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putation jusqu'à présent; car je n'ai prétendu parler ni de quelques petits ouvrages particu liers, tels que le dictionnaire géographique des Pays-Bas, brochure in-8°. ni des dictionnaires où la géographie n'entre que pour une partie de l'objet que l'Auteur s'est proposé. Les ditionnaires de JUIGNÉ, de MORERI, de LLOVE, de TREVOUX, de M. BAYLE, de D. CALMET, & de quelques autres, ont des articles de géographie. Je ne sais s'il ne vaudroit pas mieux qu'il n'y en eût point du tout dans les quatre premiers. Celui de M. Bayle est borné à un si petit nombre d'articles de cette espéce, que l'on peut dire, sans violer le respect dû au mérite de cet auteur, que c'est peu de chose que ce qu'on y en trouve. Je parlerai ci-après de D. Calmet.

Pourquoi l'AuJe m'étois flaté qu'entre ces dictionnaires j'en pourrois trouver un auquel il me feroit aise teur n'en a pas d'ajouter ce que j'avois recueilli de meilleur dans mes études & dans mes voyages. Mais choifi l'augmenter. pour après un mur examen je n'en vis point qu'il ne fût nécessaire de refondre entierement. Ortelius ne fait qu'indiquer les auteurs, comme j'ai dit: il est rare que ceux qui le consultent ayent les livres qu'il cite; il omet tout ce qu'il y a de singulier & d'intéressant, & fe contente d'avoir nommé les auteurs auxquels tout le monde n'est pas en état de recourir; c'est un grand défaut dans un dictionnaire qui doit être une bibliothéque géographique. L'infidélité de M. Baudrand sur les citations me mettoit dans la nécessité de tout vérifier ; & lifant les originaux, j'y ai souvent trouvé des chofes qu'il n'auroit pas dû négliger, s'il les avoit parcourus lui-même. Souvent auffi j'y ai trouvé le contraire de ce qu'il leur imputoit. Un pareil livre n'étoit guères propre à devenir le fonds d'un ouvrage où l'on ne doit pas chercher une réputation frivole par des citations ambitieusement hazardées, parce qu'on suppose que peu de lecteurs font en état d'en découvrir toute la charlatanerie.

Dans ce que j'avois recueilli, j'avois exactement marqué, non-seulement les auteurs, mais même le livre & le chapitre, ou la page de l'édition dont je m'étois servi. Ortelius spécifie rarement le livre de l'auteur qu'il cite. Il cite encore moins le chapitre. M. Baudrand se contente de dire, Pline, Ptolomée, Strabon, & laisse aux lecteurs scrupuleux la peine de chercher l'endroit comme ils pourront. L'uniformité de l'ouvrage demandoit que j'examinasse leurs articles sur les originaux ; je l'ai fait, & le détail des citations que je mets en est

une preuve.

Il restoit le dictionnaire de M. Corneille, que je pouvois choisir pour la base du mien; mais il est au-dessous du médiocre pour la géographie ancienne. Le peu qu'il en fournit, est si plein de fautes grossieres & de bévues, qu'on doit le compter pour moins que rien ; & pour la nouvelle, faute d'avoir su les langues de nos voisins, il a été borné à un certain nombre d'affez mauvais livres sur ce qui regarde de vastes états: Par exemple, sur la Grande-Bretagne, il copie Davity, dans le livre duquel la plupart des noms sont défigurés ; & quand il trouve dans la géographie historique de M. d'AUDIFRET ces mêmes noms autrement orthographiés, il ne les reconnoît plus, & les prend pour de nouvelles villes ou rivieres. On voit assez qu'il a dessein de bien faire; car lorsqu'il tombe sur de bons auteurs, tels que Dampier & autres, ces articles font fidéles & curieux. Je fis alors ce que feroit un architecte, qui, voulant élever un édifice pour l'utilité publique, profiteroit des matériaux qu'il trouve dans les ruines de plusieurs palais abandonnés comme inutiles & dangereux, à cause du peu de solidité de leurs fondemens. Ainsi, sans me déterminer au choix fur lequel j'avois compté, je résolus de travailler fur mon propre plan, en joignant ces auteurs aux autres qui m'avoient fourni de quoi les rectifier, & de prendre de chacun les articles sur lesquels mes recherches ne m'avoient rien fourni de meilleur. J'aurois peut-être attendu bien des années à publier cet ouvrage sans les liaisons que j'eus avec deux hommes illuftres, tous deux Italiens & tous deux passionnés pour le progrès des sciences & des beaux

arts.

