Que si les Chambres désapprouvaient le traité, et en général la conduite des affaires extérieures, elles n'avaient d'autre moyen de le témoigner au roi qu'une adresse. La Constitution établit bien la responsabilité des ministres; mais jamais il n'a été, en France, fait application de cette disposition sur le seul fondement d'une gestion mauvaise des affaires extérieures (1). En résumé, le roi fait seul les traités; il les ratifie. Il les communique à son gré au Parlement. Il lui demande obligatoirement son concours financier et législatif quand il en est besoin pour la mise à exécution du traité. Le Parlement n'est pas lié par les actes du roi, en ce sens qu'il peut refuser le vote des lois qu'on lui demande, et en réservant la controverse que j'ai étudiée dans la première partie. Il ne peut d'ailleurs pas discuter le traité qui lui est soumis. Son seul droit est de l'adopter ou de le rejeter, non de l'amender. Son seul recours envers le roi est le vote d'une adresse, où il le supplie sans le conseiller. droits à prélever en France sur les marchandises anglaises, le gouvernement pourrait prendre des engagements avec le cabinet français, sans les soumettre au contrôle de la Chambre des communes, et sous sa responsabilité personnelle. » (Journal le Temps du 30 juillet 1881). (1) « Le Parlement a d'ailleurs trois voies pour indiquer son opinion sur les affaires extérieures: 1o refuser de voter des lois si on lui réclame des subsides, ou s'il est besoin d'un acte législatif pour donner force et effet au traité, comme par exemple s'il consiste en un changement à une loi criminelle ou civile, ou si on lui propose de changer les tarifs de commerce; 2o Ensuite chaque chambre a le droit d'exprimer à la Couronne, au moyen d'une adresse, son opinion à l'égard du traité ou d'une partie d'un traité déposé au Parlement; 3o Enfin, on peut agir contre les ministres responsables par voie de blâme ou d'accusation, suivant les cas. (A. Todd, op. cit.). » 1 ! ; 1 CHAPITRE III Constitution du 14 août 1830 (1) Art. 13. Le roi est le chef suprême de l'État. Il commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d'alliance et de commerce... et fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution. Art. 14. La puissance législative s'exerce collectivement par le roi, la Chambre des pairs et la Chambre des députés. Art. 40. Aucun impôt ne peut être établi ni perçu s'il n'a été consenti par les deux Chambres et sanctionné par le roi. MODIFICATIONS A LA CHARTE DE 1814 § 4. - La Révolution de Juillet 1830 avait renversé la branche aînée des Bourbons. Le duc d'Orléans avait été proclamé lieutenant-général du Royaume, par le comité Laffitte, en même temps que le roi Charles X lui conférait cette même dignité. La Chambre des députés, convoquée le 4 août par le régime déchu, puis prorogée à une date incertaine, fut réunie par le nouveau à la date indiquée. Le lieutenant-général ouvrit la session par un discours où il invitait les députés à réorganiser le gouvernement. Dans la séance du 6 août, un député, M. Bérard, proposa de procéder immédiatement à la révision de la Charte. Il établit que la Chambre en avait le droit; que l'abdication faite par le précédent roi et par l'héritier présomptif en faveur de Louis-Philippe d'Orléans, n'avait (1) Cette Constitution était encore appelée Charte. J'ai cru devoir employer le mot de Constitution pour indiquer la différence d'origine qu'elle a avec celle de 1814. aucune valeur; qu'en réalité, le trône était vacant, qu'il appartenait au Pouvoir législatif d'en disposer; que, dans ces circonstances, il était investi en même temps du droit de mettre à la concession qu'il ferait au Pouvoir royal telles conditions qu'il lui plairait, et, notamment, de modifier la Charte, laquelle serait, par le peuple français, soumise à l'acceptation du futur roi. La Chambre adopta cette opinion. C'était renverser complétement les prétentions royales de 1814. Séance tenante, M. Bérard proposa de modifier divers articles particulièrement dangereux ou vexatoires, entre autres l'article 14. C'était celui qui réglait les pouvoirs du Roi. J'en rappelle la rédaction : « Le Roi est le chef suprême de l'État, il commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d'alliance et de commerce, nomme à tous les emplois d'administration publique et fait les ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois et pour la sûreté de l'État. >>> Les derniers mots de cet article avaient été, en plusieurs circonstances, invoqués par le gouvernement précédent qui en prétendait tirer argument pour modifier, remplacer et suspendre les lois. Déjà en 1826, Casimir Périer avait, à propos du traité de commerce avec l'Angleterre, dénoncé une ordonnance Royale qui modifiait le tarif douanier. Et récemment, les fameuses Ordonnances du ministère Polignac avaient montré comment on pouvait se servir d'expressions peu précises. Aussi proposait-on de supprimer les derniers mots « pour la sûreté de l'État, » qui laissaient la porte ouverte à l'arbitraire, et de les remplacer par ceux-ci : <<< Le tout sous la responsabilité des ministres. >>> Casimir Périer proposa, au contraire, de différer ces i 1 modifications, qui demandaient à être faites avec soin, et d'en renvoyer l'étude à une commission, par exemple à la commission de l'adresse. D'autres demandèrent la nomination d'une commission spéciale. C'est ce qui prévalut. Et la Chambre s'ajourna à une séance du soir. A cette séance, nouvelle affirmation des droits de la Chambre de corriger et modifier la Charte. M. Guizot, commissaire provisoire du gouvernement à l'intérieur, transmit officiellement à la Chambre l'acte d'abdication du roi Charles X. La Chambre refusa d'en prendre connaissance. << Ce serait, dit un député, lui donner une valeur qu'elle n'a pas. » La Chambre n'ordonna pas le dépôt de cette pièce dans les archives et passa à l'ordre du jour. Ensuite elle écouta la lecture du rapport de M. Dupin sur les modifications à faire à la Charte. Parmi les changements à y apporter, un des plus importants était celui qui concernait l'article 14. « Déjà, disait ce rapport, le lieutenant-général avait parlé de l'article 14, odieusement interprété. Votre commission a rendu le doute impossible à l'avenir, et ne retenant de cet article que ce qui doit en être conservé dans le juste intérêt d'une prérogative que vous voulez, non pas anéantir, mais régler, tout en maintenant la Couronne dans le droit incontestable de faire les règlements et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois, nous avons ajouté que c'était sans pouvoir jamais ni suspendre les lois, ni dispenser aucunement de leur exécution. >> Il proposait donc de modifier cet article et de remplacer les mots « pour la sûreté de l'État >>> par ceux-ci: <<< sans jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution. >>> Le lendemain, discussion sur ce rapport. L'article 14, ainsi modifié, fut adopté à la presque unanimité. Il ne modifiait en rien, d'ailleurs, la prérogative royale en ce qui touche les relations extérieures, le droit de signer et de ratifier seul les traités quels qu'ils fussent. La Chambre de 1830, bien qu'animée d'intentions libérales, ne songea en rien à restreindre, sur ce point, les pouvoirs du Roi. L'addition des mots qui terminaient l'article ainsi voté avait été suggérée par le souvenir, encore très-vif, d'événements récents et par la haine des fameuses Ordonnances. Mais bien certainement, personne ne songea qu'ils pussent restreindre la prérogative royale dans l'exercice de la souveraineté extérieure. Le même conflit qui s'était engagé en 1826 pourrait donc se reproduire encore. Et si quelque doute subsistait encore à cet égard, il suffirait de lire le Moniteur du 8 août 1830. A cette même séance du 7, où fut adopté sans discussion l'article 14 modifié, un député, M. Sappey, s'écria : « Je demande que les traités de paix, d'alliance et de commerce soient soumis à l'approbation des Chambres. » Et le Moniteur insère au compte-rendu : « Cette proposition est vivement repoussée. >> Personne ne l'appuie (1). PRATIQUE DE LA CONSTITUTION § 2. -- Cette Constitution de 1830 a été le type des (1) L'autorité du Moniteur peut, en nombre de cas, être contestée. C'est ainsi que Michelet a pu justement accuser MM. Thiers et Louis Blanc de n'avoir pas suffisamment contrôlé les assertions d'un journal qui, œuvre du gouvernement, a souvent été amendé et épuré par ses ordres. Mais il ne semble pas qu'ici rien de semblable ait été fait, et que cette proposition de M. Sappey ait été accueillie autrement que ne le mentionne le Moniteur. Les commentateurs contemporains de la Charte ne le laissent pas soupçonner. |