LES AVENTURES DE TÉLÉMAQUE. LIVRE PREMIER. Télémaque, conduit par Minerve, sous la figure de Mentor, est jeté par une tempête dans l'ile de Calypso. Cette déesse, inconsolable du départ d'Ulysse, fait au fils de ce héros l'accueil le plus favorable; et, concevant aussitôt pour lui une violente passion, elle lui offre l'immortalité, s'il veut demeurer avec elle. Pressé par Calypso de faire le récit de ses aventures, il lui raconte son voyage à Pylos et à Lacédé mone, son naufrage sur la côte de Sicile, le danger qu'il y courut d'être immolé aux månes d'Anchise, le secours que Mentor et lui donnèrent à Aceste, roi de cette contrée, dans une incursion de barbares, et la reconnaissance que ce prince leur en témoigna, en leur donnant un vaisseau phénicien pour retourner dans leur pays. : lypso. Cependant Calypso se réjouissait d'un naufrage qui mettait dans son île le fils d'Ulysse, si semblable à son père. Elle s'avance vers lui; et, sans faire semblant de savoir qui il est : D'où vous vient, lui dit-elle, cette témérité d'aborder en mon île? Sachez, jeune étranger, qu'on ne vient point impunément dans mon empire. Elle tâchait de couvrir sous ces paroles menaçantes la joie de son cœur, qui éclatait malgré elle sur son visage. Télémaque lui répondit: O vous, qui que vous soyez (mortelle ou déesse), quoique à vous voir on ne puisse vous prendre que pour une divinité, seriez-vous insensible au malheur d'un fils qui, cherchant son père à la merci des vents et des flots, a vu briser son navire contre vos rochers? Quel est donc votre père que vous cherchez ? reprit la déesse. Il se nomme Ulysse, dit Télémaque ; c'est un des rois qui ont, après un siége de dix ans, renversé la fameuse Troie. Son nom fut célèbre dans toute la Grèce et dans toute l'Asie, par sa valeur dans les combats, et plus encore par sa sagesse dans les conseils. Maintenant errant dans toute l'étendue des mers, il a parcouru tous les écueils les plus terribles. Sa patrie semble fuir devant lui. Pénélope sa femme, et moi qui suis son fils, nous avons perdu l'espérance de le revoir. Je cours, avec les mêmes dangers que lui, pour apprendre où il est. Mais que dis-je? peut-être qu'il est maintenant enseveli dans les profonds abîmes de la mer. Ayez pitié de nos malheurs; et si vous savez, ô déesse, ce que les destinées ont fait pour sauver ou pour perdre Ulysse, daignez en instruire son fils Télémaque. Calypso ne pouvait se consoler du départ d'Ulysse. Dans sa douleur, elle se trouvait malheureuse d'être immortelle. Sa grotte ne résonnait plus de son chant les nymphes qui la servaient n'osaient lui parler. Elle se promenait souvent seule sur les gazons fleuris dont un printemps éternel bordait son île; mais ces beaux lieux, loin de modérer sa douleur, ne faisaient que lui rappeler le triste souvenir d'Ulysse, qu'elle y avait vu tant de fois auprès d'elle. Souvent elle demeurait immobile sur le rivage de la mer, qu'elle arrosait de ses larmes; et elle était sans cesse tournée vers le côté où le vaisseau d'Ulysse, fendant les ondes, avait disparu à ses yeux. Tout à coup, elle aperçut les débris d'un navire qui venait de faire naufrage, des bancs de rameurs mis en pièces, des rames écartées çà et là sur le sable, un gouvernail, un mât, des cordages flottants sur la côte puis elle découvre de loin deux hommes, dont l'un paraissait âgé; l'autre, quoique jeune, ressemblait à Ulysse. Il avait sa douceur et sa fierté, avec sa taille et sa démarche majestueuse. Calypso, étonnée et attendrie de voir dans une si La déesse comprit que c'était Télémaque, fils de ce vive jeunesse tant de sagesse et d'éloquence, ne héros. Mais, quoique les dieux surpassent de loin pouvait rassasier ses yeux en le regardant, et elle en connaissance tous les hommes, elle ne put dé- demeurait en silence. Enfin elle lui dit : Télémaque, couvrir qui était cet homme vénérable dont Télé- nous vous apprendrons ce qui est arrivé à votre maque était accompagné ; c'est que les dieux supé-père. Mais l'histoire