règle légale et la coutume de la magistrature, il n'y a point de délibération; sa volonté fait loi. » Ce ne fut point sans lutte que les Parlements avaient laissé s'établir cette règle. Ils avaient compris de quelle utilité serait pour la nation le contrôle sur la royauté d'un pouvoir toujours investi du droit de lui demander ses comptes, au moins de finances, et toujours prêt à en user. Les Etats de Blois l'avaient aussi compris et avaient présenté au roi comme légale cette prétention que les Parlements tentèrent de faire passer en pratique. Mais la Royauté ne s'y prêta pas. Rien, ni le temps, ni la lassitude, ni sa propre faiblesse ne la détermina à laisser discuter par les Parlements l'utilité et la légalité des édits en matière de finances. En vain, les remontrances étaient devenues des blâmes formels, des conseils déguisés, des vœux plus ou moins hautement exprimés. La Royauté, à toutes les époques, en 1641, en 1652, en 1753, en 1770, en 1788, agit énergiquement, réglementa les remontrances, exila, mutila, amoindrit les Parlements et fit définitivement admettre comme règle que, le roi présent, on ne délibère pas, on enregistre. En vain, la conscience, le bon sens, l'équité jurent contre cette théorie, les conseillers protestent avec indignation, en leur nom et en celui du pays; en vain, ils distinguent subtilement entre un lit de justice et une séance royale, ils ne peuvent triompher de la force de l'autorité royale et des anciens usages. << Le lit de justice, crie, en 1788, M. d'Espréménil, a la franchise du despotisme, la séance royale en a la duplicité. » La Royauté ne laisse pas toucher à ses prérogatives : « Le roi veut être obéi, et obéi dans le moment, dit d'Argenson, au nom de Louis XV. » « C'est légal, parce que je le veux, ajoute Louis XVI. » « Au monarque seul, dit Lamoignon de Malesherbes, appartient le Pouvoir législatif, sans dépendance et sans partage. >>> Et, malheureusement pour le Parlement et pour la nation, d'Argenson, Louis XVI et Malesherbes avaient raison: c'était légal. La dernière cause, enfin, et l'une des plus sérieuses, c'est que le Parlement non-seulement n'était pas issu de la nation, mais n'était point inspiré de ses sentiments, animé de son énergie. Il n'y avait point communauté d'idées entre eux. Le Parlement, successeur des barons jugeurs de Philippe le Bel, collègue, au moins il le prétendait, des ducs et pairs, le premier des pouvoirs judiciaires de l'Etat, ne faisait point partie de la Nation; il n'était ni de la noblesse, qui le repoussait, ni du tiers, qu'il dédaignait. Classe moyenne, intermédiaire, sans appui dans le pays, se tenant simplement par la force de sa cohésion et de son esprit de corps, il menait une vie égoïste, agitée d'intrigues mesquines, en dehors de la grande vie nationale, sans aucune de ses passions ou de ses violences. Il n'était point embrasé, comme les Etats, du zèle du bien public. Soucieux seulement de ses propres intérêts, jaloux de son autorité, il ne fut vraiment fort contre la royauté que dans les rares circonstances où il se fit l'interprète du pays. Ce qui, notamment, le rendit, parfois, populaire, ce fut son esprit très gallican dans la lutte contre la Papauté. Mais, dans les questions d'administration intérieure, il était parfaitement détaché de tous autres intérêts que les siens. C'est seulement vers la fin et sous l'influence de gens vertueux ou vigoureux, comme les Malesherbes et les d'Epréménil, qu'il sembla prendre en main la défense des libertés publiques. Il était trop tard. Le pouvoir royal avait derrière lui une longue tradition d'autorité. Il avait supprimé les Etats, ses rivaux; ce n'était pas pour accepter le contrôle du Parlement, sa créature. Il dédaigna ses avis, étouffa ses remontrances, et, quand le respect, la crainte et l'emploi des moyens légaux devinrent insuffisants, il recourut, sans scrupule, à l'emploi de la force. Il survécut ainsi aux Etats et aux Parlements; dégagé de toutes entraves, il n'était que plus absolu, non plus fort, et il ne