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Lon peut être admife, parce que les royaumes de Telefin & de Trémecen font maintenant incorporés au royaume d'Alger, & que Barca eft une des dépendances du royaume de Tripoli.

Toute la Barbarie eft fituée fous une des zones tempérées, n'étant ni trop près ni trop loin de la ligue équinoctiale. Toutes les côtes & les montagnes qui font fur le bord de la mer Méditerranée, depuis le détroit de Gibraltar jusqu'en Egypte, font plutôt froides que chaudes, & il y tombe de la neige en certains tems de ly l'année. Les pluies commencent a regner à la mi-octobre par toute la Barbarie; les mois de décembre & de janvier font les plus rigoureux; cependant le froid n'y eft pas fi fenfible qu'on ait befoin d'allumer du feu le froid diminue dès le mois janvier, & le tems eft alors fi inconftant, qu'il change fouvent trois ou quatre fois le jour. Les vents d'occident & du feptentrion y foufflent avec violence dans le mois de mars, & rendent la terre fertile. En avril tous les arbres commencent à fleurir, & fur la fin du même mois on trouve des cerifes mûres dans les royaumes de Fez, d'Alger & de Tunis, & dans quelques places du royaume de Maroc. A la mi-mai on y recueille des figues, & à la mijuillet on y mange en abondance des pommes, des poires, des pruntes & des raisins, cependant la recolte entiere des fruits ne fe fait qu'au commencement de septembre. Le printems commence le 25 février, & dure jusqu'au 28 de mai, & le tems eft toujours beau pendant ces trois mois. Quand il n'y pleut pas depuis le 25 avril jusqu'au ƒ de mai, la recolte n'eft pas bonne. On appelle la pluie qui tombe en ce tems-là l'eau de Naifan, comme qui diroit une eau envoyée du ciel, & on la cueille en de petits vaiffeaux pour la conferver. L'été dure depuis le 28 de mai jusqu'au 16 d'août. I fait alors fort chaud, & particulierement dans les mois de juin & juillet; & s'il vient à pleuvoir pendant ce tems-là, l'air s'enflamme, & caufe beaucoup de fiévres malignes. L'automne commence le 17 d'août, & dure jusqu'au 16 de novembre. On y feme les plaines au mois de février, & les montagnes au mois d'octobre. Les habitans de la Barbarie font de trois fortes, les Africains originaires du pays, les Turcs qui y viennent chercher fortune, & les Arabes qui fe tiennent dans les déferts. Les Africains font de deux fortes; les blancs, qui demeurent fur les côtes, & dans les villes des corfaires, comme Alger, Tunis, Salé, Tripoli, Bone & Bugie; & les noirs, qui font plus avant vers le midi.

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Voici ce qu'on fait de leurs meurs. Un homme peut époufer plufieurs femmes en même tems; cependant la plûpart n'ont qu'une femme légitime, mais ils entretiennent plufieurs esclaves & concubines. Tous les enfans font égaux, & quand le pere eft mort, ils partagent tous également fon bien. Toutes les cérémonies qu'ils obfervent, quand ils fe marient, confiftent en ceci: L'homme fe préfente devant le cadi, & fait une déclaration par écrit comme il prend une telle en mariage. Il peuvent fe féparer quand il leur plaît, & la femme, auffi bien que l'homme, a droit de demander le divorce. Quand c'eft la femme qui abandonne fon mari, le pere eft obligé de donner à l'époux la dot qu'il lui a promife. Quand c'est le mari qui répudie fa femme, il n'en peut rien prétendre, fi ce n'eft qu'il la puiffe convaincre d'adultere. Les filles & les femmes fe tiennent toujours voilées, & même l'époux ne peut voir fon époufe que le foir de fes nôces. Les maris y font fi jaloux, que les femmes n'ofent parler à leurs peres même que le vifage couvert. Ceux qui veulent s'y marier, & s'informer auparavant de la beauté de l'esprit & du bon naturel d'une fille, font obligés de s'en enquerir des peres & des meres. Ils ont plufieurs méchantes contumes; les enchantemens & les fortiléges y font en vogue; quand ils font malades ils s'adressent à des for cieres, qui fe vantent de les guérir avec des caracteres & des paroles tirées de l'alcoran auffi n'ont-ils point de médecins, máis feulement des chirurgiens, & fort peu d'apothicaires & de droguiftes. Leurs dévôts ont de plaifantes fuperftitions; quand ils font malades ils vont vifiter les fépulcres de leurs Morabous, qui font les faints de leur loi, & mettent force viandes

fur la tombe que fi quelque bête en mange, ils s'imaginent que cet animal prendra le mal, & que le malade guérira. Lorsque leurs femmes font dans le travail de l'accouchement, elles envoient chercher des enfans à l'école, & leur donnent un grand linceul à tenir par les quatre bouts, où l'on met un œuf de poule ces enfans fortent & vont chantant dans les rues des prieres qui ont des refrains: les Turcs & les Mores, emus de compaffion, jettent des feaux pleins d'eau au milieu du linceul & au deffus de l'oeuf, s'imaginant que cette effufion fait délivrer les femmes en couche. Voici une autre fuperftition qui n'eft pas moins ridicule. Quand ils ont mal a la tête, ils prennent un agneau ou un chévreau, & le battent jusqu'à ce qu'il tombe par terre, dans l'opinion que le mal paffera de leur tête dans celle de cet animal; mais en revanche ils ont deux autres bonnes coutumes: La premiere, c'est que dans quelques emportemens qu'ils tombent, ils ne prennent jamais le nom de Dieu en vain, & même dans les langues dont ils fe fervent, arabesque, turque & africaine, il n'y a ni juremens, ni paroles de blasphêmes; & quand on furprend quelque renegat, jurant dans les termes de fa langue, on le punit féverement. La feconde coutume, qui n'eft pas moins louable, eft que quelques démêlés qu'ils ayent enfemble, ils n'en viennent jamais aux coups, & beaucoup moins jusqu'à l'affaffinat & à l'homicide.

