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AR ORDRE DE MATIERES;

PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES,
DE SAVANTS ET D'ARTISTES.

cédée d'un Vocabulaire universel, fervant de Table pour tout Ouvrage; ornée des Portraits de MM. DIDEROT & D'ALEMBERT, premiers Éditeurs de l'Encyclopédie.

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!

University of
MICHIGAN

ENCYCLOPEDIE

METHODIQUE.

GRAMMAIRE

ET

LITTÉRATURE,

DÉDIÉE ET PRÉSENTÉE

A MONSIEUR LE CAMUS DE NÉVILLE,

MAÎTRE DES REQUÉTES, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA LIBRAIRIE,

TOME TROISIEME.

A PARIS,

Chez PANCKOUCKE, Libraire, hôtel de Thou, rue des Poitevins.

A LIÉGE,

Chez PLOMTEUX, Imprimeur des États.

Μ.

DCC. L XXX V I.

AVEC APPROBATION, ET PRIVILÈGE DU ROI.

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PAR

PARTERRE, .m.

m. Belles-Lettres. C'est, dans nos falles de spectacle, l'aire ou l'espace qu'on laisse vide au milieu de l'enceinte des loges, entre l'orchestre & l'amphithéâtre, & où le spectateur est placé moins à son aise, & à moins de frais.

(Les anciens appeloient Orchestre ce que nous nommons Parterre. Cet orchestre étoit, chez les grecs, la place des muficiens; chez les romains, celle des sénateurs & des vestales).

Ce n'est pas fans raison qu'on a mis en problême s'il feroit avantageux ou non qu'à nos Parterres, comme à ceux d'Italie, les spectateurs fussent afsis. On croit avoir remarqué qu'au Parterre où l'on est debout, tout est saisi avec plus de chaleur; que l'inquiétude, la surprise, l'émotion du ridicule & du pathétique, tout est plus vif & plus rapidement senti; on croit, d'après ce vieux proverbe, anima fedens fit fapientior, que le spectateur plus à son aise seroit plus froid, plus réfléchi, moins fufceptible d'illufion, plus indulgent peut - être, mais aussi moins disposé à ces mouvements d'ivresse & de transport qui s'excitent dans un Parterre où l'on est debout.

Ce que l'émotion commune d'une multitude afsemblée & pressée ajoûte à l'émotion particulière, ne peut se calculer: qu'on se figure cinq-cents miroirs se renvoyant l'un à l'autre la lumière qu'ils réfléchiffent, ou cinq-cents échos le même son; c'est l'image d'un Public ému par le ridicule ou par le pathétique. C'est là surtout que l'exemple eft coutagieux & puissant: on rit d'abord de l'impreffion que fait l'objet risible, on reçoit de même Impression directe que fait l'objet attendriflant; mais de plus, on rit de voir rire, on pleure aussi de voir pleurer; & l'effet de ces émotions répétées va bien souvent jusqu'à la convulfion du rire, jufqu'à l'étouffement de la douleur. Or c'est surtout dans le Parterre, & dans le Parterre debout, que cette espèce d'électricité est soudaine, forte, & rapide; & la cause physique en est dans la situation plus pénible & moins indolente du spectateur, qu'une gêne continuelle & un flottement perpétuel doivent tenir en activité.

Mais une différence plus marquée entre un Parterre où l'on est assis, & un Parterre où l'on est debout, eft celle des spectateurs mêmes. Chez nous, le Parterre (car on appelle aussi de ce nom la partie de l'assemblée qui occupe l'espace dont nous avons parlé) est composé communément des citoyens les moins riches, les moins maniérés les moins raffinés dans leurs mœurs; de ceux dont le naturel est le moins poli, mais aussi le moins altéré; de ceux en qui l'opinion & le sentiment GRAMM. ET LITTÉRAT. Tom III.

,

PAR

tiennent le moins aux fantaisies passagères de la mode, aux prétentions de la vanité, aux préjugés de l'éducation; de ceux qui communément ont le moins de lumières, mais peut - être aussi le plus de bon sens, & en qui la raison plus saine & la sensibilité plus naïve forment un goût moins délicat mais plus sûr, que le goût léger & fantasque d'un monde où tous les sentiments font factices ou empruntés.

Dans la nouveauté d'une pièce de Théâtre, le Parterre est un mauvais juge, parce qu'il est ameuté, corrompu, & avili par les cabales: mais lorsque le succès d'une pièce est décidé, & que la faveur & l'envie ne divisent plus les esprits; le meilleur de tous les juges, c'est le Parterre. On est surpris de voir avec quelle vivacité unanime & soudaine tous les traits de finesse, de délicatesse, de grandeur d'âme, & d'héroïsme, toutes les beautés de Racine, de Corneille, de Molière, enfin tout ce que le sentiment, l'esprit, le langage, le jeu des acteurs, ont de plus ingénieux & de plus exquis, est aperçu, saisi dans l'instant même par cinq-cents hommes à la fois; & de même avec quelle sagacité les fautes les plus légères & les plus fugitives contre le goût, le naturel, la vérité, les bienséances, soit du langage, , soit des mœurs, font aperçues par une claffe d'hommes dont chacun pris séparément semble ne se douter de rien de tout cela. On ne conçoît pas comment, par exemple, les rôles de Viriate, d'Agrippine, & du Méchant, sont si bien jugés par le peuple; mais il faut savoir que dans le Parterre tout n'est pas ce qu'on appelle peuple, & que, parmi cette foule d'hommes fans culture, il y en a de très-éclairés. Or c'est le jugement de ce petit nombre qui forme celui du Parterre: la multitude les écoute, & elle n'a pas la vanité d'être humiliée de leurs leçons; au lieu que dans les loges chacun se croit inftruit, chacun prétend juger d'après soi même.

Une différence qui, à certains égards, est a l'avantage des loges, mais qui ne laisse pas de décider en faveur du Parterre, c'est que dans celuici n'y ayant point de femmes, il n'y a point de séduction: le goût du Parterre en eft moins délicat, mais aufli moins capricieux, & surtout plus mâle & plus ferme.

Au petit nombre d'hommes instruits qui font répandus dans le Parterre, se joint un nombre plus grand d'hommes habitués au spectacle, & dont c'est L'unique plaifir: dans ceux-ci ua long usage a forme le goût; & ce goût de comparaison est bien souvent plus sûr qu'un jugement plus raisonné c'est comme une espèce d'instinct qu'a perfectionné l'habitude. A cet égard le Parterre change lorfqu'un spectacle se déplace, & que les habitués ne

A

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