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de la république. Toute la hauteur qui est au-dessus du fecond portique est ornée de cadres, de demi colonnes, de festons, d'arabesques, & d'autres bas reliefs d'une beauté finguliere. Ce qu'il y a de plus riche dans la cour du palais, pour le marbre & pour la sculture, est contre le portique par où l'on entre. On y voit de belles figures antiques; mais l'Adam & l'Eve, qui font au portail de ce portique, qui est opposé à l'escalier, sont deux figures excellentes. L'escalier est de marbre, & d'une feule rampe à découvert. Il conduit au portique du premier étage, & il est terminé par deux belles statues colossades du Samfouin. Au premier étage du palais, il y a un fort grand nombre de chambres, tant fur la cour que sur la place, toutes de plein pied aux galeries du dedans & du dehors, & dans lesquelles s'assemblent autant de différens magistrats pour y rendre la justice. Un trèsmagnifique escalier, qui commence au second étage, dans le milieu du plus grand corps de logis, conduit par la premiere rampe aux appartemens du Doge, qui font à main gauche, & par la feconde, on monte aux falles du college du Prégadi, du scrutin, du conseil des dix, des inquifiteurs d'état, à la grande salle du grand conseil; enfin, par un labyrinthe de communications, on paffe dans toutes les chambres du palais, d'où l'on descend par un autre grand escalier qui n'est pas éloigné du premier. On ne voit dans toutes ces pieces que lambris & plafonds magnifiques en dorure & en peinture. Les murailles, au lieu de tapisseries, font couvertes de grands tableaux très-exquis. Les plus grands peintres de l'école Lombarde, Georgeon, Titien, Paul Veronèse, Palme, Tintoret, & plusieurs autres célebres peintres, se sont efforcés, à l'envi, pour y conduire des chef-d'œuvres de leur art. L'église de saint Marc eft proprement la chapelle du Doge, & on y fait toutes les cérémonies solemnelles. Cette église est collégiale, & n'a aucune jurisdiction au-dehors. Mais comme elle dépend entierement du Doge, c'est lui qui en nomme le primicier, qui est le doyen du chapitre, officiant avec la mitre & la crosse, & faisant toutes les fonctions épiscopales; aussi est-ce toûjours un noble Venitien qui est pourvû de cette dignité, dont le revenu est d'environ cinq mille ducats, sans une abbaye qu'on y joint ordinairement. Ce prélat est à la tête de vingtfix chanoines, tous à la nomination du Doge. Il y a outre cela un séminaire de plusieurs jeunes gens destinés à faire le service de cette églife. Dans les principales folemnités de l'année, & fur-tout dans la femaine Sainte, on y fuit un rituel conforme à celui d'Alexandrie, à cause que le corps de faint Marc, suivant une ancienne tradition, a été apporté de cette ville à Venife. On y observe des cérémonies trèsparticulieres; une des plus remarquables est la proceffion du faint Sacrement, qu'on porte le Vendredi Saint à neuf heures du foir, tout autour de la place, dans un cercueil couvert de velours noir. Il n'a jamais été au pouvoir du pape d'abolir cette coutume; mais au lieu qu'elle fe pratiquoit autrefois dans tout l'érat, la république en a laissé l'usage aux feules églises de Venise, qui font toutes le même soir une semblable proceffion. Rien au monde n'est plus beau que Venife pendant cette nuit, qui est éclairée d'un million de flambeaux. La place de saint Marc est pour lors un charmant spectacle. Il y a deux grands flambeaux de cire blanche à chaque fenêtre des procuraties. Ce double rang de flambeaux disposés avec ordre & ceux qu'on allume sur le portail de l'églife, font un très bel effet, & éclairent toutes les processions des confrairie & des paroisses voifines qui passent exprès dans cette place. Pendant ce temps toute la ville est comme en feu, on épargne si peu la cire blanche, qu'on croit que ce foir-la il s'en brûle autant à Venise, , que pendant un an entier dans tout le reste de l'Italie. C'est encore un privilege fingulier de l'église de saint Marc, de dire la Meffe à fix heures du foir, la veille de Noël. Les défordres qu'on voyoit arriver à cette cérémonie, lors qu'elle se faifoit à minuit, ont donné occafion au changement qui a été introduit. Le bâtiment de l'église est à l'antique, solide & massif, avec cinq do

