Mazée ayant lieu de s'enfuir, gagna le Tigre, non pas par le droit chemin, mais par le plus long et le plus sûr, et entra dans Babylone avec les tristes reliques de l'armée défaite. Cependant Darius, peu accompagné, tira vers le fleuve Lycus, et l'ayant passé, mit en délibération s'il romprait le pont, sur ce qu'on lui rapporta que l'ennemi le suivait; mais il considéra qu'en le rompant, plusieurs milliers des siens, qui n'étaient pas encore arrivés, demeureraient à la merci des ennemis. Le laissant donc en son entier, il dit en partant « qu'il aimait mieux donner passage à ceux qui le poursuivaient, que de l'ôter à ceux qui le sauvaient; » et après avoir traversé une longue étendue de pays, toujours en fuyant, il arriva sur le minuit à Arbelles. Mais quel esprit pourrait concevoir, ou quelle langue assez dignement exprimer tous les tours que la fortune joua aux uns et aux autres en cette fatale journée, le meurtre de tant de capitaines et de soldats, tant de genres de mort différents, la déroute, la fuite des vaincus, le carnage et l'horreur d'une si sanglante bataille en général et en particulier? On eût dit que la fortune avait pris plaisir d'assembler en un jour les aventures de tout un siècle. Les uns s'enfuyaient par les chemins les plus courts et les plus aisés ; et les autres gagnaient les bois et les détours inconnus aux victorieux. Vous eussiez vu les gens de pied, les gens de cheval, ceux qui étaient armés, ceux qui ne l'étaient point, sains, malades, blessés, tous pêle-mêle, sans chef, sans conduite, dans un désordre et une confusion épouvantable. Ceux qui ne pouvaient suivre étaient abandonnés de leurs compagnons avec larmes et gémissements réciproques; mais la pitié cédait à la terreur, et le soin d'autrui au propre intérêt; surtout la soif les pressait avec une extrême | | violence, provoqués par leurs plaies et par l'excessive fatigue. On ne voyait le long des ruisseaux que gens couchés sur le ventre, qui buvaient dans le courant de l'eau d'une avidité nonpareille; mais pensant étancher leur soif, ils avalaient du limon qui leur faisait aussitôt enfler les entrailles avec une telle pesanteur qu'ils demeuraient comme tout entrepris de leurs membres, jusqu'à ce que l'ennemi survenant, les réveillait par de nouvelles blessures. Quelquesuns, trouvant les prochaines rives occupées, allaient plus loin recueillir si peu d'eau qu'ils découvraient dans les lieux les plus cachés. Enfin, il n'y eut mare ni fondrière si écartée ni si sale, qui se pût dérober à la soif de tant de gens qui cherchaient à se désaltérer. C'était aussi une chose bien pleine de compassion d'ouïr sur les chemins proches des villages les clameurs des femmes et des vieillards, qui d'un accent lugubre, et à la façon des Barbares, appelaient encore Darius leur seigneur et leur roi. Alexandre, comme nous avons dit, ayant arrêté l'ardeur des siens, était arrivé au fleuve Lycus. La multitude des fuyards avait rempli le pont, et plusieurs pressés par les ennemis s'étaient précipités dans l'eau, qui, chargés de leurs armes et harassés du combat et de la fuite, furent misérablement engloutis. Et déjà, non-seulement le pont, mais le fleuve regorgeait du concours des troupes qui venaient impétueusement s'entasser les unes sur les autres. Car la peur a cela, que depuis qu'elle a une fois saisi les esprits, ils ne sont plus capables de rien craindre que l'objet de leur première frayeur. Les Macédoniens faisant grande instance qu'on leur laissât poursuivre l'ennemi, qui ne leur pouvait échapper, le roi leur remontra « que leurs armes étaient toutes rebouchées, leurs mains lassées de tuer et