Pourquoi on s'est L'un * ambassadeur & plénipotentiaire d'Espagne auprès de la république des Provinceshâté d'annoncer Unies, étoit alors occupé à rompre les mesures que l'on prenoit pour altérer la bonne in

ce livre,

telligence, que la paix d'Utrecht avoit rétablie. Il me démêla parmi la foule de ses admirateurs, me donna mille marques de son estime, & m'honorant d'une amitié cordiale, il voulut que je l'entretinsse souvent de mes occupations littéraires. Pouvois-je lui cacher les vues que j'avois pour la géographie ? Il me pressa de publier mon travail; j'eus beau lui représenter que je croyois devoir auparavant sonder mes forces & le jugement du public par quelqu'autre ouvrage ; que ce retardement rendroit celui-ci meilleur; que je trouvois chaque jour de quoi le perfectionner. Vous le trouverez, dit-il, toute votre vie; ce sont ses termes; ces ouvrages ne sont pas d'une nature à étre complets. Imprimez le vôtre tel qu'il est : par là vous pourrez apprendre ce que le public y aura trouvé à réformer, & vous vivrez peut-être affez pour en profiter. Ce fut alors que je publiai deux essais sur l'histoire de la géographie, avec des remarques sur les principaux géographes. Ce ne font, à la vérité, que des fragmens informes d'un ouvrage plus étendu, que je publierai un jour, s'il plaît à Dieu; mais le détail où j'y entre fur les géographes me parut propre à faire sentir à quelques personnes auprès de qui je n'avois pas affecté de me donner pour tel, que ce n'étoit point par hazard, ni sans préparation que je m'engageois à donner un dictionnaire géographique, plus exact & plus ample que tous ceux qui ont paru jusqu'à présent.

Ces essais produisirent un bien qui surpassa mes espérances. M. le comte de MARSILLI, qui étoit alors dans ces Provinces pour avancer l'exécution de ses projets littéraires, me fit offrir son amitié, & en même tems ses bons offices pour me procurer d'Italie les secours dont j'aurois besoin. Le public est assez informé, sans que je le lui dise, combien ce Seigneur a rendu de services importans aux sciences par ses immenfes travaux, & combien il fait d'honneur à la fociété royale de Londres, & à l'académie royale de Paris, dont il est un des plus dignes & des plus utiles académiciens. Son départ me priva peu après des instruAions que je trouvois dans ses entretiens; mais il ne fut pas plutôt arrivé en Italie, que je reçu des marques de son souvenir par des cartes rares qu'il m'envoya, & par d'excellens articles des villes d'Italie dresses sur les lieux; il est juste que mes lecteurs partagent avec moi toute la reconnoissance qui lui en est due.

dont

* Feu M. le Marquis DE BERETTI LANDI.

Je ne dois pas omettre qu'une des grandes objections que je fis à M. le marquis BERETTI LANDI, ambassadeur d'Espagne, lorsqu'il me conseilloit d'imprimer, fut que nous ne sommes pas instruits de l'Espagne moderne. Je remontrai que l'Etat présent de ce royaume par M. l'abbé de Vayrac est presque le seul livre raisonnable que nous ayons fur cette matiere. Il me ferma la bouche en s'engageant d'y suppléer, en intéressant le roi même au succès & à la bonté de mon livre. Personne n'ignore les événemens inopinés qui ont occupé la cour depuis 1722, & qui ont retardé les secours dont j'avois circonstancié la nécessité. Malgré ces obstacles, il fit plus que je n'avois osé prétendre, il voulut que ce dictionnaire portât des marques publiques de la protection glorieuse que Sa Majesté Catholique accorde aux sciences utiles. Le roi me fit la grace de me déclarer son géographe, & il lui a plu d'ajouter à cette faveur celle de nommer en Espagne des personnes savantes sur les matieres dont j'avois besoin d'être instruit, avec ordre de me communiquer les lumieres que j'ai demandées.

retarder la publi

cation.

