pied, nous ne saurious même où fuir. La longueur de la guerre a consumé tout ce qui est derrière nous, les villes n'ont plus d'habitants ni les campagnes de laboureurs, et tout est ramassé dans cette armée. Vos femmes mêmes et vos enfants se traînent après vous; et c'est autant de butin pour l'ennemi, si nos corps ne leur servent de remparts. Pour moi, j'ai satisfait à tout ce qui était de mon devoir; j'ai rassemblé une si nombreuse et si prodigieuse armée, qu'à peine ces campagnes si vastes sont-elles capables de la contenir ; j'ai fourni armes et chevaux, j'ai donné ordre que les vivres et les munitions ne manquassent point à une si grande multitude; enfin j'ai choisi un lieu propre pour la ranger en bataille. Désormais le reste dépend de vous: il ne faut sinon que vous osiez vaincre, vous moquant de la renommée des ennemis, qui est de toutes les armes la plus faible contre des gens de cœur. «Sachez que ce que vous avez redouté jusqu'ici comme un prodige de vaillance n'est qu'une pure témérité, qui n'a pas sitôt jeté son feu, que, semblable à ces animaux qui ont laissé leur aiguillon, elle ne fait plus que languir. Au reste, ces plaines nous découvrent le petit nombre que les montagnes de la Cilicie nous avaient caché. Voyez-vous comme leurs rangs sont clairs et mal fournis, comme leurs ailes sont effilées, et leur corps de bataille épuisé; car pour ceux qu'il a mis à l'arrière-garde, j'apprends qu'ils nous tournent déjà le dos, comme pour se préparer à la fuite. Je ne veux que mes chariots armés de faux, pour leur passer à tous sur le ventre. Que si nous gagnons cette bataille, tout est gagné, et la guerre est finie; presque toute espérance de fuir leur est retranchée aussi bien qu'à nous. Le Tigre et l'Euphrate les tiennent enfermés. Ajoutez que ce qui leur était favorable aupara diutino bello exhausta post tergum sunt: non incolas suos urbes, non cultores habent terræ. Conjuges quoque et liberi sequuntur hanc aciem parata hostibus præda, nisi pro carissimis pignoribus corpora opponimus. Quod mearum fuit partium, exercitum, quem pæne immensa planities vix caperet, comparavi: equos, arma distribui : commeatus, ne tantæ multitudini deessent, providi: locum, in quo acies explicari posset, elegi. Cetera in vestra potestate sunt audete modo vincere; famamque, infirmissimum adversus fortes viros telum, contemnite. Temeritas est, quam adhuc pro virtute timuistis: quæ, ubi primum impetum effudit, velut quædam animalia, emisso aculeo, torpet. Hi vero campi deprehendere paucitatem, quam Cilicia montes absconderant; videtis ordines raros, cornua extenta, mediam aciem vanam et exhaustam; nam ultimi, quos locavit aversos, terga jam præbent. Obteri mehercule equorum ungulis possunt; etiamsi nil præter falcatos currus emisero. Et bello vicerimus, si vincimus prælio : nam ne illis quidem ad fugam locus est: hinc Euphrates, illinc Tigris prohibet inclusos. Et, quæ antea pro illis erant, in contrarium versa sunt. Nostrum mobile vant a maintenant comme changé de parti, et leur est devenu contraire; car nous avons une armée légère et aisée à remuer, au lieu que la leur est pesante et chargée de butin de sorte que les trouvant embarrassés de nos dépouilles, y a-t-il rien de si facile que de les tailler en pièces? Ainsi une même chose sera et la cause et le fruit de la victoire. Toutefois s'il y a quelqu'un parmi vous à qui le nom de cette nation belliqueuse donne de la terreur, qu'il se souvienne que ce sont bien là les armes et les enseignes des Macédoniens, mais non pas leurs personnes; car il y a eu déjà bien du sang répandu des deux côtés, et vous savez qu'en un petit nombre, pour petite que soit la perte, elle est toujours grande et considérable. Et pour