et que, de votre aveu, l'avantage appartient sur ces deux points à votre adversaire, je n'ai plus rien à examiner. Ainsi donc, Lutatius, quoique vous n'ayez rien dit encore, je vous donne gain de cause.» Décision admirable, en ce qu'elle empêchait de perdre du temps à discuter l'évidence. Mais, si on doit louer Lutatius d'avoir défendu avec persévérance les droits de la première dignité de l'empire, on ne peut blâmer Valérius d'avoir réclamé le prix d'une victoire due à son courage; prix que la loi lui refusait, mais dont il était digne (An de R. 512). à la réparation d'une injustice (Ans de R. 542, 629). 5. Au surplus, la loi que j'ai citée fut si religieusement observée que l'on ne décerna le triomphe ni à P. Scipion pour avoir reconquis les Espagnes, ni à M. Marcellus pour la prise de Syracuse, parce qu'on leur avait confié le soin de ces expéditions sans les revêtir d'aucune magistrature. Que l'on nous vante maintenant ces ambitieux d'honneurs à tout prix, qui, pour des rochers déserts et pour des brigantins surpris à des pirates, ont cueilli sans gloire, et d'une main empressée, quelques branches du laurier des vain 3. Que penser de Cn. Fulvius Flaccus qui dé-queurs. L'Espagne arrachée à l'empire de Cardaigna, qui repoussa l'honneur du triomphe, si ambitionné par les autres, et que le sénat lui avait décerné pour ses exploits? Déjà, sans doute, il prévoyait le sort qui l'attendait. En effet, à peine entré dans Rome, il fut soumis à un jugement criminel et condamné à l'exil, expiant ainsi l'outrage que son orgueil pouvait avoir fait à la religion (1) (An de R. 542). 4. Qu. Fulvius, vainqueur de Capoue, et L. Opimius, qui avait forcé les habitants de Frégelles à capituler, se montrèrent donc plus sages en demandant au sénat les honneurs du triomphe. Tous deux s'étaient signalés par de beaux faits d'armes cependant ni l'un ni l'autre n'obtint ce qu'il avait demandé, non que les sénateurs fussent guidés par l'envie (cette passion ne pénétra jamais dans cette auguste assemblée), mais ils tenaient à l'observation rigoureuse de la loi, qui accordait le triomphe pour des accroissements de territoire, et non pour des possessions recouvrées sur l'ennemi, et rendues au peuple romain. Car il y a aussi loin d'un don à une restitution, que d'un bienfait (1) On ne sait pas précisément à quel fait l'auteur fait ici allusion. que adversarium tuum superiorem fuisse fatearis, nihil est, quod ulterius dubitem; itaque, Lutati, quamvis adhuc tacueris, secundum te litem do. » Mirifice judex, quod in manifesto negotio tempus teri passus non est. Probabilius Lutatius, quod jus amplissimi honoris constanter defendit; sed ne Valerius quidem improbe, quia fortis et prosperæ pugnæ, ut non legitimum, ita se di gnum præmium petiit. 3. Quid facias Cn. Fulvio Flacco, qui tam expetendum aliis triumphi honorem, decretum sibi a senatu ob res bene gestas, sprevit ac repudiavit? Nimirum non plura præcerpens, quam acciderunt; nam ut urbem intravit, continuo ipse quæstione publica afflictus, exsilio multatus est, ut si quid religionis insolentia commisisset, pœna expiaret. 4. Sapientiores igitur Qu. Fulvius, qui Capua capta, et L. Opimius, qui Fregellanis ad deditionem compulsis, triumphandi potestatem a senatu petierunt. Uterque editis operibus magnificus; sed neuter petitæ rei compos. Non quidem invidia patrum conscriptorum, cui nunquam aditum in curia esse voluerunt; sed summa diligentia observandi juris, quo cautum erat, ut pro aucto imperio, non pro recuperatis, quæ populi Romani fuissent, triumphus decerneretur. Tantum enim interest, adjicias aliquid, thage, et Syracuse, la tête de la Sicile, enlevée à ce corps mutilé, ne purent mettre en mouvement le char triomphal. Et pour quels hommes ? pour Scipion et pour Marcellus, dont les noms mêmes sont comme l'emblème d'un triomphe éternel. Mais le sénat, malgré le désir de contempler, sous leurs couronnes, ces illustres modèles d'une véritable et solide vertu, ces hommes qui portaient en eux les destins de la patrie, crut devoir les réserver pour un triomphe plus légitime et plus beau (An de R. 542). 