Toutes les personnes équitables jugeront qu'il auroit été avantageux au public, & à moi Ce qui en a fait que j'eusse différé la publication de mon travail jusqu'à ce que je l'eusse enrichi & rectifié avec ces secours, & j'avoue que j'ai fait tout ce que j'ai pu pour la retarder & pour les attendre. Mais un obstacle invincible s'est opposé à mes bons defirs. Malheureusement les libraires avoient pris les engagemens attachés à la voie de souscription, qui étoit pour lors à la mode; car la librairie a aussi les siennes. De là les murmures des souscripteurs, les plaintes des intéressés, & les nouvelles prématurées repétées en plusieurs journaux. J'ai cédé enfin à l'importunité, & pour ne pas abuser plus long-tems de la patience du public, à qui l'on commençoit à vouloir perfuader qu'on l'abusoit d'une esperance chimérique, je me fuis résolu à lui donner à présent ce qui est déjà imprimé, & à faire touler les presses sans interruption jusqu'à la fin de l'ouvrage.

APRE'S avoir rendu compte des raisons qui m'ont engagé à entreprendre ce dictionnaire, & de celles qui m'en ont fait retarder la publication, je passe aux détails de l'exécution. Ils ne feront peut-être pas inutiles à ceux qui, après ma mort, voudront l'augmenter ou le corriger.

Dans la géographie, comme dans toutes les autres sciences, chacun cherche ce qui a le plus de liaison avec la profession qu'il a embrassée, ou avec le genre d'étude qu'il aime le plus.

On peut commodément la partager en quatre parties, qui toutes doivent se réunir dans un dictionnaire géographique.

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SECONDE
PARTIE,

La Géographie considérée à divers égards, & des divers Auteurs ci

tés fur chaque par

tie

LA GEOGRAPHIE SACRE'E traite des lieux nommés dans l'Ecriture Sainte. J'ai cru A l'égard de l'É devoir confulter également le texte original, les Septante, la Vulgate & Josephe. Voilà les criture fainte. principales sources où il faut puiser. Ces livres se prêtent l'un à l'autre des clartés qui échapperoient à quiconque voudroit n'en confulter qu'un. Il ne m'appartient pas de toucher à la question agitée entre les savans de religion différente, savoir quel texte est le plus pur, ou l'Hébreu , ou le Grec, ou la Vulgate. J'ai lu à peu près ce qui a été écrit de plus fenfé fur ces matieres, mais elles ne regardent presque point la géographie: il me suffit que le Grec & la Vulgate foient très-respectables, l'un par l'usage qu'en ont fait le Sauveur du monde & les Ecrivains facrés du Nouveau Teftament; & l'autre par la confécration que l'église en a faite depuis bien des fiécles, en l'employant dans la célébration des plus saints mysteres. EUSEBE & S. JERÔME ont composé une géographie alphabétique sur l'Ecriture Sainte. Le P. BONFRERIUS l'a illuftrée par de savantes notes, auxquelles M. LE CLERC a joint ses remarques. M. BOCHART, dans sa Géographie facrée, M. RELAND, dans son docte livre de la Palestine, ont une infinité de recherches précieuses. Ces livres ne doivent point sortir de dessous les yeux de quiconque s'applique à la géographie des livres facrés. Rien n'empêche qu'on n'y joigne Adrichome, Spanheim, Ziegler, & autres dont j'ai rapporté lé témoignage dans l'occafion. NICOLAS SANSON, géographe du Roi Très-Chrétien, a fait un indice géographique de l'Ecriture Sainte, dans lequel il rapporte à chaque nom les passages où il se trouve ; & ajoute en marge la latitude & la longitude qu'il donne à cha que endroit dans sa carte. Mais comme il n'y a guères d'observations faites fur les lieux par où l'on puisse justifier ces positions, il ne faut pas trop compter sur leur justesse. J'a

6

1

?