Les habitans de Barbarie ont l'esprit vif, comme il paroît par leurs ouvrages; ils font fort dévôts, & fort affidus à fréquenter leurs mosquées & à réciter leurs prieres; font extrêmement fenfibles fur le point d'honneur, qu'ils font confiíter dans la chafteté de leurs femme; sils aiment paffionnément les richefies, mais ils font fi modeftes dans leurs discours, qu'on ne les entend jamais proférer en public des paroles deshonnêtes. Les inférieurs répondent d'une maniere fort foumife à leurs fupérieurs, & les filles ont tant de respect pour leurs peres, qu'elles n'oferoient parler de galanteries, ni chanter des airs amoureux en leur préfence. Ceux qui demeurent fous des tentes, fur des montagnes, ou en rafe campagne, comme les Arabes & les bergers, font libéraux, vaillans, laborieux, d'un naturel humble & doux, mais ils font pauvres, & ont beaucoup de peine à gagner leur vie. Les habitans des villes au contraire font arrogans, vindicatifs, cruels à l'égard des étrangers, avares, inquiets, & ne penfant qu'à amasfer de l'argent. Ils ont peu d'intelligence du négoce, quoiqu'ils négocient continuellement, & ne favent ce que c'eft que les banques, les lettres de change, & l'envoi des marchandifes d'une place à l'autre, parce que, comme ils ne fe fient pas aux étrangers, ils veulent toujours être près de leurs marchandifes, & les portent eux-mêmes de côté & d'autre. Ils font vanteurs, fuperbes, méfians & peu laborieux, enclins à croire les bruits de ville, & de mauvaife foi dans le commerce. Ils aiment les fciences, & s'appliquent à l'hiftoire, aux arts libéraux, & à l'intelligence de leur loi, Ils s'adonnoient autrefois beaucoup aux mathématiques, à la philofophie & à l'aftrologie, mais depuis environ cinq cens ans, leurs princes les ont défendues. Ils favent mener un cheval avec beaucoup d'adreffe, & montent & descendent avec une agilité qui furprend les étrangers.

Les principales armes de ceux qui demeurent dans le milieu du pays font de longues piques, qu'ils manient avec beaucoup de dextérité; mais les peuples qui demeurent fur les côtes fe fervent auffi d'armes à feu.

Les habitans de Barbarie ne paffent pas d'ordinaire l'âge de foixante-cinq ou foixante-dix ans, fi ce n'eft ceux qui fe tiennent fur les montagnes, où l'on trouve des vieillards au-deffus de cent ans, qui font encore forts & robuftes, & labourent la terre comme de jeunes gens. Les habitans des côtes, à caufe des vents qui y foufflent, font fujets à moins de maladies que ceux du plat pays.

La Babaric fournit les pays étrangers beaucoup de marchandifes, comme de peaux de bœufs, de toiles de lin de coton, de raifins, de dattes, de figues, &c. On peut comprendre combien ce royaume étoit autrefois floriffant, par les dépenfes que faifoient les rois de Fez: il en eut un qui employa 48coco écus à bâtir un collége, un autre 700000 à élever un château,

& un autre quatre fois autant à rebâtir une ville. Le pays n'est pas aujourd'hui moins riche ni moins puisfant, comme il paroît par les revenus prodigieux des rois de Maroc & de Fez, des bachas, & autres grands feigneurs de Tripoli, d'Alger & de Tunis; par leur commerce avec les François, les Anglois, les Hollandois, les Vénitiens, les Genois, ceux de Hambourg, &c. fans parler des marchandises défendues, dont les corfaires trafiquent dans les ports d'Espagne & d'Italie, à quoi le gouverneur ferme les yeux. Le grand nombre de mosquées, & leurs grands revenus, font auffi des marques des richeffes de la Barbarie: il y en a cent à Alger, trois cens à Tunis, autant à Fez, fept cens à Maroc, dont les principales ont 200 ducats de rente par jour; ajoutez à cela que, lorsque ceux d'Alger s'emparerent de Fez, ils y trouverent 26000000 & que, lorsque Charles-Quint emporta Tunis, qu'il abandonna au pillage à fes foldats, les trois principaux généraux de fon armée eurent chacun pour leur part 300000 ducats monnoiés. De plus les Juifs, qui trouvent un afyle affuré dans ce royaume, donnent beaucoup pour pouvoir exercer impunément leurs ufures; encore ce profit n'eft pas comparable au butin que font les corfaires d'Alger & de Tunis. Ainfi la Barbarie feroit un pays invincible, fi elle étoit bien unie, & que tous les habitans fuffent fe fervir des armes à feu & de la poudre à canon, comme les Turcs & les fujets du royaume de Fez & de Maroc. Une partie de la Barbarie appartient à des monarques, comme à ceux de Maroc & de Fez, & à quelques autres rois Arabes & Africains; une autre partie, comme le royaume d'Alger, de Tunis & de Tripoli, eft fous le gouvernement des bachas ou vicerois, qui dépendent abfolument du grandfeigneur. Il y a auffi des rois vaffaux, comme ceux de Concué & de Labez, qui font tributaires d'Alger, & les petits rois ou chéques des Arabes, qui font obligés de fournir une certaine fomme d'argent & un certain nombre de gens de guerre en cas de néceffité. Il y a auffi des peuples qui vivent en républicains, comme ceux qui fe tiennent à la campagne & fur les monta gnes de Barbarie. Dans toutes les villes où le grand feigneur a un bacha, il y a auffi un cady pour rendre la justice, qui juge en dernier reffort de toutes les caufes civiles & criminelles. Par toute la Barbarie chacun plaide foi même, excepté dans la ville de Salé, où les Maures, qui en font les maîtres, plaident à la maniere des Espagnols, par avocats & procureurs. Fez n'eft plus qu'une annexe de la couronne de Maroc; il faut s'en fouvenir dans tout cet article. Dans les articles particuliers on verra que cela eft préfentement changé, & que cette dépendance n'a presque plus rien de réel,