en est longue, il est temps de rieurs cachent aux inférieurs tout ce qu'il leur plaît; et Minerve, qui accompagnait Télémaque sous la figure de Mentor, ne voulait pas être connue de Ca vous délasser de tous vos travaux. Venez dans mademeure, où je vous recevrai comme mon fils: venez vous serez ma consolation dans cette solitude, et I je ferai votre bonheur, pourvu que vous sachiez en jouir. Télémaque suivait la déesse, accompagnée d'une foule de jeunes nymphes, au-dessus desquelles elle s'élevait de toute la tête, comme un grand chêne, dans une forêt, élève ses branches épaisses au-dessus de tous les arbres qui l'environnent. Il admirait l'éclat de sa beauté, la riche pourpre de sa robe lon gue et flottante, ses cheveux noués par derrière négligemment, mais avec grâce; le feu qui sortait de ses yeux et la douceur qui tempérait cette vivacité. Mentor, les yeux baissés, gardant un silence modeste, suivait Télémaque. leur source, et semblaient ne pouvoir quitter ces bords enchantés. On apercevait de loin des collines et des montagnes qui se perdaient dans les nues, et dont la figure bizarre formait un horizon à souhait pour le plaisir des yeux. Les montagnes voisines étaient couvertes de pampre vert qui pendait en festons le raisin, plus éclatant que la pourpre, ne pouvait se cacher sous les feuilles, et la vigne était accablée sous son fruit. Le figuier, l'olivier, le grenadier, et tous les autres arbres, couvraient la campagne, et en faisaient un grand jardin. Calypso ayant montré à Télémaque toutes ces beautés naturelles, lui dit : Reposez-vous; vos habits sont mouillés, il est temps que vous en chan conterai des histoires dont votre cœur sera touché. En même temps elle le fit entrer avec Mentor dans le lieu le plus secret et le plus reculé d'une grotte voisine de celle où la déesse demeurait. Les nymphes avaient eu soin d'allumer en ce lieu un grand feu de bois de cèdre dont la bonne odeur se répandait de tous côtés, et elles y avaient laissé des habits pour les nouveaux hôtes. On arriva à la porte de la grotte de Calypso, ou Télémaque fut surpris de voir, avec une apparence de simplicité rustique, des objets propres à char-giez; ensuite nous nous reverrons, et je vous ramer les yeux. Il est vrai qu'on n'y voyait ni or, ni argent, ni marbre, ni colonnes, ni tableaux, ni statues mais cette grotte était taillée dans le roc, en voûte pleine de rocailles et de coquilles; elle était tapissée d'une jeune vigne qui étendait ses branches souples également de tous côtés. Les doux zéphyrs conservaient en ce lieu, malgré les ardeurs du soleil, une délicieuse fraîcheur : des fontaines, coulant avec un doux murmure sur des prés semés d'amaranthes et de violettes, formaient en divers lieux des bains aussi purs et aussi clairs que le cristal mille fleurs naissantes émaillaient les tapis verts dont la grotte était environnée. Là on trouvait un bois de ces arbres touffus qui portent des pommes d'or, et dont la fleur qui se renouvelle dans toutes les saisons, répand le plus doux de tous les parfums; ce bois semblait couronner ces belles prairies, et formait une nuit que les rayons du soleil ne pouvaient percer. Là on n'entendait jamais que le chant des oiseaux, ou le bruit d'un ruisseau, qui, se précipitant du haut d'un rocher, tombait à gros bouillons pleins d'écume, et s'enfuyait au travers de la prairie. La grotte de la déesse était sur le penchant d'une colline. De là on découvrait la mer, quelquefois claire et unie comme une glace, quelquefois follement irritée contre les rochers, où elle se brisait en gémissant, et élevant ses vagues comme des montagnes. D'un autre côté, on voyait une rivière où se formaient des îles bordées de tilleuls fleuris et de hauts peupliers qui portaient leurs têtes superbes jusque dans les nues. Les divers canaux qui formaient ces îles semblaient se jouer dans la campagne les uns roulaient leurs eaux claires avec rapidité; d'autres avaient une eau paisible et dormante; d'autres, par de longs détours, revenaient