déclarant << qu'il serait sage et patriotique de laisser la justice accomplir son œuvre ». M. le président du conseil accepta, au nom du gouvernement, l'ordre du jour de MM. Bernard, Desmons et Leydet ainsi conçu : « Le Sénat, approuvant les déclarations du gouvernement, et respectueux du principe de la séparation des pouvoir... » Cet ordre du jour fut adopté par 212 voix contre 28. Le même jour, 29 janvier, M. Charles Dupuy, président du Conseil, obtenait que la Chambre ajournât la discussion du rapport fait sur la proposition de M. Gerville-Réache, député radical de la Guadeloupe, tendant à faire juger les demandes en revision des procès criminels par toutes les chambres réunies de la Cour de cassation. La Chambre prit cette décision d'ajournement par 389 voix contre 433. Le Parlement se trouvait donc d'accord pour attendre l'arrêt de la Cour de cassation, sans essayer de l'influencer dans quelque sens que ce fût. Aussi, le 28 janvier, apprit-on avec une profonde surprise la décision prise par les ministres, réunis en conseil de cabinet. Ceux-ci, après avoir reçu le rapport de M. Mazeau, premier président de la Cour de cassation, sur les faits allégués après sa démission par M. Quesnay de Beaurepaire, avaient décidé d'accepter les conclusions du rapport Mazeau, exprimant l'avis qu'il « serait sage que la chambre criminelle de la Cour de cassation ne fût pas appelée à juger seule ». En conséquence le gouvernement résolut de déposer immédiatement devant la Chambre un projet de loi modifiant l'article 445 du Code d'instruction crintinelle sur la revision des procès criminels. Aux termes de cette modification, qui devait être rendue immédiatement applicable au procès en revision Dreyfus, toutes les fois que la chambre criminelle de la Cour de cassation admettrait la recevabilité d'une demande en revision, l'affaire devrait être jugée par toutes les chambres réunies de la Cour de cassation, si toutefois l'enquête préliminaire de la chambre criminelle avait été confiée à plus de trois de ses membres. A la Chambre et au Sénat, le projet du gouvernement, d'autant plus inattendu que M. Charles, Dupuy, président du conseil, avait naguère fa repousser par les Chambres, au nom du gouvernement, une proposition de M. Gerville-Réache presque analogue au projet ministériel, fut accueilli par les plus viss commentaires. On pensait généralement qu'il fallait que le gouvernement eût les preuves les plus décisives et les plus graves de la partialité de la chambre criminelle et de son enquête pour la dessaisir ainsi, presque à la veille de son arrêt. Aussi éprouva-t-on quelque étonnement quand M. Charles Dupuy, entendu par la commission parlementaire de revision en matière criminelle, affirma l'honorabilité absolue des membres de la chambre criminelle, d'après l'avis même de M. le premier président Mazeau, ainsi conçu : Sans suspecter en rien la parfaite honorabilité des membres de la chambre criminelle, il serait sage, dans les circonstances exceptionnelles que nous traversons, de ne pas laisser à la chambre criminelle seule la res-ponsabilité de l'arrêt à rendre. Avant la séance où devait être déposé le projet du gouvernement, les divers groupes politiques de la Chambre se concertèrent. Les nationalistes, les antisémites et la droite se déclarèrent naturellement favorables au projet. Quelques-uns estimèrent pourtant qu'il n'y avait là qu'un commencement et qu'il fallait englober dans la suspicion jetée sur la chambre criminelle l'enquête faite par celle-ci sur le procès Dreyfus. Les groupes radicaux et socialistes décidèrent en majorité, dans une réunion plénière préparatoire, de s'opposer à la discussion immédiate du projet du gouvernement et de réclamer le renvoi de ce projet à la commission spéciale déjà saisie. Quant aux républicains progressistes, ils adoptèrent une résolution qui n'était pas conforme à ce que leur avait conseillé leur président, M. Barthou. Celui-ci s'était déclaré hostile au projet à cause du caractère de loi de circonstance qu'il revêtait; il fit remarquer que le gouvernement avait obéi à la même répugnance quand il avait par deux fois fait repousser la proposition Gerville-Réache. Si donc l'opinion du gouvernement s'était modifiée à la suite de l'enquête du premier président Mazeau, il devait faire connaître à la Chambre ou à la commission les éléments de cette enquête. 4 Si des magistrats avaient manqué à leur devoir, il fallait les frapper; si, au contraire, leur honorabilité était intacte, legarde des sceaux avait l'impérieux devoir de les couvrir, au lieu de les disqualifier par un projet de loi les dessaisissant. M. Barthou demanda au groupe républicain progressiste de s'opposer à la discussion immédiate du projet de loi et d'exiger la communication intégrale de l'en quête Mazeau à la Chambre ou à la commission.. Le groupe républicain progressiste préféra décider d'accepter, sans conditions, les propositions du gou vernement. A la séance du 30 janvier, à la Chambre, M. le garde des sceaux Lebret déposa le projet de loi arrêté par le gouvernement et donna lecture de l'exposé des mifs. Une courte discussion s'engaga à propos du renvoi du projet à la commission déjà chargée des questions concernant la revision des procès criminels. M. Georges Berry demanda la publication du dossier de l'enquête faite sur les magistrats de la chambre criminelle, et M. Millerand réclama la publication de toute l'enquête faite par les magistrats de la chambre criminelle eux-mêmes sur le procès Dreyfus. Au premier, M. le président du conseil répondit que la commission serait saisie de toute l'enquête faite sur les magistrats dénoncés; au second, il déclara que la même commission pourrait, si elle le jugeait utile, décider la publication de toute l'enquête criminelle faite par la Cour sur le procès Dreyfus. M. Marcel Habert et quelques autres députés nationalistes s'étonnèrent-non sans logique-que, les magistrats étant suspectés, l'enquête faite par eux ne le fût pas. Finalement la Chambre renvoya, par 346 voix contre 189, à la commission déjà saisie de propositions analogues présentées par des députés, le projet du gouvernement. La commission étant réputée déjà en majorité hostile au projet, il sembla que lui en confier l'examen indiquait des dispositions hostiles de la Chambre elle-même. Le mois de janvier ne fut marqué au Sénat par aucune discussion importante, sauf celle de l'accord commercial franco-italien. Le 24 janvier, M. Jacques Hébrard, sénateur républicain de la Corse, questionna le ministre du commerce, M. Delombre, sur les retards apportés en Corse à l'élévation à 10 kilogrammes du poids maximum des colis postaux, mesure réalisée dans toute la France par le ministre du commerce du cabinet Méline, M. Boucher. M. Delombre promit l'assimilation prochaine de la Corse, à ce point de vue, aux autres départements. Dans la même séance, le Sénat entendit une question adressée au ministre de la guerre par M. Viseur, sénateur républicain du Pas-de-Calais, au sujet des conserves alimentaires dans l'armée et des dangers que faisait courir à la santé des soldats la consommation de conserves trop anciennes. M. de Freycinet, ministre de la guerre, promit de veiller, tout en tenant compte des nécessités budgétaires, à la santé des troupes. Puis le Sénat adopta, en première lecture, le projet de loi tendant à réprimer les fraudes dans la vente de marchandises et les falsifications de denrées alimentaires. Le 27 janvier, le Sénat commença la discussion du projet de loi portant relèvement des droits d'entrée sur les vins, adopté par la Chambre, et la termina, le 30 janvier, par l'adoption du projet sans modification.. |