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COMPLÈTES

DE CONDILLAC.

TOME SIXIÈME.

ART DE RAISONNER ET GRAMMAIRE.

PARIS,

LECOINTE ET DUREY, LIBRAIRES, QUAI Des augustins, No 49;

TOURNEUX, LIBRAIRE, MÊME QUAI, No 13.

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L'ART DE RAISONNER:

JE

vous ai développé les facultés de l'âme, je vous ai fait considérer, d'une vue générale, les différentes circonstances par où l'homme a passé. Vous avez vu l'origine des gouvernemens, des lois, des arts et des sciences; vous avez vu les préjugés, les erreurs et les premiers progrès de l'esprit; vous avez tour à tour été étonné des bornes et de l'étendue de notre raison. Cela, Monseigneur, doit vous apprendre à vous méfier de vous-même. Vous êtes homme, et vous pouvez vous tromper, tout prince que vous êtes; ou plutôt parce que vous êtes prince, vous devez Vous tromper plus qu'un autre. La flatterie, qui Vous a assiégé dès le berceau, et qui n'attend que le moment de vous assiéger encore, n'est pas intéressée à vous dessiller les yeux. Je vous dois la justice que vous n'aimez pas à être flatté. Je m'en souviendrai toujours, et souvenez-vousen surtout vous-même; vous avez rougi plus d'une fois des louanges que vous saviez ne pas mériter. Voulez-vous donc écarter les flatteurs? Il n'est qu'un moyen : soyez plus éclairé qu'eux. Il serait

humiliant pour vous d'être le jouet de quelques courtisans.

Jusqu'ici j'ai essayé de vous faire raisonner; il s'agit aujourd'hui de vous montrer tout l'art du raisonnement. Voyons donc quels sont, en général, les objets de nos connaissances, et quel est le degré de certitude dont ils sont susceptibles. Il n'y a proprement qu'une science, c'est l'hisise en science toire de la nature : science trop vaste pour nous,

L'histoire de faison se di

de vérités sen

sibles, et en

science de véri- et dont nous ne pouvons saisir que quelques

tés abstraites.

branches.

Ou nous observons des faits, ou nous combinons des idées abstraites. Ainsi l'histoire de la nature se divise en science de vérités sensibles, la physique; et en science de vérités abstraites, la métaphysique.

Quand je distingue l'histoire de la nature en science de vérités sensibles, et en science de vérités abstraites, c'est que je n'ai égard qu'aux principaux objets dont nous pouvons nous occuper. Quel que soit le sujet de nos études, les raisonnemens abstraits sont nécessaires pour saisir les rapports des idées sensibles; et les idées sensibles sont nécessaires pour se faire des idées abstraites, et pour les déterminer. Ainsi l'on voit que, dès la première division, les sciences rentrent les unes dans les autres : aussi se prêtent-elles des secours mutuels, et c'est en vain que les philosophes tentent de mettre des barrières entre elles.

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Il est très-raisonnable à des esprits bornés comme nous, de les considérer chacune à part; mais il serait ridicule de conclure qu'il est de leur nature d'être séparées. Il faut toujours se souvenir qu'il n'y a proprement qu'une science; et si nous connaissons des vérités qui nous paraissent détachées les unes des autres, c'est que nous ignorons le lien qui les réunit dans un tout.

La métaphysique embrasse

de notre connaissance.

La métaphysique est de toutes les sciences celle qui embrasse le mieux tous les objets de notre tous les objets connaissance; elle est tout à la fois science de vérités sensibles, et science de vérités abstraites: science de vérités sensibles, parce qu'elle est la science de ce qu'il y a de sensible en nous, comme la physique est la science de ce qu'il y a de sensible au dehors: science de vérités abstraites, parce que c'est elle qui découvre les principes, qui forme les systèmes, et qui donne toutes les méthodes de raisonnement. Les mathématiques mêmes n'en sont qu'une branche. Elle préside donc sur toutes nos connaissances, et cette prérogative lui est due car s'il est nécessaire de traiter les sciences relativement à notre manière de concevoir, c'est à la métaphysique, qui seule connaît l'esprit humain, à nous conduire dans l'étude de chacune. Tout est, à certains égards, de son ressort. Elle est la science la plus abstraite; elle nous élève au delà de ce que nous voyons et sentons; elle nous élève jusqu'à Dieu, et elle

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