Images de page
PDF
ePub

et en même temps générales. Ils règlent les intérêts de tout un peuple. Ils pourvoient à sa sécurité; ils recherchent, plus tard, les moyens d'entretenir et d'augmenter sa richesse. Peu à peu, ils descendent dans les détails. Ce n'est plus de tout un peuple qu'il s'agit, c'est de telle classe d'individus, ou de tel individu. A ce moment, les relations entre les peuples signataires du traité sont devenues très fréquentes et très complexes. Toutes les questions vont être réglées par traités; les citoyens des deux nations en invoquent journellement les clauses devant les tribunaux de l'une ou de l'autre. Parfois même, on s'appuiera uniquement sur leurs dispositions pour régler les questions les plus délicates (1).

Et d'autre part M. Egger cite (Op. cit p. 30) un traité entre Rome, Carthage, rapporté par Polybe (III, 22), où les libertés données au commerce, sont, vu l'époque, encore fort restreintes :

« Qu'il y ait amitié, aux conditions suivantes, entre les Romains et leurs alliés et les Carthaginois et leurs alliés. Les Romains ne navigueront pas au-delà du promontoire Kalon, à moins d'y être contraints par la tempête ou par l'ennemi. Si quelqu'un d'eux est forcé de franchir cette limite, il ne pourra ni rien vendre ni rien acheter, si ce n'est pour la réparation des navires ou pour le culte des dieux, et il devra, dans les cinq jours, quitter ces parages. Quant à ceux qui viendront pour le négoce, ils ne feront rien que devant un héraut ou un scribe. Tout ce qui aura été vendu en présence de ces magistrats, soit en Lybie, soit en Sardaigne, le prix en sera dù au vendeur sous la garantie publique.»

(1) C'est ce qui a lieu en Suisse dans une matière d'ailleurs toute spéciale. La France a passé avec la Confédération un traité, en date du 30 juin 1864, dont le but est d'assurer, dans les deux pays, la protection des dessins et modèles de fabrique. Or la Suisse n'a point de loi sur la matière. Les fabricants suisses ne sont donc point, dans leur pays, protégés contre la contrefaçon de leurs dessins et modèles de fabrique. Afin d'assurer cette protection aux fabricants français dans un pays qui ne l'accorde

On peut dire qu'alors leur importance dans la vie des deux peuples est aussi grande que celle des lois ellesmêmes dans la vie de chacun d'eux.

ANTIQUITÉ ET DÉVELOPPEMENT DES TRAITÉS

§ 4. - Les anciens ont connu une grande variété de traités. J'en ai cité quelques-uns d'après M. Egger. Il en donne la nomenclature et l'explication complètes. On est étonné d'y voir traiter les questions les plus inattendues et les plus modernes. Il y a, par exemple, un traité d'alliance entre Athènes et Sparte (1), qui eût pu être signé à Paris, il y a dix ans, entre la France et la Prusse, au moment de la Commune.

pas à ses nationaux, il a fallu introduire dans la convention de 1864 une série de dispositions, formant toute une législation sur la matière.

(1) Guerre du Péloponèse, V, 23, Thueydide.

A la suite de la première période de cette guerre, abandonnés de leurs alliés, menacés à l'intérieur par les Ilotes, déchus de leur influence sur le Péloponèse, les Lacédémoniens concluent avec les Athéniens le traité d'alliance suivant, dirigé à la fois contre les Argiens et les Ilotes :

« Les Lacédémoniens seront alliés pour cinquante ans aux conditions énoncées ci-après :

« Si quelque agresseur entre à main armée sur les terres des Lacédémoniens, les Athéniens iront à leur secours avec toutes leurs forces et par tous les moyens possibles. S'il se retire après avoir dévasté la campagne, ils le tiendront pour ennemi; les deux états lui feront la guerre et ne termineront que d'un commun accord.

« Si les esclaves se soulèvent, les Athéniens secourront les Lacédémoniens avec toutes leurs forces et par tous les moyens pos

sibles. >>>

Et dans le traité de paix qui avait précédé le traité d'alliance (V, 18), on voit les clauses suivantes :

« S'il s'élève entre eux quelque différend, ils auront recours aux voies légales et aux serments et se conformeront aux transactions qui seront intervenues.

« Dans toutes les villes restituées par les Lacédémoniens aux

Mais le prodigieux développement de l'industrie, du commerce et des moyens de transport, le progrès tout incomplet qu'il soit, des notions économiques, et aussi l'accroissement considérable de la race humaine ont déterminé des relations internationales bien plus étendues, fréquentes et durables, et nécessité des traités renouvelés, modifiés, améliorés aussi souvent que l'exigent le progrès des lois et des mœurs.

La morale publique, la morale internationale ont peut-être élevé leur niveau. Toutes les fois qu'on n'y a pas été particulièrement intéressé, on a généralement reconnu qu'il était tout aussi inique de dépouiller une nation qu'un particulier; de refuser protection à un étranger pour sa personne ou ses biens, etc.

Chez presque tous les peuples, des lois spéciales ont traduit en règlements précis ces conquêtes nouvelles de la morale et de la justice; presque tous se sont liés pour les faire respecter, même ceux qui n'avaient pas encore songé à les introduire sur leur propre territoire (1).

