cette impassibilité si désirable est incompatible avec les qualités que l'on exige d'un historien. Vouloir que le même homme ait à la fois une ame forte, une sensibilité vive et une stoïcité à toute épreuve, c'est exiger l'impossible. Défions-nous donc de ces prétendues histoires complètes de nos troubles, de nos dissensions. Nous respirons à peine, et déjà nous sommes impatiens de décrire les causes et les effets de ces terribles événemens. L'incendie est à peine éteint, qu'avant de déblayer le sol nous prenons la plume. La publication d'une histoire complète et impartiale des trente dernières années, est peutêtre un événement peu désirable. Tout doit tendre à rapprocher les esprits, et un tel ouvrage renouvellerait des dissensions qui ne se sont que trop prolongées. Recueillons donc des matériaux pour les historiens, en attendant le moment favorable pour en faire un utile et noble usage. Mais il est un besoin, un devoir plus pressant : c'est celui de mettre dans tout son jour les vertus, les hautes qualités des hommes, dont une rage impie voulut ternir la vie et poursuivit longtemps la mémoire. Parmi les hommes dignes des plus éclatans hommages, et qui furent le plus outrageusement calomniés à l'époque où la vertu était un titre de proscription, il n'en fut jamais, soit par le poste MEM auguste où sa naissance l'avait placé, soit par ses éminentes qualités, de plus digne des attaques des méchans, que LOUIS XVI. Jamais peut-être on ne vit un exemple plus terrible de la facilité avec laquelle on peut pervertir l'opinion d'une certaine classe. Ce peuple, si renommé par son amour pour ses rois; qui naguère ne parlait de Louis XVI qu'avec une sorte de respect filial, passa tout à coup à l'exaltation des sentimens les plus opposés. Cependant il est une remarque qu'on n'a pas assez faite : c'est que, pour rompre les nœuds chers et sacrés qui unissaient les sujets à leur légitime souverain, il fallut briser tous les liens de la société; il fallut ramener la multitude à cet état voisin dela brute, où la loi du plus fort est la seule qui soit comprise et respectée. Reportons-nous en effet à ce moment terrible où, suivant les belles expressions de l'abbé Edgeworth, le fils de saint Louis monta au Ciel, et nous verrons qu'alors la religion, la morale, n'étaient plus que de vains mots; nous verrons, au bruit de la hache fatale qui trancha les jours du Roi martyr, tous les sentimens nobles et généreux fuir cette terre désolée, ou se réfugier dans le cœur silencieux des hommes de bien; nous verrons cette loi du plus fort proclamée en France, sous le nom et les enseignes de la terreur; nous verrons enfin l'Europe, le monde entier, épouvantés à l'aspect de ce grand attentat, présage et garant de tant de crimes. Et moi aussi, revenu de mon effroi, j'ai voulu chercher, non les raisons, il n'en existe pas, mais le prétexte de tant de fureurs et d'outrages, et je n'ai pu découvrir même, en interprétant les pensées les plus cachées de ce monarque, un seul fait, une seule parole, qui ne décélât l'âme d'un homme de bien. On ne peut trop le répéter: ce que ses ennemis les plus acharnés reprochent à ce prince, ce dont même ils lui font un crime, c'est cette inépuisable bonté, cette humanité, qui caractérisent toutes ses actions et dictent toutes ses paroles. Accumulez les accusations, les calomnies des factieux les plus déhontés, des orateurs les plus fameux qui conspiraient la perte de Louis XVI, et vous verrez qu'elles se réduisent toutes à celleci: Il n'est pas méchant, mais il est faible. Ce qui, en d'autres termes, signifie : Il aime son peuple comme un père chérit ses enfans. Et lors même que des ingrats méditent des forfaits, il veut qu'on essaie de les ramener par la douceur, au lieu de les intimider par le déploiement de la force. **Ce système qu'il avait puisé dans son cœur, et dans les princípés et la conduite d'un modèle divin; ce système qui lui faisait constamment adopter les partis les plus opposés aux mesures de rigueur, l'a dirigé dans ses instans de prospérité comme dans ses longues journées de malheur. Sur le trône, au sein de sa famille, dans le conseil, au 14 juillet, au 6 octobre, au 20 juin, dans la tour du Temple, au pied même de l'échafaud, cette ineffable bonté, cet héroïsme d'humanité, si l'on peut s'exprimer ainsi, éclate dans ses traits, dans ses résolutions, dans ses moindres paroles. C'est là aussi le sentiment qui domine dans toutes les lettres, dans toutes les maximes, dans tous les documens politiques et autres écrits de LOUIS XVI que j'ai recueillis. Ses ministres, ses courtisans, ses ennemis, le peindront diversement: les uns seront dirigés par des systèmes, les autres par leurs passions, tous pourront errer surtout lorsque la haine ou la flatterie conduiront leur plume, mais c'est principalement dans ses écrits que LOUIS XVI se peindra lui-même. C'est là, ainsi que dans ses actions, que la postérité trouvera les plus solides matériaux de l'histoire de cet excellent prince *. * Je suis loin de prétendre que les lettres et autres écrits que je publie aujourd'hui en corps d'ouvrage soient inconnus des personnes qui se sont occupées de l'histoire de nos troubles civils; mais quelques compilateurs, en les publiant soit en France, soit chez l'étranger, se sont efforcés de défigurer la plupart de ces écrits par de fausses interprétations, des observations calomnieuses, des changemens ou des suppositions de dates. J'ai donc cru faire une chose utile en les réunissant sous un nouveau point de vue, et établissant entre eux, par des notes appuyées de faits, une sorte de corrélation qui peut faire regarder cet ouvrage comme un modeste monument élevé à la gloire de Louis XVI. X Cette Notice n'est donc qu'un cadre dans lequel viennent se placer quelques-uns des écrits et des discours de ce Prince : c'est en quelque sorte une introduction à sa correspondance et à des écrits plus étendus; et comme ceux-ci forment la partie importante de l'ouvrage, lorsque je serai arrivé à la naissance de nos troubles civils, époque où les lettres de Louis XVI se succèdent dans des intervalles rapprochés, je laisserai le monarque raconter seul les événemens. Quant à la dernière période de sa vie, le Roi, depuis son entrée au Temple, a eu de dignes historiens de ses souffrances et de sa noble résignation *. Le duc de Berri, c'est le titre que LOUIS XVI reçut à sa naissance, se fit remarquer dès ses plus jeunes ans par des qualités plus solides que bril * Mémoires particuliers publiés le 21 janvier 1817; Dernières années du règne de Louis XVI, par M. Hue; Journal de ce qui s'est passé à la Tour du Temple, par M. Cléry; Mémoires de M. l'abbé Edgeworth de Firmont..... |