Il y a en Barbarie des Mahométans, des Chrétiens & des Juifs pour les pay fans qui errent dans les campagnes avec leurs troupeaux, ils n'ont point de religion. Les Mahométans font le plus grand nombre. Ils n'ont point d'images dans leurs mosquées, mais quantité de lampes, quelquefois jusqu'à 600. Il y a au devant une espéce de chapelle, ou d'oratoire, dans la muraille, où fe tient l'iman, ou morabou, c'est-à-dire, le prêtre, C'est là qu'il fait la priere qu'on nomme Sala. Le peuple répete les mêmes mots & fait les mêmes grimaces, levant les mains & les yeux au ciel, baifant plufieurs fois la terre, après s'être lavé la bouche, le nez, les yeux & les oreilles, l'extrémité des pieds, au moyen de quoi ils s'imaginent de purifier leur ame. Avant que d'entrer, ils laiffent leurs fouliers à la porte, ils n'ofent y cracher que dans leur mouchoir, ni fe parler que dans une extrême néceffité. On ne permet pas aux femmes de venir dans les mosquées, de peur que leur vue n'interrompe la dévotion des hommes, & ne leur faffe naître des pensées impures. On fait la priere Sala cinq fois le jour; à l'aube du jour, à midi, à quatre heures après midi, entre fix & fept heures du foir, & à deux heures après minuit; mais il n'y a que les dévots qui s'y trouvent, car on ne contraint perfonne. Ce font ces cinq prieres qui marquent la divifion du jour, parce qu'ils n'ont ni cloches, ni horloge, fi ce n'est peut-être quelque grand feigneur dans fa maison. Il y a dans toutes les mosquées des gens gagés, pour appeller le monde à la priere; ils montent fur le corri

dor d'une tour fort haute, où ils plantent un drapeau. Après quoi, le morabou fe tournant premierement du côté du midi où eft la Mecque & le fépulcre du pro phete, & mettant les doigts dans fes oreilles, pour former un fon plus grand & plus diftinct, crie de toute fa force: Dieu eft, & Mahomer eft fon Prophéte ; fidéles à la priere ; il fe tourne enfuite des autres côtés, & prononce les mêmes paroles. Quand la priere eft faite, on va chercher le drapeau. C'eft pourquoi, lorsque les Turcs veulent fçavoir quelle heure il eft, ils demandent fi le morabou a crié, ou regardent fi le drapeau eft fur la tour, à quoi ils peuvent conjecturer quelle heure il eft. Quand le morabou de la principale mosquée a crié, tous les autres le fuivent avec des grimaces fort plaifantes. Le vendredi eft leur jour de repos; ce jour-là ils vont en foule aux mosquées, particulierement l'après midi, mais après la priere chacun retourne à fon travail. Ils ont des chapelets compofés de cent grains de corail, mais qui ne font point diftingués par des croix, ni par la groffeur des grains: lorsqu'ils les recitent, à chaque corail qu'ils touchent, ils difent fta Ferlach, Dieu me conferve. Et cette maniere de prier eft fi commune parmi eux, qu'ils s'en vont dans les rues, leurs chapelets pendus au cou, répétant ces paroles à haute voix. Ils célèbrent toutes les années pendant un mois une fête qu'ils appellent Ramadan. Durant tout ce tems-là ils s'abftiennent de manger depuis le matin jusqu'au foir, & même de peur de rompre le jeûne, ils n'ofent fumer. Il n'est pas jusqu'aux corfaires qui ne gardent ce jeûne ; & quand on attrape quelque renegat qui l'enfraint, on lui donne cent ou deux cens coups de bâton fous les plantes des pieds, en punition. Mais d'abord que la nuit eft venue, ils mangent & boivent tout leur foû, & même, après qu'on a dormi quelque tems, il y a des gens établis qui font le tour de la ville, & excitent le peuple au fon du tambour à fe remplir le ventre, pour fupporter mieux le jeûne du jour fuivant. La folemnité du Bayran, qui eft la pâque des Mahométans, dure trois jours, pendant lesquels ils offrent grand nombre de brebis, les diftribuent aux pauvres, & fréquentent leurs mosquées avec beaucoup de zèle. Les prêtres & les faints de Barbarie font de deux fortes, les fanctons & les morabous. Leur chef, qui s'appelle moufti, demeure dans les villes, & juge des caufes eccléfiaftiques. On trouve grand nombre de ces morabous dans les villes, les fauxbourgs & à la campagne, où ils vivent ordinairement dans de petites cellules; les Maures ont tant de respect pour eux, que lorsqu'on a commis quelque crime, on peut s'y retirer comme dans une afyle affuré. De ces prétendus faints il y en a qui menent une vie fort furprenante; quelquefois par la force de l'imagination, ils font comme ravis hors d'eux-mêmes, & courent toute la ville pieds & & tête nue, avec un méchant habit & un bâton à la main, dont ils donnent des coups, tantôt fur l'un, tantôt fur l'autre, mais non pas rudement. Sur quoi les battus s'eftiment fort heureux, s'imaginant que cela diminue leurs péchés. Ces hypocrites s'adonnent ordinairement à la magie, & promettent de guérir toutes forres de maladies, en vertu de certains caracteres & certains mots qu'ils prononcent. Dans Alger, & dans d'autres villes de Barbarie, il y a plufieurs petites mosquées où font enterrés de ces morabous, qu'on honore comme des faints; on allume quantité de lampes devant leurs tombeaux, & on les va vifiter quand on eft malade. Les fous & les innocens font respectés parmi eux, mais particulierement ceux qui tombent du haut mal, parce que Mahomet étoit atteint de cette maladie, & leur faifoit accroire que Dieu lui réveloit alors les mysteres de fa religion, par le miniftere de l'Ange Gabriel. Leur plus grande fête eft celle de fa naiffance, qu'ils célèbrent avec grande pompe le s de septembre. Tous les maîtres d'école amenent leurs enfans dans la principale mosquée, d'où ils fortent en ordre, chacun avec une torche à la main, chantant dans les rues les louanges de Mahomet. Deux de ces maîtres portent fur leurs épau les une grande pyramide d'ouvrages à fleurs en relief, qui fupporte une croix, & font fuivis de joueurs d'inftrumens. On tapiffe les carrefours, & on les orne d'une infinité de lampes ardentes. A minuit on allume