Alexandre, quelque grand et terrible que se le figurent les lâches, enfin ce n'est qu'un homme, et, si vous m'en croyez, un brutal, un étourdi, plus heureux jusqu'ici par notre épouvante que par sa valeur. Souvenezvous que tout ce qui manque de conduite ne saurait être de longue durée; c'est pourquoi, bien que la fortune semble le suivre partout, ne doutez pas pourtant qu'à la fin elle ne se lasse: elle n'a pas de quoi fournir à une continuelle témérité. Qui sait si les dieux n'ont point arrêté dans leurs destinées que l'empire des Perses, qu'ils ont si heureusement élevé au comble de la gloire durant le cours de deux cent trente ans, reçût ce grand choc, non pas pour être abattu, mais seulement ébranlé, afin de nous remettre en mémoire l'instabilité des choses humaines, à quoi nous songeons si peu au milieu des grandes prospérités? Il n'y a pas longtemps que, de gaieté de cœur et de trop d'aise, nous faisions la guerre aux Grecs; et c'est à vous à repousser maintenant celle qu'ils nous viennent faire chez nous. C'est ainsi que nous éprouvons tour à tour l'incons et expeditum agmen est; illud præda grave: implicatos ergo spoliis nostris trucidabimus: eademque res el causa victoriæ erit, et fructus. Quod si quem e vobis nomen gentis movet, cogitet, Macedonum illic arma esse, non corpora; multum enim sanguinis invicem hausimus; et semper gravior in paucitate jactura est. Nam Alexander, quantuscumque ignavis et timidis videri potest, unum animal est, et, si quid mihi creditis, temerarium et vecors; adhuc nostro pavore, quam sua virtute felicius. Nihil autem potest esse diuturnum, cui non subest ratio; licet felicitas adspirare videatur, tamen ad ultimum teme. ritati non sufficit. Præterea breves et mutabiles vices rerum sunt et fortuna nunquam simpliter indulget. Fors tan ita dii fata ordinaverunt, ut Persarum imperium, quod secundo cursu per ducentos triginta annos ad summum fastigium evexerant, magno motu concuterent magis quam affligerent, admonerentque nos fragilitatis humanæ, cujus nimia in prosperis rebus oblivio est. Modo Græcis ultro bellum inferebamus: nunc in sedibus nostris propulsamus illatum; jactamur invicem varietate fortunæ. Videlicet imperium, quod mutuo affectamus, una gens non capit. tance de la fortune, et que ni les Perses, ni les, Grecs, ne doivent espérer de parvenir à la monarchie, où aspirent deux si puissants concurrents. Mais quand l'espérance de vaincre, qui nous est tout assurée, ne suffirait pas pour nous inciter à bien faire, la nécessité ne nous y oblige que trop. Vous voyez à quelle extrémité nos affaires sont réduites. Ma mère, mes deux filles, mon fils Ochus, l'héritier et l'espoir de cet empire, sont dans les fers. On les tient enchaînés, ces glorieux rejetons de la tige royale; on tient vos princes, vos chefs, qui sont comme autant de rois; tous gémissent sous une infâme servitude. Enfin la meilleure partie de moi-même n'est plus à moi; et n'était ce qui me reste en vous, que s'en faut il que je ne sois entièrement captif? « Tirez ma mère et mes enfants des liens; car pour ma femme, hélas! je l'ai perdue dans la prison. Rendez-moi ces chers gages, pour lesquels je ne refuse pas de mourir. Représentez-vous que tous ensemble ils vous tendent les mains, et qu'après avoir imploré les dieux du pays, ils vous demandent votre assistance, votre compassion, votre foi, afin que vous rompiez leurs chaînes et que vous les délivriez d'une si dure captivité, d'une si honteuse misère. Peut-elle être plus grande que de ne tenir la vie que de la grâce et de la compassion d'un ennemi? Comment pensez-vous qu'ils puissent supporter de se voir esclaves de ceux dont ils dédaignaient d'être les rois? Mais je vois les ennemis qui