A l'égard de l'hi stoire ecclefiafti

que.

A l'égard de l'histoire civile de

l'Antiquité.

vois extrait de MM. Bochard & Reland beaucoup d'articles; mais lorsque je vis le diction naire de D. Calmet, je m'apperçus que me livrant trop à l'érudition de ces deux grands hommes, j'en avois surcharge mes extraits, qui par cela même qu'ils étoient trop hérissés d'hébreu & de grec, devenoient inutiles à la plupart des lecteurs. Je préférai donc la maniere de ce savant Bénédictin, qui a lui-même extrêmement profité des ouvrages dont je viens de parler; & abandonnant souvent mes propres extraits, je leur substituai les siens, en le nommant; mais je ne l'ai pas toujours fait en humble esclave, & j'ai ofé le contredire quand je m'y suis vu obligé: ce sont principalement les fautes des grands hommes qu'il faut relever, parce qu'elles tirent plus à conféquence que celles des autres. Ainsi, sans déroger au respect que j'ai pour le savoir & la vertu des auteurs que j'admire le plus, j'ai averti de leurs fautes quand je les ai remarquées; entre autres preuves on, peut voir les articles DAMNA.

La GEOGRAPHIE ECCLESIASTIQUE regarde les bornes & la situation des diocèses, les lieux qui ont été ou font encore le siége d'un évêché, où il s'est tenu des conciles, où il s'est passé quelqu'événement dont les annales de l'église Chrétienne ayent conservé le souvenir. Les abbayes, un hermitage illustré par un faint Anachorete; en un mot, tout ce qui appartient aux vies des Saints, mérite d'être remarqué. Les historiens grecs, tels que font EUSEBE, SOCRATE, SOZOMENE, THEODORET & EVAGRE, les anciennes notices épiscopales recueillies dans le second volume de l'Antiquité Ecclésiastique du docteur SCHELSTRATE, & pour la connoissance de l'église d'Afrique, où il y avoit une multitude prodigieuse d'évêchés, la notice d'Afrique publiée par le P. SIRMOND, & par SCHELSTRATE, avec la Conférence de Carthage, sont les originaux que j'ai dû préférer aux modernes, tels que font la Notice des Evéchés du Monde Chrétien par AUBERT LE MIRE, & la Géographie Sacrée du Pere CHARLES DE S. PAUL, rectifiée par les notices du favant HOLSTENIUS. L'histoire de la fondation des Eglises Métropolitaines, érigées sous Charlemagne & fous fon fils Louis le Débonnaire, écrite par Crantzius, les origines & l'histoire des ordres Religieux, & fur-tout les annales de l'ordre de Saint Benoît; le martyrologe Romain avec les cartes & les notices du Pere Lubin; la topographie des Saints que M. Baillet a jointe à leurs vies, qu'il a fait imprimer, & quantité d'autres monumens ecclésiastiques anciens ou modernes, que j'ai exactement cités toutes les fois que j'ai allégué leur autorité, répandent un grand jour fur cette partie de la géographie.

LA GEOGRAPHIE CIVILE & POLITIQUE, regarde ou l'antiquité, ou le moyen age, ou le moderne. J'entends par l'antiquité tout ce qui a précédé le fiécle de Constantin. Le moyen âge qui suit, s'étend jusqu'à la prise de Constantinople par Mahomet II, au quinziéme siécle. Quelques Grecs qui se réfugierent en Italie, y donnerent occasion à la renais sance des lettres, qui depuis ce tems-là ont fleuri de plus en plus en Europe. Ce fut dans ce même siécle que la géographie acquit une étendue qu'elle n'avoit point avant les navigations des Espagnols dans l'Amérique, qu'ils découvrirent, & où cette nation a eu l'honneur de porter la foi. J'appelle moderne tout ce qui est postérieur à la derniere époque que j'ai marquée ci-dessus.