mes fort bas, couverts de plomb, & percés d'un rang de petites lucarnes au-deffus de la corniche. Le de vant, & les deux côtés de l'église, sont une espece de portique fermé & séparé au reste. La façade extérieure a cinq grandes portes enrichies de quantité de colonnes de porphyre & de plusieurs autres fortes de marbres fins. Au-dessus du ceintre des portes, il y a un corridor fermé d'une balustrade, qui regne fur toute la face de l'églife; & fur quatre picdestaux, qui font au-dessus de la plus grande porte, font placés quatre superbes chevaux de bronze doré, d'une beauté fans égale, & qui, avec toutes les peintures de mosaique a fond d'or, qui font dans les ceintres des portes, & jusqu'au plus haut du reste de l'édifice, font le plus riche ornement du portail. On tient que ces chevaux sont les mémes. qui furent donnés à Néron, lorsqu'il triompha des Parthes, & qui furent mis au char du foleil, fur l'arc de triomphe qui lui fut consacré à Rome. Constantin le Grand les fit porter à Constantinople, & les plaça dans l'Hippodrome, ou, comme difent quelques-uns, fur le portail de sainte Sophie. Lorsque les Vénitiens, joints à l'armée navalle des princes François, eurent aisitté a la prise de Constantinople, Marin Zen, qui fut le premier podestat ou gouverneur, que la république y envoya pour commander dans la part qu'elle avoit eue à cette conquête, fit transporter ces chevaux à Venife, où après avoir été long-temps gardés, sans qu'on en connût le prix & la beauté, ils furent poses sur le portail de l'église de saint Marc. Cette église est faite en croix, fans aucun ornement d'architecture au-dedans : les murailles & les gros pilastres, qui soutiennentlanef, sont revêtus d'un marbre gris-blanc, ondé de noir, dont les grandes pièces, rapportées & jointes avec industrie, forment des ondes fi bien proportionnées, qu'elles semblent faites au pinceau. Depuis l'ouverture des plus basses arcades, jusqu'aux voûtes & aux dômes, tout cit couvert de belles mo faiques anciennes & modernes à fond d'or; & l'on voit en plusieurs endroits de grands tableaux de mosaique du dessein de divers habiles peintres. Enfin on ne voit que marbre & riches colonnes dans toute l'église, au maitre autel à la fermeture du chœur, & aux trois portes intérieures de l'église, qui font enfermées dans le portique. Je ne m'arrêterai point à faire un plus grand détail: il suffit de dire qu'en voyant le marbre, les colonnes, les tables d'or & d'argent enrichies de pierreries qui font le devant & le fond de l'autel, les richesses qu'on y expose dans les solemnités, le pavé de toute l'église, qui est partie en grotesques de mosaïque, partie en divers comparti mens faits de petites pieces de rapport de marbre fin de toutes couleurs, qui forment de très - agréables figures; enfin les grandes portes toutes de bronze, à jour & en relief, qui étoient autrefois à fainte Sophie; on tombe aifément d'accord que la république a eu besoin des dépouilles de Constantinople, pour amasser tant de précieuses choses ensemble.

Il y a encore de plus grandes richesses dans le tré fort, dont une partie est à l'églife, & l'autre à la république. Les reliques en font la premiere partie, & une quantité prodigieuse de pierres précieuses, de vases & de couronnes, font l'autre. Le tout est trèssoigneusement conservé dans un endroit de l'églife, & les clefs font entre les mains d'un procurateur de saint Marc. Celle de toutes les reliques que la république & le peuple estiment & honorent davantage, est le précieux fang qu'on y conserve dans une am: poule, & qu'on expose trois ou quatre fois l'année; avec des cérémonies très-particulieres, à caufe des fréquens miracles qui se font à ces expositions. On ne voit dans le tréfor , pour toutes reliques de faint Marc, que le pouce qu'il se coupa pour n'être pas fait prêtre, s'en croyant indigne; & l'Evangile, qu'on croit être le vrai original écrit de la main de ce Saint. Mais on nemontre que la riche cháfse dans laquelle on dit qu'il est enfermé. Cependant, comme la tradition du pays veut que tout le corps de S. Marc ait été apporté à Venise, il est étonnant qu'on en ait fi peude reite. Dans un lieu joignant celui où l'on garde les reliques, on voit toutes les richesses du trésor, arrangées

