Vous viennent acoster comme personnes ivres, Et disent pour bonjour, Monsieur, je fais des livres;
On les vend au palais, et les doctes du temps
A les lire amusés n'ont d'autre passe-temps.
Quand on consentait à être pris à témoin, on donnait son reille à toucher.
On a écrit de fort beaux commentaires pour expliquer pourquoi c'est Apollon qui délivre Horace du fâcheux. Il me semble qu'il ne fallait pas tant de commentaires pour cela, et qu'il était naturel qu'un poëte fût protégé par le dieu des vers.
Nous avons aussi de Régnier une satire du fâcheux où l'on reconnaîtra sans peine les traits qu'il a imités d'Horace :
J'oyois un de ces jours la messe à deux genoux, Quand un jeune frisé, relevé de moustache, De galoche, de botte et d'un ample panache, Me vint prendre, et me dit, pensant dire un bon mot : Pour un poëte du temps, vous êtes bien dévot. Moi, civil, je me lève, et le bonjour lui donne. Qu'heureux est le folâtre, à la tête grisonne, Qui brusquement eût dit, avec une sambieu,
Oui, bien pour vous, Monsieur, qui ne croyez en Dieu!
Après tous ces propos qu'on se dit d'arrivée, D'un fardeau si pesant ayant l'âme grevée, Je chauvis de l'oreille, et demeurant pensif, L'échine j'allongeois comme un âne rétif, Minutant me sauver de cette tyrannie.
Sortis, il me demande: Etes-vous à cheval? Avez-vous point ici quelqu'un de votre troupe ? - Je suis tout seul, à pied. - Lui, de m'offrir sa croupe, Moi, pour m'en dépétrer, lui dire tout exprès, Je vous baise les mains; je m'en vais ici près, Chez mon oncle dîner.
O Dieu! le galant homme! J'en suis. Et moi pour lors, comme un bœuf qu'on assomme, Je laisse choir ma tête; et bien peu s'en fallut, Remettant par dépit en la mort mon salut, Que je n'allasse lors, la tête la première, Me jeter du Pont-Neuf à bas dans la rivière. Insensible, il me traîne en la cour du palais Où trouvant par hazard quelqu'un de ses valets, Il l'appelle et lui dit: holà! oh! Ladreville, Qu'on ne m'attende point; je vais dîner en ville.
Dieu sait si ce propos me traversa l'esprit! Encor n'est-ce pas tout. Il tire un long écrit, Que voyant, je frémis. Lors, sans cageollerie: - Monsieur, je ne m'entends à la chicanerie, Ce lui dis-je, feignant l'avoir vu de travers.
Aussi n'en est-ce pas. Ce sont de méchans vers,
(Je connus qu'il était véritable à son dire ) Que, pour tuer le temps, je m'efforce d'écrire.
Il vint à me parler dessus le bruit qui court : De la reine, du roi, des princes, de la court: Que Paris est bien grand: que le Pont-Neuf s'achève.
Tandis que ces discours me donnaient la torture, Je sonde tous moyens pour voir si d'aventure, Quelque bon accident eût pu m'en retirer, Et m'empêcher enfin de me désespérer. Voyant un président, je lui parle d'affaire.
Oh! non, Monsieur, dit-il : j'aimerois beaucoup mieux Perdre tout ce que j'ai, que votre compagnie,
Mais je crois que le ciel contre moi conjuré Voulut que s'accomplit cette aventure mienne Que me dit, jeune enfant, une bohémienne. << Ni la peste, la faim, la gravelle, la toux, >> La fièvre, les venins, les larrons, ni les loups, >> Ne tueront celui-ci, mais l'importun langage >> D'un fächeux : qu'il s'en garde, étant grand, s'il est sage.» Comme il continuait cette vieille chanson, Voici venir quelqu'un d'assez pauvre façon ; Il se porte au-devant, lui parle, le cageole; Mais cet autre à la fin se monta de parole. Monsieur, c'est trop long-tems. Tout ce que vous voudrez. Voici l'arrêt signé.... Non, Monsieur, vous viendrez.... Quand vous serez dedans, vous ferez à partie.... Et moi qui cependant n'étais de la partie, J'esquive doucement, et m'en vais à grands pas, La queue en loup qui fuit, et les yeux contre bas, Le cœur sautant de joie, et triste en apparence. Depuis aux bons sergens j'ai porté révérence; Comme à des gens d'honneur par qui le ciel voulut Que je reçusse un jour le bien de mon salut.
On se doute bien que Molière, pour peindre ses fâcheux, n'a pas manqué de tremper aussi ses pinceaux dans la palette du satirique romain. Voici quelques traits de sa première scène :
Sous quel astre, bon Dieu! faut-il que je sois né, Pour être de fåacheux toujours assassiné!