s'avancent, et plus ils s'approchent, plus j'ai de choses à vous dire pour vous animer au combat. Je vous prie donc par les dieux tutélaires de cette couronne, par le feu éternel que l'on porte sur les autels, par la splendeur du soleil qui naît dans l'enceinte de, mon royaume, et par la mémoire immortelle de Cyrus, lequel ayant arraché cet empire d'entre les mains des Mèdes et des Lydiens, l'a trans Ceterum, etiamsi spes non subesset, necessitas tamen stimulare deberet; ad extrema perventum est: matrem meam, duas filias, Ochum, in spem hujus imperii genitum principem, illam sobolem regiæ stirpis, duces vestros, regum instar, vinctos habet: nisi quod in vobis est, ipse ego majore mei parte captivus sum. Eripite viscera mea ex vinculis restituite mihi pignora pro quibus ipse mori non recuso, parentem, liberos ; nam conjugem in illo carcere amisi. Credite nunc omnes tendere ad vos manus, implorare patrios deos, opem vestram, misericordiam, fidem exposcere, ut servitute, ut compedibus, ut precario victu ipsos liberetis. An creditis, æquo animo iis servire, quorum reges esse fastidiunt? Video admoveri hostium aciem sed quo propius discrimen accedo, hoc minus iis, quæ dixi, possum esse contentus. Per ego vos deos patrios, æternumque ignem, qui præfertur altaribus, fulgoremque solis intra fines regni mei orientis, per æternam memoriam Cyri, qui ademptum Medis Lydisque imperium primus in Persidem intulit: vindicate ab ultimo dedecore nomen gentemque Persarum. Ite alacres et spe pleni, ut, : féré le premier en celle des Perses; je vous prie, dis-je, et vous conjure par des choses si sacrées de sauver à ce coup l'honneur de la Perse, et de ne souffrir pas qu'un peuple si florissant soit flétri d'un éternel opprobre. Allez pleins d'allégresse et de confiance, et transmettez à vos successeurs la gloire que vous avez reçue de vos ancêtres. Vous portez aujourd'hui dans vos mains votre liberté, votre salut et celui de la patrie. Vous portez toute l'espérance de l'avenir. Le moyen d'éviter la mort dans le combat, c'est de la mépriser; qui la craint, la trouve. Du reste, ce que vous me voyez sur un chariot n'est pas tant pour me conformer à la coutume du pays que pour m'exposer à la vue de tout le monde: quelque exemple que je vous donne de valeur ou de lâcheté, je suis content que vous fassiez comme moi, je ne vous demande que cela. » XV. Alexandre, pour éviter les embûches que Bion lui avait découvertes, et ensemble rencontrer Darius, qui menait l'aile gauche de sa bataille, tirait toujours sur la main droite aux ennemis. Et Darius, de son côté, faisait la même chose pour aller à lui, ayant commandé à Bessus de charger en flanc l'aile gauche d'Alexandre, avec la cavalerie des Massagètes. Il faisait marcher devant lui ses chariots armés de faux, qu'il poussa tous à la fois au combat, sitôt que le signal fut donné. Les conducteurs, lâchant les guides, vinrent avec la plus grande impétuosité qu'ils purent fondre sur les ennemis, afin que, les surprenant, ils fissent une plus grande ouverture, Le carnage fut horrible les uns étaient percés par les javelines qui portaient leurs pointes bien avant au-delà du timon, et les autres écrasés par les roues ou sous les pieds des chevaux, et la plupart mis en pièces par le tranchant des faux qui pendaient des deux côtés. Enfin, les Macédoniens furent contraints de céder à cette quam gloriam accepistis a majoribus vestris, posteris relinquatis. In dextris vestris jam libertatem, opem, spem futuri temporis geritis. Effugit mortem, quisquis contem pserit timidissimum quemque consequitur. Ipse non patrio more solum, sed etiam ut conspici possim, curru vehor: nec recuso, quo minus imitemini me, sive fortitudinis exemplum, sive