Gur

les tablettes d'une grande armoire, dont le fond est de velours noir, pour les faire éclater davantage. Une balustrade, dans laquelle se tient le procurateur qui en a les clefs, empêche qu'on ne puiffe approcher affez près pous y atteindre de la main. Les piéces de ce tréfor, qui paroiffent les plus considérables, font douze corfelets d'or, faits comme de petits devans de cuiraffe, tous couverts de grosses perles, & d'un nombre infini de pierres précieuses, de toutes especes & de toutes grandeurs; & douze couronnes d'or étendues de plat, qui font de la même fabrique & de la mêmerichesse que les corselets, qui ne pesent guere moins que s'ils étoient de fer, à l'épreuve du mousquer. On dit que douze dames d'honneur de l'Impératrice de Constantinople portoient devant elles & fur leurs têtes, ces riches ornemens, dans les céré monies folemnelles, & présentement on en pare les gradins de l'autel aux jours de grandes fêtes. On y voit fix gros rubis, qui, sans être taillés, ne laiffent pas d'avoir un fort bel éclat. Ils n'ont d'autre encháffure qu'une broche d'or qui les traverse. On assure que le plus gros pese fix onces. Il y en a qui veulent que la corne ducale, qui est la couronne qu'on met au Doge dans la cérémonie de fon couronnement, soit la plus précieuse piece du trésor. C'est une calotte de velours cramoifi, dont le derriere, élevé en une pointe arrondie, lui a fait donner le nom de corne. Les bandes d'or, larges de deux doigts, qui en font le frontal, & la croifée qui la ferme par-dessus, comme une couronne royale, font couvertes de trèsgrandes pierres précieuses, aufi-bien que le milieu des quatre angles de la croisée. On y voit fur la pointe un diamant de médiocre grandeur, mais fort élevé, dont Henri III, roi de France, fit présent à la république à fon retour de Pologne. Mais ce qui furpaffe beaucoup le prix de ces pierreries, c'est un rang de groffes perles en poire, qui sont dressées tout autour du frontal de cette couronne, & dont la beauté & la grosseur peuvent bien faire regarder cette couronne ducale, comme la plus riche piece du tréfor. On admire encore une tasse faite d'une feule turquoise, & qui furpaffe en grandeur une fortgrande écuelle; en-dehors elle a un feuillage de vigne en relief, taillé dans son épaisseur. On y voit aussi un petit sceau d'un seul rubis, & plus grand qu'une éguiere ordinaire; des croix garnies de perles & de diamans, des plaques & des sceptres de grand prix, & quanté de vases de diverses figures d'agate, de cornalines, & de plufieurs autres fortes de pierres précieufes, tout d'une piece, d'une grandeur extraordinaire, & en affez grand nombre pour en faire un service entier; ce qui fait connoître qu'elle étoit la magnificence des empereurs de Constantinople, , d'où presque toutes ces précieuses raretés ont été apportées. La république avoit autrefois dans son trésor une chaîne d'or d'une groffeur & d'une longueur fi extraordinaire, qu'il falloit quarante crocheteurs pour la porter, & avec cela on voyoit douze ou quinze millions d'or monnoyé, à quoi on ne touchoit jamais que pour étaler ces grandes richesses aux yeux du peuple & des étrangers à certains jours de solemnité. On faifoit tendre cette chaîne d'or le long du portique du palais qui est sur la place, dont elle tenoit les deux faces, & on y joignoit des tas de monnoie d'or, qu'on plaçoit entre chaque colonne. Mais la guerre de Candie a épuisé ce trésor, & la chaîne a été é con- convertie en fequins dans les pressans besoins de l'état. On remarque encore dans la place de saint Marc le clocher, que les Vénitiens regardent comme un des principaux ornemens de leur ville, quoiqu'il fasse en quelque forte obstacle & embarras fur la place. Cette tour est bâtie près de l'angle que font les deux áiles des procuraties neuves; de forte que l'église avançant dans la place de l'autre côté, le clocher occupe la plus grande partie de l'espace qui eft entre les deux places de faint Marc; & de plus, comme il se trouve vis-à-vis de la grande porte du palais, ilen borne la vûe. Cet édifice est cependant très-hardi, tout isolé, carré & bâti de briques, n'ayant qu'environ vingt-cinq pieds fur chaque face, & cent quatrevingt jusqu'à une grande corniche de marbre, où

commence l'étage des cloches. Depuis cet érage jus qu'à la pointe du clocher, il y a encore cent foixante pieds de hauteur, & le tout est foutenu par des colonnes qui portent une autre corniche & une pyra mide au-dessus, couverte de lames de cuivre doré, que le temps a rendues de couleur de bronze, auffibien qu'un ange qui a près de trois toises de hauteur, & qui étant placé sur l'extrémité de la pointe, les ailes étendues, montre de la main le côté d'où vient le vent. Les murailles de cette tour sont doubles en dedans; entre les deux on monte insensiblement jusqu'aux cloches, en tournant, & fans qu'il y ait de marches. Il est constant, que pour élever sur un fond aussi peu folide, un bâtiment de la hauteur de celuilà, d'où l'on découvre presque tout l'état de la terre ferme, & même certains endroits au-delà de la mer, il n'a guere fallu faire moins de dépense dans la terre, qu'on en a fait au-dehors.

On voit peu de villes qui foient plus remplies d'églises que Venife; car on y compte soixante & douze paroisses, toutes desservies par plufieurs prêtres habitués; plus de trente couvens de religieux, & plus de trente-cinq monasteres de religieuses; outre plufieurs chapelles, un grand nombre de confrairies de Pénitens, qu'on appelle Ecoles. Les églises des paroisses font presque toutes petites, & ne font pas les plus riches, ni les mieux ornées; celles de religieux & religieufes font les plus belles & les plus propres. Mais quelques-unes des églises des grandes confrairies font incomparablement plus magnifiques en bâtimens, & plus riches en excellens tableaux, && en belle argenterie. Il n'y a cependant pas une église à Venise ou l'on ne puisse trouver quelque chose de rare en peinture ou en architecture. Ceux qui connoiffent bien Venise, font perfuadés qu'elle contient elle feule autant de beaux tableaux que presque toute l'Italie ensemble. Il y a d'excellentes peintures chez la plupart des nobles, chez divers particuliers, & la plus grande partie des églises & des édifices publics ont leurs plafonds & leurs murailles couvertes de ta bleaux de prix. L'école de saint Roch tient le premier rang pour les richesses, pour la beauté de l'architecture, & pour la quantité surprenante des ouvrages du Tintoret. Celle de faint Marc ne lui céde guere: la façade eft de marbre, enrichie de bas-reliefs; & au-dedans elle est toute peinte par le même maître, qui a produit une fi grande quantité de beaux ouvrages, que la vie d'un autre peintre ne fuffiroit pas pour exécuter ce qu'il a fait en deux ans. L'église de faint Sébastien est admirable pour la beauté & pour le grand nombre de tableaux de Paul Veronèse, qui y est enterré. Celle de sainte Marie majeure a plufieurs ouvrages du Baffan. Pour l'archi tecture, entre les églises modernes, celle de Notre Dame della-Salute, que la république a fait bâtir enfuite d'un vœu, pour être délivrée de la peste, tient le premier rang. Le dessein en est fingulier, & fa fttuation, à l'entrée du grand canal, est admirable. C'est un grand octogone qui en renferme un plus petit, dont les huit pilastres qui font aux angles, foutiennent un fort beau dôme. Le maître-autel eft dans l'enfoncemeut d'un grand ovale, & il est enrichi de très-belles figures de marbre blanc, représentant la peste chassée par le zéle & par la piété de la républi que. Il y a fix chapelles enfoncées dans les fix autres faces de l'octogone, avec des autels & des balustrades de marbre. Le portail, & tout le dehors de cet édifice, n'est guere moins embelli que le dedans. L'église & le couvent del'abbaye de S. George, majeur, ordre de faint Benoît, qui occupent une isle vis-à-vis de la place de faint Marc, dont elle n'est éloignée que d'une portée de mousquet, font de trèssuperbes bâtimens. On y voit l'admirable tableau des noces de cana, qui tient tout le font du réfectoire & qui paffe pour le chef-d'œuvre de Paul Véronèse: le jardin est la plus charmante promenade de Venife. Il est environné de terrasses revêtues en forme de remparts, d'où l'on découvre tout ce qu'il a de beau das les Lagunes. Le couvent de faint Jean & de faintPaul, qui est dans la ville, a les plus magnifiques dortoirs qui se puissent voir. L'église est des plus gran

