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nent leur premiere hauteur; elle devient même plus infupportable qu'auparavant. Leur conftance à fupporter, chacun en fon particulier, les revers de la fortune, eft fans exemple parmi toute autre nation. Si celui qui étoit hier vifir fe trouve aujourd'hui réduit à n'avoir que deux ou trois domeftiques, il regarde fa difgrace avec une indifférence extraordinaire, & n'attribue fon malheur qu'à la volonté de Dieu, & à fon mauvais deftin. S'il rentre dans fon premier pofte, ce qui arrive très-fouvent, il reprend auffi-tôt fon ancien fafte, comme s'il n'avoit jamais effuyé aucune disgrace. Les Turcs font fort adonnés aux femmes; mais ils ne perdent pas leur tems avec elles; ils leur commandent en maîtres. L'intérêt eft une paffion que les Turcs ont fort à cœur ; les uns brûlent d'envie d'amafler & de jouir de beaucoup de biens; d'autres ont l'ambition de vouloir donner des feftins, & fatisfaire à leur luxe & à leur lubricité. Cela les oblige à faire des dépenfes exceffives, pour avoir un grand nombre de femmes chez eux. L'avarice eft caufe qu'il y a des tréfors immenfes, en argent & en joyaux, cachés à Conftantinople. La plupart de ceux à qui ils appartiennent, fe laiffent fouvent manquer du néceffaire, plutôt que d'y toucher, & meurent, fans en donner connoiflance à leuts héritiers. La diffimulation leur eft prefque naturelle; ils trouvent facilement le moyen de fe défaire d'une perfonne qui leur eft fuspecte, foit par le fer, foit par le poifon. Ils ne s'ouvrent jamais à qui que ce foit, & ne font paroître aucun reffentiment, afin qu'on ne puiflè deviner leurs intentions. S'ils font menteurs, ils ne peuvent fouffrir le menfonge chez les autres. On les voit rarement rire; leur converfation eft très-férieufe; ils font fort laconiques, en traitant de leurs affaires, & veulent qu'on s'explique avec eux en peu de mots. Ils font encore très-artificieux, & s'expriment toujours problématiquement, foit de vive voix, foit par écrit, afin de laiffer matiere à de nouvelles conteftations. Lorsque leur commerce ne regarde point la cour, ils font fort honnêtes, & fe contentent d'un profit médiocre. Ils font religieux dans leur parole, & s'ils jurent qu'une chofe vaut tant, ce se. roit un affront pour eux de les convaincre du contraire; mais pour ce qui est des gens de cour, la franchise leur eft encore inconnue. Ils s'attachent facilement à la moindre apparence de promeffe, quand même elle auroit été faite par maniere de parler; & fi la chofe eft à leur avantage, ils font tenir parole an tems échu, comme d'une promeffe effective. Les belles paroles dont ils ufent dans les affaires, contre leur naturel, font plus à craindre que les mauvaises. Ils emploient ces dernieres pour obferver le maintien de celui avec qui ils traitent, avant que de paffer aux premieres, qu'ils avoient deffein de donner pour la conclufion d'une affaire. Il n'y a point de nation qui fe laiffe plus facilement éblouir, par l'efpérance d'un changement favoles Turcs. Ils veulent bien un nom fameux, mais ils ne le cherchent pas parmi les chrétiens; ainfi ils ne le font point de fcrupule de leur manquer de parole. Rien n'eft plus difficile que de leur faire conclure un traité de paix qui faffe mention de leurs disgraces, ou qui les oblige à céder quelques plaçes. Il fera toujours plus ailé de leur faire la guerre, que de conclure avec eux une paix fujette à mille dédits; ou fi elle eft conclue, on ne pourra guère fe garantir de quelque tour de leur part. S'il manque quelque chofe à l'exécution; par exemple, le réglement des limites, l'échange ou la démolition des places, ils tâ cheront toujours d'en empêcher la fin, pour qu'ils puiffent, avec le tems, trouver un prétexte de recommencer la guerre. Si les puiflances chrétiennes terminent aifément avec les Turcs mille petits différends, qui peuvent arriver chaque jour, elles ne doivent pas pour cela s'imaginer qu'ils en ont perdu la mémoire, au contraire, ils s'en fouviendront en tems & lieu. L'opinion commune eft que les Turcs font tout pour de l'argent; on fe trompe; quelque avares qu'ils puiffent être, on n'achete pas d'eux les fervi ces d'une grande importance, & leur offrir en ce cas de l'argent , c'eft les rendre plus infolens & foupçonneux. Un miniftre, qui voudroit à la porte ottomane fe fervir de cette voie, pour réuffir dans fes négociations, n'y avanceroit pas trop; cependant, fi on veut fe rendre les chofes faciles, il n'y a qu'à leur faire quelque petit préfent, dont ils fe contentent.

rable,

, que

La monnoie particuliere de l'empire commença de paroître l'an de l'hégire 65: Abdilmelik, roi de Damas, fut

le premier de tous les Mahométans qui fit battre monnofe; on ne fe fervoir, auparavant, que de monnoies étrangeres. La monnoie eft de trois fortes de métaux, d'or, d'argent & de cuivre. Elle n'a point d'autre marque que certains caractères, qui défignent le nom du fultan régnant, de fon pere, & de quelques mots à fa louange, ou un paffage de l'alcoran. La grande vénération que les Turcs ont pour le grand-feigneur, eft caufe qu'on ne met point fon effigie fur la monnoie. Ils ont un fi profond respect pour le portrait du fultan, qu'ils le placent immédiatement après celui de leur prophéte; & jugent qu'il ne convient pas de le voir fur la monnoie, à caufe qu'elle paffe par les mains de tout le monde. Les villes où l'on bat ordinairement monnoic, font: Le grand Caire, Conftantinople,

Alep, Bagri-Serai.