6. J'ajouterai une particularité. L'usage était qu'à la veille de triompher, le général invitât les consuls au repas qu'il donnait, et qu'il les fit ensuite prier de ne point s'y rendre, afin de n'avoir à sa table, le jour de cette cérémonie, personne dont le pouvoir surpassât le sien. 7. Si brillants, si avantageux à l'État que fussent les succès obtenus dans une guerre civile, ils ne valurent à aucun général le titre d'imperator, ni le décret d'actions de grâces, ni l'ovation, ni le grand triomphe; parce que de telles victoires, fruit de la nécessité, ont toujours sem an detractum restituas, quantum distat beneficii initium ab injuriæ fine. 5. Quin etiam jus, de quo loquor, sic custoditum est, ut P. Scipioni ob recuperatas Hispanias, M. Marcello ob captas Syracusas, triumphus non decerneretur; quod ad eas res gerendas sine ullo missi erant magistratu. Probentur nunc cujuslibet gloriæ cupidi, qui ex desertis montibus, myoparonumque piraticis rostris, laudis inopes, laureæ ramulos festinabunda manu decerpserunt. Carthaginis imperio abrupta Hispania, et Siciliæ caput abscisum Syracusa, triumphales jungere currus nequiverunt; et quibus virls? Scipioni et Marcello, quorum ipsa nomina instar æterni sunt triumphi; sed clarissimos solidæ veræque virtutis auctores, humeris suis salutem patriæ gestantes, etsi coronatos intueri senatus cupiebat, justiori tamen reservandos laureæ putavit. 6. His illud subnectam moris erat, ab imperatore triumphum ducturo consules invitari ad cœnam; deinde rogari, ut venire supersedeant; ne quis eo die, quo ille triumpharit, majoris in eodem convivio sit imperii. 7. Verum quamvis quis præclaras res, maximeque utiles reipublicæ civili bello gessisset, imperator tamen eo nomine appellatus non est, nec ullæ supplicationes decretæ sunt; neque aut ovans, aut curru triumphavit : quia blé lugubres, comme étant achetées au prix d'un sang non pas étranger, mais romain. Aussi est-ce avec douleur que Nasica massacra la faction de Ti. Gracchus, et Opimius celle de C. Gracchus. Q. Catulus, après avoir exterminé son collègue M. Lépidus et ses troupes séditieuses, ne laissa voir qu'une joie modérée à son retour dans Rome. C. Antonius, vainqueur de Catilina, fit essuyer les épées avant de les rapporter dans le camp. L. Cinna et C. Marius s'étaient largement abreuvés du sang des Romains; mais ils n'allèrent pas de saite en remercier les dieux dans leurs temples et au pied de leurs autels. Enfin, L. Sylla, qui remporta tant de victoires sur ses concitoyens et montra dans ses succès tant d'orgueil et de cruauté, voulut, quand il eut assis et consolidé sa puissance, se donner les honneurs du triomphe, et il y fit porter les images d'un grand nombre de villes de la Grèce et de l'Asie; mais on n'y vit celles d'aucune ville romaine. Il m'est pénible et douloureux de rappeler les malheurs de la république. Pour finir, je dirai que jamais le sénat n'accorda le laurier triomphal, et que jamais un citoyen n'en réclama l'honneur, pour une victoire qui plongeait dans les larmes une partie de l'État. Mais faut-il décerner la couronne civique à qui sauva des citoyens; les mains des sénateurs se portent avec reconnaissance vers ce chêne qui donne au palais des Césars la glorieuse apparence d'un perpétuel triomphe (1.) CHAPITRE IX. DE LA SÉVÉRITÉ DE LA CENSURE. De la discipline rigoureuse établie dans les camps par des lois inflexibles, je dois maintenant passer à la censure, la maitresse et la gardienne de la paix intérieure. Tandis que la valeur des généraux s'employait à l'immense développement de la puissance romaine, le regard sévère de la censure veillait sur les vertus civiles; et cette tâche n'est pas moins utile et moins belle que les exploits militaires. Que sert en effet le courage au dehors, si au dedans règne la corruption? L'on a beau prendre des villes, subjuguer des natións, envahir des royaumes; si le devoir et l'honneur sont des choses inconnues au forum et au sénat, ce colosse de puissance, élevé jusqu'au ciel, n'aura qu'une base fragile. Il importe donc de connaître et de se rappeler sans cesse les actes émanés du pouvoir des censeurs. 