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des; & le tableau de faint Pierre, martyr, du Titien, en fait le plus bel ornement: c'est le chef-d'œuvre de ce grand maitre, & un des quatre beaux tableaux du monde; mais il se gâte beaucoup., tant à cause qu'il eft dans une mauvaise exposition, que parce que les peintres, qui le copient incessamment, ont déjà paffé si souvent l'éponge sur le visage du Saint, que le coJoris eft tout éteint. On voit ausli à Venise plusieurs petites églises d'une beauté finguliere. Elles font du Sanfouin & du Palladio. Mais ce dernier n'a rien fait de fi beau que l'église du Redemptor, située à la Zuéque. Elle est comme Notre-Dame della-Salute, l'effet d'un pareil vœu de la république; & comme elle étoit destinée, aux Capucins, qui ne la vouloient pas accepter aussi magnifique qu'on l'avoit projettée; il semble que le Palladio ait su tromperles yeux, & faire confister la beauté de cette église dans une fimplicité apparente du bâtiment, & dans les justes proportions de l'art, plutôt que dans la pompeuse richesse de l'architecture, qui y est cependant admirable. On trouve néanmoins que la voûte, qui est faite en berceau, & toute unie, est un peu trop surbaiffée. Dans la plupart des églises, on voit de magnifiques maufolées. On en a dressé presqu'à tous les Doges & aux premiers Sénateurs.

Après la place de saint Marc, les deux endroits de Venise les plus riches, les plus peuplés & les plus agréables, font la mercerie, & Rialte. Tout le chemin, qu'on trouve entre la place & le pont de Rialte, s'appelle la Mercerie. Il confitte en cinq ou fix rues affez étroites, les unes au bout des autres. Sur les boutiques des principaux marchands sont étalées toutes fortes de belles étoffes de foie & de laine, des draps d'or, des points de Venise, des rubans, des dentelles d'or & d'argent, des velours, des damas, des brocards: tout cela, joint aux étalages de plusieurs autres especes de marchandises, fait de la mercerie une des plus agréables choses que l'on voie à Venise. La petite place de saint Barthelemi, qui joint la mercerie au pont de Rialte, est toute occupée par de riches marchands droguistes. Le quartier de Realte, qui est le plus ancien de Venise, contient une affez grande isle, qui eft de l'autre côté du pont, au pied duquel, à main gauche, est une longue galerie, sous laquelle font des marchands de draps & d'autres étoffes, dont les magasins sont au-dessus. A main droite est la place de Rialte, dont la petite église de saint Jacques, qui fut la premiere qu'on bâtit dans les isles, fait un des côtés proche du pont. Les deux autres font fermés par des portiques, fous lesquels les Négocians s'assemblent tous les jours à midi pour leur commerce. Derriere l'église de saint Jacques, fur le bord du grand canal, on voit un batiment presque tout de marbre, & fort ancien. Il y a au-dessous d'affreuses prisons. C'étoit autrefois le palais de la justice de toute la ville, & divers magistrats y tiennnent encore les tribunaux civils & crimi nels de Rialte. Il y a fur le même bord du grund canal de longs bâtimens publics, foutenus par des portiques, sous lesquels se vendent toutes fortes de provisions de bouche, & au bout de la rue qui est visà-vis du Pont, on trouve une quantité prodigieufe de boutiques d'Orfévres & de Jouailliers, chez lesquels on voit les plus belles pierreries de l'Europe.