leurs tum versa, qui sequi non poterant, inter muiuos gemitus deserebantur. Sitis præcipue fatigatos et saucios perurebat, passimque omnibus rivis prostraverant corpora, præter. fluentem aquam hianti ore captantes; quam quum avide turbidam hausissent, tendebantur extemplo præcordia premente limo; resolutisque et torpentibus membris, quum supervenisset hostis, novis vulneribus excitabantur. Quidam, occupatis proximis rivis, diverterant longius, ut quidquid occulti humoris usquam manaret exciperent; nec ulla adeo avia et sicca lacuna erat, quæ vestigantium sitim falleret. E proximis vero itineri vicis senum ululatus feminarumque exaudiebantur, barbato ritu Darium adhuc regem clamantium. Alexander, ut supra dictum est, inhibito suorum cursu, ad Lycum amnem pervenerat; ubi jam non sensim, sed citato gradu recedebant, nec quid. deerat. quam fuga, nisi quod terga nondum verterant, Parmenio tamen, ignarus quænam in dextro cornu fortuna regis esset, repressit suos: Mazaus, dato fugæ spatio, non recto itinere, sed majore, et ob id tutiore circumitu, Tigrim superat, et Babylonem cum reliquiis devicti exercitus intrat. Darius, paucis fugæ comitibus, ad Lycum amnem contenderat; quo trajecto, dubitavit an solveret pontem, quippe hostem jam affore nunciabatur. Sed tot millia suorum, quæ nondum ad amnem pervenerant, ponte reciso, prædam hostis fore videbat. Abeuntem, quum intactum sineret pontem, dixisse constat, « malle insequentibus iter dare, quam auferre fugientibus. » Ipse, ingens spa. tium fuga emensus, media fere nocte Arbela pervenit. Quis tot ludibria fortunæ, ducum agminumque cædem multi-ingens multitudo fugientium oneraverat pontem, et pleriplicem, devictorum fugam, clades nunc singulorum, nunc universorum, aut animo assequi queat, aut oratione complecti? Propemodum sæculi res in unum illum diem fortuna cumulavit. Alii, qua brevissimum patebat iter, alii diversos saltus, et ignotos sequentibus calles petebant. Eques pedesque confusi, sine duce, armatis inermes, integris debiles implicabantur. Deinde, misericordia in me que, quum hostis urgeret, in flumen se præcipitaverant, gravesque armis, et prælio ac fuga defatigati, gurgitibus hauriebantur. Jamque non pons modo fugientes, sed ne amnis quidem capiebat, agmina sua improvide subinde cumulantes; quippe, ubi intravit animos pavor, id solum metuunt quod primum formidare cœperunt. Alexander, instantibus suis, impune abeuntem hostem sequi permitte ceux dont le vainqueur put faire le dénombrement, jusqu'à quarante mille Perses, et un peu moins de trois cents Macédoniens. Au reste, on ne peut nier qu'Alexandre n'ait eu plus d'obligation de cette victoire à sa conduite qu'à sa fortune, et qu'il ne vainquit pas, comme l'autre fois, par l'avantage du lieu, mais par la force de son courage: car il disposa son armée en grand capitaine, et combattit lui-même trèsvaillamment. Il fit en homme de grand sens de ne pas se soucier de la perte du bagage, voyant bien que tout dépendait du gain de la bataille; et quoique l'issue en fût encore douteuse, il ne laissa pas d'agir comme victorieux. Après, quand il vit les ennemis branler, il les enfonça, les mit en déroute; et, ce qui n'est pas aisé à croire d'un esprit si bouillant, et dans la chaleur de la chasse, corps épuisés par une si longue course, et qu'aussi la nuit approchait: » mais la vérité est qu'il était en peine de l'aile gauche de sa bataille, qu'il croyait encore engagée dans le combat, et qu'il avait résolu de s'en revenir pour lui donner secours. Toutefois, il n'eut pas sitôt tourné ses enseignes, que des cavaliers de la part de Parménion lui apportèrent les nouvelles