Il semble que partout le sort me les adresse, Et j'en vois chaque jour quelque nouvelle espèce. Et ici il en montre un qui le prend à la comédie, pendant la représentation, et lui ôte tout le plaisir du spectacle; la pièce était finie:
Je rendois grâce au ciel et croyois de justice Qu'avec la comédie eût fini mon supplice; Mais comme si c'en eût été trop bon marché, Sur nouveaux frais mon homme à moi s'est attaché, M'a conté ses exploits, ses vertus non communes, Parlé de ses chevaux, de ses bonnes fortunes, Et de ce qu'à la cour il avoit de faveur, Disant qu'a m'y servir il s'offroit de bon cœur. Je le remerciois doucement de la tête, Minutant à tous coups quelque retraite honnête ; Mais lui, pour le quitter me voyant ébranlé, Sortons, ce m'a-t-il dit: le monde est écoulé : Et sortis de ce lieu, me la donnant plus sèche : Marquis, allons au cours faire voir ma calèche ; Elle est bien entendue; et plus d'un duc et pair En fait à mon faiseur faire une du même air. Moi, de lui rendre grace et, pour mieux m'en défendre, De dire que j'avois certain repas à rendre. Ah! parbleu, j'en veux être, étant de tes amis, Et manque au maréchal à qui j'avois promis. De la chère, ai-je dit, la dose est trop peu forte, Pour oser y prier des gens de votre sorte; Non, m'a-t-il répondu : je suis sans compliment : Et j'y vais pour causer avec toi seulement ; Je suis des grands repas fatigué, je te jure. Mais si l'on vous attend, ai-je dit, c'est injure. Tu te moques, marquis: nous nous connoissons tous. Et je trouve avec toi des passe-temps plus doux. Je pestois contre moi, l'ame triste et confuse Du funeste succès qu'avoit eu mon excuse, Et ne savois à quoi je devois recourir, Pour sortir d'une peine à me faire mourir; Lorsqu'un carosse fait de superbe manière, Et comblé de laquais et devant et derrière, S'est avec un grand bruit devant nous arrêté D'où sautant un jeune homme amplement ajusté, Mon importun et lui courant à l'embrassade, Ont surpris les passans de leur brusque incartade ; Et tandis que tous deux étoient précipités Dans les convulsions de leurs civilités, Je me suis doucement esquivé sans rien dire, Non sans avoir long-temps gémi d'un tel martyre, Et maudit le facheux dont le zèle obstiné M'ôtoit au rendez-vous qui m'est ici donné.
........molle atque facetum Virgilio annuerunt gaudentes rure Camœnæ.
Il est probable qu'à l'époque où cette satire fut composée, l'Enéïde n'avait point encore paru; mais ne serait-il point possible que, même en la connaissant, Horace lui eût préféré les Géorgiques, et par conséquent eût jugé convenable de ne louer son ami que par son plus bel ouvrage ? D'ailleurs, qui nous dit que l'épopée de Varius n'était point supérieure à celle de Virgile?
Quale fuit Cassi rapido ferventius amni Ingenium.
Quelques-uns croient que ce Cassius était un grand ennemi d'Auguste, que celui-ci finit par faire assassiner. Horace alors ne lui aurait donné place dans ses satires que pour faire sa cour à Auguste. On en dit autant de Labéon, jurisconsulte distingué, qu'il traite de fou, Labeone insanior, et que l'empereur n'aimait point, parce qu'il s'était souvent vu contrarié par la fermeté de ses opinions. Si cela était vrai, il faudrait s'en affliger.
Men' moveat cimex Pantilius? aut crucier quod; etc. Eh! qu'importe à nos vers que Perrin les admire; Que l'auteur de Jonas s'empresse pour les lire; Qu'ils charment de Senlis le poëte idiot, Ou le sec traducteur du françois d'Amyot : Pourvu qu'avec éclat leurs rimes débitées Soient du peuple, des grands, des provinces goûtées; Pourvu qu'ils puissent plaire au plus puissant des rois; Qu'a Chantilly Conde les lise quelquefois?
<< Voyez, s'il vous plaît, dit Voltaire, comme Horace met Virgile » à côté de Mécène. J'avoue que j'aime mieux le Mecenas Vir>> giliusque, dans Horace, que le plus puissant des rois, dans >>> Boileau, parce qu'il est plus beau, ce me semble, et plus hon>> nête de mettre Virgile et le premier ministre de l'empire sur >> la même ligne, quand il s'agit de goût, que de préférer le >> suffrage de Louis XIV et du grand Condé a celui des Coras >> et des Perrin, ce qui n'était pas un grand effort. >>>
(Epitre dédicatoire de Dom Pedre.)
Horace, dans cette satire, s'adresse au jurisconsulte Trebatius, son ami; et comme si les critiques de ses rivaux le dégoûtaient de faire des vers, il lui demande s'il ne ferait pas sagement de
Ce n'est point sans dessein que le poëte met dans la bouche de Trébatius ces formules impératives qui sont celles des lois, et que doivent connaître les jurisconsultes. Ce sont de ces convenances auxquelles Horace ne manque jamais. Rien aussi n'est plus comique que cet air de gravité dans un sujet plaisant.
Aut si tantus amor scribendi te rapit, aude; etc.
Si l'on veut trouver des modèles de louanges adroites et délicates, c'est dans Horace qu'il les faut aller chercher, et Boileau ne s'est pas trouvé mal d'avoir puisé à cette source.
Que si tous mes efforts ne peuvent réprimer Cet ascendant malin qui vous force à rimer, Sans perdre en vains discours tout le fruit de vos veilles, Osez chanter du roi les augustes merveilles. Là, mettant à profit vos caprices divers, Vous verriez tous les ans fructifier vos vers; Et par l'espoir du gain votre muse animée Vendroit au poids de l'or une once de fumée. Mais en vain, direz-vous, je pense vous tenter Par l'éclat d'un fardeau trop pesant à porter: Tout chantre ne peut pas, sur le ton d'un Orphée, Entonner en grands vers la discorde étouffée, Peindre Bellone en feu tonnant de toutes parts, Ou le belge effrayé fuyant sur ses remparts.
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