L'arsenal de Venite fait le sujet de l'admiration des étrangers, & est le fondement de toutes les forces de l'état. Son enceinte est très-vaste. On ne lui donne pas moins de deux milles de circuit. Il occupe toute l'extrémité orientale de la ville, dont il n'est séparé que par un canal qui l'environne de trois côtés, & il a les Lagunes vers le nord. Il est fermé du murailles très-hautes, flanquées de plusieurs petites tours, où l'on fait une garde exacte, particulierement pendant la nuit, afin que les fentinelles, par le moyen des cloches qui font à ces tours, puiffent promptement ávertir les corps-de-garde, foit dans les surprises qui font à craindre, foit en cas d'accident de feu. Dans un grand nombre de falles, on voit une quantité prodigicuse de toutes fortes d'armes pour l'Infanterie pour la Cavalerie, pour les Vaisseaux, & pour les Galeres. Il y en a, dans une salle, pour dix milles

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hommes, dans une autre, pour vingt mille, dans une
autre, pour trente mille, & dans une autre , pour
quarante mille. Il en est de méme pour les
mens de mer; une salle tient de quoi armer vingt
galeres; une autre pour en armer trente, & une autre
quarante. La république traita le roi de France,
Henri III, dans la plus grande de ces falles, & le
plaisir qu'elle lui donna de voir faire & monter une
galere toute entiere, pendant le temps de son diner,
ne fut pas le moindre divertissement dont elle le ré-
gala. Sous ces mêmes falles, il y a des magasins se-
pares pour toutes fortes d'attirals & d'équipages de
guerre. On y compte plus de huit cens pieces de ca-
non, & des boulets des mortiers, des bombes, des
grenades à l'infini. Les mats, les antennes, les avi-
rons, les voiles, les cordages, les ancres, les clous
& tous les ferremens, qui entrent dans la construc-
tion des bâtimens, y sont confervés chacun dans des
lieux séparés. Tout y est dans une telle quantité,
qu'on y pourroit ailément équipper cent galeres ou
galéaffes, & armer cent mille combattans, s'il y
avoit affez d'hommes & d'argent pour l'exécution. Il
y a dans l'arfenal trois vastes carrés d'eau, qui com-
muniquent avec les Lagunes & tout autour font
quantité de loges ou remises affez grandes pour
tenir deux batimens à couvert. C'eit-là qu'on fabrique
les vaisseaux, les galeres, & les galéaises. Ces der
niers batimens égalent les plus grands vaisseaux en
longueur & en largeur. Leur équipage est de mille à
douze cens hommes, & de quarante à cinquante pie-
ces de canon. Ils ne peuvent jamais étre commandés
que par des nobles Vénitiens, qui s'obligent par fer-
ment, & répondent sur leur tete, qu'ils ne refuseront
pas de combattre contre vingt-cinq galeres ennemies.
L'arienal te gouverne comme une petite république.
On y fait bonne garde, & les ouvriers y travaillent
sous l'autorité de trois nobles Vénitiens, qui font
leur résidence dans l'arsenal, & qu'on ne change que
tous les trois ans. Les ouvriers font outre cela foumis
à un directeur général des ouvrages, appellé le grand
amiral. Il porte la robe de fatin rouge, la veste par-
dessus, & la toque de Damas violet, avec un cordon
d'or. Ce n'est cependant qu'un maitre ouvrier; mais
dont l'habileté est reconnue. La plus illustre de ses
fonctions eft de conduire le Bucentaure, lorque le
Doge, accompagné des ambassadeurs & de la fei-
gneurie, va épouter la mer le jour de 1 Ascenfion. Cet
officier eit le pilote de ce magnifique bâtiment, dont
tous les artisans de l'arsenal compotent la Chiourme;
& par une formalité finguliere, il s'oblige, sous pei-
ne de la vie, de ramener le Bucentaure, fans le laif-
ser surprendre à la tempére; aussi quand le temps eit
douteux, ne paffe-t-il guere au-de-là des bouches du
Libo, ou bien il fait remettre la cérémonie à un au-
tre jour. Il y a encore dans l'arsenal un Intendant des
machines militaires, & de toutes les inventions mé
chaniques qui peuvent servir à la guerre, ou au né-
toyement des Lagunes. C'est toûjours un habile Ma-
thématicien. La république n'entretient ordinaire-
ment que cinq cens ouvriers dans l'arsenal pendant la
paix; mais en temps de guerre, elle les augmente
jusqu à deux mille.

Outre les avantages qui sont communs à la ville de Venife, avec toutes les villes maritimes, elle en retire encore un tout particulier de sa situation au milieu der Lagunes, qui sont comme le centre où aboutissent diverses rivieres, entr'autres le Pô, l'Adige, la Brente, la Piave, & quantité de grands ca aux que la république a fait creuser dans une partie de tes états pour la commodité des voitures. Cette fituation donne tant de facilité à Venise pour y exercer un grand commerce, que depuis la fondation de la république jusqu'à préfent, il n'y a point eu de ville en Europe qui en ait eu un plus grand. Les Vénitiens étoient autrefois les seuls qui fissent le commerce des mers du levant & des Indes orientales. Leurs vaisseaux alloient charger à Alep & à Alexandrie les marchandises qu'on apportoit en Syrie & en Egypte, & ils les transportoient ensuite dans la plupart des ports de l'Europe. Mais depuis que diverses nations ont eu le courage de passer la ligne & de doubler le cap de BonneEspérance,