de la victoire qu'il avait aussi obtenue de son côté. Mais de tout ce jour-là il ne courut point tant de fortune qu'en ramenant ses troupes au camp; car il était suivi de peu de gens qui se retiraient en désordre, se réjouissant de la victoire, et croyant tous les ennemis morts ou défaits, lorsque tout à coup il parut un gros de cavalerie, qui d'abord tint bride en main, puis ayant reconnu le petit nombre des Macédoniens, les chargea vivement. Le roi marchait à la tête de la cornette, dissi-il poursuivit les fuyards avec plus de prudence mulant plutôt le danger qu'il ne le méprisait; mais sa bonne fortune, qui ne lui manquait jamais au besoin, ne l'abandonna pas encore en cette occasion; car le chef des ennemis, transporté d'un désir de gloire, l'ayant attaqué assez inconsidérément, il le tua, et après lui le plus proche, et plusieurs autres ensuite, du même javelot. Les siens en même temps donnent sur les Perses, étonnés d'un commencement si brusque, mais qui ne laissaient pas de faire acheter leur vie, étant certain que les deux armées entières n'avaient point plus furieusement combattu que firent ces troupes tumultuaires. Enfin, les Barbares voyant que la nuit leur était plus propre pour la retraite que pour le combat, se séparèrent par bandes et se retirèrent. Le roi, échappé d'un si grand danger, ramena ses gens au camp sans aucune perte. Il mourut en cette journée, de ret; hebetia tela esse, et manus fatigatas, tantoque cursu corpora exhausta, et præceps in noctem diei tempus caussatus est. Re vera de lævo cornu, quod adhuc in acie stare credebat, sollicitus, reverti ad ferendam opem suis statuit. Jamque signa converterat, quum equites, a Parmenione missi, illius quoque partis victoriam nunciant. Sed nullum eo die majus periculum adiit, quam dum copias reducit in castra. Pauci eum et incompositi sequebantur, ovantes victoria; quippe omnes hostes, aut in fugam effusos, aut in acie credebant cecidisse; quum repente ex adverso apparuit agmen equitum, qui primo inhibuere cursum ; deinde, Macedonum paucitale conspecta, turmas in obvios concitaverunt. Ante signa rex ibat, dissimulato magis periculo, quam spreto: nec defuit ei perpetua in dubiis rebus felicitas; namque præfectum equitatus avidum certaminis, et ob id ipsum incautius in se ruentem, hasta transfixit; quo ex equo lapso, proximum ac deinde plures eodem telo confodit. Invasere turbatos amici quoque ; nec Persæ inulti cadebant : quippe non universæ acies, quam bæ tumultuariæ manus, vehementius iniere certamen. Tandem Barbari, quum, obscura luce, fuga tutior videretur esse quam pugna, diversis agminibus abiere. Rex, extraordinario periculo defunctus, incolumes suos reduxit que d'ardeur. En effet, s'il se fût emporté à les suivre pendant qu'une partie de son armée était encore aux mains, ou il eût été vaincu par sa faute, ou il n'eût obtenu la victoire que par la valeur d'autrui. Et enfin, s'il se fût étonné à la rencontre de ce grand corps de cavalerie, qui lui vint tomber sur les bras, il se trouvait réduit, tout victorieux qu'il était, ou à prendre honteusement la fuite, ou à perdre misérablement la vie. Il n'est pas juste non plus de frustrer les chefs de leur louange, puisque leurs blessures furent autant de marques de leur valeur. Éphestion eut un coup de javelot dans le bras, Perdiccas, Ménidas et Conus faillirent d'être tués à coups de flèches; et si nous voulons estimer les Macédoniens de ce temps-là selon leur prix, il faut que nous confessions que ce roi était digne de tels hommes, et ces hommes dignes d'un tel roi. in castra. Cecidere Persarum, quorum numerum victores finire potuerunt, millia