Les Turcs, en général, favent bien le commerce. Le gouvernement leur donne toute la protection néceffaire, & ne charge point les marchandises de droits exorbitans. Il prend même foin qu'il y ait des ponts dans les grands chemins, où il en eft befoin, & fur-tout qu'ils foient fûrs; cependant cette commiffion, qui eft donnée à des officiers militaires très-éloignés, & en particulier à ceux du département d'Afie, eft mal exécutée, & il fe commet très-fréquemment des vols. La Turquie fournit quantité de foie, de laine, de poil de chèvre & de chameau, de coton brut & filé, de lin, de cire, d'huile de féné, de bétail, de cendres de toute forte de bois, pour les manufactures, & de bois même pour la conftruction des bâtimens. Toutes ces marchandises y font en fi grande quantité, qu'outre ce qui se consomme dans l'empire, on en fournit encore beaucoup aux autres nations. La fituation de l'empire, qui du côté de l'Afie confine avec la Perfe & l'Arabie heureufe, eft fort avantageufe au commerce. Les Turcs tirent, de ces pays-là, beaucoup de marchandises; ils les appoгtent dans les ports de l'Archipel, & de-là les diftribuent aux autres nations de l'Europe, après qu'ils en ont rempli leurs magafins. Ces marchandises font d'un côté des foies, des toiles de Perfe & des Indes; des draps d'or, des pierreries & des drogues médicinales; de l'autre ce font toutes fortes de parfums, du baume, du caffé, qu'ils font venir de l'Arabie heureufe, par la mer Rouge. Avant que les Hollandois fe rendiffent maîtres des ifles des épiceries, toute l'Europe alloit faire fes provifions au Caire en Egypte. A ce premier commerce, il faut ajouter les tanneries, les pelleteries, pour toutes fortes d'ufage, & les chagrins, qu'on fait paffer en Europe. La teinture, foit pour les foies, foies, foit pour les laines, foit même pour les peaux, y eft dans fa derniere perfection, fur-tout pour l'éclat & la durée des couleurs. C'eft de ces laines dont ils font leurs tapifferies, & s'ils avoient des deffeins bien entendus, on ne pourroit rien voir au monde de plus beau que ces fortes d'ouvrages. On y a introduit depuis peu des fabriques de taffetas, par le moyen desquels les Turcs confomment maintenant leurs foies. Ils font auffi d'autres étoffes, fur des deffeins conformes à leur goût, de même que du brocart d'or & d'argent, principalement à Chio. Quoiqu'il y ait peu de fourrures dans le pays; car on les tire du Nord, fur-tout de la Moscovie, on ne laifle pas de les y parer en perfection. L'Italie ne leur fournit guère que des marchandifes tirées des manufactures de Venife; favoir, des draps d'or & de laine, du papier & des verres. Les François leut apportent toutes fortes d'étoffes de laine, du papier & de la mercerie. Les Hollandois leurs fourniffent auffi des étoffes de laine, des épiceries & leur monnoie. Les Anglois leur apportent des étoffes de laine, du plomb & de l'étaim. Les Turcs tirent, de l'Allemagne, du laiton, du clinquant & de toutes fortes de merceries. Les marchandifes que les nations européennes fourniffent aux Turcs, ne font point d'un affez grand prix, pour pouvoir être échangées avec les leurs; auffi font elles obligées de donner du retour en argent comptant, & même affez confidérablement. De là vient que les Turcs tirent de groffes fommes d'argent de la chrétienté, & quoiqu'ils employent grande quantité de plomb & d'étaim d'Angleterre, les Anglois, qui ont ces métaux en plus grande abondance que toutes les autres nations, conviennent cependant qu'ils font encore obligés de leur donner bien du comptant, & même beaucoup plus que les autres, pour les marchandifes qu'ils prennent d'eux,

attendu qu'ils ne vient point de foie en Angleterre. Ces
marchandifes font des foies, du poil de chèvre & de cha-
meau, & du coton, dont ils ne peuvent se passer pour leurs
manufactures, dont les ouvrages ont par-tout un grand
débit. Enfin, on peut dire que la Turquie fait un com-
merce plus confidérable avec l'Europe, qu'avec toutes les
autres parties du monde. D'ailleurs, les manufactures auf-
quelles ils emploient les pauvres gens, font la maxime
fondamentale du gouvernement. Les Hollandois y ont af-
foibli le commerce de leurs étoffes de laine, parce qu'ils
ont recours aux manufactures de France & d'Angleterre.
Les François ont befoin des mêmes marchandifes que les
Anglois achetent des Turcs, nonobftant leurs manufactu-
res de draps & autres étoffes. Ils font leur grande provi-
fion de caffé en Egypte, & le font tranfporter fur la mer
Rouge. Ce caffé et bien meilleur que celui qu'on tire des
autres lieux où il croît, parce qu'en reftant trop fur la
mer, il perd beaucoup de fa qualité, en comparaifon de
celui qu'on embarque en Egypte, & qu'on apporte des
ports de la mer Rouge, qui refte peu de tems fur la mer.
D'ailleurs, ils dépenfent de grandes fommes en Turquie,
pour avoir du bled, lorsqu'il fe trouve cher en France.
Ils en dépensent encore beaucoup pour avoir des huiles
communes, qu'on emploie dans les manufactures d'étof-
fes de laine, & pour des cendres, qui font auffi néceffaires
dans les manufactures, pour du féné & de la cire. Tout cela
ensemble rapporte aux Turcs des fommes très-considéra-
bles. Les Vénitiens y achetent auffi toutes ces différentes
fortes de marchandifes, & encore une grande quantité
de bétail en vie, qu'on prend en Dalmatic, & qu'on ap-
porte à Venife, où la plus grande partie de la viande de
boucherie vient de Turquie. Les pierreries font auffi deve-
nues une forte de marchandise. Les Arméniens en font le
premier trafic; ils les tirent de cette partie de la Perfe qui
confine aux états du Mogol, & les portent dans les diffé-
rens ports de l'Afie, où ils embarquent les plus belles pour
l'Europe, & laiffent les moins parfaites pour Conftantino-
ple, où on n'étoit autrefois curieux que de la groffeur; ce-
pendant, les chrétiens ont mis les Turcs dans le goût des
pierreries de belle eau. La porte, ayant reconnu l'avantage
qu'il y avoit à tirer tant d'argent des nations de l'Europe,
a tâché de faciliter le commerce de fes fujets avec ces na-
tions. Dans cette vue ; elle a accordé des priviléges, par
les traités qu'elle a faits avec leurs fouverains, qui depuis
tiennent des ambassadeurs à Conftantinople, pour veiller
à l'observation de leur contenu. Ces ambaffadeurs ont fous
eux des confuls de leur nation dans les Echelles, principa-
lement de l'Afie, & depuis le Caire jusqu'à Alep, auffi-
bien dans les villes Méditerranées que dans les ports de
mer, comme à Smyrne, à Tripoli de Sourie, à Saïde, à
Alexandrie & autres. Les droits d'entrée, pour les mar-
chandises d'Europe, font fort petits: ils n'excédent point
les trois pour cent. Lorsqu'ils font une fois payés, on peut
envoyer les marchandifes, de quelque nature qu'elles
foient, dans toute l'étendue de l'empire, on n'eft plus
obligé qu'à de petites fommes en certains endroits, où
l'on demande la reconnoiffance de la douane, dans la-
quelle les droits ont été acquittés. La porte veut par-là
faciliter de plus en plus l'entrée de l'argent qui vient dans
l'Empire, & qui paffe par les mains des Turcs de tout
état, & des chrétiens de toute nation. En effet, lorsqu'elle
n'empêche pas la levée des grains & des huiles, les pro-
vinces maritimes amaffent de grandes fommes. Le tréfor
de Conftantinople fe remplit facilement des contributions
des fujets, & la porte trouveroit encore bien d'autres
moyens de l'augmenter, fi la politique ne demandoit qu'el
le ménage les fujets chrétiens. Elle craint qu'ils ne vien-
nent à reconnoître leurs forces & la foibleffe des Turcs;
& que fe trouvant dans l'oppreffion, ils ne viennent à fe-
couer le joug.

