Images de page
PDF
ePub

M. Hanotaux, entendu également dans l'enquête, confirma cette déposition. Il affirma avoir insisté auprès du général Mercier sur les graves inconvénients que pouvait présenter au point de vue des relations internationales une poursuite qui n'aurait pour base que des renseignements émanant d'une source dont il paraissait impossible de dévoiler l'origine.

Le général Mercier, que M. Hanotaux était allé voir pour lui soumettre une nouvelle fois ses obser-vations, s'était montré inébranlable.

M. Hanotaux ajouta qu'il avait lui aussi maintenu énergiquement sa façon de voir et qu'il l'avait fait connaître au conseil des ministres, mais que les premières perquisitions et les premières recherches avaient engagé l'affaire, malgré ses protestations réitérées.

M. le général Mercier, dans sa déposition du 8 novembre, relata les circonstances qui avaient accompagné la poursuite et la condamnation de Dreyfus. Il affirma que le capitaine Lebrun-Renaud, de la garde républicaine, qui avait assisté à la dégradation de Dreyfus était venu lui rapporter que celui-ci avait protesté avec colère disant: <<< Si j'ai livré des documents à l'étranger, c'était pour en avoir de plus importants.>>>

« Je lui donnai l'ordre, ajouta le général Mercier, d'aller rapporter ce propos au Président de la République et au président du Conseil. >>>

Interrogé par le président Lœw sur l'existence de pièces secrètes qui auraient été communiquées au conseil de guerre, en 1894, avant la condamnation et en dehors de l'accusé, le général Mercier déclara <<< qu'il ne croyait pas avoir à s'expliquer sur ce

point, la Cour de cassation n'ayant pas à s'occuper

de cette question ».

Puis le colloque suivant s'engagea :

[ocr errors]

LE PRÉSIDENT. M. Cavaignac, dans son discours, a cité deux pièces dans lesquelles figure l'initiale D; ces pièces, qu'il applique à Dreyfus, ont-elles figuré dans la procédure judiciaire?

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

Je ne puis pas vous répondre

LE GÉNÉRAL MERCIER. par le même motif que j'ai donné.

Nous donnons ici, tant à raison de la qualité du témoin qu'à raison de l'importance du témoignage, la déposition faite dans l'enquête par M. CasimirPerier, ancien Président de la République, le 28 décembre 1898:

M. CASIMIR-PERIER.

La Cour n'ignore pas que, cité devant la cour d'assises de la Seine, à la requête de M. Zola, j'ai déclaré que l'irresponsabilité constitutionnelle m'imposait le silence.

Cette déclaration n'avait rien coûté à ma conscience, car si j'ai d'ordinaire ignoré, pendant que j'occupais la présidence de la République, ce qui touchait à la marche des affaires publiques, il n'est aucun fait porté à ma connaissance personnelle que j'ai laissé ignorer aux ministres responsables.

Mais aujourd'hui, ce n'est pas à la requête d'une partie que je suis devant la Cour de cassation, et j'ai pu constater que mon silence a accrédité cette pensée que j'ai, seul peut-être, connaissance d'incidents, de faits ou de documents qui pourraient déterminer la justice.

Dans l'état de division et de trouble où je vois mon pays, j'estime que mon devoir est de me mettre sans réserve à la disposition de la juridiction suprème. Je répondrai à toutes les questions que M. le président croira devoir me poser.

[ocr errors]
[ocr errors]

:

C'est le général Mercier qui, le premier, m'a parlé des soupçons qui étaient ensuite, chez lui, devenus une conviction à l'égard de Dreyfus.

Je ne puis préciser la date de cette communication; mais elle ne devait précéder que de peu de temps la réunion du conseil de guerre. Je n'ai pas souvenir que le ministre de la guerre ait entretenu, le jour de la Toussaint, de cette affaire, un conseil qui se serait réuni à l'Élysée.

J'ajoute qu'aucune réunion spéciale du conseil à l'Élysée n'a été provoquée par l'affaire Dreyfus.

LE PRÉSIDENT. Les poursuites contre Dreyfus étaient donc engagées et Dreyfus arrêté lorsque vous avez eu, pour la première fois, connaissance de l'affaire? M. CASIMIR PERIER. Je le crois, mais il pourrait naître dans mon esprit une confusion entre une communication du général Mercier m'annonçant ses intentions ou me faisant part de faits accomplis.

LE PRÉSIDENT.

Quand le général Mercier vous a parlé de l'affaire, vous a-t-il parlé des charges contre Dreyfus?

M. CASIMIR-PERIER. Oui. Il m'a parlé, d'une façon générale, du peu de confiance que ses camarades avaient en lui et de ce fait qu'on aurait constaté la communication à une puissance étrangère d'une pièce portant son écriture.

LE PRÉSIDENT. Ne vous a-t-il pas parlé également de documents secrets ou diplomatiques qui, en dehors du bordereau, accusaient des fuites à l'état-major de l'armée et concentraient les soupçons sur un officier d'état-major?