1. Les censeurs Camille et Postumius obligèrent ceux qui avaient vieilli célibataires à verser une somme d'argent dans le trésor public, à titre d'amende. Ces vieillards auraient mérité une seconde peine, s'ils avaient osé murmurer contre un règlement si juste, et lorsqu'un magistrat leur tenait ce langage sévère : « La nature, en vous donnant l'être, vous a fait une loi de le transmettre à d'autres; vos parents, en prenant soin de votre enfance, vous ont imposé une obligation que l'honneur vous commandait de remplir, celle d'élever une postérité. La fortune même vous a laissé le temps d'acquitter cette dette; et cependant vous avez passé vos jours sans porter les noms d'époux et de père. Allez donc et dénouez vos bourses avares au profit de la grande famille» (An de R. 301). 2. Cet exemple de sévérité fut suivi par les cenporte du palais de César, et où l'on prenait les branches destinées (1) L'auteur veut, dit-on, parler d'un chêne qui était devant la à faire les couronnes civiques. ut necessariæ istæ, ita lugubres semper existimatæ victoriæ sunt, ut pote non externo, sed domestico partæ cruore: itaque et Nasica Ti. Gracchi, et Opimius C. Grac chi factiones masti trucidarunt; Q. Catulus, M. Lepido collega suo cum omnibus seditiosis copiis exstincto, tantum moderatum præ se ferens gaudium, in urbem revertitur; C. etiam Antonius Catilinæ victor abstersos gladios in castra retulit; L. Cinna et C. Marius hauserant quidem avidi civile sanguinem; sed non protinus ad templa deorum et aras tetenderunt: item L. Sulla, qui plurima bella civilia confecit, cujus crudelissimi et insolentissimi successns fuerunt, quum consummata atque constricta potentia sua triumphum duceret, ut Græciæ et Asiæ multas urbes, ita civium Romanorum nullum oppidum vexit. Piget tædetque per vulnera reipublicæ ulterius proce. dere. Lauream nec senatus cuiquam dedit, nec quisquam sibi dari desideravit, civitatis parte lacrymante. Cæterum ad quercum pronæ manus porriguntur, ubi ob cives servatos corona danda est; qua postes Augustæ domus semDiterna gloria triumphant. CAPUT IX. DE CENSORIA SEVERITATE. Castrensis disciplinæ tenacissimum vinculum et milita ris rationis diligens observatio admonet me, ut ad censu ram, pacis magistram custodemque, transgrediar. Nam ut opes populi Romani in tantum amplitudinis imperatorum virtutibus excesserunt, ita probitas et continentia censorio supercilio exanimata est, Opus effectu par bellicis laudibus; quid enim prodest foris esse strenuum, si domi male vivitur? Expugnentur licet urbes, corripiantur gentes, regnis injiciantur manus; nisi foro et curiæ officium ac verecundia sua constiterit, partarum rerum æquatus cœlo cumulus sedem stabilem non habebit ad rem igitur pertinet nosse, atque adeo recordari acta censoriæ potestatis. 1. Camillus et Postumius censores, æra pœnæ nomine eos, qui ad senectutem cælibes pervenerant, in ærarium deferre jusserunt: iterum puniri dignos, si quo modo de tam justa constitutione queri sunt ausi; quum in hunc mo. dum increparentur: « Natura vobis, quemadmodum na scendi, ita gignendi legem scribit; parentesque vos alendo, nepotum nutriendorum debito (si quis est pudor) alligaverunt. Accedit his, quod etiam fortuna longam præstand. hujusce muneris advocationem estis assecuti; quum inte. rim consumpti sint anni vestri, et mariti, et patris no mine vacui. Ite igitur; et