comme il lui plaît. Il n'y a que les terres deftinées à des
ufages religieux qui ne lui appartiennent point. Cela s'ob-
ferve fi exactement, que quand un bacha meurt, après
même avoir été convaincu de crime de léfe-majefté, s'il
donne des terres ou des rentes à une mosquée, quelque
confidérable que puiffe être cette donation, elle ne laille
pas d'être valable. Les terres appartenantes ainfi de droit au
fultan, les conquêtes n'en furent pas plutôt allurées, qu'il
fit le partage des maifons & des métairies entre les foldats,
pour les récompenfer de leurs travaux & de leurs peines. Ils
appellent ces récompenfes TI MARS; & ceux qui les ob -
tiennent font obligés, à proportion du revenu qu'ils ont,
d'entretenir des hommes & des chevaux, pour être prêts
en tout tems à fervir le grand feigneur à la guerre par-
tout où il voudra les envoyer. Par ce moyen tout le
pays étant entre les mains des foldats, les places font mieux
gardées, & les peuples fubjugués font plus aifément rete-
nus dans le devoir. La puiffance abfolue de ce monarque
fe fait encore mieux remarquer par les titres qu'il fe don-
ne: de Dieu en terre, d'ombre de Dieu, de frere du foleil &
de la lune, de diftributeur des couronnes du monde, & autres.
Il eft vrai qu'affez fouvent il confulte le mufti par forme
pour s'accommoder à la coutume; mais lorfque les fenten-
ces de ce pontife ne s'accordent pas avec les deffeins du
prince, il le prive de fon pontificat, & donne cette charge
à un autre, qui fait mieux faire répondre les oracles aux
intentions de fon maître. Toutes les fois qu'il y a un nouvel
empereur, on le conduit avec pompe à un endroit des faux-
bourgs de Conftantinople appellé Job, où l'on voit un fé-
pulcre ancien d'un prétendu faint de leur religion. On y
fait des prieres folemnelles pour demander à Dieu qu'il
veuille fortifier le nouveau fultan, & le remplir de la fa-
geffe qui lui eft néceffaire pour exercer une charge fi im-
portante. Alors le mufti l'embrale, & après lui avoir
donné fa bénédiction, le grand feigneure promet & jure
folemnellement de défendre la religion des Mufulmans &
les loix du prophéte Mahomet. Aufli-tôt les vifirs du banc
& les bachas font une profonde inclination, & ayant baifé
la terre & le bas de fa vefte avec un respect extraordinaire,
ils le reconnoiffent pour leur véritable empereur. * Ricaut,
Etat préfent de l'empire ottoman, l. 1, c. I.

Le premier vifir eft appellé par les Turcs vizir-azem; vizir ou vezir, eft un mot arabe qui fignifie un confeiller, un homme qui adminiftre les affaires de la république ou de l'empire, ou premier miniftre d'état, comme qui diroit celui qui porte le faix de toutes les affaires; car yazar ou rezar fignifie porter, & azem eft le comparatif & le fuper. latif tout ensemble du mot arabe adim ou azim, qui veut dire grand, & adem ou azem lignifie très-grand. On l'appelle quelquefois le lieutenant du grand feigneur ou le vi caire de l'empire, parce que toute l'autorité du fultan lui eft communiquée. On n'obferve point, je crois, d'autre folemnité pour le créer grand vifir, que de lui mettre entre les mains le fceau du prince, qu'il porte toujours dans fon fein. Il vit avec un éclat qui répond à la grandeur du maître qu'il repréfente. Il a ordinairement dans fa cour deux mille officiers ou domeftiques. Quand il paroît dans quelque folemnité publique, il porte fur le devant de fon turban deux aigrettes enchâffées dans des baffes toutes couvertes de diamans & autres pierres de grand prix, à peu près aufli riches que celles du grand-feigneur, fi ce n'est que fultan en porte trois. On porte au-devant du grand vifir trois queues de cheval attachées chacune au haut d'un long bâton; où il y a un bouton d'or qui brille au-deffus. Il n'y a que trois bachas qui ayent le privilége de fe fervir de cette marque d'honneur dans l'étendue de leur gouvernement; favoir le bacha de Babylone, celui du grand Caire & celui de Bude. Les autres ne peuvent faire porter qu'une feule queue de cheval. Ces trois bachas dont il vient d'être parlé, ont auffi le privilége d'être vifir du banc, & peuvent prendre féance dans le divan, lorsque le tems de leur charge eft expiré, & qu'ils ne font pas mal avec la

étonnant cour.