in Яambeau dans chaque maison, & on le met fur la table, où on le laisse brûler jusqu'à ce qu'il s'éteigne de lui-même : la raifon de cette coutume eft que Mahomet eft né à cette heure. Cette fête dure huit jours, pendant lesquels il eft permis à toutes fortes de perfonnes, & même aux Chrétiens, d'aller la nuit dans les rues, ce qui leur eft défendu fous peine de punition corporelle dans un autre tems. Les cuifiniers du divan, qui font plus de deux cens, portent chacun une serviette fur les épaules & une torche ardente à la main, s'efforçant à l'envi de donner des marques de joie dans cette folem nité. Pour cet effer, fur le jour depuis fept heures jusqu'à onze, ils s'en vont deux à deux dans les rues, & s'arrêtent devant la porte d'un des principaux du divan, où ils chantent fur les inftrumens les louanges de leur prophéte. La derniere remarque que je ferai fur les cérémonies des Mahométans de Barbarie concerne leurs funerailles. Quand quelqu'un eft mort, les parens louent certaines femmes pour pleurer le défunt; elles fe rangent autour du corps, pouffent des cris & des lamentations pitoyables, & fe déchirent le vifage jusqu'à ce que le fang coule. En même tems on met le mort dans une caiffe de bois, fur laquelle on étend un tapis verd avec un turban par deffus. A mesure qu'on fort le corps, la tête la premiere, on entend une confufion de cris & de hurlemens; & tandis qu'on le porte en terre, il y a des morabous payés pour cela qui chantent inceffamment, Dieu eft Dieu, & Mahomet eft fon Prophéte. On ne met pas le corps couché de fon long, mais affis, & la tête qui aune pierre pour chevet, est tournée du côté du midi, qui eft celui de la Mecque. Leurs cimetieres font fort grands & fitués autour des villes. Ils n'enterrent pas les morts dans les mosquées, mais en rafe campagne, où chacun a une pièce de terre, qu'il fait fermer de murailles & planter de fleurs, foit pour fervir d'ornement, foit pour marquer la fragilité de la vie. Tous les vendredis les femmes portent des viandes & des fruits fur ces cimetieres, & les laiffent là pour la nourriture des pauvres & pour pâture aux oifeaux, après en avoir goûté, s'imaginant que c'est une œuvre de charité, & qui foulage l'ame des défunts, que de nourrir les oifeaux & les bêtes.

Elles prient dans ce lieu pour leurs maris, & leurs parens décédés, leur difant ces paroles comme pour les confoler, attendez en patience le jour de la réfurrection. C'est que les Barbares croient, que les ames des morts attendent dans le fépulcre la refurrection, & que la préfence de leurs femmes & de leurs amis, qui leur viennent rendre vifire, les confole extrêmement. Les Juifs de Barbarie ne different point des autres. Il y en a un fi grand nombre dans les villes de Darac, Alger, Tunis, & dans une partie du royaume de Fez, qu'on y compte plus de 160000 familles juives. Les Chrétiens ne font maîtres en Barbarie que de quelques places qui appartiennent à l'Espagne, comme Larache, Oran, Mamorre & Tanger, que les Portugais on cédées aux Anglois. L'Espagne ne poffede plus que Ceuta; les Portugais & les Anglois n'ont plus rien en Barbarie. Gramaye écrit qu'il y a dans le pays de Maroc, dans Fez & dans la Libye, quelques reftes des anciens chrétiens, qui difent la meffe des Mofarabes, ou Moxarabes, traduite de latin en Arabe, & environ 170 familles grecques qui ont une vénération particuliere pour S. Etienne. Il y a auffi plufieurs chrétiens de toute forte de nations, François, Espagnols, Hollandois, que les corfaires font esclaves, & les vendent en leur pays, fans qu'on les puiffe racheter qu'avec une rançon énorme, fi ce n'est qu'ils fe fauvent, ce qui arrive rarement, ou que les chrétiens les reprennent. Ces pauvres gens menent la plus miférable vie du monde; on les bat, on les maltraite, on leur impofe des tras vaux horribles, s'ils n'ont le bonheur de rencontrer quelque maître doux & équitable. C'eft dans les royaumes d'Alger & de Tunis que les esclaves font le plus maltraités. L'auteur parle fur les mémoires exagérés de quelques écrivains peu inftruits. L'hiftoire du royaume d'Alger, publiée depuis l'impreffion de l'article d'Al ger, en donne une idée plus vraie & moins effrayante. On n'a pas tant de cruauté dans ceux de Tripoli & de Fez. On vend les uns à des gens qui demeurent à la