Ortelius & Cellarius, font les deux auteurs modernes qui ont traité le plus dignement toute la géographie ancienne. D'autres auteurs en ont exécuté des parties confidérables. Cluvier a savamment écrit sur la Germanie, la Vindelicie, la Norique, l'Italie & la Sicile. Alting, fur la Germanie inférieure. Nicolas Sanson, sur l'ancienne Gaule ; Spon, sur l'ancienne Attique, &c. Mais tous ces ouvrages n'exemptent point un auteur exact de recourir aux fources mêmes où ces savans ont puisé. J'ai néanmoins profité de leurs lumieres, & les ai cités ; mais en vérifiant sur les originaux, & lorsque quelques-uns m'ont manqué, j'ai marqué que je ne citois qu'en second, afin de ne me point rendre responsable d'une citation dont j'ignorois la fidélité. Quand M. Baudrand ne fait que copier Ortelius, je ne cite que ce dernier; mais quand l'arricle est de M. Baudrand, que M. Corneille cite M. Maty, & que celui-ci ne fait que traduire M. Baudrand, je ne cite que M. Baudrand, à moins que ce ne soit une faute qui leur foit commune à tous les trois.

STRABON, POMPONIUS MELA, PLINE, PTOLOME'E & PAUSANIAS sont; pour ainsi dire, les principaux arcs-boutans de la géographie ancienne: il faut y joindre SOLIN, copiste de Pline, & tous les petits géographes Grecs que M. Hudson a recueillis en quatre volumes à Oxford. Mais cela ne suffit pas. Les bons historiens font de véritables géographes. HERODOTE, DIODORE DE SICILE; DENYS D'HALICARNASSES POLYBE, DION CASSIUS; XIPHILIN, ZONARE, PLUTARQUE, & autres Grecs, & parmi les Latins TITE-LIVE, JULES-CESAR, SUETONE, TACITE, les écri vains de ce qu'on appelle l'Histoire Auguste, АмMIEN MARCELLIN, &c. font des guides qu'on ne doit jamais perdre de vue; mais on doit y ajouter ce que les savans modernes leur prêtent de lumieres par leurs judicieuses critiques. ETIENNE, que j'appelle le géographe pour le diftinguer des autres de même nom, seroit d'une utilité bien plus grande qu'il n'est, si Hermolaüs ne l'avoit pas misérablement estropié, & fi cet ignorant maître d'école n'avoit pas fait un mauvais livre de grammaire, d'un dictionnaire, qui vraisemblablement étoit une excellente géographie, à en juger par les restes qu'il y a laissés. Les anciens itinéraires, tels que font la table de Peutinger, l'itinéraire d'Antonin & celui de Bordeaux à Jérusalem, sont des oracles obscurs & trompeurs quelquefois à la vérité; mais que doit nécessairement consulter quiconque veut éclaircir la géographie ancienne. Je l'ai fait dans tout le cours de cet ouvrage. L'impudence avec laquelle ces noms étoient faussement cités par des auteurs qui ne les lisoient pas, m'a jetté bien des fois dans l'étonnement, & j'en ai été trop indigné pour me risquer à commettre la même faute.

Que nous importe, dira quelqu'un, la connoissance de Villes qui ne subsistent plus depuis long-tems? J'avoue sans peine que cela n'importe en aucune façon ni au fermier général, dont la géographie se borne aux bureaux de ses recettes, ni au chanoine qui mange dans une molle oisiveté les revenus d'une prébende bien fondée: encore moins au laboureur qui passe une vie dure & laborieuse à cultiver la campagne qui le nourrit. Mais n'y a-t-il que ces hommes-là dans le monde ? Les gens d'étude savent combien il est doux, en trouvant un nom géographique inconnu, d'avoir un recueil où l'on puisse trouver tout d'un coup quels auteurs en parlent, & ce qu'ils en disent.