nodosam exsolvite stipem utilem posteritati numerosæ. » 2. Horum severitatem M. Valerius Max. et C. Junius Bubulcus Brutus censores in consimili genere animadver terie. En vérité, la langue de ce siècle-ci est comme étonnée de prêter son ministère au récit d'une pareille sévérité; elle semble craindre que les faits qu'elle retrace ne paraissent étrangers à l'histoire de notre pays. Comment croire, en effet, que dix livres d'argenterie aient été un excès de richesse dans la même ville où ils passent aujourd'hui pour un excès d'indigence? (An de R. 478.) seurs M. Valérius Maximus et C. Junius Bubulcus | exemple, en achetant dix livres pesant d'argenBrutus, qui dépouillèrent L. Antonius de la dignité de sénateur, pour avoir, sans consulter aucun de ses amis, répudié sa femme toute jeune encore; conduite peut-être plus coupable que celle des célibataires dont j'ai parlé ; car ceux-ci n'avaient fait que dédaigner les liens sacrés du mariage, celui-là les avait outragés. C'est donc par une décision pleine de sagesse que les censeurs le déclarèrent indigne de siéger au sénat (An de R. 646). 3. M. Porcius Caton raya aussi du rôle des sénateurs L. Flamininus, parce qu'ayant, dans son gouvernement, condamné un homme au supplice de la hache, il avait pris pour l'exécution l'heure fixée par sa maîtresse, afin de lui en donner le spectacle. Caton aurait pu avoir égard à la dignité consulaire dont Flamininus avait été revêtu, et au crédit (1) de son frère T. Flamininus, honoré aussi du consulat; mais Caton devait à la censure, il se devait à lui-même, ce double exemple de sévérité. Il ne pouvait que noter d'infamie celui qui, par une si odieuse complaisance, avait souillé la majesté du commandement suprême; celui qui n'avait pas craint que, parmi les images de sa famille et à côté du roi Philippe vaincu et suppliant (2), on vit une courtisane se repaissant avec délices de la vue du sang humain (An de R. 569). 4. Que dirai-je de la censure de Fabricius Luscinus? Tous les siècles ont raconté, tous les siècles raconteront que Cornélius Rufinus, après deux consulats et une dictature des plus glorieu ses, (1) Les lettres V. C. signifient, selon les uns, viri clarissimi; selon les autres, viri consularis. - (2) T. Flamininus, frère de celui-ci, avait soumis la Grèce, et vaincu Philippe de Macédoine. sionis imitati, L. Antonium senatu moverunt, quod, quam virginem in matrimonium duxerat, repudiasset, nullo amicorum in consilium adhibito. At hoc crimen nescio an superiore majus illo namque conjugalia sacra spreta tantum, hoc etiam injuriose tractata sunt. Optimo ergo judicio censores indignum eum aditu curiæ existimave runt. 3. Sicut M. Porcius Cato L. Flamininum, quein e numero senatorum sustulit, quia in provincia quemdam damnatum securi percusserat, tempore supplicii ad arbitrium et spectaculum mulierculæ, cujus amore tenebatur, electo. Et poterat inhiberi respectu consulatus, quem is gesserat, atque auctoritate fratris ejus V. C. T. Flaminini: sed et censor, et Cato, duplex severitatis exemplum, eo magis illum notandum statuit, quod amplissimi honoris majestatem tam tetro facinore inquinaverat, nec pensi duxerat, iisdem imaginibus adscribi meretricis oculos humano sanguine delectatos, et regis Philippi supplices ma nus. 4. Quid de Fabricii Luscini censura loquar? narravit omnis ætas, et deinceps narrabit, ab eo Cornelium Rufinum, duobus consulatibus et dictatura speciosissime functum, quod decem pondo vasa argentea comparasset, perinde ac malo exemplo luxuriosum, in ordine senatorio re 5. Les censeurs M. Antonius et L. Flaccus chassèrent Duronius du sénat, parce qu'il avait, étant tribun du peuple, abrogé une loi qui mettait des bornes à la somptuosité des repas. Le fait qui motiva cette flétrissure est, en vérité, incroyable. Quelle impudence, en effet, que de monter, comme Duronius, à la tribune, pour tenir ce langage: Romains, l'on vous a imposé un frein que vous ne devez point souffrir; vous êtes attachés, enchaînés au joug d'un insupportable esclavage : on vous a fait une loi de la sobriété. Brisons cette chaîne déjà rongée par la rouille d'une sauvage antiquité. Que sert la liberté, si l'on ne peut pas, quand on le veut, mourir d'intempérance?» (An de R. 654.) 