devait pas jouir longtemps de sa liberté. CHAPITRE III LE CONSEIL DU ROI INCERTITUDES SUR SES ORIGINES ET SES ATTRIBUTIONS §1. Le conseil du roi est une institution fort ancienne, qui, sous des noms et avec des pouvoirs différents, a fonctionné pendant toute la durée de la monarchie. Les origines en sont obscures; les développements, incertains. Les époques successives où il évolua et se transforma sont controversées, ses attributions mal définies. Ceux qui ont voulu étudier son organisation en détail se sont heurtés à des contradictions choquantes. Il lutte de pouvoir avec les Etats Généraux; il rogne, pied à pied, les attributions des Parlements, et, dans ce conflit d'intérêts, on ne sait où commence la fonction de chacun et où elle finit. « Les rois, dit Voltaire, trop souvent occupés de guerres malheureuses ou de troubles intestins, plus malheureux encore, ont pu rarement fixer les bornes des pouvoirs de chaque corps et établir une jurisprudence certaine et invariable. Toute autorité veut toujours croître, tandis que d'autres puissances veulent la diminuer. Les établissements humains ressemblent aux fleuves, dont les uns enflent leur cours et les autres se perdent dans le sable. >>> CONSTITUTION INTÉRIEURE DU CONSEIL AU XV SIÈCLE § 2. Au commencement du xv° siècle, le Conseil comprenait deux sections: l'une, les maîtres des requêtes de l'hôtel; l'autre, les conseillers d'Etat. Nous avons vu un fonctionnement analogue et des termes identiques à propos de l'organisation du Parlement. Cette similitude, ces termes juridiques, ces fonctions judiciaires confiées au Conseil du Roi, ne doivent pas étonner. Les chroniqueurs du temps nous disent que les rois passaient des jours et des nuits à préparer les affaires soumises à leur jugement. C'est qu'en effet c'était un instrument redoutable entre leurs mains, que ce privilége de justice. Par son pouvoir d'évocation, par sa connaissance des appels et l'invention des cas royaux, le roi reculait, plus sûrement que par des guerres, même heureuses, les limites de son royaume et de son autorité. Les maîtres des requêtes, appelés aussi poursuivants du roi, examinaient les placets qu'on lui adressait, et ils préparaient les éléments de solution pour les affaires soumises au Conseil. Les conseillers d'Etat étaient chargés de l'examen et du jugement de ces affaires, après le travail des maîtres des requêtes. En outre, ils délibéraient avec le roi sur les affaires du royaume. Le nombre des conseillers était fort restreint. Jusqu'en 1350, il fut de cinq. C'est également le nombre que donne Mézeray au Conseil qui accompagna le roi Jean II, lors de son entrevue à Boulogne avec Edouard III. Plus tard, ce nombre augmenta. Le chiffre des conseillers près du dauphin Charles, fils de Jean II, était assez élevé, car, aux Etats de 1356, on demande la révocation de vingt-deux conseillers. Toujours variable, il semble être de vingt-deux sous Henri II, et de huit seulement sous Henri IV (1). Au temps de Louis XIV, le Conseil fut réglementé sérieusement. Une ordonnance de Saint-Germain-enLaye, 3 janvier 1673, qui le désigne du nom de Conseil d'Etat, tend à lui donner une organisation fixe et définitive. ATTRIBUTIONS DU CONSEIL; RESTREINTES D'ABORD, ELLES S'ÉTENDENT CONSIDÉRABLEMENT AU XVII SIÈCLE; ELLES SONT JUDICIAIRES ET POLITIQUES § 3. - D'après ce court exposé historique, les attributions du Conseil apparaissent de deux sortes, les unes judiciaires, les autres politiques. I. Les attributions judiciaires étaient les plus impor (1) Je dis « semble être » parce que je n'ai vu nulle part le chiffre. Mais sous Henri II, il y a une ordonnance, rendue sur l'avis du connétable de Montmorency, qui fixe les heures de travail du roi et de son conseil. Elle prescrit deux séances, une, le matin, où assistaient douze membres du conseil, nominalement désignés, et une le soir, avec dix autres membres qui paraissent bien former le reste du conseil. Un document analogue m'a conduit à fixer à huit le nombre des conseillers sous Henri IV. |