ignaviæ fuero. »> XV. Interim Alexander, ut et demonstratum a transfuga insidiarum locum circumiret, et Dario, qui lævum cornu tuebatur, occurreret, agmen obliquum incedere jubet. Darius quoque eodem suum obvertit, Besso admonito, ut Massagetas equites in lævum Alexandri cornu a latere invehi juberet. Ipse ante se falcatos currus habebat : quos, signo dato, universos in hostem effudit: ruebant laxatis habenis auriga, quo plures, nondum satis proviso impetu, obtererent. Alios ergo hasta multum ultra temones eminentes, alios ab utroque latere dimissæ falces laceravere, nec sensim Macedones cedebant, sed effusa fuga turbaverant ordines. Mazæus quoque perculsis metum incussit, mille equitibus ad diripienda hostis impedimenta circum violence, non pas en ployant peu à peu, mais en prenant tout ouvertement la fuite et en troublant tous les rangs. A ce désordre Mazée en ajouta un autre, ayant fait passer trois mille chevaux par derrière, pour enlever le bagage de l'ennemi, sur l'espérance que les prisonniers qu'on gardait au même quartier rompraient leurs chaînes quand ils verraient approcher leurs gens. Mais il ne sut si bien faire que Parménion, qui commandait l'aile gauche, ne s'en aperçût; tellement qu'il envoya promptement Polydamas au roi pour l'avertir du danger et savoir ce qu'il voulait que l'on fit. Le roi ayant ouï Polydamas, « Va-t'en, lui répondit-il, dire à Parménion que si nous remportons la victoire, nous ne recouvrerons pas seulement ce qui est à nous, mais nous serons maîtres de tout ce qui est à l'ennemi. Ainsi il n'a que faire d'affaiblir le corps de la bataille; mais laissant là le bagage, qu'il ne se mette en peine que de bien combattre, comme il le doit pour ma gloire et pour celle du roi Philippe mon père. ་་ Cependant les Barbares saccagent le camp et tuent plusieurs des gardes. Les prisonniers ayant brisé leurs fers s'arment de tout ce qu'ils rencontrent, et, s'étant joints à leur cavalerie, se jettent sur les Macédouiens, attaqués par dehors et par dedans. De là, ils courent pleins de joie porter à Sysigambis la nouvelle « que Darius a vaincu; qu'il s'est fait une grande tuerie des ennemis, et que même on a déjà pillé leur bagage, » car ils croyaient avoir eu partout la fortune semblable, et que les Perses, assurés de la victoire, étaient courus au butin. Mais cette sage princesse, quoi que lui sussent dire ses prisonniers pour l'exciter à se réjouir, demeura toujours au mème état où ils l'avaient trouvée; jamais il ne vebi jussis ratus captivos quoque, qui simul asservabantur, rupturos vincula, quum suos appropinquantes vidissent. Non fefellerat Parmenionem, qui in lævo cornu erat propere igitur Polydamanta mittit ad regem, qui et periculum ostenderet, et quid fieri juberet, consuleret. ille, audito Polydamante, « Abi, nuncia, inquit, Parmenioni, si acie vicerimus, non nostra solum nos recupera turos, sed etiam quæ hostium sunt occupaturos. Proinde non est quod quidquam virium subducat ex acie, sed ut me, ut Philippo patre dignum est, contempto sarcinarum damno fortiter dimicet. » Interim Barbari impedimenta turbaverant cæsisque plerisque custodum, captivi, vinculis ruptis, quidquid obvium erat, quo armari possent, arripiunt; et aggregati suorum equitibus, Macedonas ancipiti circumventos malo, invadunt: lætique circa Sysigambim, vicisse Darium; ingenti cæde prostratos hostes; ad ultimum etiam impedimentis exutos esse nunciant : quippe eamdem fortunam ubique esse credebant, et victo. res Persas ad prædam discurrisse. Sysigambis, hortantibus captivis, ut animum a moerore allevaret, in eodem, quo antea fuit, perseveravit : non vox ulla excidit ei; non lui échappa une seule parole; jamais elle ne changea de couleur ni de