Espérance; il ne reste plus guere aux Vénitiens que le commerce de Constantinople & d'Allemagne ; auffi comme le débit de leurs riches étoffes & de leurs principales manufactures leur est d'une extrême conTéquence, entretiennent-ils ces commerces avec une grande application. Ils distribuent en outre leurs miroirs & leurs cristaux en Allemagne, en Italie, & en Espagne; leurs velours & leurs brocatelles en France, & leurs points de Venise presque par-tout, excepté dans la France, depuis que l'entrée en a éré interdite. Il feroit difficile de dire la grande quantité de brocarts, de damas & de draps d'or, que les Turcs & les Arméniens enlevent incessamment pour Constantinople ou pour la Perse. Afin d'entretenir cet important commerce, la république a de trèsgrands égards pour les sujets du Grand Seigneur qui résident à Venise. Elle leur a donné un vieux palais fur le grand canal. Tous les Turcs y logent ensemble, & y font l'entrepôt des marchandises qu'ils envoyent, & de celles qu'ils reçoivent. S'il arrive quelque démêlé entre ces Turcs & des sujets de la république, & que les premiers prétendent avoir été offenfés, ils en vont demander si hautement la fatisfaction, & l'obtiennent fi promptement, qu'il femble qu'on n'oferoit la leur refufer. Pour rendre ce commerce plus facile & plus assuré, on a construit un vaiffeau, qui est proprement une demi-galéaffe, & qu'on appelle la galere des marchandises. Elle porte à Spalatro, en Dalmatie, pour un écu la piece, tous les balots des négocians de Venise, & à Spalatro on les charge sur des chameaux qui les portenta Constantinople & en Afie. Le commerce d'Allemagne eft le premier & le plus ancien qu'ait eu la ville de Venife; &, comme il n'est guere moins avantageux à l'état que celui du Levant, on n'a rien oublié de tout ce qui pouvoit contribuer à l'entretenir. Dans cette vûe la république a accordé aux marchands Allemands un beau & ancien palais, près du pont de Rialte où est le magasin des Allemands. Les négocians de cette nation y font très-commodément logés, à un prix fort médiocre, & jouissent de plusieurs beaux privileges qui facilitent beaucoup le commerce. Ce palais fut peint au-dehors à fresque par Géorgeon & par le Titien; & quoique cette peinture soir beaucoup effacée présentement, il en reste pourtant encore de beaux morceaux. Mais ce qu'il y a de plus précieux dans ce magasin, c'est une tapifferie de cuir doré, avec des figures toutes peintes, par Paul Véronèse, & c'est un des plus beaux ouvrages que ce peintre ait jamais faits.

Il y a à Venise une fameuse banque appellée Il banco del Giro. C'est un dépôt que les négocians ont fait de leur argent entre les mains du prince; c'est ainsi qu'ils appellent ordinairement la république, qui endemeure garante, & qui paye outre cela les appointemens des officiers qui en tiennent les registres. La sûreté de cette banque est d'un grand avantage pour les marchands, & d'une grande commodité pour le commerce; car fans débourser aucune fomme, il s'y fait à tous momens des payemens, en changeant seulement les parties de noms. Si quelqu'un des intéressés a besoin de son fond, il y a toujours dans les coffres de la banque du comptant tout prêt pour l'acquitter.

Mais comme on estime beaucoup plus ces fortes d'effets que l'argent, il se trouve des personnes toûjours prêtes à y acheter des sommes à intérêt, quoique la banque n'en donne aucun. Le font de cette banque est fixé à cinq millions de ducats.

Enfin Venise est une des plus belles villes, des plus peuplées, des plus marchandes, & des plus riches de l'Europe. On la furnomme la riche.

On auroit de la peine à se perfuader que l'air soit aussi bon à Venise qu'il est en effet, si l'expérience n'en avoit convaincu tous ceux qui y ont demeuré pendant les diverses saisons de l'année. Il sembleroit que la grande humidité du lieu, jointe à l'inconstance du temps, qui paffe en un moment d'une extrêmité à l'autre, en hyver comme en été, devroit causer de fréquentes indispofitions. Les brouillards qui sélevent ordinairement au commencement de l'hyver, & qui Tome VI.

durent souvent plusieurs jours de suite, sont si épais & fi froids, qu'en tout autre pays que Venise, Tenife, on ne pourroit les supporter fans de fâcheuses incommodités; & en été, les tempêtes sont si fréquentes, & l'extrême chaleur est si souvent & fi fubitement interrompue par des vents froids, & par des orages, qu'il y a sujet de s'étonner que dans une ville où l'on n'est pas accoutumé d'avoir trois jours de suite un temps bien égal, on jouiffe cependant d'un air incomparablement plus doux & plus sain que dans les climats les plus tempérés.

L'invafion des Gots & des Huns, fut cause, comme nous l'avons dit ci-dessus, de la fondation de Venife. Les habitans des villes que ces barbares avoient ravagées, seretirerent dans les isles des Lagunes. Padoue, qui s'étoit rétablie, envoya des Tribuns pour gouverner leshabitans de ces isles. Mais dans la suite, les personnes les plus pluiffantes & les plus riches dans Lesn chacune des isles, furent reconnues pour les protecteurs des peuples; chaque isle eut ainsi des Tribuns particuliers, qui augmentant peu à peu leur autorité par la force, plutôt que par la soumission volontaire de ces peuples, qui étoient fort mutins, devinrent enfin de petits fouverains.