6. Montrons maintenant deux hommes qui s'avancèrent, comme sur le même char, dans la carrière des vertus et des honneurs, mais que divisait une ardente et haineuse rivalité. Quelles rigueurs Claudius Néron et Livius Salinator, ces inébranlables remparts de l'État pendant la seconde guerre Punique, ne déployèrent-ils pas ensemble dans l'exercice de la censure! Ils passaient en revue les centuries des chevaliers, dont leur âge et leur santé robuste leur permettaient encore de faire partie. Quand le tour de la tribu tentum non esse. Ipsæ medius fidius mihi litteræ seculi nostri obstupescere videntur, quum ad tantam severitatem referendam ministerium accommodare coguntur, ac vereri, ne non nostræ urbis acta commemorare existimentur : vix enim credibile est, intra idem pomerium decem pondo argenti, et invidiosum fuisse censum, et inopiam haberi contemptissimam. 5. M. autem Antonius, et L. Flaccus censores Duronium senatu moverunt, quod legem de coercendis conviviorum sumptibus latam tribunus plebis abrogaverat. Mirifica notæ causa; quam enim impudenter Duronius rostra conscendit, illa dicturus: « Freni sunt injecti vobis, Qui rites, nullo modo perpetiendi : alligati et constricti estis amaro vinculo servitutis; lex enim lata est, quæ vos esse frugi jubet : abrogemus igitur istud horridæ vetustatis ru bigine obsitum imperium. Etenim quid opus libertate, si volentibus luxu perire non licet? »> 6. Age, par proferamus æquali jugo virtutis honorum. que societate junctum, instrictum autem æmulationis hamo dissidens. Claudius Nero, Liviusque Salinator, se cundi Punici belli temporibus firmissima reipublicæ latera, quam destrictam simul egerunt censuram? Nam quum equitum centurias recognoscerent, et ipsi propter robur ætatis etiam nunc eorum essent e numero, ut est ad Pol Pollia fut venu, le crieur, au moment de lire le nom de Salinator, s'arrêta, incertain s'il devait le prononcer tout haut. Remarquant son hésitation, Néron lui donna l'ordre d'appeler son collègue et de vendre son cheval, parce qu'il avait été condamné par un jugement du peuple. Salinator frappa Néron de la même peine, et donna pour motif que celui-ci ne s'était pas réconcilié sincèrement avec lui. Si un dieu eût alors prédit à ces grands hommes que leur sang, après avoir passé par une longue suite d'illustres personnages, se mêlerait un jour pour donner naissance à un prince bien cher aux Romains (1), ils eussent abjuré leurs inimitiés, pour s'unir de l'amitié la plus étroite, et laisser à leur commune postérité le soin de conserver la patrie qu'eux-mêmes avaient sauvée. On vit aussi Salinator soumettre à la taxe du trésor (2) trente-quatre tribus qui, après l'avoir condamné, l'avaient ensuite créé consul et censeur. Il allégua qu'elles étaient nécessairement coupables ou d'injustice ou de parjure. Il n'excepta de cette flétrissure que la seule tribu Mécia, parce qu'elle n'avait donné son suffrage, ni pour le condamner, ni pour l'élever à ces dignités. Quelle force d'âme ne faut-il pas supposer dans un homme que ni le ressentiment d'une condamnation judiciaire, ni sa reconnaissance pour tant d'honneurs, ne purent déterminer à se montrer moins sévère dans l'administration publique! (An de R. 549.) 