M. CASIMIR-PERIER. - J'ai souvenir que le général Mercier m'a dit avoir été informé par une personne étrangère qu'il y avait des fuites à l'état-major de l'armée, mais j'avais compris que cette communication était verbale, et il n'est pas dans mes souvenirs qu'elle visât nommément Dreyfus.

LE PRÉSIDENT. Avez-vous souvenance d'un incident diplomatique qui se serait produit à l'occasion de l'affaire Dreyfus, soit au cours de l'instruction, soit postérieurement, et qui serait relatif à cette affaire.

1

[ocr errors]

M. CASIMIR-PERIER. Le 5 janvier, M. le ministre des affaires étrangères était dans le Midi. L'ambassadeur d'Allemagne s'est rendu auprès de M. le président du conseil et, lui communiquant une dépêche qu'il aurait reçue de M. de Hohenlohe au nom de l'empereur, a prié le président du conseil d'obtenir de moi une audience, cette dépêche l'invitant à traiter la question personnellement avec moi.

M. Dupuy est venu me rendre compte de cette démarche, m'a remis le texte de la dépêche, et j'ai indiqué un rendez-vous pour le lendemain à l'ambassadeur d'Allemagne. L'entretien a eu lieu le lendemain, dimanche, vers une heure.

Dans cette dépêche, on demandait au Président. de la République, et personnellement à M. CasimirPerier, pourquoi l'ambassade d'Allemagne se trouvait, dans les journaux, impliquée dans l'affaire Dreyfus? Et si elle ne l'était pas, on réclamait un démenti formel. Après avoir relu la dépêche, j'ai fait remarquer à l'ambassadeur d'Allemagne que sa démarche était quelque peu insolite, que j'étais un chef d'État irresponsable et que ce ne pouvait être qu'avec le ministre responsable ou, en son absence, par le président du conseil, qu'il serait normal de traiter cette affaire; mais qu'il était fait appel à ma loyauté d'homme privé, que, dans ces conditions, ce n'était plus une affaire diplomatique à traiter, mais une question de loyauté qui m'était posée, que ma réponse ne pouvait donc engager que l'homme privé et que, dans ces conditions, l'ambassadeur saurait tout.

J'ai dit alors que la pièce avait été trouvée à l'ambassade d'Allemagne.

L'ambassadeur m'a répondu que cela ne lui paraissait pas possible; qu'on y recevait assurément beaucoup de pièces, mais qu'aucune pièce importante ne pouvait se trouver distraite.

Je lui ai répondu que, fort heureusement, nous ne jugions pas non plus la pièce importante; que cette déclaration faite, ni le gouvernement, ni moi-même n'impliquions l'ambassade d'Allemagne dans cette affaire; que rien n'établissait qu'elle avait sollicité la

[merged small][ocr errors]

communication; que nous ne la rendions pas plus responsable de ce qu'elle recevait que nous ne pouvions être responsables des papiers qu'on nous apportait; mais qu'il suffisait qu'on eùt trouvé dans une ambassade étrangère un document qu'on croyait émaner d'un officier français pour établir la culpabilité de l'officier.

L'ambassadeur ayant insisté pour une note très catégorique dégageant l'ambassade, je lui ai fait remarquer que cette note ne devrait pas viser l'ambassade. d'Allemagne seule, mais toutes les autres ambassades et légations à Paris, qui pourraient se trouver d'autant plus visées qu'on ne dégageait qu'une puissance; que cette note, qu'il ne m'appartenait pas, mais qu'il appartenait au président du conseil de rédiger, ne devait pas, selon moi, différer sensiblement de notes anté-. rieures déjà publiées dans le même sens, car on rechercherait alors les divergences dans la forme, et ce serait un nouvel aliment de discussions.

J'ai montré à l'ambassadeur une note parue, peu de jours avant, par les soins de l'Agence Havas, et j'exprimai la pensée que si le président du conseil acceptait, en principe, une note, les termes devaient en être à peu près ceux de la note Havas.

Sur la demande de l'ambassadeur, je lui ai assuré un rendez-vous de M. le président du conseil, et, quelques jours plus tard, l'ambassadeur m'a fait dire que l'incident pouvait être considéré comme clos.

[ocr errors]

LE PRÉSIDENT. L'ambassadeur d'Allemagne vous aurait-il, au cours de cette conversation, ou postérieurement, déclaré que jamais le gouvernement allemand n'avait eu de relations avec Dreyfus?

M. CASIMIR-PERIER. Il n'y a eu aucune déclaration de ce genre, et le nom de Dreyfus n'a été prononcé que pour désigner l'affaire dont il s'agissait.

LE PRÉSIDENT. Le général Mercier ne vous aurait-il pas parlé, postérieurement au jugement, de pièces secrètes qui auraient été communiquées au conseil dè guerre, qui auraient été décisives comme preuves de la culpabilité de Dreyfus?

M. CASIMIR-PERIER. - Je n'ai entendu parler que d'une

[ocr errors]
« PrécédentContinuer »