui de l'homme vivant en société, du citoyen, de l'homme public.

Il faut qu'il ait le courage de sa propre opinion, qu'il sache se tenir en dehors des courants irrai

sonnés qui emportent les masses à de certains moments, et, au besoin, qu'il sache y résister; qu'il soit capable de braver la critique injuste, la médisance, la calomnie; de tenir haut la tête, malgré tout et malgré tous, lorsqu'il est assuré du témoignage de sa conscience. Il faut qu'il porte vaillamment et qu'il revendique la pleine responsabilité de ses décisions et de ses actes, qu'il résiste à l'intimidation et à la violence quand il a pour lui la raison et qu'il est dans le devoir. Alors même que le vent de l'aberration souffle sur toutes les têtes et qu'il y a grand risque à n'y pas céder, l'homme courageux reste lui-même et suit sans dévier la route qu'il s'est tracée.

S'il doit, comme tout autre, aimer la vertu et haïr le vice, il lui faut encore savoir approuver l'une et blâmer l'autre, alors que le vice est tout-puissant la vertu est bafouée.

et que

Il ne peut, ainsi qu'il en est tant pour le faire par indolence ou lâcheté, manquer de mettre ses actes, sa conduite, en harmonie avec les doctrines qu'il professe.

L'action, chez lui, doit être d'accord avec la parole, la parole d'accord avec la pensée.

C'est ce courage, dit-on, le courage civique, qui est le plus difficile et le plus rare.

L'homme que la raison guide, que la volonté

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