7. Une partie considérable de l'ordre équestre, quatre cents jeunes Romains subirent, sans se (1) Tibère descendait de ce Claudius Néron; et son aïeul maternel était entré par adoption dans la famille des Livius, qui était celle de ce Salinator. (2) Imposition extraordinaire, avec privation du droit de suffrage dans les assemblées. liam ventum tribum, præco lecto nomine Salinatoris, ci- | tandum necne sibi esset, hæsitavit. Quod ubi intellexit Nero, et citari collegam, et equum vendere jussit, quia populi judicio damnatus esset. Salinator quoque eadem animadversione Neronem persecutus est, adjecta causa, quod non sincera fide secum in gratiam rediisset. Quibus viris si quis cœlestium significasset futurum, ut eorum sanguis illustrium imaginum serie deductus, in ortum salutaris principis nostri conflueret, depositis inimicitiis, arctissimo se amicitiæ fœdere junxissent, servatam ab ipsis patriam communi stirpi servandam relicturi. Salinator vero quatuor et triginta tribus inter ærarios referre non dubitavit; quod, quum se damnassent, postea consulem atque censorem fecissent : prætexuitque causam, quia necesse esset eas alterutro facto, crimine temeritatis, vel perjurii teneri. Unam tantummodo tribum Mœciam vacuam nota reliquit ; quæ eum suffragiis suis, ut non damnatione, ita ne honore quidem, dignum judicaverat. Quam constantis et prævalidi illum putamus ingenii fuisse, qui neque tristi judiciorum exitu compelli, neque honorum magnitudine adduci potuit, quo se blandiorem in administratione reipublicæ gereret? 7. Equestris quoque ordinis bona magnaque pars, quadringenti juvenes, censoriam notam patiente animo sustinuerunt, quos M. Valerius, et P. Sempronius, quia in plaindre, la flétrissure qui leur fut infligée par les censeurs M. Valérius et P. Sempronius. Ils servaient en Sicile,et, ayant reçu l'ordre d'achever les travaux d'un retranchement, ils n'en avaient teņu aucun compte. On leur ôta les chevaux que l'État leur fournissait, et on les réduisit au payement de la taxe (An de R. 501). 8. Les censeurs punirent aussi avec une extrême sévérité le honteux sentiment de la peur. M. Atilius Régulus et P. Furius Philus, informés que le questeur L. Métellus et quelques chevaliers romains avaient juré, après l'affreuse journée de Cannes, de quitter l'Italie, leur enlevèrent les chevaux de la république et les assujettirent à la taxe. Ils flétrirent aussi ceux de leurs concitoyens qui, députés par Annibal auprès du sénat pour traiter de l'échange des prisonniers, et n'ayant pas obtenu ce qu'ils demandaient, étaient restés à Rome. Un Romain devait se sacrifier à la religion du serment; et la perfidie ne pouvait qu'être flétrie sous la censure de M. Atilius Régulus, dont le père avait mieux aimé périr dans les plus cruelles tortures que de manquer à la parole donnée aux Carthaginois. La censure passa ainsi du forum dans les camps, où elle ne permit ni de craindre ni de tromper l'ennemi (An de R. 539). 9. Voici deux exemples qu'il suffira de joindre aux précédents. C. Géta, exclu du sénat par les censeurs L. Métellus et Cn. Domitius, parvint plus tard à la censure (Ans de R. 638, 645). M. Valérius Messalla, que la censure avait noté d'infamie, fut, dans la suite, élevé à cette dignité (An de R. 599). L'ignominie stipula leur vertu; et, réveillés par la honte, ils travaillèrent Sicilia ad munitionum opus explicandum ire jussi, facere id neglexerant, equis publicis spoliatos, in numerum ærariorum retulerunt. 8. Turpis etiam metus censores summa cum severitate pœnam exigerunt. M. enim Atilius Regulus, et P. Furius Philus, L. Metellum quæstorem, compluresque equites Romanos, qui post infeliciter commissam Cannensem pugnam cum eo abituros se Italia juraverant, direptis equis publicis, inter ærarios referendos curaverunt; eosque gravi nota affecerunt, qui quum in potestatem Annibalis venissent, legati ab eo ad senatum missi de permutandis captivis, neque impetrassent, quod petebant, in urbe manserunt: quia et Romano sanguini fidem præstare conveniens erat, et M. Atilius Regulus censor perfidiam notabat, cujus pater per summos cruciatus exspirare, quam fallere Carthaginienses, satius esse duxerat. Jam hæc censura ex foro in castra transcendit, quæ neque timeri, neque decipi voluit hostem. 