XL; Macedonum minus quam ccc desiderati sunt. Ceterum, hanc victoriam rex majore ex parte virtuti quam fortunæ suæ debuit; animo, non, ut antea, loco vicit. Nam et aciem peritissime instruxit, et promptissime ipse pugnavit; et magno consilio jacturam sarcinarum impedimentorumque contempsit, quum in ipsa acie summum rei videret esse discrimen : dubioque adhuc pugnæ eventu, pro victore se gessit perculsos deinde hostes fudit, fugientes, quod in illo ardore animi vix credi potest, prudentius, quam avidius persequutus est. Nam si, parte exercitus adhuc in acie stante, instare cedentibus perseverasset; aut sua culpa victus esset, aut aliena virtute vicisset; jam, si multitudinem equitum occurrentium extimuisset, victori aut fœde fugiendum, aut miserabiliter cadendum fuit. Ne duces quidem copiarum sua laude fraudandi sunt ; quippe vulnera, quæ quisque excepit, indicia virtutis sunt. Hephæstionis brachiun hasta ictum est: Perdiccas, ac Conus, et Menidas sagittis prope occisi. Et, si vere æstimare Macedonas qui tunc erant volumus, fatebimur et regem talibus ministris, et illos tanto rege fuisse dignissimos. LIVRE CINQUIEME. SOMMAIRE. sent Darius percé de plusieurs coups, et tâchent de se sauver par la fuite. Alexandre ayant trouvé le corps de Darius, le pleure, et l'envoie à Sysigambis, afin de faire ses funérailles. I. Si je voulais entreprendre de déduire, selon la suite des temps, tout ce qui s'est passé dans cet intervalle, tant en Grèce qu'en Illyrie et en Thrace, sous les auspices et par les ordres d'A 1. Darius étant entré dans la Médie, Alexandre se rend maître d'Arbelles et de Babylone, dont la situation, la grandeur et la corruption des mœurs sont décrites. II. I propose des récompenses aux soldats, pour les obliger à fuir l'oisiveté, reçoit la ville de Suze avec les trésors des rois de Perse, et console Sysigambis. - III.lexandre, il faudrait de nécessité interrompre le Après avoir vaincu la contrée des Uxiores, il donne la liberté à Madates, qui en était gouverneur, à tous ceux qui s'étaient rendus et à tous les prisonniers, et les exempte, outre cela, de toutes sortes de tributs. Il veut entrer dans la Perse, mais Ariobarzane le contraint de se retirer. — IV. Un prisonnier ayant montré un chemin qui était connu de peu de gens, Alexandre défait l'armée des Perses, et Ariobarzane même est tué dans le combat. — V. Alexandre met en liberté 4,000 prisonniers Grecs, en allant à Persépolis. — VI. Après avoir pillé Persépolis, ville très-riche, il avance dans la Perse et subjugue les Mardes. - VII. Alexandre fait brûler le palais des rois de Perse, à la sollicitation de Thaïs et de quelques autres courtisanes qui suivaient le camp, et ensuite il fait résolution de poursuivre Darius. VIII. Discours de Darius pour exhorter les siens au combat. — IX. Diverses opinions des grands; trouble et tumulte sur le sujet de Nabarzanes, qui avait tramé X. Cruelle délibération une trahison avec Bessus. de Bessus et de Nabarzanes, pour trahir Darius ou pour le tuer. Ils la tiennent cachée par des moyens merveilleux. — XI. L'on découvre à Darius les embûches des traitres. Il refuse le secours des Grecs, qui était présent et assuré, et témoigne qu'il veut bien périr, si ses gens veulent sa perte. - XII. Bessus prend Darius, après l'avoir trompé par larmes feintes et par des paroles dissimulées; et l'ayant fait lier avec des chaînes d'or, il le fait amener à Alexandre dans un chariot si indigne de lui, qu'on n'aurait eu garde de s'imaginer qu'il portait un si grand prince. - XIII. Alexandre ayant su l'extrémité où était réduit Darius, marche contre l'armée des Perses. Mais