La GÉOGRAPHIE DU MOYEN AGE est encore plus difficile à débrouiller. Les livres Du moyen âge. qui la fournissent, sont d'une lecture désagréable pour la plûpart. Ce tems d'interruption pour les sciences fournit peu de géographes de profession; mais en échange on trouve une foule d'historiens & de chroniqueurs. Entre ceux qui entrent dans le corps de l'histoire Bysantine, PROCOPE mérite d'être diftingué. Il est riche en descriptions, il traite souvent assez au long les origines & les migrations des peuples. Ses histoires des Goths, de la guerre des Wandales, de celle des Perses, & fur-tout ses quatre lives des édifices de Justinien m'ont beaucoup servi. Les historiens des Croisades, Paul Varnefrid & Jornandes, les anciens auteurs de l'histoire de France, les Chroniques recueillies en corps d'ouvrages, tant en France qu'en Italie & en Allemagne, sont d'excellens répertoires, dont j'ai fait usage dans l'occasion. HADRIEN DE VALOIS, dans sa Notice des Gaules, & l'auteur du quatriéme livre de la Diplomatique, m'en avoient donné l'exemple, & je l'ai suivi felon mes forces.

J'ai dit que le moyen âge fournissoit peu de géographes. Il a eu pourtant les siens. Je n'ose mettre de ce nombre l'inutile rapsodie imprimée sous le titre de Cosmographie d'ÆTHICUS. L'ANONYME DE RAVENNE & le moine Cosmas, le premier latin barbare, le second grec, qui n'est guères plus poli, sont presque tout ce qui nous reste des auteurs qui avoient traité la géographie de propos délibéré. Je doute même qu'on doive le dire du second. Dans le douziéme fiécle deux voyageurs, savoir RUBRUQUIS & MARCO PAOLO Vénitien, parcoururent l'Afie; le premier jusque chez le Kham des Tartares, vers qui S. Louis l'envoyoit, l'autre alla au travers de la Tartarie jusqu'à la Chine. J'ai souvent regretté que les écrits de Castorius, auteur Lombard, que l'anonyme de Ravenne nomme très-souvent, & dont il ne me paroît que l'abréviateur, ne soient pas venus jusqu'à nous. En récompense les sciences négligées en Europe étoient florissantes en Afie. ABULFEDA, NASSIR-EDDIN & ULUG BEIG ont été de vrais & savans géographes. Le livre Arabe, connu en latin sous le titre de la Géographie de Nubie, est un ouvrage fait en Sicile par le schérif EDRISI, qui vivoit dans cette isle au douziéme siécle sous le roi Roger. Il est d'autant plus utile, qu'il marque les distances itinéraires par milles & par lieues. Voilà à quoi se réduisent, si je ne me trompe, les écrivains Arabes qui ont acquis de la réputation, & dont les ouvrages font parvenus en Europe; car je n'ai pu consulter ceux qui font en manufcrit, ou dans l'Asie, ou ce qui est la même chose pour le public, dans les armoires de quelques bibliothéques de France ou d'Italie. On a publié depuis peu d'années des histoires tirées des auteurs Arabes, telles que celles de Genghizcan & de Timur-Beck, dans lesquelles on peut apprendre des choses très-curieuses touchant l'Asie du moyen âge.

Les médailles du haut & du bas Empire ne sont pas à négliger pour les géographes. Le P. Hardouin a fait voir dans plusieurs traités de quel secours elles font, foit pour faire connoître le vrai nom d'une ville, soit pour décider souvent de quelle province elle étoit, & comment on la diftinguoit d'une autre de même nom. Leur témoignage est d'autant plus P précieux qu'il n'a point été corrompu comme celui des manufcrits, par l'ignorance ou par le sommeil des copistes.