campagne, & ces maîtres leur font porter du foin ur les épaules, ou mener des ânes chargés au marché, & pour cela ils font obligés de livrer tous les jours à leurs maîtres une certaine fomme d'argent, à peine d'être battus. On emmene les autres dans le Biledulgerid chez les Arabes qui leur font garder les troupeaux, ou mener la charue, ou la tirer accouplés avec des ânes, ne leur donnant pour tout aliment, que de l'eau & de la farine; mais on ne leur épargne pas les coups. On met les autres fur les galeres, où on les fait ramer à grands coups de nerf de bœuf, fans leur donner autre chose que de l'eau & du biscuit. Les esclaves qui fervent dans les villes & dans les maifons font l'office des bêtes de fomme; on leur fait porter de l'eau dans la ville, des marchandifes dans les boutiques, des viandes au marché, & du fumier aux champs & aux jardins; on leur fait charier les ordures de la maifon fur le bord de la mer, paîtrir le pain, mais toujours battus & enchaînés. Il y a toutes les années grand nombre d'esclaves, qui ne pouvant plus fupporter les mauvais traitemens qu'on leur fait, & qui d'ailleurs, étant amoureux de la liberté & pleins d'espérance de devenir janiffaires ou de faire fortune par le mariage, fe font circoncire, & embraffent la doctrine de Mahomet. Il fe trouve aussi beaucoup de femmes riches, qui, pour les y porter leur donnent la moitié de leur bien, & même des veuves de qualité, qui fe marient à leurs esclaves, pour les amener à leur religion, parce que c'est parmi eux la plus grande de toutes les œuvres de charité, que de convertir un infidéle, ou un chrétien. (11s ne gagnent guères; car leur apoftafie ne les tire point de l'esclavage.)

Voici comment on punit ceux qu'on peut convaincre d'être dans le deffein de renoncer à la doctrine de Mahomet. On les dépouille tout nuds, & les ayant frottés de graiffe, on leur met une chaîne autour du corps; on les conduit au lieu du fupplice, où on les attache à un poteau, & on les réduit en cendres; fouvent on leur coupe quelque membre avant que de les jetter au feu. On empale ceux qui font accufés de confpiration ou de trahifon, ou bien on les précipite, pieds & poings liés, du haut d'une tour fur un crochet de fer, où ils demeurent fuspendus tantôt par le ventre, tantôt par la tête ou par quelque autre partie du corps, & vivent dans les tourmens plufieurs jours de fuite. D'autres fois on les lie avec une corde par le milieu du corps, on leur attache les bras & les jambes avec quatre clous contre les murailles de la ville, en forme de croix, & on les écorche tout vifs, ou on les pile dans un mortier. Le fupplice du crochet eft auffi fort en ufage chez les mahométans. On pend deux crochets à un gibet, où l'on attache deux chaînes, l'une plus longue & l'autre plus courte, le boureau monte le premier jusqu'au haut de l'échelle, & ayant percé la main du patient, l'attache à la chaîne la plus courte, & descendant enfuite jusqu'au milieu de l'échelle, il lui perce le talon droit, & l'attache à la chaîne la plus longue; on laiffe-là ce malheureux fans manger ni boire, & il demeure fouvent en vie pendant trois ou quatre jours. Les Barbares puniffent fur mer les criminels en plufieurs manieres. Après leur avoir fait effuyer plufieurs tourmens, ils les attachent au grand mât & les percent de fléches, ou ils leur coupent bras & jambes, & mettent le tronc du corps à la bouche d'un canon qui le réduit en piéces dès qu'on tire. Ecarteler un mi→ férable, en lui attachant les mains & les pieds à quatre vaiffeaux, qui cinglent enfuite vers les quatre vents; précipiter les patiens du haut d'un écueil, les découper en morceaux & jetter leur chair aux poisfons, font des fupplices communs parmi eux. Etre pendu, ou coufu dans un fac, & jetté dans la mer, paffe pour une punition fort douce. C'eft un crime digne de mort que de mettre les mains fur un janisfaire, ou de porter une fraife qui eft la marque d'honneur qui diftingue les janiffaires d'avec les autres, ou de tâcher de féduire une mahométane. Cependant ils font plus indulgens fur ce dernier point, parce qu'ils s'imaginent qu'ont peut effacer toute forte de péchés en fe plongeant dans l'eau de la mer.

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H

que fa chair feroit impure & défendue. Leur boiffon eft de l'eau claire & du forbet, parce que leur loi défend de boire du vin, mais il y en a beaucoup qui ne tiennent pas grand compte de cette défenfe. Des tapis de cuir de Turquie étendus par terre, leur fervent de nappe, & leurs mouchoirs de ferviettes, fi ce n'eft qu'au tems des fêtes folemnelles, on met à côté des tapis un linge bleu pour s'y effuyer. Leurs uftenfiles font d'étain ou de terre, & leurs cuilliers de bois, les perfonnes même de la premiere qualité n'ayant pas la permiffion d'en avoir d'argent. Il n'y a que le fultan qui foit fervi en vaisfelle d'or. Ils s'affemblent d'ordinaire le matin dans de grandes rues, où il y a des marchands, & paffent le tems à parler, à boire du caffé, & à fumer du tabac, à quoi ils font fi adonnés, qu'ils n'entrent jamais dans une maison, qu'on ne leur préfente de l'un & de l'autre.

Lorsqu'ils veulent faire la débauche, ou foulfre, comme ils parlent, ils s'enferment dans une chambre de leur maifon, où ni femmes, ni enfans ne peuvent entrer, & demeurent là tout un jour & une nuit à manger, boire & fumer. Mais ils ne jouent jamais ni aux cartes, ni aux dés, ni aux boules, ni à aucun de nos jeux, hormis aux dames, encore eft-ce toujours fans argent. Les bains chauds font fort en ufage parmi eux; il ne fe paffe point de femaine qu'ils ne s'y mettent, les hommes le matin, & les femmes l'après midi. Il y en a dans toutes les villes, & presque dans toutes les rues, qu'on peut prendre à grand marché. On ne comprend point dans ces bains les ablutions & purifications, auxquelles la loi de Mahomet les oblige, avant que d'aller à la priere.