Bessus et les autres parricides appréhendant ses armes et la présence des victorieux, lais LIBER QUINTUS. SOMMAIRE. CAP. I. Dario Mediæ fines ingresso, Arbelis politur Alexander VI. Persepoli opulentissima direpta, et Parsagadis cap. tis, cum thesauris in urbe utraque, interiorem Persidis regionem petit, ac Mardorum domat gentem. - VII. Alexander, in convivio a Thaide impulsus, Persarum regiam incendit; deinde novis militibus auctus Darium perVIII. Darii, suos ad ultimum prælium sequi statuit. hortantis, oratio. IX. Variæ præfectorum Darii sententiæ ac tumultus, ob Nabarzanis, qui cum Besso proditiohis societatem inierat, consilium. X. Bessi et Nabarza | fil des affaires de l'Asie, lequel, toutefois, il me semble plus à propos de conduire jusqu'à la fuite et à la mort de Darius, et d'exposer les choses tout entières à la vue du monde, afin que, comme elles sont liées et enchaînées les unes dans les autres, elles paraissent aussi conjointement dans l'histoire. C'est pourquoi je commencerai par celles qui dépendent de la bataille d'Arbelles. cela Darius arriva sur le minuit en ce bourg-là, où la fortune avait jeté une grande partie de ses chefs et du débris de ses troupes. Les ayant assemblées, il leur représenta « qu'il ne doutait point qu'Alexandre n'allât s'emparer des meilleures villes et des campagnes abondantes en toutes sortes de biens; que lui ni ses soldats ne songeaient qu'au riche butin qui s'offrait de tous côtés; mais qu'en l'état où il se trouvait, était son salut, parce qu'il aurait le loisir d'assurer sa retraite, de faire un camp volant et de gagner les déserts. Que les dernières parties de son royaume étaient encore en leur entier, où il remettrait aisément sur pied de nouvelles forces. Et que cependant cette insatiable nation vînt la bouche béante engloutir tous ses trésors qu'elle dévorait en espérance depuis si longtemps, et qu'elle se gorgeât d'or et d'argent; qu'il lui en nis de Dario prodendo, aut custodiendo, nefaria delibera- 1. Quæ interim ductu imperioque Alexandri, vel in Græcia, vel in Illyriis ac Thracia gesta sunt, si suis quæque temporibus reddere voluero, interrumpendæ sunt res Asiæ, Quas utique ad fugam mortemque Darii universas in conspectu dari, et, sicut inter se cohærent tempore, ita opere ipso conjungi, haud paulo aptius videri potest. Igitur ante, quæ prælio apud Arbela conjuncta sunt, ordiar dicere. Darius media fere nocte Arbela pervenit: eodemque magnæ partis amicorum ejus ac militum fugam fortuna compulerat ; quibus convocatis exponit, « haud dubitare se, quin Alexander celeberrimas urbes, agrosque, omni copia rerum abundantes, petiturus esset: prædam obimam paratamque ipsum et milites ejus spectare. Id ferait bientôt rendre compte; qué l'expérience lui avait appris que tout ce superbe attirail et toute cette longue suite d'eunuques et de concubines n'étaient qu'embarras et que fardeaux inutiles, et qu'Alexandre, les traînant après soi, serait vaincu par les propres instruments de sa victoire. » Ils jugèrent tous que cette harangue sentait le désespoir, et que d'abandonner Babylone, cette grande et opulente ville, au pouvoir de l'ennemi, c'était le rendre maître de Suze et du reste des places du royaume, qui faisaient tout le sujet de la guerre; mais continuant, il leur remontra « que, dans les grandes calamités, il n'est pas question de chercher l'éclat des vaines apparences; qu'il faut aller au solide et ne s'attacher qu'aux choses nécessaires; que les batailles se gagnaient avec le fer et non pas avec l'or, à force d'hommes et non pas de maisons; et que tout était à la dévotion de ceux qui avaient les armes à la