sur leurs pas comme pour remonter vers Télémaque, voyant qu'on lui avait destiné une tunique d'une laine fine, dont la blancheur effaçait celle de la neige, et une robe de pourpre avec une broderie d'or, prit le plaisir qui est naturel à un jeune homme, en considérant cette magnifi cence. Mentor lui dit d'un ton grave: Est-ce donc là, ô Télémaque, les pensées qui doivent occuper le cœur du fils d'Ulysse? Songez plutôt à soutenir la réputation de votre père, et à vaincre la fortune qui vous persécute. Un jeune homme qui aime à se parer vainement comme une femme, est indigne de la sagesse et de la gloire : la gloire n'est due qu'à un cœur qui sait souffrir la peine et fouler aux pieds les plaisirs. Télémaque répondit en soupirant: Que les dieux me fassent périr plutôt que de souffrir que la mollesse et la volupté s'emparent de mon cœur! Non, non, le fils d'Ulysse ne sera jamais vaincu par les charmes d'une vie lâche et efféminée. Mais quelle faveur du ciel nous a fait trouver, après notre naufrage, cette déesse ou cette mortelle qui nous comble de biens? Craignez, repartit Mentor, qu'elle ne vous accable de maux; craignez ses trompeuses douceurs plus que les écueils qui ont brisé votre navire : le naufrage et la mort sont moins funestes que les plaisirs qui attaquent la vertu. Gardez-vous bien de croire ce qu'elle vous racontera. La jeunesse est présomptueuse, elle se promet tout d'elle-même: | tempête: son vaisseau, après avoir été le jouet des quoique fragile, elle croit pouvoir tout, et n'avoir jamais rien à craindre; elle se confie légèrement et sans précaution. Gardez-vous d'écouter les paroles douces et flatteuses de Calypso', qui se glisseront comme un serpent sous les fleurs; craignez le poison caché : défiez-vous de vous-même, et attendez toujours mes conseils. Ensuite ils retournèrent auprès de Calypso, qui les attendait. Les nymphes, avec leurs cheveux tressés et des habits blancs, servirent d'abord un repas simple, mais exquis pour le goût et pour la propreté. On n'y voyait aucune autre viande que celle des oiseaux qu'elles avaient pris dans des filets, ou des bêtes qu'elles avaient percées de leurs flèches à la chasse : un vin plus doux que le nectar coulait des grands vases d'argent dans des tasses d'or couronnées de fleurs. On apporta dans des corbeilles tous les fruits que le printemps promet et que l'automne répand sur la terre. En même temps quatre jeunes nymphes se mirent à chanter. D'abord elles chautèrent le combat des dieux contre les géants, puis les amours de Jupiter et de Sémélé, la naissance de Bacchus et son éducation conduite par le vieux Silène, la course d'Atalante et d'Hippomène, qui fut vainqueur par le moyen des pommes d'or venues du jardin des Hespérides; enfin la guerre de Troie fut aussi chantée; les combats d'Ulysse et sa sagesse furent élevés jusqu'aux cieux. La première des nymphes, qui s'appelait Leucothoé, joignit les accords de sa lyre aux douces voix de toutes les autres. Quand Télémaque entendit le nom de son père, les larmes qui coulèrent le long de ses joues donnèrent un nouveau lustre à sa beauté. Mais comme Calypso aperçut qu'il ne pouvait manger, et qu'il était saisi de douleur, elle fit signe aux nymphes. A l'instant, on chanta le combat des Centaures avec les Lapithes, et la descente d'Orphée aux enfers pour en retirer Eurydice. Quand le repas fut fini, la déesse prit Télémaque, et lui parla ainsi : Vous voyez, fils du grand Ulysse, avec quelle faveurje vous reçois. Je suis immortelle: nul mortel ne peut entrer dans cette île sans être puni de sa témérité; et votre naufrage même ne vous garantirait pas de mon indignation, si d'ailleurs je ne vous aimais. Votre père a eu le même bonheur que vous; mais, hélas! il n'a pas su en profiter. Je l'ai gardé longtemps dans cette île : il n'a tenu qu'à lui d'y vivre avec moi dans un état immortel; mais l'aveugle passion de retourner dans sa misérable patrie lui fit rejeter tous ces avantages. Vous voyez tout ce qu'il a perdu