La févérité, la violence & la cruauté font naturelles aut gouvernement politique des Turcs: ce peuple ne s'étant prefque jamais occupé qu'à la guerre, il n'eft pas étonnant fi les loix font févéres, & fi pour la plupart elles dépendent de la volonté de ceux qui commandent. On ne doit pas s'étonner non plus de voir que leur empereur foit abfolu & au-deffus des loix, Toute l'étendue du vafte empire de la Turquie appartient en propre au grand feigneur. Il eft le maître abfolu des terres & des maifons, auffi bien que des châteaux & des armes; de forte qu'il en peut difpofer

le

Outre le premier vifir, il y en a fix autres que l'on appelle ordinairement les vifirs du banc; ils n'ont aucune autorité dans le gouvernenient de l'empire. Ce font des perfonnes graves qui ont exercé quelque charge, & qui font favans dans les loix. Ils ont leur féance avant le premier vifir dans le divan ou confeil, lorsqu'on examine les procès; mais ils ne parlent point, & ne peuvent dire leurs avis ZZzzzz ij

Tome V.

fur aucune chofe, s'il ne plaît au grand vilir de leur deman der ce qu'ils en penfent; ce qui lui arrive rarement, & feulement lorfqu'il s'agit de quelque chofe qui regarde la loi; car il affecte de décider tout lui-même. Ces vifirs ont des gages qui leur font payés du tréfor du grandfeigneur; mais ces gages ne paifent pas deux mille écus par an. Chacun de ces fix vifics a le pouvoir d'écrire le om du grand feigneur au haut des ordonnances & des commandemens qui viennent de fa part. Ils ne font pas fufujets aux révolutions & aux changemens de fortune, parce que leurs richelles ne font pas exceffives, & que leurs charges ne les obligent pas à fe mêler des affaires dange. reufes de l'état. Quand il faut néanmoins délibérer fur quelque affaire de grande importance, on les admet dans de confeil du cabinet, avec le premier vifir, le mufti & les cadilesquers, c'est-à-dire, les chefs de la juftice. La place de grand vifir eft tout autrement fcabreufe, plus elle eft confidérable, plus elle eft exposée à la jalousie. On a vu quantité de perfonnes, fans mérite, qui ont été élevées à la dignité de grand vifit, fans avoir pallé par les degrés ordinaires, qui y conduifent les autres, & qui en ont été précipitées aufli vite, pour fervir de victimes à la rage des peuples. Quelques-uns n'ont polfédé cette charge qu'un jour ou deux, d'autres un mois, d'autres un an, & quelques autres deux ou trois ans. Enfin, il y en a peu qui foient morts dans le vifirat.

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Outre le vifir azem ou le grand vifir, il y a divers beglerbegs, que l'on peut affez bien comparer aux archiducs de quelques endroits de la chrétienté. Ils ont, fous leur jurifdiction divers fangiacs ou gouvernemens, & des begs, des agas & plufieurs autres officiers. Le fultan donne, pour marque d'honneur, à chacun de ces beglerbegs, trois enfeignes, que les Turcs appellent tug. Ce font des bâtons, au haut defquels il y a une queue de cheval attachée, & un bouton d'or par-deffus. Cela les diftingue d'avec les bachas, qui n'ont que deux de ces enfeignes, & d'avec les fangiacs, qui portent aufli le nom de bachas, mais qui n'en ont qu'une. Toute la cérémonie qui s'obferve à la proclamation d'un bacha, c'est qu'on fait porter devant lui une enfeigne, & il eft accompagné, au fon des instrumens & des chanfons, par le mirialem, qui eft un officier, qui ne fert qu'à cela. Les gouvernemens des beglerbegs, qui ont fous eux diverfes provinces nominées fangiacs, font de deux fortes. Les premiers font appellés •hafile beglerbeglic, dont le beglerbeg a un certain revenu afligné fur les villes, fur les bourgs & fur les villages qui Telévent de fon gouvernement. Les feconds font appellés faliane beglerbeglic, & ont, pour appointement, une certaine rente, qui eft levée par les officiers du grand feigneur, avec le revenu de tout le gouvernement, fur quoi on paye auffi les fangiacbeglers ou feigneurs de diverfes comtés, provinces ou villes, auffi bien que la milice du pays. On compte vingt-deux beglerbegs de la premiere forte, c'eft-a-dire, qui ont leur revenu affigné fur le gouvernement, & qui le font lever par leurs propres officiers. Le premier eft celui de la Natolie, autrefois l'Afie mineure, & qui a pris le nom de Natolie ou d'Anatolie, à caufe qu'elle eft fituée à l'orient de la Gréce ; car veroný, Anatolé ou Anatoli, en grec, fignifie l'orient. Le revenu de ce beglerbeg, comme il paroît par le registre du grand feignent, qu'on appelle le vieux canon,eft d'un million d'alpres tous les ans. Il a quatorze fangiacs fous fa jurisdiction; Kiotahi, où le beglerbeg fait fa réfidence, dans la grande Phrygie, Sarahan, Aidin, Castamoni, Hudanendighiar, Boli, Mentefche, Angora, autrement Ancyre, Cara-Hifar, Tekeili, Kiangri, Hamid, Sultan-Ughi, Carefi; il y a, en outre, vingt-neuf châteaux qui dépen. dent de ce gouvernement.

Le fecond eft celui de Caramanie, qui étoit autrefois appellée Cilicie. Cette province appartenoit aux princes Caramaniens, & ce fut la derniere qui se défendit, pendant que toutes les autres fe foumettoient aux armes des Ottomans. Le revenu de ce beglerbeg eft de fix cents foixante mille foixante-quatorze afpres. Il a fous fa jurifdiction fept fangiacs; Iconium en Cappadoce, où il fait fa réfidence, Nigkde, Caifani, autrement Cefanca, Jenifchehri, Cyrfchehri, Akfchehri, Ak-Serai. Il y a trois châteaux dans cette principauté, un à Iconium, un à Larende, & un à Mendui, qui relevent immédiatement du bacha, & dix-fept autres dans différents fangiacs.

.