main; que, par ce moyen, ses prédécesseurs ayant eu de mauvais succès au commencement, avaient bientôt réparé leurs pertes et rétabli leurs affaires.» Soit donc qu'en effet il eût rassuré leurs courages, ou qu'ils suivissent sa volonté plutôt que son conseil, il entra dans les confins de la Médie. qui porte les parfums et les gommes odorantes. Ces terres d'entre le Tigre et l'Euphrate sont si grasses qu'ils disent qu'on est contraint de retirer le bétail des pâturages, de peur qu'il ne s'étouffe de manger. Et cette grande fertilité vient de ces deux fleuves, qui par des veines d'eau humectent presque tout ce terroir. Ils descendent des montagnes d'Arménie, puis venant à diviser leurs eaux, ils s'écartent fort l'un de l'autre et continuent ainsi leur cours. Ceux qui ont mesuré l'endroit le plus large de leur séparation, vers les montagnes d'Arménie, la font de deux mille cinq cents stades; mais quand ils commencent à traverser la Médie et la province des Gordiens, ils se rapprochent peu à peu; et plus ils vont en avant, plus ils serrent l'espace qui les sépare. Le plus étroit est celui que l'on appelle Mésopotamie, parce qu'étant au milieu, ils l'enferment des deux côtés; de là, passant par les terres des Babyloniens, ils se précipitent dans la mer Rouge. En quatre jours de marche, le roi se rendit à la ville de Memnis, où l'on voit, au milieu d'une caverne, cette fameuse fontaine qui jette si grande quantité de bitume, que c'est une commune créance que les murs de Babylone, l'un des plus superbes ouvrages de l'univers, en ont été cimentés. Mais comme il prenait le chemin de Babylone, Mazée, qui s'y était réfugié après la journée d'Arbelles, se vint rendre à lui avec ses enfants déjà grands, et lui mit la ville entre les mains. Sa venue fut très-agréable au roi, parce que le siége d'une ville si forte et si bien munie n'eût pas été un petit ouvrage; outre qu'il était homme de grande condition, brave et vail Peu de jours après, Arbelles se rendit à Alexandre. On y trouva quantité de précieux meubles de la couronne, quatre mille talents, avec tous les équipages et toutes les richesses de l'armée, qui avaient été renfermées en ce lieu-là, comme nous avons dit. Mais les maladies qui se mirent dans son camp, par l'infection des corps morts dont la campagne était couverte, le firent bientôt déloger de là. Il prit sa marche par les plaines, lais-lant, qui avait encore acquis beaucoup de répusant à gauche l'Arabie, cette heureuse contrée tation en la dernière bataille, et de qui l'exemple suis rebus tali in statu saluti fore, quippe se deserta cum morbis, quos odor cadaverum totis jacentium campis vulexpedita manu petiturum. Ultima regni adhuc intacta esse, gaverat, maturius castra movit. Euntibus a parte læva, inde bello vires haud ægre reparaturum. Occuparet sane Arabia, odorum fertilitate nobilis regio, campestre iter gazam avidissima gens, et ex longa fame satiaret se auro, est. Inter Tigrim et Euphraten jacentia tam uberi et pinmox futura prædæ sibi: didicisse usu pretiosam supellec- gui solo sunt, ut a pastu repelli pecora dicantur, ne satie. tilem, pellicesque, et spadonum agmina nihil aliud fuisse, tas perimat. Causa fertilitatis est humor, qui ex utroque quam onera et impedimenta; eadem trahentem Alexan- amne manat, toto fere solo propter venas aquarum resudrum, quibus antea vicisset, inferiorem fore. Plena omni. dante. Ipsi amnes ex Armeniæ montibus profluunt, ac bus desperationis videbatur oratio; quippe Babylonem magno deinde aquarum divortio iter, quod cepere, perurbem opulentissimam dedi [cernentibus]; jam Susa, currunt; duo millia et D stadia emensi sunt, qui