Utilité des
Médailles,

Ce fut dans le quinziéme siécle que les arts & les sciences reprirent vigueur en Europe; Dela Géographie

on vit alors le commencement de ces découvertes qui ont augmenté la géographie de moitié. Elle devint plus vaste depuis cette époque, mais plus agréable par plus d'une raison. Ce ne font plus des noms dont il faille chercher le rapport avec les noms d'aujourd'hui, ce font les mêmes noms. Ces découvertes font racontées dans des relations de voyages & de navigations, dont la lecture attache le lecteur par la diversité & par le merveilleux des événemens. La curiofité ou l'envie de s'enrichir dans les uns, un zèle apostolique dans les autres, ont porté aux extrémités de l'Univers des hommes courageux, qui, à travers des dangers in. nombrables, n'ont paslaissé de pénétrer dans ces lieux où les anciens, faute de les mieux connoître, plaçoient des déserts impraticables peuplés de monstres horribles, ou des mers aussi peu navigables que le Styx, le Cocyte ou l'Acheron. On a vu durant le siécle paffé, & depuis le commencement de celui-ci les voyages se multiplier, de forte qu'il y a présentement dans le monde connu peu de nations qui n'ayent été visitées & décrites par quelque auteur. Les voyages offrent une riche moisson, pourvu qu'ils foient écrits fidélement. Mais il faut faire un choix: il y en a d'excellens, il y en a de bons, il y en a de suspects, & enfin il y en a de fabuleux.

Je compte entre les premiers pour l'Asse, ceux qui entrent dans le recueil des voyages faits pour la compagnie hollandoise des Indes orientales; ceux de Pietro della Valle, de Thevenot, d'Olearius, de François Pirard, de Chardin, de MM. de Choisi, de la Loubere, du P. Tachart, de l'abbé Gervaise; du P. Le Comte pour la Chine, du P. Martini pour le Tonquin, de M. de Tournefort pour l'Asse Mineure & l'Archipel; de le Brun, de Nicolas de Graaf, ce lui de Beaulieu, & quelques-uns qui sont inférés au grand recueil de Thevenot; ceux de Baldeus ministre Hollandois, Maundrell, &c. Pour la Grece, Spon, Wheler, & un petit nombre d'autres. Pour l'Afrique, Vanleb, Rennefort, Flacourt, Bosman & le Maire. Pour l'A

moderne.

TROISIE'ME
PARTIE.

Plan de tout
L'ouvrage,

یں

P

mérique, Champlain, Rochefort, le P. Hennepin, le chevalier de Tonti, la Potherie, Denys Gage, Correal, les PP. du Tertre, Labat & Feuillée, & le sieur Frezier. Les voyages autour du Monde par Dampier, par Rogers, avec les Supplémens, font infiniment préférables à certains compilateurs, tels que Dapper, de Laët, de la Croix, & autres que je n'employe que quand les vrais voyageurs ne fournissent rien.

On peut mettre au nombre des bons voyages quantité de relations que des auteurs ont écrites des pays moins éloignés qu'ils avoient parcourus. Celles qui regardent l'Europe font presque innombrables; on doit pourtant accorder un rang diftingué aux voyages de MONCONIS en Angleterre, en Allemagne, &c. à ceux de MM. BURNET & MISSON en Italie; ceci foit dit sans prétendre louer ce que le parti de religion qu'ils avoient embrassé, leur a suggéré de contraire à la foi & à la véríté.

Je ne fais si l'on peut avec justice refuser une place entre les bons voyages à ceux du fieur PAUL LUCAS. On m'a voulu assurer que c'étoit moins fon ouvrage que celui de quelques savans de Paris, qui lui ont prêté leurs plumes, ou, ce qui revient au même, à qui il n'a fait que prêter son nom & fournir quelques mémoires. Quand il feroit vrai qu'il n'auroit fait que donner la matiere, & que le style ne seroit pas de lui, cela n'empêche pas que ses relations ne foient curieuses, fur-tout si elles sont conformes à ce que déposent d'autres voyageurs qui ont fait la même route. On m'a encore assuré comme une vérité que le sieur Lucas n'a jamais passé le Caire, mais que dans cette grande ville il y a des gens qui vendent aux étrangers curieux des relations de voyages, tant de l'Arabie que de la HauteEgypte, & que c'est une de ces relations que le sieur Lucas s'est appropriée, comme s'il avoit remonté le Nil jusqu'aux Cataractes. Il est vrai qu'une telle accufation, si elle étoit vraie, diminue l'opinion que l'on a de la bonne foi d'un voyageur; mais si, ce défaut à part, un voyageur donnoit exactement la relation qu'il tient des gens du pays, elle vaudroit toujours fon prix. Que m'importe de quelle nation ait été le témoin oculaire sur le rapport de qui je dois me fonder, pourvu que le rapport soit vrai & fincere ?