contenance, mais se tint là assise sans se mouvoir, dans un maintien composé, comme si elle eût craint d'irriter la fortune par une joie précipitée; de sorte qu'à la considérer attentivement, on n'eût su juger à son visage ce qu'elle désirait le plus. En ces entrefaites, Ménidas, colonel de la cavalerie macédonienne, était accouru avec peu de gens pour recouvrer le bagage; on ne sait si ce fut de son mouvement, ou par ordre d'Alexandre, mais il ne put soutenir l'effort des Cadusiens et des Scythes; et ayant à peine tenté le combat, il se retira vers le roi, sans avoir fait autre chose que se rendre témoin du désordre qu'il devait empêcher. Alors le dépit d'Alexandre l'emporta sur sa première résolution, outre qu'il appréhendait, et non sans sujet, que le soin qu'aurait le soldat de ravoir ce qui lui appartenait ne le divertit du combat: tellement qu'il envoya Arétès, chef des lanciers qu'ils appelaient sarissophores, contre les Scythes, pour venger cet affront. Cependant, les chariots qui avaient rompu les premiers rangs donnent jusqu'à la phalange, où les Macédoniens rassurés les reçoivent au milieu de leur bataillon. En s'ouvrant, ils firent voir comme deux remparts ou une double haie de piques croisées, qu'ils enfoncaient de çà et de là dans le ventre des chevaux. Ils ne couraient nul risque, parce que les chariots emportés d'une grande vitesse passaient tout droit, sans entamer les côtés. Après, on se mit à les environner, et à tirer en bas ceux qui étaient dessus. Il y eut tant d'hommes et de chevaux tués, qu'en moins de rien le champ en fut tout couvert. Les autres dans l'épouvante ne se laissaient plus conduire, et à force de se débattre ils n'a oris color vultusve mutatus est : sedit immobilis, credo, præcoce gaudio verita irritare fortunam, adeo ut quid mallet intuentibus fuerit incertum. Inter hæc Menidas. præfectus equitum Alexandri, cum paucis turmis opem impedimentis laturus advenerat; incertum, suone cousilio, an regis imperio; sed non sustinuit Cadusiorum Scytharumque impetum : quippe vix tentato certamine refugit ad regem, amissorum impedimentorum testis magis, quam vindex. Jam consilium Alexandri dolor vicerat; et, ne cura recuperandi sua militem a prælio averteret, non immerito verebatur. Itaque Areten, ducem hastatorum (sarissophoros vocabant), adversus Scythas mittit. Inter hæc currus, qui circa prima signa turbaverant aciem, in phalangem invecti erant. Macedones, confirmatis animis, in medium agmen accipiunt. Vallo similis acies erat : junxerant hastas; et ab utroque latere temere incurrentium ilia suffodiebant; circumire deinde currus, et propugnatores præcipitare cœperunt. Ingens ruina equorum aurigarumque aciem compleverat; hi territos regere non poterant : equi, crebra jactatione cervicum, non jugum modo excusserant, sed etiam currus everterant; vulnerati interfectos vaient pas seulement jeté leurs harnois, mais renversé les chariots. Les blessés entraînaient les morts, sans pouvoir ni s'arrêter à cause de leur effroi, ni avancer à cause de leur faiblesse. Il y eut pourtant quelques chariots qui percèrent jusqu'à l'arrière-garde, ayant fait un étrange ravage de tout ce qu'ils rencontrèrent; car les membres coupés gisaient épars çà et là sur la terre et parce que les blessés, durant que leurs plaies étaient encore chaudes, n'en sentaient pas la douleur, tout tronqués et languissants qu'ils étaient, ils ne quittaient point pour cela leurs armes, jusqu'à ce qu'ayant perdu tout leur sang, ils expiraient sur la place. Arétès cependant, ayant tué le colonel des Scythes qui pillaient le bagage, les menait rudement, comme des gens étonnés de la perte de leur chef; mais les Bactriens, que Darius envoya pour les soutenir, changèrent la