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les

Le troifiéme eft celui de Diarbekir, autrement Mélopotamie. Il a un million deux cents mille fix cents foixante afpres de revenu, & dix-neuf fangiacs fous fa jurisdiction, avec cinq autres gouvernemens, qui s'appellent, en turc, Hukinmet. De ces dix-neuf fangiacs, il y en a onze qui appartiennent, en propre, aux empereurs ottomans, huit autres font des provinces des Curdes: car, lorfque le pays des Curdes fut conquis, on le divifa en fangiacs; mais, avec cette différence, que les enfans fuccédent á leurs peres & héritent de leurs biens, & même de quelques petits gouvernemens dans les autres fangiacs ou timars, ceux qui les poffédent payent une redevance au grand feigneur, & tiennent leurs terres à condition de fervir, avec un certain nombre de cavaliers ou de piétons, & de fuivre leur commandant à la guerre, toutes les fois qu'ils y font appellés par l'ordre du grand feigneur. Ceux qui font enregistrés en qualité de Hukinmet, n'ont point de timariots ou de feigneurs qui leur commandent, ils ne payent point de redevances, ni d'impôts, & font maîtres abfolus de leurs terres. Les fangiacs qui appartiennent en propre au grand feigneur, font Ettarpurt, Ezani, Nizibin, Sivrek, Chatengif, Tchemifchekrek, Seared, Mufarkin, Akthie, Kala, Habur, Sangiar, autrement Diarbekir, qui eft la demeure du beglerbeg. Les fangiacs héréditaires font, Sagman, Kulab, Mechrani, Tergil, Atack, Pertek, Tihifakichur, Tchirmek.

Le quatrième eft celui de Scham ou de Damas. Son revenu eit d'un million d'afpres: Il a fous lui fept fangiacs, avec has, dont les contributions font levées par les officiers du beglerbeg; favoir, Cadsscherif, autrement Jerafadem, Gaza, Sifadi, Nabolos, autrement Naples de Syrie, Aglan, Bahura & Damas, qui fert de demeure au beglerbeg. Il y a trois autres fangiacs, qui font avec faliane, pour lefquels il eft payé par les officiers du fultan; favoir, Cadmar, Seida, Beru, Kiurk & Schubek, où il n'y a point de timariots; mais où les habitans font maîtres de leurs biens, comme les Curdes. Les châteaux font démolis, pour la plûpart, & ne méritent pas qu'on en parle.

Le cinquiéme eft celui de Sivas, qui eft the ville de la grande Arménie, il a neuf cents mille afpres de revenu, & a fix fangiacs fous fa jurisdiction, favoir, Amafie, Tchurum, Buradic, Demurki, Gianic; Arebkir, & dix-neuf châteaux.

Le fixiéme eft celui d'Erzerum, fur les frontieres de Géorgie; il a un million deux cents mille fix cents foixante afpres de revenu, & onze fangiacs fous fon gouvernement, qui font Cara Hilar, Scharki, Kicifi, Pafin, Efber, Ha nes, Tecman, Tortum, Meyen-Kerd, Mameruan, Kyzutchan, Melaz Kerd, avec treize châteaux.

Le feptiéme eft le beglerbeg de Van, qui eft une ville de Médie; il a un million cent trente-deux mille deux cents neuf afpres de revenu, & quatorze fangiacs fous fa jurifdiction; favoir, Adilgivar, Ergifch, Musch, Barkiri, Kiarkian, Kifari, Efpaird, Agakis, Ecrad, Benikutur, Calaibaietid, Berdeâ & Edegic.

Le huitiéme eft le bacha de Tchildir, fur les frontieres de Géorgie ; il a neuf cents vingt mille afpres de revenu, & fous lui neuf fangiacs : Olti, Hartus, Arnug, Erdehamburec, Hagrec, Pulenhaf ou Pusenhal, Machgil, Igiare, Penbec-Perterec.

Le neuviéme eft le bacha de Scheherezul, en Affyrie, qui a un milion d'afpres de revenu, & vingt fangiacs fous hui; favoir, Surutchuc, Erbel, Kiufchaf, Schehribazar Chabkiule, Gebihamrin, Hezurd-Merd, Dulchuran, Merghiave, Haninudevin, Agiur, Neitutari, Sepenzengire, Ebruvan, Tanudan, Badeberend, Belcas, Vicheni, Garikalo, Renghene.

Le dixième eft le bacha d'Alep ou Halepil a huit cents dix-fept mille fept cents foixante-douze alpres de revenu, & a fous lui fept fangiacs, avec Has, & deux avec Saliane; les premiers font Adana, Ekrad, Kelis, Beregec, Mearre, Gazir, Balis; les autres font Matic & Turkman, qui eft la Turcomanie. Le revenu de ces derniers eft baillé a ferme, & on ne les appelle pas fangiacs, mais agaliks, parce qu'ils n'ont point de timariots, & que chacun y eft maître de fon bien. Il y a cinq châteaux dans ce gou

vernement.

el

L'onziéme eft le bacha de Marafch, proche de l'Euphrate, entre la Mésopotamie & Alep, les Turcs l'ap

qua

pellent autrement Zulcadrie; il a fix cents vingt-huit mille quatre cents cinquante afpres de revenu, & a fous lui tre fangiacs feulement; favoir, Malatia, Afab, Cars & Samfad, & quatre châteaux.

Le douzième eft le beglerbec de Kibros, autrement Chypre; il a de revenu cinq cents mille fix cents cinquante alpres & fept fangiacs fous lui, quatre avec Has, qui font Itchili, Tarfus, Alanie, Schis, & trois avec Saliane, qui font Kenine, Baf-Maufa, Lefcuscha ou Larnica, qui eft la demeure du bacha; il y a aufli quatorze châteaux fous lui, Le treiziéme eft le beglerbeg de Tarabolos Scham, autrement Tripoli de Syrie; il a de revenu huit cents mille afpres. Il fait fa réfidence à Tyr, & a fous lui quatre fangiacs; favoir, Hams, Hama, Gemelé & Selemie. Il y a auffi un château dans le fangiac de Hams.

Le quatorziéme eft le beglerbec de Terbozan, autrement Trebifonde, qui eft environné de tous côtés de hautes montagnes, comme le repréfente le poëte qui eft né dans cette ville.