Je mets au nombre des voyageurs suspects ceux dont les récits ont été corrompus, ou par les auteurs ou par les éditeurs; VINCENT LE BLANC, par exemple, qui dans une route que quantité d'autres ont faite aussi bien que lui, crée des villes & des royaumes que personne n'a vus, ni avant ni après lui. TAVERNII VERNIER dont le livre a été malheureusement brodé par Chapuzeau, qui le revoyant pour le style, y mit, dit-on, du sien, & y fourra des ornemens qui en diminuent le vrai mérite. Je dis la même chose de MANDESLO, dont le manufcrit, grossi par Olearius, a été de nouveau défiguré par Wicquefort fon Traducteur. STRUYS est dans le même cas. Cet auteur a perdu le prix de ses longues courses par l'affectation avec laquelle son imagination enfante un merveilleux, quand il ne le trouve pas dans la nature. On en peut voir un exemple dans sa description du mont Ararat, qui pourtant a été copiée par M. Maty.

J'appelle voyages fabuleux, non-feulement ceux de Sadeur, de Maffé, de Leguat, & quantité d'autres qui n'ont pas plus de réalité que les fonges d'un fébricitant, mais encore ceux que des auteurs ont jugé à propos de faire en Grece, en Palestine, en Egypte, & par-tout ailleurs où il leur a plu, sans sortir du voisinage du libraire qui les leur avoit commandés.

Outre ces voyages, on a imprimé depuis environ un fiécle des descriptions savantes & judicieuses de divers pays: le zèle de CAMBDEN, pour la Grande-Bretagne sa patrie, a eu d'illuftres imitateurs. L'Allemagne a eu Martin ZEYLER, homme infatigable, d'une lecture prodigieuse, qui a écrit d'amples Topographies de ses différens états, auxquelles il ne manque peut-être rien que la main d'un pareil homme capable de les continuer jusqu'au tems présent. M. PIGANIOL DE LA FORCE, & le savant abbé de LONGUERUE ont chacun à leur maniere heureusement suppléé, ce qui manquoit à la France de ce côté-là. HERMANIDES pour le Dannemarck & la Nowege, & tant d'autres dont j'ai cité exactement les articles que j'ai empruntés d'eux, applanissent bien des difficultés. Je n'entrerai point dans un plus grand détail des auteurs qui ont traité la géographie moderne. Cela me meneroit trop loin; ce que j'en ai dit suffit à ceux qui trouvant qu'ils pouvoient mieux faire que moi, voudront courir la même carriere, pour les mettre au fait des auteurs que j'ai préférés, & des motifs que j'ai eus de les employer comme j'ai fait.

La GEOGRAPHIE POETIQUE est celle qui cherche sur le globe de la terre les lieux, ou réels ou supposés pour l'intelligence des poëtes & de la mythologie. A l'égard des lieux réels, elle ne differe point de la géographie historique. Mais quant aux lieux supposés, comme L'ISLEDE CALYPSO, & mille autres de cette nature, il me paroît que c'est se mocquer que de rechercher savamment où ils etoient.

Je viens enfin à l'ordre que j'ai suivi dans l'exécution de mon plan.

I. M. Baudrand avoit mis dans sa préface quelques DÉFINITIONS DES TERMES GÉOGRAPHIQUES; de là vient qu'il n'en met point dans le corps du livre. M. Corneille les met dans le livre, mais il en oublie le plus grand nombre, le mot même de Géographie ne s'y trouve pas. J'ai inféré ces termes dans leur ordre naturel en bien plus grand nombre qu'aucun auteur.

II. Tous les peuples ne sont pas d'accord sur les MESURES dont ils se servent pour exprimer la distance d'un lieu à l'autre. Outre qu'ils les désignent par divers noms qu'il faut

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