face du combat; car ils renversèrent du premier choc plusieurs des Macédoniens et mirent les autres en fuite, qui regagnèrent le gros; de sorte que les Perses jetèrent alors un grand cri, tel que les vainqueurs ont accoutumé de faire, et donnèrent d'une extrême furie sur l'ennemi, qu'ils croyaient entièrement défait. Alexandre voyant ses gens en déroute, les gourmande, les exhorte, réchauffe lui seul le combat ; et enfin, leur ayant fait reprendre cœur, les ramène à la charge. Il s'aperçoit que l'aile droite des Perses est fort affaiblie, à cause des Bactriens qu'on en avait détachés pour enlever le bagage. Il enfonce ces rangs ainsi éclaircis, et taille tout en pièces. Mais les Perses de l'aile gauche, croyant le pouvoir envelopper, s'en viennent par derrière, et lui allaient faire courir grande fortune, si la | trahebant: nec consistere territi, nec progredi debiles poterant. Paucæ tamen evasere quadrigæ in ultimam aciem, iis, quibus inciderunt, miserabili morte consumptis; quippe amputata virorum membra humi jacebant : et quia calidis adhuc vulneribus aberat dolor, trunci quoque et debiles arma non omittebant; donec, multo sanguine effuso, exanimati procumberent. Interim Aretes, Scytharum, qui impedimenta diripiebant, duce occiso, gravius territis instabat. Supervenere deinde missi a Dario Bactriani, puguæque vertere fortunam. Multi ergo Macedonum primo impetu obtriti sunt plures ad Alexandrum refugerunt. Tum Persæ, clamore sublato, qualem victores solent edere, ferociter in hostem, quasi ubique profligatum, incurrunt. Alexander territos castigare, adhortari; prælium, quod jam elanguerat, solus accendere; confirmatisque | tandem animis, ire in hostem jubet. Rarior acies erat in dextro cornu Persarum ; namque inde Bactriani decesserant ad opprimenda impedimenta; itaque Alexander laxatos ordines invadit, et multa cæde hostium invehitur. At qui in lævo cornu erant Persæ, spe posse enm includi, agmen suum a tergo dimicantis opponunt: ingensque periculum in medio hærens adisset,ni equites Agriani, calcaribus subditis, circumfusos regi Barbaros adorti essent, aver cavalerie des Agriens, y accourant à toute bride, n'eût chargé les Barbares qui les tenaient investis, et ne les eussent forcés à coups d'épée de se tourner vers eux. Toutes les deux batailles étaient bien mêlées. Alexandre se trouvait engagé au milieu des ennemis, ceux qui lui donnaient en queue étaient pressés par les Agriens, et les Bactriens revenus du pillage ne pouvaient regagner leurs rangs. Plusieurs petites troupes, détachées de leur gros, combattaient par-ci par-là, selon que le hasard liait la partie. Les deux rois, ayant comme joint leurs escadrons l'un à l'autre, enflammaient le combat. On tuait beaucoup plus de Perses; mais le nombre des blessés n'était pas si différent. Darius combattait sur un chariot, Alexandre à cheval; l'un et l'autre environnés de gens d'élite qui, ne songeant qu'à sauver leur roi, ne voulaient ni ne pouvaient lui survivre. Chacun tenait à grand honneur de mourir aux yeux de son prince; et il n'était pas malaisé d'y parvenir, pour peu que l'on se mît en devoir de le défendre, parce que c'était à qui remporterait la gloire de tuer le roi de sa main. Au reste, soit que ce fût une illusion ou une chose véritable, ceux qui étaient auprès d'Alexandre assurèrent « qu'ils avaient vu un aigle voler un peu doucement au-dessus de sa tête, sans que le bruit des armes ni les gémissements des mourants fussent capables de l'effrayer, et qu'il avait paru assez longtemps autour de son cheval, non pas tant comme s'il eût volé, que comme suspendu en l'air. » Quoi qu'il en soit, il est certain que le devin Aristandre, revêtu de sa robe blanche et un laurier à la main, montra