Ils n'ont presque point de meubles, & leur lit con- tuent jamais de bêtes qu'ils ne prononcent ces paroles; fifte en un matelas étendu fur des ais, depuis une mu je te tue au nom de Dieu; en même tems ils se tournent raille jusqu'à l'autre, où ils couchent avec leurs caleçons; du côté de la Mecque, & coupent tout net la tête de l'ails étendent au-devant une espèce de courtine qui fé-nimal, afin qu'il en feigne mieux, fans quoi ils croient pare le lit de la chambre, de forte que leur lit reffemble à un théâtre de comédie. De l'autre côté de la chambre, ils enchâffent des bâtons, qui leur fervent de portemanteaux pour pendre leurs hardes & leurs habits. Ils n'ont ni tables, ni chaifes, ni escabeaux ; ils ne font qu'étendre un grand rapis par terre, avec des couffins carrés, fur quoi les perfonnes de qualité s'asféyent. Pour les pauvres gens, ils fe contentent d'une hatte de feuilles de palmier, fur laquelle ils s'afféyent, kes jambes en croix & les pieds en dedans, comme les tailleurs de ce pays. Les hommes portent fur la che nife des caleçons de toile fort larges, & par-deffus une robe raiée qui leur descend jusqu'aux genoux, faire de drap, ou de foie, & attachée par-devant avec des boutons d'or ou d'argent. Les manches ne viennent que jusqu'aux coudes, fur quoi ils retrouffent les manches de la chemise, mais ils vont auffi fouvent les bras nuds. Ils ne portent ni fouliers ni bas; mais les grands ont au lieu de bas des bottines de cuir de Turquie. Ils fe font rafer ou arracher tous les cheveux, excepté un petit toupet qu'ils laiffent au milieu de la tête, par où ils croient que Mahomer les emportera en paradis, comme l'ange fit Habacuc vers Daniel dans la foffe des lions. Il y en a qui fe font arracher le poil de la barbe, & n'en réfervent que deux moustaches, qu'ils laiffent venir fort grandes, d'autres portent la barbe longue & ronde, particulierement ceux qui font avancés en âge. Leur turban eft de laine rouge, enveloppé d'une piéce de coton blanche, & longue de cinq ou fix aunes. Ceux qui fe vantent d'être descendus de Mahomet, ou qui ont été deux fois en pélerinage à la Mecque, portent un turban de laine rouge avec le nom d'émirs & de cherifs. Leurs fouliers font de cuir jaune ou rouge, finiffent en pointe, & n'ont ni oreilles, ni coup de pied, reffemblant plutôt à des pantoufles qu'à des fouliers; mais ils font ferrés par-deffous à la maniere des Turcs. C'elt parmi eux une marque de propreté & de civilité, que de fe déchauffer à l'entrée des maifons. Ils portent au côté trois beaux couteaux, deux grands & un petit dans une gaine d'argent, qui a un pied de long; enrichie de turquoifes & d'émeraudes, & qui coûte fouvent plus de cent écus. Quand ils veulent faire de F'eau, ils fe courbent fur leurs genoux jusqu'à terre, croyant qu'il eft ridicule & honteux de fuivre en cela la coutume des Européens. Quand on voit quelque chrétien qui s'émancipe à piffer contre les murailles, on l'accable d'injures & de pierres. De plus les Barbares prennent grand foin d'éviter de fe fouiller par la moindre goutte d'eau, de peur d'être obligés à s'aller laver incontinent. Les femmes font presque habillées comme les hommes: elles ont un couvrechef de fin lin, mais elles ne portent point de mouchoir, & fe couvrent d'une robe qui leur descend jusqu'à mi-cuifle. Les femmes. riches portent cinq ou fix pendans à chaque oreille, des habits de foie, & des bracelets de pierres précieufes. Elles ont accoutumé de fe frotter le bout des doigts avec une heibe appellée Gueva, qui eft peut-être la même que notre patel commun, & qui teint en bleu. Lorsqu'elles veulent aller en ville, elles prennent des caleçons de coton, qui leur pendent jusqu'aux pieds, fe mettant un bandeau fur le front, un linge blanc fur ke vifage, & s'enveloppent tout le corps d'un manteau de coton ou de poil de chèvre, où elles mettent les mains dedans en forme de croix ; de forte qu'il eft impoffible de les reconnoître dans les rucs. Mais en entrant dans la chambre de leurs amies, elles mettent bas tout cet attirail, laiffant cependant leurs fouliers à la porte, de peur que le maître de la maifon n'y entre; ce que le mari de celle qui rend vifite prendroit en fort mauvaise part. Elles font tous leurs efforts pour paroître belles: leur grand fard eft de l'antimoine brulé avec quoi elles fe noirciffent les cheveux & les paupieres, s'imaginant que c'eft une fort belle parure.

Les peuples de Barbarie ne mangent presque jamais de viandes feches; ils fe nourriffent ordinairement de riz, de chair de mouton, de bœuf & de veau ; ils ne de bœuf & de veau; ils ne

Il y a dans chaque ville plufieurs écoles, où l'on apprend aux enfans à lire prend aux enfans à lire, à écrire, & à chiffrer; mais rien de plus : quand on les châtie, on fe fert au lieu de fouet d'une baguette de bois, avec quoi on leur donne des coups fous la plante des pieds. On leur fait lite l'alcoran d'un bout à l'autre. Quand un écolier a parcouru fon livre, on lui donne un bel habit, & fes compagnons le menent en triomphe par la ville, & publient fes louanges à haute voix.