Vertice montano Trapezus inclufa recessit.

Ses plus grandes richeffes confiftent dans la pêche, de laquelle & de quelques autres droits, le bacha tire tous les ans fept cents trente-quatre mille huit cents cinquante afpres. Il n'y a point de fangiacs dans ce gouvernement, mais il y a huit châteaux qui fervent de défense à la ville & au pays d'alentour.

Le quinziéme eft le bacha de Cars, qui eft une ville proche d'Erzerum; il a de revenu huit cents vingt mille fix cents cinquante afpres, & fous fa jurifdiction fix fangiacs; favoir, Erdehakniutchuc, Gingevan, Zaruschan, Ghegran, Cughizman, Pafin.

Le feiziéme eft le bacha de Muful, autrement Ninive, dans l'Affyrie; il a de revenu huit cents quatre-vingt-un mille cinquante-fix afpres; il y a cinq fangiacs fous lui, ce font Bagivanlu, Tecrit, Zerbit, Eski Muful ou vieille Ninive, & Hurun.

Le dix-feptiéme eft le bacha de Rika; il a de revenu fix cents quatre-vingts mille afpres, & a fous lui fept fangiacs; favoir, Ghemasche, Chabur, Dizirzebé, Benirab. ve, Seruc, Biregec, Ane.

Voilà tous les gouvernemens de l'Afie qui font avec Has, paflons à ceux de l'Europe.

Le dix-huitiéme eft le bacha de Rumelie, autrement Romanie, qui eft le plus confidérable gouvernement des Turcs dans l'Europe; il fournit au bacha un million cent mille afpres de revenu. Ce bacha fait fa réfidence à Sofie, il a fous lui vingt-quatre fangiacs; qui font Kioftendil, autrement Juftiniana, Mora, autrement Morea, Skenderi, Tirhala, Siliftra, Nigheboli, Uchri, Aulona, Jania, Ilbazan, Tchirmen, Salonica, Wife, Delvina, Uskiup, Kirkkelifa, Ducakin, Wedin, Alagehifar, Serzerin, Waltcharin, Bender, Akkerman, Ozi, Azak.

Le dix-neuviéme eft le capoutan ou capitaine bacha, ou comme les Turcs l'appellent, l'amiral de la mer Blanche; il a de revenu huit cents quatre-vingt-cinq mille afpres. C'est l'amiral de la flotte du grand feigneur ; il commande par-tout où le pouvoir du Turc s'étend par mer; il a fous lui treize fangiacs; favoir, Gallipoli où il réfide, Egribuz, autrement Négrepont, Karlieli, Ainebathi, Rhodes, Midillu ou Mitylène, Kogia- bli, Berga, Sifla, Mezeftra, Sakis ou l'ifle de Chio, Benckfche ou Malvafia, quelques-uns ajoutent Nicomédie, Lemnos & Nixia.

Le vingtiéme cft le bacha de Budun ou de Bude en Hongrie; il a de revenu..... & a fous lui vingt fangiacs; favoir, Agri, Canifia, Semendria, Petchui, Uftunubil. grad ou Stuhlweiffenburg, Oftrogon ou Strigonium, Sekdin, Chatuan, Seernutum, Sirem, Cupan, Filck, Sckitwar, Setches, Setchre, Novigrad, Belgrade ou Alba Regalis.

Le vingt-uniéme eft le bacha de Temifwar, en Hon grie; il a de revenu..... & a fous lui fix fangiacs; ce font Lipona, Tchanad, Ghiola, Mudava, Varadin & Janova. Le vingt-deuxième eft le bacha de Bofnie ou de Boffine, en Méfie, qui étoit auparavant divifée en Liburnie & en Dalmatie, qu'on appelle aujourd'hui Sclavonie; il a de revenu..... & a fous tui huit fangiacs, qui font Herfch, Kelis, Ezdernik, Puzga, Feragine, Zagine, Kirka, Rahuige.

Ön pourroit encore trouver quelques autres bachas,

comme celui de Coffa, autrement Theodofia dans la Cherfonnèfe Taurique, mais parce qu'ils n'ont ni fangiacs, nitimats, ni ziamets, mais feulement quelques pauvres villages, on les paffe fous filence.

Voilà les bachas qui ont un revenu affigné fur leurs gouvernemens, & qui fe leve par & qui fe leve par leurs propres officiers. Voici ceux qui font payés du tréfor du grand-feigneur.

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1. Le bacha du Grand Caire que les Turcs appellent Mifr; il a de revenu fix cents mille fcherifs ou fequins par an, & les peut lever légitimement. C'est auffi le même trique ce gouvernement-là paye au grand feigneur tous les ans, & qui eft ordinairement porté par terre à Conftantinople fur des chameaux, avec une escorte de cinq cents hommes, pour ne point expofer ce tréfor au hazard d'être pris fur la mer. On employe auffi une pareille fomme de fix cents mille fequins tous les ans, pour le payement des gens de guerre en Egypte. Le bacha contraint les habitans du pays à lui payer des fommes prodigieufes, & il les exige avec une tyrannie & une avarice infupportables pendant les trois ans de fon gouvernement ; cela l'enrichit de telle forte, qu'il eft en état à fon retour de faire couler un fleuve d'or dans les coffres du grand feigneur. Il a feize fangiacs fous lui, mais ils ne font pas marqués dans les registres du fultan.

2. Le bacha de Bagdad, autrement Babylone ; il a de revenu un million fept cents mille afpres, & a fous lui vingtdeux fangiacs; favoir, Derten, Gezan, Gevazir, Renc, Aiadiie, Gelle, Semwat, Remaliie, Bejare, Derne, Debare, Wafit, Gebkinle, Gedide, Kefend, Kasrschirin, Ghiilan, Carag, Anne, Alfebah, Demurcapn, Deirberhiie, Caraniie.

3.

Le bacha d'Yemen, dans l'Arabie heureufe ; il fait fa réfidence à Aden, fur la mer Rouge; mais cette place ayant été reprife par les Arabes fur les Turcs, avec la plûtpart du pays; il n'eft pas néceffaire de faire mention du revenu de ce bacha, ni des fangiacs qu'il avoit autrefois fous lui.