En 709, les Tribuns des douze principales isles des Lagunes, jugeant qu'il étoit nécessaire de donner une nouvelle forme au gouvernement des isles, qui s'étoient extraordinairement peuplées, résolurent de se mettre en république, & d'élire quelqu'un d'en tr'eux pour en être le chef; mais, comme ils reconnoissoient qu'ils ne pouvoient en user de la forte contre le droit que la ville de Padouë avoit dans ces lieux où ils avoient été chercher leur fureté, ils députerent à l'empereur Léon, qui étoit souverain dans tout le pays, & au pape Jean V, pour obtenir la permission d'élire leur prince, auquel ils donnerent le nom de Duc ou de Doge. Cette demande leur ayant été accordée, les Tribuns s'assemblerent dans Héraclée, ville des Lagunes, & dont il ne reste aujourd'hui que quelques ruines, près de l'embouchure de la Piave. Ils y élurent Paul-Luce Anafeste pour leur premier Doge en 709, qui fut la 288. année après que Rialte eût été proclamée ville de refuge. Mais quoiqu'il femble que l'on ne doive compter le commencement de la république que du jour de cette élection, les Vénitiens cependant le comptent du jour de la proclamation, qui fut faite à Rialte par les Padouans, le 25. de Mars 421, & ils en font la fête tous les ans à pareil jour, prétendant que leur république a trois avantages finguliers au-dessus de tous les autres états; savoir d'être née libre, chrétienne, & en même-temps que le royaume de France.

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Il n'y avoit point encore de ville de Venise; Héraclée fut le premier fiége de la république jusqu'à la mort du troisieme Doge, que le peuple massacra à cause de sa cruauté, ne voulant plus avoir de prince dont le pouvoir absolu dégénéroit facilement en tyrannie; ce qui causa un interregne de cinq ans, pendant lesquels la république fut gouvernée par des maitres, des chevaliers électifs & annuels. Le peuple, se lassant ensuite de cette forte de gouvernement, voulut bien-tôt avoir un Doge qui fut élu au Lido du vieux Malamoque, qui étoit une demilieue plus avant en mer, que n n'estle Malamoque d'aujourd'hui, & qui a été entierement fubmergé. Les Doges résiderent à Malamoque jusqu'à Obelerio, onzieme prince de cette république, lequel, contraint d'abandonner la dignité ducale, se retira vers Pepin, que Charlemagne son pere avoit établi roi d'Italie, & à qui la république payoit un tribut annuel. Ce prince alors voulut visiter les isles maritimes qui étoient du reffort de fon domaine, le Doge, élu à la place d'Obelerio, lui en refusa l'entrée; mais Pepin indigné de ce refus, prit les armes, ruina Héraclée, & paffa à Rialte, où il fut reçu en vainqueur généreux. Il y exerça tout acte de souveraineté, & laissa des marques de sa libéralité au Doge & au public, remettant à la république le tribut qu'elle lui payoit, & lui donnant en terre ferme cinq milles d'étendue, le long des bords des Lagunes, avec une pleine liberté de trafiquer par mer & par terre. On dit que Pepin voyant

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que le Doge ne portoit sur lui aucune marque de sa dignité, détacha la manche d'une veste, & la mit fur la tête du Doge en forme de bonnet, & que c'est de-là que la corne ducale tire fon origine. C'est alors proprement que Venise prit naissance, puisque Pepin voulut que l'isle de Rialte, jointe aux isles voisines, portát le nom de Venise, Venetiæ, qui étoit alors celui de toute la provice voisine des Lagunes. Voilà quels ont été les commencemens & les premiers progrès de la république de Venise, qui reconnoit qu'elle doit fon principal établissement & fa premiere grandeur à la générosité d'un roi François.

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Depuis la premiere élection, qui fut faite à Héraclée de Paul-I uce Anafeste en 709, jusqu'à celle de Sébastien Ziani en 1172, les Doges régnerent avec une autorité abfolue. Le peuple élisoit par proclamation celui qu'il trouvoit le plus digne d'être élevé à la dignité dogale; mais le Doge étoit le maître de fon confeil, ne rendoit compte à perfonne, & avoit un pouvoir absolu pendant la paix & pendant la guerre. L'histoire nous fournit même des exemples de plusieurs Doges qui firent élire leurs freres ou leurs enfans pour leurs collégues & pour leurs fucceffeurs.