La plupart des fleuves de Barbarie fortent du mont Atlas, & fe déchargent dans l'Océan & dans la mer Méditerranée. Les fources de cette montagne ont un goût de terroir,& font presque toutes bourbeufes, principalement fur les confins de la Mauritanie. Toute la côte de Barbarie le long de l'Océan, & les plaines qui font entre cette mer & le grand Atlas, depuis l'extrémité du pays de Suez jusqu'au détroit de Gibraltar, font extrêmement fé condes en bled, en orge & en pâturages. Les côtes de la mer Méditerranée, depuis les confins orientaux du royaume de Tripoli, jusqu'au détroit de Gibraltar, font un pays roide & plein de montagnes, qui avancent vingt ou trente milles dans les terres. Entre ces montagnes & le grand Atlas, il y a des plaines & des petits côteaux; & tout le terroir eft fécond en bleds & en pâturages, en arbres toufus, en fontaines & en rivieres, qui vont porter leurs eaux dans la mer Méditerranée. Cette belle campagne dure jusqu'à Carvan; mais un peu plus haut il y a des déferts fablonneux. Audelà de ces plaines, la terre eft entrecoupée de vallons& de côteaux, jusqu'au grand Atlas, où l'on trouve des montages abondantes en forêts & en herbages, mais peu fertiles en bled. Sur les côtes de Barbarie, dans le quartier fitué près du petit Atlas, qui eft plutôt froid que chaud, on ne trouve pas beaucoup de bled, mais abondamment de l'orge, qui eft fort en ufage parmi ces peuples. Toutes ces montagnes font pendant tout l'été pleines d'ombrages frais & de pâturages verds, mais l'hyver, il tombe tant de neiges, qu'on en feroit étouffé fi l'on y demeuroit. Les montagnes du grand Atlas font inhabitables en plufieurs endroits, à caufe de leur rudeffe & de leur froideur exceffive, & même en été l'eau des fontaines eft fi fraîche, qu'on court risque de perdre la main, fi on la tient long tems dans cette eau. Mais toutes ces montagnes ne font pas également froides ; il y en a dont l'air eft fort tempéré, & qui font

auffi fort peuplées. Les plus roides & les moins agréables, font fituées au-delà de la province de Trémecen, & celles qui font inhabitables, fur les confins du royaume de Maroc. Les bergers pourtant y menent paître leurs troupeaux: mais il faut qu'ils fe retirent promptement dès que l'hyver s'approche: car les vents du nord amenent la nuit une fi grande quantité de neige, qu'elle accable voyageurs, chevaux, chariots, & tout ce qu'elle attrape & couvre même la cime des arbres.

Les fruits qui croiffent en Barbarie font excellens & de très-bon goût. Les raifins, les figues, les cerifes, les prunes, les pêches, les coins, les abricots, les grenades, les oranges & les citrons,y font beaucoup plus gros & plus agréables qu'ailleurs. Les oliviers y font fort épais & fort hauts, particulierement dans les royaumes de Maroc, de Fez & d'Alger; mais ceux de Tunis ne font pas plus grands que ceux de l'Europe. Il y a quantité d'arbrisfeaux épineux, qui portent des fruits auffi gros & auffi épais que les olives d'Espagne; on les appelle Arguan, ou Erguen: on fe réferve à en parler dans la defcription du royaume de Maroc. Il y croît auffi beaucoup d'arbres de coton & du facre. Le long des côtes de la mer Mediterranée croît une plante marécageufe que les Arabes appellent Achaovan Abiat, & nous Armoife blanche, ou herbe de Saint Jean. Elle a plufieurs rameaux de deux ou trois coudées de haut. Ses feuilles font larges, & ont des raies fort profondes, noires par dedans & blanches par dehors. Ses fleurs font d'un jaune-pâle, fituées les unes auprès des autres en forme de couronne, fort femblables à celles du feneçon, & fe diffipent en pouffiere. On cultive ici cette plante par rareté, & les herboristes l'appellent Cineraria, à caufe de fa couleur cendrée, ou Jacobea marina, parce qu'elle croît fur les bords de la mer, & qu'elle reffemble fort au Jacobaa commun, ou herbe de Saint Jean. On dit que le fuc de cette herbe réfoud la pierre aux reins & dans la veffie, qu'elle diffipe les obstructions des entrailles, & particulierement celles de la matrice.

Il y a dans les montagnes & les forêts de Barbarie, quantité de bêtes farouches, un nombre incroyable de finges, de boucs fauvages, de lions & de tigres, de toutes fortes d'oifeaux, & des ferpens venimeux. La Barbarie a été quelquefois toute réunie fous un chef: elle obéit maintenant à plusieurs maîtres.

Tous les états qui compofent ce que nous appellons la Barbarie, ont quantité de ports fur la Méditerranée; & les royaumes de Maroc & de Fez en ont même quelques-uns fur l'Océan, qui fervent également au commerce des nations chrétiennes, & à la retraite des vais feaux corfaires. Les plus confidérables de ces ports, où fe fait le plus de négoce & où réfident les confuls, font Tripoli, la Goulette, qui eft celui de Tunis, qui n'en eft qu'à quatre lieues, Alger & Salé. C'eft dans ce dernier où le fait le principal commerce de Fez & de Maroc, quoiqu'il s'en faffe auffi beaucoup à Tetouan. Arzile, Alcaffar, Azamor, Saphie & Sainte Croix, font les autres ports des royaumes de Maroc & de Fez, où il y a quelque négoce. Le royaume d'Alger a auffi Tremecen, Conftantine, Bonne, Bugie, Gigery, la Calle, Cap de Rofe, Colle, & ce qu'on appelle le Baftion de France, près du golfe de Storacourcouri, outre la Goulette, Tunis, Bizerte & Port-Farine. A l'égard des Tripolitains, ils n'ont que le port de leur ville, quelques petites places qu'ils ont fur la mer, où il fe fait peu de négoce, ne devant pas fe compter. Les nations chrétiennes, qui ont des confuls dans les quatre principaux ports de Barbarie, font les mêmes qui ont des ambaffadeurs à Conftantinople, & fur-tout la Françoise, l'Angloise & la Hollandoife. Les Venitiens & les Genois font ceux qui font le plus grand commerce à Tripoli. Les marchands d'Europe n'ont des magafins que dans les principales villes de la côte. Dans la plupart des autres, ils descendent rarement à terre, à caufe des avanies qui y font ordinaires, trafiquant comme on dit parmi eux la pique à la main, c'est-à-dire, en fe tenant exactement fur leurs gardes. En général les marchandifes que l'on tire de Barbarie, font les plumes d'autruche, de l'indigo, de l'or en poudre, qu'on appelle Tibir, des dattes, des raifins de damas, des cuirs tannés & non tannés; du cuivre en barres, faites en façon de