4. Le bacha d'Habesch, fur les frontieres des Abiffins, en Ethiopie; les Turcs l'appellent autrement Huftzebit. Ce gouvernement étant fort éloigné du fecours des Ottomans, il est tout-à-fait perdu pour le Turc; de forte qu'il n'eft plus queftion de fon revenu ni de fes fangiacs.

5. Le bacha de Bofra, fur les frontieres de Perfe; c'eft une ville maritime fituée fur le golfe Perfique, proche de Byblis, en Phénicie. On comptoit autrefois fix fangiacs fous ce gouvernement, mais le Turc ne le pofféde plus, & n'en retire point d'autre avantage que des prieres qu'on y fait continuellement pour le fultan.

6. On compte fix fangiacs dans le gouvernement de Labfa, fur les frontieres d'Ormus, en Perfe; favoir, Aiwen, Sakul, Neguiie, Netif, Benderafir, Giriz; mais ces lieux font fi pauvres, qu'à peine font-ils marqués fur les registres du grand feigneur. L'ufage de ces regiftres ett de faire voir la grandeur & la puiflance de l'empire des Ottomans, qui contient un fi grand nombre de gouvernemens confidérables. Ce dénombrement peut auffi fervir à faire un compte exact des troupes que le grand feigneur peut lever dans les états; car chaque bacha eft obligé d'entretenir un foldat pour chaque cinq mille afpres de fon revenu; mais affez fouvent, foit par oflentation, foit pour gagner les bonnes graces du fultan, ils en fourniffent bien plus qu'ils ne font obligés, & on a l'exemple, que le beglerbeg de Romanie feul ait amené en tems de guerre dix mille hommes effectifs à l'armée. Il y a cinq de ces beglerbegs qui portent le titre de vifirs, c'eft-à-dire, confeillers. Ce font le bacha de Natolie, celui de Babylone, celui du Caire, celui de Romanie & celui de Bude, qui font les gouvernemens les plus riches & les plus confidérables de l'empire; les autres ont leur rang, felon le tems qu'il y a que les lieux de leurs gouvernemens ont été conquis par les Turcs; car la poffeffion la plus ancienne fait auffi le plus honorable gouvernement. Dans chacun de ces grands gouvernemens il y a trois principaux officiers; le mufti, le reis effendi, qu'on appelle autrement reis kitab, qui eft chancelier & facrétaire d'état, & le defterdar bacha ou grand tréforier. Ces trois officiers font les principaux confeillers & les prin. cipaux miniftres des bachas des provinces, aulli-bien que du premier vifir; mais avec cette différence, que le mufti, le reis effendi & le defterdar du premier vifir font beaucoup au-deffus des autres.

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J'ai parlé du mufti à l'article de la religion.

Le reis effendi veut dire le chef des écrivains ou des gens de lettres, & de ceux qui manient les livres; car les Tarcs donnent ce titre à tous les prêtres de paroiffes; il eft toujours auprès du premier vifir, pour expédier les ordres, les arrêts, les lettres patentes & les commiffions pour tous les différens endroits de l'empire. On ne fauroit croire combien il fe fait tous les jours de dépêches, parce que le gouvernement des Turcs étant plutôt arbitraire que fondé fur des régles fixes & certaines, chaque affaire demande un ordre exprès à part, même la plupart des cours de juftice ne fe conduifent que par des ordres qu'elles reçoivent d'en haut. Cette multitude d'affaire oblige le reis effendi à employer un grand nombre d'écrivains, ce qui fait qu'il remplit tellement fes coffres d'or & d'argent, que lorfqu'il fe trouve quelque reis effendi, qui, par fon efprit & fon adrelle, acquiert du crédit & de l'autorité dans cette charge, il amaffe des richelles fi excellives, qu'elles peuvent aller de pair avec les tréfors des princes; témoin le reis effendi Samozade, fort fameux parmi les Turcs pour fa prudence & fes richetles, qui fut exécuté pendant les dernieres guerres d'Allemagne, pour avoir confpité contre le premier vifir; & les biens ayant été confifqués, on trouva chez lui un tréfor immense. L'autre grand officier eft le defterdar ou grand tréforier; c'est lui qui reçoit le revenu du grand feigneur, qui paye les foldats, & fournit tout ce qui eft nécelfaire pour les affaires publiques. Cette charge eft diffé rente de celle de tréforier du ferrail, car ce dernier n'a point d'autre foin que de fournir ce qu'il faut pour la dépenfe de la cour, & de recevoir les profits cafuels & les préfens qu'on fait au grand feigneur ; ils font en fi grand nombre & fi confidérables, que la plupart des fultans amaffent un tréfor particulier qui eft enfermé après leur mort dans une chambre à part, qui a une porte de fer, & dont la ferrure eft bouchée avec un plomb. Au-deffus de la porte on voit écrit en lettres d'or : Le trésor d'un tel fultan.

Il y a un nombre prodigieux de foldats dans ce vafte empire: ce qu'on en va dire eft fondé fur le rapport d'un des principaux & des plus expérimentés commillaires des ar