amplissijam cetera ornamenta regni, causamque belli victorem mum intervallum circa Armeniæ montes notaverunt. lidem, occupaturum. At ille docere pergit, « non speciosa dictu, quum Media et Gordiæorum terras secare cœperunt, sed usu necessaria in rebus adversis sequenda esse. Ferro paulatim in arctius coeunt, et quo longius manant, hoc geri bella, non auro; viris, non urbium tectis : omnia se- angustius inter se spatium terræ relinquunt. Vicini maqui armatos. Sic majores suos, perculsos in principio re- xime sunt his campis, quos incolæ Mesopotamiam appelrum, celeriter pristinam reparasse fortunam. » Igitur, sive lant; mediam namque ab utroque latere concludunt. confirmatis eorum animis, sive imperium magis quam Iidem per Babyloniorum fines in Rubrum mare prorumconsilium sequentibus, Mediæ fines ingressus est. Paulo punt. Alexander quartis castris ad Memnin urbem pervenit. post Alexandro traduntur Arbela, regia supellectili ditique Caverna ibi est, ex qua fons ingentem vini bituminis efgaza repleta; quatuor millia talentum fuere; præterea fundit, adeo ut satis constet, babylonios muros ingentis pretiosæ vestes totius, ut supra dictum est, exercitus operis hujus fontis bitumine interlitos esse. Ceterum Baopibus in illam sedem congestis. Ingruentibus deindebylonem procedenti Alexandro Mazæus, qui ex acie in ur pouvait porter plusieurs autres à faire comme lui. Il le reçut donc fort humainement lui et ses enfants, mais il ne laissa pas de faire entrer son armée dans la place en bataillon carré, marchant à la tête comme s'il fût allé au combat. La plupart des Babyloniens étaient montés sur les murailles, curieux de voir leur nouveau prince; et les autres étaient sortis au devant de lui, entre lesquels Bagophanes, gouverneur du château et gardien du trésor, ne voulant pas que Mazée eût l'avantage sur lui à témoigner son affection, avait fait joncher les chemins de fleurs et dresser des autels d'argent de chaque côté, qui ne fumaient pas seulement d'encens, mais de toutes sortes de précieuses odeurs. Après lui suivaient ses présents. C'étaient des troupeaux de bêtes et des hordes de chevaux, avec des lions et des panthères que l'on portait dans leurs cages. Les mages marchaient ensuite, entonnant des hymnes à leur mode; puis les Chaldéens, et d'entre les Babyloniens les devins et les musiciens, chacun jouant de sa sorte d'instrument. Ce sont ceux qui font profession de chanter les louanges des rois, comme les Chaldéens de montrer les mouvements des astres et la vicissitude des saisons. La cavalerie babylonienne venait la dernière, en un si prompeux appareil, hommes et chevaux, que l'excès en allait au delà même de la magnificence. Le roi, au milieu de ses gardes, fit marcher le peuple à la queue de son infanterie, et sur un chariot entra dans la ville, et de là au palais, comme en triomphe. Le lendemain, il se fit représenter tous les meubles et toutes les finances de Darius. Au reste, la beauté de cette superbe ville, pleine des merveilles de l'antiquité, attirait à soi hem eam confugerat, cum adultis liberis supplex occurrit, urbem seque dedens. Gratus adventus ejus fuit regi; quippe magni operis futura erat obsidio tam munitæ urbis. Ad hoc vir illustris, et manu promptus, famaque etiam proximo prælio celebris, et ceteros ad deditionem sui incitaturus exemplo videbatur. Igitur hunc quidem benigne cum liberis excipit : ceterum quadrato agmine, quod ipse ducebat, velut in aciem irent, ingredi suos jubet. Magna pars Babyloniorum constiterat in muris, avida cognoscendi novum regem plures obviam egressi sunt. Inter quos Bagophanes, arcis et regiæ pecuniæ custos, ne