cet oiseau aux soldats acharnés au combat, comme un augure assuré de leur victoire. Cela sosque cædendo in se obverti coegissent. Turbata erat utraque acies. Alexander et a fronte, et a tergo, hostem habebat; qui averso ei instabant, ab Agrianis equitibus premebantur : Bactriani impedimentis hostium direptis reversi, ordines suos recuperare non poterant: plura simul abrupta a ceteris agmina, ubicumque alium alii fors miscuerat, dimicabant. Duo reges junctis prope agminibus prælium accendebant; plures Persæ cadebant; par ferme utrimque numerus vulnerabatur. Curru Darius, Alexander equo vehebatur: utrumque delecti tuebantur, sui immemores; quippe, amisso rege, nec volebant salvi esse, nec poterant; ante oculos sui quisque regis mortem occumbere ducebant egregium. Maximum tamen periculum adibant qui maxime tuebantur; quippe sibi quisque cæsi regis expetebat decus. Ceterum, sive ludibrium oculorum, sive vera species fuit, qui circa Alexandrum erant, vidisse se crediderunt paululum super caput regis placide volantem aquilam, non sonitu armorum, non gemitu morientium territam diuque circa equum Alexandri pendenti magis, quam volanti, similis apparuit. Certe vates Aristander, alba veste indutus, et dextra præferens lauream, militibus in pugnam intentis avem monstravit, haud dubium victoriæ auspicium. Ingens ergo alacritas ac fiducia remplit d'ardeur et de gaieté les plus effrayés, surtout quand celui qui gardait le chariot de Darius, et qui était assis devant lui, fut percé d'un coup de javeline; car les Perses et les Macédoniens crurent également que c'était le roi qui avait été tué; et ce furent aussitôt des cris, des clameurs et des hurlements si effroyables dans son armée, que, bien qu'elle combattît encore avec pareil avantage, ils la mirent presque toute en désordre. Les satrapes et les gardes de Darius, qui étaient à sa gauche, fuyant à vau-de-route, avaient abandonné le chariot, que ceux du côté droit recurent au milieu de leur troupe. On dit que ce prince, ayant tiré son cimeterre, fut en doute s'il devait éviter une honteuse fuite par une mort honorable : mais paraissant sur son char, il eut honte de laisser en proie ses meilleurs soldats, qui soutenaient encore le combat. Et comme il balançait entre l'espérance et le désespoir, les Perses lâchèrent le pied peu à peu, et éclaircirent leurs rangs. Alexandre ayant changé de cheval, après en avoir outré plusieurs, ne cessait de tuer et ceux qui lui faisaient tête et ceux qui lui montraient le dos. Enfin, ce n'était plus un combat, mais un massacre, lorsque Darius tourna aussi son chariot, et prit la fuite. Le vainqueur était aux trousses des fuyards, mais l'épaisse nuée de la poussière qui s'élevait de dessous les pieds des chevaux lui en dérobait la vue; de sorte qu'ils allaient à l'aventure, comme dans des ténèbres, et ne se ralliaient qu'au son de la voix. Il est vrai qu'on entendait de fois à autre les coups de fouet dont on hâtait les chevaux qui tiraient le chariot, et en cela seulement on pouvait reconnaître la trace de sa fuite. XVI. Mais en l'aile gauche, que Parménion commandait, il en allait tout autrement pour paulo ante territos accendit ad pugnam; utique postquam auriga Darii, qui ante ipsum sedens equos regebat, hasta transfixus est, nec aut Persæ, aut Macedones dubitavere, quin ipse rex esset occisus. Lugubri ergo ululatu, et incondito clamore gemituque totam fere aciem adhuc æquo Marte pugnantium turbavere cognati Darii et armigeri; lævoque cornu in fugam effuso, destituerant currum; quem a dextra parte stipati in medium agmen receperunt. Dicitur, acinace stricto, Darius dubitasse, an fugæ dedecus honesta morte vitaret. Sed eminens curru nondum omnem suorum aciem prælio