briques, de la cire, de l'étain, des laines, des peaux
de chèvre, pour faire le maroquin; du corail qui fe pê-
che au bastion de France, & fur quelque côtes des
royaumes de Fez & de Maroc; des grains, entr'autres
des bleds, des orges, des féves, du millet; & enfin
des chevaux. Le commerce des chevaux & des grains
n'eft cependant pas libre par-tout; & il eft interdit dans
les royaumes de Fez & de Maroc, à moins qu'on ne
donne en échange des armes, de la poudre & d'au-
tres munitions de guerre, que les princes chrétiens de
leur côté défendent qu'on ne porte, pour vendre dans
aucun endroit de la Barbarie. Les marchands d'Europe
chargent leurs vaiffeaux pour ces côtes, de draps de
France, d'Espagne, d'Angleterre, de Hollande, de
toutes couleurs, & à peu près de même fineffe & qua-
lité que ceux qui font destinés pour les échelles du
Levant, furtout de draps d'écarlate, de brocards, de
velours, de taffetas raiés & unis, de toiles de Bretagne,
de Rouen & de Hollande, de mouffelines pour faire
des turbans, des bonnets fins, rouges & noirs, à l'u-
fage des Maures & des Juifs, de la foie apprêtée pour
les manufactures qui font établies principalement à Tu-
nis & à Maroc, où les Morisques les porterent quand
ils furent chaffés d'Espagne, des épiceries, toutes for-
tes de drogues, du coton, du tabac des ifles Antilles,
de Bourdeaux, du Brefil, du fucre, du bois de Cam-
pêche, du tartre, de l'alun, du foufre, de la coche-
nille & autres drogues propres aux teintures & à la
peinture; du papier de toutes façons, de l'acier, du fer,
du plomb, enfin de la quincaillerie & mercerie, comme
des couteaux, cifeaux, épingles, aiguilles, cadenats, pe-
tits miroirs & des peignes de buis & d'yvoire à menues
dents. Ce n'eft pas auffi un des moindres commer-
ces, & c'eft certainement celui fur lequel les marchands
chrétiens font les plus grands profits, y gagnant quel-
quefois quatre cens pour cent, que l'achat du butin,
que les corfaires rapportent au retour de leurs cour-
fes, qui ayant coutume de mettre en vente tout ce qui
ne convient pas au pays ou à leur religion, & ne trou-
vant que des chrétiens pour enchériffeurs, font obligés
de le leur délivrer à très-bon compte. Ces marchandifes
font des vins, des eaux de vie, des bieres, des huiles,
des chairs, des poissons falés & plufieurs autres fem-
blables, dont on fait ordinairement des cargaifons pour
les ifles Antilles. Il n'y a que les négocians établis dans
les ports où rentrent ces corfaires qui puissent ainsi
profiter du malheur des nations chrétiennes, & fou-
vent de leurs propres compatriotes, & même de leurs
parens, n'y ayant qu'eux qui puiffent s'y trouver préci
fément, lorsque ces infideles y déchargent leur butin.
Les confuls font fouvent ce trafic, & renvoyent en Eu-
rope ces marchandises rachetées des mains des infi-
deles. De toutes celles que l'on peut tirer de Barbarie,
ce font les cuirs qui font les plus confidérables, & dont
il fe fait le plus grand commerce. Les François qui font
feuls le négoce du Baftion de France, en tirent, & de
quelques autres petits ports voifins, plus de quatre-
vingt mille cuirs; par où l'on peut juger ce qu'on en
peut faire entrer dans toute la vafte étendue des cô-
tes d'Afrique qui font fur la Méditerranée. * Savari,
Dict. du commerce, t. 1. p. 1032. & suiv,

La plupart de la monnoie dont on fe fert en Bar-
barie, eft étrangere. Il s'en frape cependant au coin des
rois & des deys, dans quelques-unes de leurs villes. Les
réales d'Espagne, les écus de France, les ducats de Hon-
grie & les fultanins d'or de Turquie, font les espèces
qui y font le plus communes, & qui y ont cours suivant
les endroits. Les monnoies qui fe fabriquent à Alger,
font les Burbas, petite monnoie dont il en faut fix pour
faire un aspre. Le doubla eft d'argent, & vaut un peu
plus de trois livres de France. La rubic eft d'or, auffi bien
que les Medians & les Zians: la premiere eft de trente-
cinq aspres & les Zians de cent. C'est à Tremecen parti-
culiérement que ces trois espèces fe frapent. Les Mete-
cals font des espèces de ducats d'or, qui fe fabriquent
à Maroc. Les anciens font les meilleurs, les nouveaux
étant d'un plus bas titre, & encore fort incertain; les
Juifs en faifant tant qu'il leur plaît & comme il leur
plait; n'y ayant point de monnoieurs en titre d'office.
Les Blanquilles font de petites pieces d'argent, qui va

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