studio a Mazæo vinceretur, totum iter floribus coronisque constraverat; argenteis altaribus utroque latere dispositis, quæ non thure modo, sed omnibus odoribus cumulaverat. Eum dona sequebantur, greges pecorum equorum. que; leones quoque et pardales caveis præferebantur; magi deinde suo more carmen canentes. Post hos Chaldæi, Babyloniorumque non vates modo, sed etiam artifices cum fidibus sui generis ibant. Laudes ii regum canere soliti Chaldæi siderum motus et statas temporum vices ostendere. Equites deinde babylonii, suo atque equorum cultu ad luxuriam magis, quam ad magnificentiam exacto, ultimi ibant. Rex, armatis stipatus, oppidanorum l'admiration de tout le monde. Elle fut bâtie par Sémiramis, non, comme plusieurs ont cru, par Bélus, de qui le palais se voit encore. Ses murs sont de briques cimentées de bitume, et portent trente-deux pieds d'épaisseur; de sorte que deux chariots attelés de quatre chevaux de front, venant à se rencontrer, y passent à l'aise. Elles ont cinquante coudées de hauteur, et leurs tours sont de dix pieds plus hautes. L'enceinte est de trois cent soixante-huit stades, et l'on rapporte que la tâche était d'en faire un stade par jour. Les maisons ne touchent point aux murs, car il y a entre deux de grandes esplanades, de la longueur presque d'un arpent; même dans le corps de la ville tout n'est pas bâti. Il n'y a que l'espace de quatre-vingts stades d'habité, et encore les bâtiments ne tiennent point les uns aux autres, parce qu'on a jugé qu'il était plus sûr de les séparer ainsi; et c'est, à mon avis, à cause du feu. Ils labourent et sèment tout le reste, afin que, s'il leur survenait un siége, ils aient de quoi se nourrir du fond qui est dans l'enclos de leur ville. L'Euphrate passe par le milieu, remparé de beaux quais et de larges et puissantes chaussées. Tous ces grands et somptueux ouvrages sont environnés de cavernes fort profondes, pour servir de réceptacle aux débordements impétueux de ce fleuve, qui, franchissant ses barrières, noierait la ville, s'il ne trouvait à se décharger dans ces lieux souterrains. Ils sont tous revêtus de brique et cimentés de bitume. Pour joindre les deux côtés de la ville il y a un pont de pierre, que l'on compte aussi entre les merveilles de l'Orient; car l'Euphrate charriant quantité de limon, il y a grand'peine à le vider, et à trouver turbam post ultimos pedites ire jussit ipse cum curru urbem ac deinde regiam intravit. Postero die supellectilem Darii et omnem pecuniam recognovit. Ceterum ipsius urbis pulchritudo ac vetustas non regis modo, sed etiam omnium oculos in semet haud immerito convertit. Semiramis eam condiderat; non, ut plerique credidere, Belus, cujus regia ostenditur. Murus instructus laterculo coctili, bitumine interlitus, spatium xxx et duorum pedum latitudinem amplectitur : quadrigæ inter se occurrentes sine periculo commeare dicuntur. Altitudo muri c cubitorum eminet spatio turres denis pedibus quam murus altiores sunt. Totius operis ambitus CCCLXVIII stadia complectitur: singulorum stadiorum structuram singulis diebus perfectam esse memoriæ proditum est. Ædificia non sunt admola muris, sed fere spatium unius jugeris absunt. Ac ne totam quidem urbem tectis occupaverunt; per xc stadia habitatur; nec omnia continua sunt; credo, quia tutius visum est, pluribus locis spargi ; cetera serunt coluntque, ut, si externa vis ingruat, obsessis alimenta ex ipsius urbis solo subministrentur. Euphrates interfluit, magnæque molis crepidinibus coercetur. Sed omnium operum magni. tudinem circumveniunt cavernæ ingentes, in altitudinem pressæ ad accipiendum impetum fluminis; quod ubi appo |