gneur, ils font obligés de mener avec eux à l'armée un cavalier qui porte le nom de gebelu. Chaque zaim prend le titre de kilitch, c'est-à-dire, épée. C'eft pourquoi lorfque les Turcs font le détail des forces que les beglerbegs peuvent mener à l'armée pour le fervice de leur prince, ils ne s'arrê tent qu'aux zaims & aux timariots feuls, qu'ils appellent autant d'épées, fans compter ceux qui les doivent accompagner. Les timariots font obligés de fervir avec des tentes plus petites que les zaims, & d'être fournis de trois ou quatre corbeilles, pour en donner une à chaque homme qui les accompagne, parce qu'outre qu'ils doivent combattre auffibien que les zaims & les fpahis, il faut encore qu'ils portent de la terre & des pierres pour faire des batteries & des tranchées, pendant que les janiflaires combattent. Les timariots font obligés de mener un cavalier avec eux pour chaque fomme de trois mille afpres de revenu qu'ils ont, de même que les zaims pour chaque fomme de cinq mille. Les zaims & les timariots font difpofés par régimens, dont les colonels font appellés alai - begler. Lorfqu'ils marchent ils ont des drapeaux que les Turcs appellent alem, & des tymbales qu'ils nomment tabl. Ces colo nels font foumis à un bacha ou fangiac beg, & celuilà a un beglerbeg. Lorfque toutes ces troupes font raffemblées en corps, elles fe trouvent au rendez-vous qui eft marqué par le général, que les Turcs appellent ferasker. Allez fouvent c'est le grand-feigneur qui commande en perfonne, quelquefois c'eft le vifir azem, ou quelqu'autre feigneur confidérable qui porte le nom de vifir. Ces deux ordres de foldats ne font pas feulement deftinés à fervir fur terre, mais on les oblige quelquefois à fervir dans l'armée navale, où on les appelle deria kaleminde, & où ils font fous le commandement du capoutan bacha ou amiral. Il eft vrai que les zaims font fouvent difpenfés de fervir fur mer en perfonne, moyennant la fomme à laquelle ils font taxés fur les livres des feigneurs, & de cet argent on leve d'autres foldats qui font enrollés dans les registres de l'arfenal; mais les timariots ne fe peuvent jamais exempter de fervir en perfonne avec toute la fuite que le revenu de leurs terres les oblige de mener avec eux, non plus que les zaims, lorfqu'ils font commandés d'aller fervir par terre. Il n'y a point d'excufe qui puiffe paffer pour légitime à cet égard ; Il y a deux fortes de gens qui compofent la milice des s'il y en a de malades, il faut qu'ils fe fallent porter en liTurcs. La premiere eft entretenue du revenu de certaines tiere ou en brancard; s'ils font enfans, on les porte dans des terres & de certaines fermes que le grand feigneur leur corbeilles ou dans des paniers, & on les accoutume ainsi donne. La feconde eft payée en argent. La principale force dès le berceau à la fatigue, au péril & à la discipline militaide l'empire confifte dans la premiere, qui eft encore divifée re; & c'est pour cela qu'ils font la meilleure partie de l'aren deux parties, l'une de zaims, qui font comme des ba- mée des Turcs. Ils reftent compris fous le nom général de rons en de certains pays, & de timariots qui peuvent être fpahis. Pour faire le plus jufte calcul de leur nombre, il fuffit comparés à ceux que les Romains appelloient decumani. de remarquer qu'un zaim ne peut mener avec lui moins de Ceux qui font payés en argent du tréfor du grand feigneur, quatre cavaliers, & que c'eft le plus grand nombre qu'un font les fpahis, les janiflaires, les armuriers, les canon- timariot eft obligé de mener. Le moindre timariot eft obliniers & les foldats de mer appellés levents; mais ces der- gé de mener un homme à la guerre, & le plus considérable niers n'ont pas une paye réglée, & ne font pas mis au zaim dix-neuf. En prenant dans ce calcul un certain milieu nombre des ordres militaires ; ils reçoivent feulement cinq entre le plus & le moins, on pourroit venir à bout d'en stiou fix mille afpres pour chaque voyage, & lorfqu'ils font puler le nombre : mais les commiffaires que le grand-seide retour on les caffe. Les zaims & les timariots font de gneur envoie pour faire les montres, font auffi intéressés & même nature, ayant été établis pour la même fin. Toute la auffi peut exacts que les nôtres. D'ailleurs les zaims, comme différence qui eft entr'eux, confifte dans leurs lettres-paten- nos capitaines, ont beaucoup de paffe-volans pour faire tes qui réglent le revenu des terres qu'ils tiennent du grand nombre les jours de montre. La mort des zaims & des trifeigneur. La rente d'un zaim eft depuis vingt mille afpres mariots caufe beaucoup de variété dans le nombre des jufqu'à quatre-vingt-dix-neuf mille neuf cents quatre-vingt- foldats du grand-feigneur. Quelques-uns ont leur revenu dix-neuf, & rien plus; car s'il y avoit encore un afpre, ce à vie feulement, & les autres meurent fans enfans; car en feroit le revenu d'un fangiacbeg, qu'on appelle un bacha, ces cas-là leurs terres retournent à la couronne : de forte qui eft de cent mille afpres, jufqu'à cent quatre-vingt-dix- que comme ceux qui les poffédoient les ont cultivées, & en neuf mille neuf cents quatre vingt-dix neuf; car fi on y ont augmenté le revenu par leurs foins & par leur travail ajoutoit auffi nne afpre davantage, cela feroit le revenu d'un le beglerbeg. Il y a deux fortes de timariots. Les premiers font appellés teskerelu, & reçoivent les provifions de leurs terres de la cour du grand feigneur. Leur revenu eft depuis, cinq ou fix mille afpres jufqu'à dix-neuf mille neuf cents quatre-vingt-dix-neuf; car fi on y ajoutoit encore une af pre, ce feroit le revenu d'un zaim. Les autres s'appellent teskeretis, qui obtiennent leurs provifions du beglerbeg de leur pays, & leur revenu eft de trois mille afpres jufqu'à fix mille. Les zaims font obligés de fervir dans toutes les expédition de guerre avec leurs tentes, où il y doit avoir des cuifines, des écuries, & d'autres appartemens proportionnés à leur bien & à leur qualité, & pour chaque fomme de cing mille afpres de revenu qu'ils reçoivent du grand-fei

mées des Turcs.

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grand-feigneur les donne à d'autres, non pas fur le pied qu'elles avoient été données aux premiers, mais fur le revenu qu'elles font après leur mort, qui eft affez fouvent le double de la premiere valeur. Par ce moyen le fultan augmente le nombre de fes foldais, & c'eft une chofe digne d'être remarquée, qu'au lieu que les autres princes perdent à la mort de leurs fujets, il en profite; car plus il y en a de tués dans une bataille, & plus il lui en revient de bien, dont il difpofe de telle forte, qu'il gratifie ordinairement plufieurs perfonnes de ce qui ne faifoit auparavant que le partage d'un feul; mais pour venir préfentement au compte particulier des ziamets & des timars qui fe trouvent dans l'empire du grand-feigneur, en voici un extrait qui a été tiré des regiftres de ce monarque.

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