pour Ithaque, qu'il n'a pu revoir. Il voulut me quitter: il partit; et je fus vengée par la vents, fut enseveli dans les ondes. Profitez d'un si triste exemple. Après son naufrage, vous n'avez plus rien à espérer, ni pour revoir, ni pour régner jamais dans l'île d'Ithaque après lui; consolez-vous de l'avoir perdu, puisque vous trouvez ici une divinité prête à vous rendre heureux, et un royaume qu'elle vous offre. La déesse ajouta à ces paroles de longs discours pour montrer combien Ulysse avait été heureux auprès d'elle: elle raconta ses aventures dans la caverne du cyclope Polyphême, et chez Antiphates, roi des Lestrigons: elle n'oublia pas ce qui lui était arrivé dans l'île de Circé, fille du Soleil, ni les dangers qu'il avait courus entre Scylle et Charybde. Elle représenta la dernière tempête que Neptune avait excitée contre lui quand il partit d'auprès d'elle. Elle voulut faire entendre qu'il était péri dans ce naufrage, et elle supprima son arrivée dans l'ile des Phéaciens. Télémaque, qui s'était d'abord abandonné trop promptement à la joie d'être si bien traité de Calypso, reconnut enfin son artifice, et la sagesse des conseils que Mentor venait de lui donner. Il répondit en peu de mots : O déesse, pardonnez à ma douleur maintenant, je ne puis que m'affliger; peut-être que dans la suite j'aurai plus de force pour goûter la fortune que vous m'offrez : laissez-moi en ce moment pleurer, mon père; vous savez mieux que moi combien il mérite d'être pleuré. Calypso n'osa d'abord le presser davantage : elle feignit même d'entrer dans sa douleur, et de s'attendrir pour Ulysse. Mais, pour mieux connaître les moyens de toucher le cœur du jeune homme, elle lui demanda comment il avait fait naufrage, et par quelles aventures il était sur ces côtes. Le récit de mes malheurs, dit-il, serait trop long. Non, non, répondit-elle; il me tarde de les savoir; hâtez-vous de me les raconter. Elle le pressa longtemps. Enfin il ne put lui résister, et il parla ainsi : J'étais parti d'Ithaque pour aller demander aux autres rois revenus du siége de Troie des nouvelles de mon père. Les amants de ma mère Pénélope furent surpris de mon départ : j'avais pris soin de le leur cacher, connaissant leur perfidie. Nestor, que je vis à Pylos, ni Ménélas, qui me reçut avec amitié dans Lacédémone, ne purent m'apprendre si mon père était encore en vie. Lassé de vivre toujours en suspens et dans l'incertitude, je me résolus d'aller dans la Sicile, où j'avais ouï dire que mon père avait été jeté par les vents. Mais le sage Mentor, que vous voyez ici présent, s'opposait à ce téméraire dessein: il me représentait, d'un côté, les Cyclopes, géants monstrueux qui dévorent les hommes; de l'autre, la flotte d'Énée et des Troyens, qui étaient sur ces côtes. Ces Troyens, disait-il, sont animés contre tous les Grecs; mais surtout ils répandraient avec plaisir le sang du fils d'Ulysse. Retournez, continuait-il, en Ithaque: peut-être que votre père, aimé des dieux, y sera aussitôt que vous. Mais si les dieux ont résolu sa perte, s'il ne doit jamais revoir sa patrie, du moins il faut que vous alliez le venger, délivrer votre mère, montrer votre sagesse à tous les peuples, et faire voir en vous à toute la Grèce un roi aussi digne de régner que le fut jamais Ulysse lui-même. Ces paroles étaient salutaires; mais je n'étais pas assez prudent pour les écouter; je n'écoutais que ma passion. Le sage Mentor m'aima jusqu'à me suivre dans un voyage téméraire que j'entreprenais contre ses conseils; et les dieux permirent que je fisse une faute qui devait servir à me corriger de ma présomption. Pendant qu'il parlait, Calypso regardait Mentor. Elle était étonnée; elle croyait sentir en lui quelque chose de divin; mais elle ne pouvait démêler ses pensées confuses : ainsi elle demeurait pleine de crainte et de défiance à la vue de cet inconnu. Alors elle appréhenda de laisser voir son trouble. Continuez, dit-elle à Télémaque, et satisfaites ma curiosité? Télémaque reprit ainsi : Nous eûmes assez longtemps un vent favorable pour aller en Sicile; mais ensuite une noire tempête déroba le ciel à nos yeux, et nous fumes enveloppés dans une profonde nuit. A la lueur des éclairs, nous aperçûmes d'autres vaisseaux exposés au même péril; et nous reconnûmes bientôt que c'étaient les vaisseaux d'Énée : ils n'étaient pas moins à craindre pour nous que les rochers. Alors je compris, mais trop tard, ce que l'ardeur d'une jeunesse imprudente m'avait empêché de considérer attentivement. Mentor parut dans ce danger, non-seulement ferme et intrépide, mais encore plus gai qu'à l'ordinaire: c'était lui qui m'encourageait ; je sentais qu'il m'inspirait une force invincible. Il donnait tranquillement tous les ordres, pendant que le pilote était troublé. Je lui disais Mon cher Mentor, pourquoi ai-je refusé de suivre vos conseils? Ne suis-je pas malheureux d'avoir voulu me croire moi-même, dans un âge où l'on n'a ni prévoyance de l'avenir, ni expérience du passé, ni modération pour ménager le présent? Oh! si jamais nous échappons de cette tempête, je me défierai de moi-même comme de mon plus dangereux ennemi : c'est vous, Mentor, que je croirai toujours. Mentor, en souriant, me répondait : Jen al garde de vous reprocher la faute que vous avez faite; il suffit que vous la sentiez, et qu'elle vous serve à être une autre fois plus modéré dans vos désirs. Mais quand le péril sera passé, la présomption reviendra peut-être. Maintenant il faut se soutenir par ie courage. Avant que de se jeter dans le péril, il faut le prévoir et le craindre; mais quand on y est, il ne reste plus qu'à le mépriser. Soyez donc le digne fils d'Ulysse; montrez un cœur plus grand que tous les maux qui vous menacent. La douceur et le courage du sage Mentor me charmèrent; mais je fus encore bien plus surpris quand je vis avec quelle adresse il nous délivra des Troyens. Dans le moment où le ciel commençait à s'éclaircir, et où les Troyens, nous voyant de près, n'auraient pas manqué de nous reconnaître, il remarqua un de leurs vaisseaux qui était presque semblable au nôtre, et que la tempête avait écarté. La poupe en était couronnée de certaines fleurs : il se hâta de mettre sur notre poupe des couronnes de fleurs semblables, il les attacha lui-même avec des bandelettes de la même couleur que celles des Troyens; il ordonna à tous nos rameurs de se baisser le plus qu'ils pourraient le long de leurs bancs, pour n'être point reconnus des ennemis. En cet état, nous passâmes au milieu de leur flotte : ils poussèrent des cris de joie en nous voyant, comme en revoyant des compagnons qu'ils avaient crus perdus. Nous fùmes même contraints, par la violence de la mer, d'aller assez longtemps avec eux enfin nous demeurâmes un peu derrière; et, pendant que les vents impétueux les poussaient vers l'Afrique, nous fimes les derniers efforts pour aborder à force de rames sur la côte voisine de Sicile. Nous y arrivâmes en effet. Mais ce que nous cherchions n'était guère moins funeste que la flotte qui nous faisait fuir : nous trouvâmes sur cette côte de Sicile d'autres Troyens ennemis des Grecs. C'était là que régnait le vieux Aceste, sorti de Troie. A peine fûmes-nous arrivés sur ce rivage, que les habitants, crurent que nous étions, ou d'autres peuples de l'île armés pour les surprendre, ou des étrangers qui venaient s'emparer de leurs terres. Ils brûlent notre vaisseau; dans le premier emportement, ils égorgent tous nos compagnons; ils ne réservent que Mentor et moi pour nous présenter à Aceste, afin qu'il pût savoir de nous quels étaient nos desseins, et d'où nous venions. Nous entrons dans la ville les mains liées derrière le dos; et notre mort n'était retardée que pour nous faire servir de spectacle à un peuplecruel, quand on saurait que nous étions Grecs. On nous présenta d'abord à Aceste, qui, tenant. son sceptre d'or en main, jugeait les peuples, et se préparait à un grand sacrifice. Il nous demanda, d'un ton sévère, quel était notre pays et le sujet de notre |