Comme l'autorité absoluë du prince avoit souvent exposé l'état à de fácheux accidens, & que l'élection tumultuaire qui fe faisoit par le peuple avoit eu plufieurs fois des fuites très-dangereuses, les principaux citoyens s'étant assemblés après la mort du prince Vital Micheli , pour trouver moyen d'obvier aux désordres, avant que de faire l'élection du nouveau Doge, on choifit onze personnes, qui, s'étant retirées dans l'église de saint Marc, élurent Sébastien Ziani; &, tant pour ôter à l'avenir au peup'e le droit qu'il avoit de faire le Doge, que pour mouéer l'autorité du prince, on établit un confeil entierement indépendant, & auquel on tiroit par élection les électeurs du Doge. Il étoit à craindre qu'un fi grand changement, qui établissoit une forme de gouvernement toute nouvelle ne causát quelque révolution dans l'état; pour contenter le peuple, on lui donna en échange le droit de créer douze Tribuns, qui pourroient s'oproser aux ordonnances du prince. Ces Tribuns, qui étoient au nombre de deux dans chacun des fix quartiers de la vile, eurent encore le droit d'élire tous les ans, le jour de faint Michel, quarante personnes par quartier, pour composer le grand conseil qu'on venoit d'établir, de forte qu'il étoit de deux cens quarante citoyens, choifis indifféremment & fans distinction, dans tous les différens états, de la noblesse, des bourgeois & des artifans; & comme ce confeil se renouveloit tous les ans, chacun y entroit à fon tour, ou du moins avoit droit d'y prétendre.

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L'ordre de ce gouvernement dura jusqu en 1289, que le Doge, Pierre Gradenigue, entreprit de changer ertierement la face de la république, & d'établir une véritable aristocratie, en fixant a perpétuité le grand confeil à un nombre de citoyens, & à leurs defcendans. Il fit paffer à la Quarantie criminelle, qui est une chambre souveraine de quarante juges, un décret, portant que tous ceux qui avoient compofé le grand confeil des quatre années précédentes, feroient balotés dars cette chambre, & que ceux, qui auroient douze balles favorables, composeroient eux & leurs descendans le grand conteil à perpétuité. Cette entreprise fut injuste à l'égard de plusieurs familles confidérables; mais la république lui doit l'établissement du plus parfait gouvernement qu'elle ait jamais eu, & qui a heureusement continué jusqu'à préfent. On peut bien s'imaginer qu'un pareil changement ne se fit point, sans exciter de grands troubles dans la république ; mais on les calma bien-tôt, en châtiant les plus foibles, & en appaisant les plus puisfans par des privileges qui les tiroient du nombre des exclus. Plusieurs familles nobles qui ne prévoyoient pas alors l'extrême conféquence de cette exclufion, indignées alors de s'en voir préférer d'autres qui leur étoient inférieures, ne témoignerent pas s'en mettre beaucoup en peine. Cependant par cette fixation, qui s'appella il Serrar del Consiglio, les familles qui en étoient, deyenoient les maitres, & celles qui étoient

exclues demeuroient sujettes. Cependant Bayamonte Tiepolo, chef des premieres & des plus anciennes maisons de la république, appuyé de quelques autres familles illustres, entreprit de se venger du Doge Gradenigue, & de le matfacrer avec tous ses partifans; mais il périt lui-même dans cette entreprise, qui donna occafion à de nouveaux réglemens, qui ont maintenu la république dans l'union & la vigueur où on la voit encore aujourd'hui.

La nobleffe Vénitienne est divisée en différentes classes. La premiere comprend les familles des douze Tribuns qui furent les électeurs du premier Doge, & qui se sont toutes conservées jusqu'à préfent. Ces douze maisons, qu'on appelle électorales, font les

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Cette ancienneté ne donne cependant aucune prérogative, finon une confidération générale, qui la fair préférer aux autres pour les emplois & pour les allian ces, lorsque le mérite se trouve joint à la naissance.

Après ces douze maisons électorales, il y en a quatre, qui ne lui cédent pas beaucoup en ancienneté, car elles ont sgré l'an huit cens l'acte de fondation de l'abbaye de faint George-majeur, avec les douze maitons électorales, & c'est pour cela qu'on nomme celles-ci les dure Apôtres, les autres, lea quatre Evangélates. Ces quatre familles font les

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Ces familles se font encore distinguer dans la re publique; mais les autres font déchues de leur premier éclat par l'extrême pauvreté où elles ont été réduites.

Après que le général Tiepolo eut entierement détruit la ville d'Acre, en Syrie, pour s'être plusieurs fois révoltée contre la république, qui l'avoit conquise, un certain nombre d'illustres maisons de cette ville se retirerent à Venife, & comme elles tenoient quelque rang avant la fixation du grand confeil où elles furent comprises, elles font aussi nombre parmi la noblesse d'ancienne origine.

Comme Serrar del Configlio, en perpétuant le gouvernement de la république dans les seules familles qui l'ont compofé depuis, annoblit en même-temps toutes celles qui y furent comprises, la seconde claffe de la nobleffle Vénitienne se trouve composée de ces nobles, qui n'ont point de titre plus ancien que cette fixation du grand confeil, & que d'être écrites dès ce temps dans le livre d'or, qui est le catalogue qu'on commença de faire alors de toutes les familles de la noblesse Venitienne. Cette noblesse qui a présentement plus de quatre cens cinquante ans d'ancienneté est aujourd'hui fort confidérée, fur-tout depuis que les néceffités de l'état en ont fait recevoir de nouvelles dans deux occafions différentes.

On met au rang de cette nobleffe du second ordre; trente familles qui furent aggrégées à la noblesse Vénitienne, quatre-vingt-onze ans après le Serral del Configlio, c'est-à-dire, en 1380, que fut terminée la guerre des Génois, pendant laquelle ces trente maifons de Citadins & de Bourgeois, de toutes fortes de profeffions, avoient fecouru la république par des sommes fi confidérables que le Sénat les

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