excedentem destituere erubescebat. Dum inter spem et desperationem hæsitat, sensim Persæ cedebant, et laxaverant ordines. Alexander, mutato equo, quippe plures fatigaverat, resistentium adversa ora fodiebat, fugientium terga. Jamque non pugna, sed cædes erat; quum Darius quoque currum suum in fugam vertit. Hærebat in tergis fugientium victor: sed prospectum oculorum nubes pulveris, quæ ad cœlum ferebatur, abstulerat; ergo haud secus quam in tenebris errabant; ad soņitum notæ vocis, ut signum, subinde coeuntes. Exaudiebantur tantum strepitus habenarum, quibus equi currum trahentes identidem yerberabantur : hæc sola fugientis vestigia excepta sunt. l'un et pour l'autre parti; car Mazée avec toute sa cavalerie, faisant une furieuse charge aux Macédoniens, les pressait sur les flancs et la multitude commençait à les envelopper, quand Parménion envoya en diligence avertir Alexandre du danger où il se trouvait, et que s'il n'était promptement secouru, il ne les pouvait plus retenir. On apporta ces fâcheuses nouvelles au roi comme il était déjà fort avancé à la poursuite des fuyards; de sorte qu'il fut obligé de quitter, frémissant de rage et détestant la fortune, qui lui ravissait la victoire et rendait son ennemi plus heureux en fuyant que lui en le faisant fuir. Cependant le bruit de la défaite de Darius était venu jusqu'à Mazée, tellement qu'encore qu'il eût toutes sortes d'avantages, étonné toutefois du malheur de son parti, il ne pressait plus si vivement les ennemis ébranlés. Parménion ne pouvait s'imaginer pourquoi le combat s'était ainsi ralenti tout à coup; mais, comme rusé capitaine, il sut bien se servir de l'occasion; et sans perdre de temps, et piquant vers la cavalerie thessalienne, « Voyez, dit-il, ceux qui naguère nous menaient si rudement lâchent le pied, et sont saisis d'une soudaine terreur! C'est que notre roi a vaincu pour lui et pour nous; les Perses sont défaits, toute la campagne est jonchée de leurs morts que tardez-vous ? est-ce que vous ne vous sentez pas assez forts contre des gens qui fuient? » Ce discours, apparemment véritable, leur rendit l'espérance et le courage, et, poussant leurs chevaux à toute bride, ils chargèrent l'ennemi, qui commença aussitôt à reculer, non point au petit pas, mais si vite qu'il ne restait qu'à tourner le dos pour en faire une juste fuite. Toutefois Parménion, ne sachant quel succès avait eu le roi en l'aile droite, n'osa les pousser; et XVI. At in lævo Macedonum cornu, quod Parmenio sicut ante dictum, tuebatur, longe alia fortuna utriusque partis res gerebatur. Mazæus, cum omni suorum equitatu vehementer invectus, urgebat Macedonum alas : jamque abundans multitudine, aciem circumvehi cœperat; quum Parmenio equites nunciare jubet Alexandro, in quo discrimine ipsi essent: nisi mature subveniretur, non posse sisti fugam. Jam multum viæ præceperat rex, imminens fugientium tergis, quum a Parmenione tristis nuncius venit; refrenare equos jussi, qui vehebantur; agmenque constitit; frendente Alexandro, eripi sibi victoriam e manibus, et Darium felicius fugere, quam se sequi. Interim ad Mazæum superati regis fama pervenerat. Itaque, quanquam validior erat, fortuna tamen partium territus, perculsis languidius instabat. Parmenio ignorabat quidem causam sua sponte pugnæ remissæ : sed occasione vincendi streDue est usus. Thessalos equites ad se vocari jubet. « Ecquid, inquit, videtis istos, qui ferociter modo instabant, pedem referre, subito pavore perterritos? Nimirum nobis quoque regis nostri fortuna vicit : omnia Persarum cæde strata sunt; quid cessatis? an ne fugientibus quidem pares estis? » Vera dicere videbatur, et spes languentes quoque erexerat; subditis calcaribus, proruere in hostem; et illi |