Athéniens, les habitants seront libres de se retirer où bon leur semblera, en emportant ce qui leur appartient. Ces villes se gouverneront d'après leurs propres lois, en payant le tribut tel qu'il a été fixé au temps d'Aristide... Elles ne seront alliées de Lacédémone, ni d'Athènes. Toutefois si les Athéniens les persuadent d'entrer dans leur alliance, elles le pourront de leur plein gré. » (1) Il ne faut rien exagérer. Nous n'en sommes pas à l'âge d'or. Le mieux seul existe, non le bien. Le présent ne vaut qu'en comparaison du passé. J'ai cité plus haut une lettre de M. de Moltke suffisamment significative.

N'y a-t-il pas d'autre part un enseignement à retirer de ce fait qu'aujourd'hui nulle puissance ne se soucie des traités d'alliance. Cf. le discours de M. Mancini, ministre des affaires étran

LES TRAITÉS SONT DES LOIS INTERNATIONALES

§ 5. Les traités, tels que nous les pratiquons aujourd'hui, touchent donc aux intérêts les plus graves des peuples. C'est la loi internationale.

Ils lient pendant le temps prévu les parties co-signataires. Rien n'en peut modifier les clauses, rien que leur commun accord ou une rupture, suivie de guerre aussitôt.

J'ai dit que c'est une loi internationale. Mais elle est bien autrement difficile à faire qu'une loi véritable. Prenons pour exemple une loi sur le commerce. Elle va être longuement préparée par une enquête. Les témoins qui auront déposé seront nombreux, intègres, éclairés, prudents et pour la plupart désintéressés; la discussion sera publique; les adversaires, très fermes et très tenaces, je le veux bien, se feront gloire de donner au grand jour leurs arguments, et personne n'aura cette arrière-pensée que si la loi est mauvaise on est lié à l'égard de l'adversaire qui en bénéficie pendant dix, quinze ou vingt ans. Qu'il en est autrement d'un traité de commerce! Il importe donc que des hommes spécialement capables soient chargé d'en préparer la confection, afin qu'ils aient une utilité pour les contractants (1) et qu'une autorité désignée d'avance, ait la mission et le pouvoir de les conclure, afin que chacun des contractants puisse y faire appel en toute sécurité.

gères en Italie, prononcé le 10 décembre dans les Chambres italiennes. On sent trop bien que le lien ne liera pas si les conditions ambiantes sont changées. Qui eût pu prévoir « l'ingratitude autrichienne » après 1848?

La morale n'a donc que peu gagné. Et quant aux notions économiques, le protectionisme règnant encore sur les trois quarts des pays civilisés, indique suffisamment combien peu l'on a fait de progrès réels, puisque d'autres que les intéressés ont pu s'y

rallier.

(1) Cette question de l'utilité des traités est, en théorie, une des plus grosses de la matière, et en pratique elle correspond à

des difficultés infinies. Quand deux nations font un traité sur un sujet donné, c'est le plus souvent pour règler un point sur lequel une difficulté s'est produite ou se pourrait produire. Il est possible que dans ce règlement les parties s'accordent des avantages égaux et réciproques. En ce cas l'utilité est égale de part et d'autre. Il se peut aussi que l'une des parties soit forcée par violence ou amenée par habileté à accepter les conditions que l'autre lui impose. L'utilité alors n'existe, ou du moins ne semble exister que d'un seul côté. Enfin il arrivera que l'objet du traité sera tel que des concessions seront faites par les deux parties, concessions réciproques dont le montant ne pourra être prévu même approximativement, et dont l'expérience seule revèlera un jour l'importance au profit d'une des parties. Ici, on ne peut dire, au jour de la conclusion du traité, de quel côté est l'utilité.

Les deux dernières hypothèses seules intéressent, et elles intéressent surtout en pratique. Il est evident que tout négociateur de traités, toute autorité chargée de les approuver ou de les ratifier doit se poser cette question: « Où est l'utilité du traité et quelle est cette utilité? » Malheureusement cette question n'est pas facilement résoluble. L'utilité est présente ou future. Et rarement on envisagera l'utilité future. Celui qui négocie, approuve ou ratifie un traité n'est qu'un homme, qui aura toujours peine à se rendre compte de ceci que, quarante, cinquante ou cent ans, c'est-à-dire la durée d'une ou deux vies humaines ne sont que peu dans la vie d'un peuple, et qu'une œuvre élaborée pour règler les intérêts d'un peuple devrait, si les circonstances l'indiquent, être faite en considération du temps à venir.

Encore faudrait-il pour cela que cet homme ou ces hommes eussent la prudence, la vertu et le désintéressement. Il faudrait même qu'ils pussent s'élever à un sentiment de justice et d'équité supérieur aux préjugés du patriotisme. Dans son ouvrage : La Science sociale, Spencer fait remarquer à combien d'erreurs ou d'excès nous entraîne le patriotisme (Tr. Baillière, p. 221). * Notre pays, qu'il ait tort ou raison. » - Voilà un sentiment fré

« PrécédentContinuer »