9. Sequuntur duo ejusdem generis exempla, eaque adjecisse satis erit. C. Geta, quum a L. Metello et Cn. Do mitio censoribus senatu motus esset, postea censor factus est. Item M. Valerius Messalla censoria nota perstrictus, censoria postmodum potestate imperavit. Quorum ignominia virtutem acuit: rubore enim ejus excitati, omnibus sans relâche à montrer à leurs concitoyens qu'ils méritaient la censure plutôt comme honneur que comme opprobre. CHAPITRE X. DE LA MAJESTÉ, CHEZ LES ROMAINS. Il est une sorte de censure privée qui réside dans la majesté des grands hommes, et qui n'a besoin ni de l'appareil des tribunaux, ni du ministère des licteurs, pour commander le respect. Elle charme tous les cœurs; elle y pénètre par un chemin facile, et par la seule autorité de l'admiration qu'elle inspire. On pourrait la définir une perpétuelle et heureuse dignité sans dignité publique. 1. Fit-on jamais plus d'honneur à un consul qu'à Métellus accusé? Il avait à répondre à une accusation de concussion; et son adversaire, qui avait demandé la production de ses registres, les fit passer sous les yeux des juges, pour qu'ils examinassent un article. Tout le tribunal en détourna la vue, de peur de paraître témoigner le moindre doute sur la sincérité de ces comptes. Ce n'est pas dans un registre, mais dans la vie de Q. Métellus, que les juges crurent devoir chercher les preuves d'une administration irréprochable; persuadés qu'il y aurait de l'indignité à juger, sur un peu de cire et sur quelques lignes d'écriture, de la probité d'un si grand homme (An de R. 641). 2. Mais est-il étonnant que Métellus ait reçu de ses concitoyens un si juste honneur, quand on voit même un ennemi rendre un pareil hommage au premier Scipion? Le roi Antiochus, pendant la guerre qu'il soutint contre les Ro mains, fit au fils de ce général, tombé entre les mains de ses soldats, l'accueil le plus honorable, le combla de présents magnifiques, et s'empressa de le renvoyer à son père; et cela dans le temps même que celui-ci s'efforçait de le dépouiller de ses États. Mais la majesté d'un si grand homme inspira plus de vénération à ce prince, alors notre ennemi, que ses propres malheurs, de ressentiment (An de R. 563). Ce Scipion vivait retiré dans sa campagne de Literne, quand le hasard y conduisit à la fois plusieurs chefs de pirates, curieux de le voir. Persuadé qu'ils venaient dans l'intention de lui faire quelque violence, il plaça une troupe d'esclaves sur la terrasse de sa maison, aussi résolu que bien préparé à repousser l'ennemi. A la vue de ces dispositions, les pirates renvoyèrent leurs soldats, quittèrent leurs armes, et s'approchant de la porte, ils crièrent à Scipion que, loin d'en vouloir à sa vie, ils venaient rendre hommage à sa vertu ; qu'ils ambitionnaient, comme un bienfait du ciel, le bonheur de voir de près un si grand homme; qu'ils le priaient donc de se laisser contempler en toute assurance. » Ces paroles furent portées à Scipion, qui fit ouvrir les portes et introduire les pirates. Ceux-ci, après s'être inclinés religieusement sur le seuil de cette maison, comme devant le plus auguste des temples et le plus saint des autels, saisirent avidement la main de Scipion, la couvrirent de baisers, et, déposant dans le vestibule des dons pareils à ceux que l'on consacre aux dieux immortels, ils s'en retournèrent, heureux de l'avoir vu (An de R. 567). Qu'y a-t-il de plus grand que cette majesté, de plus délicieux que les jouissances qu'elle donne? L'admiration que Scipion viribus incubuerunt, ut digni civibus viderentur, quibus tributus est, quem superiori Africano etiam hostis prædari potius, quam objici censura deberet. CAPUT X. DE MAJESTATE ROMANORUM. Est et illa quasi privata censura majestas clarorum virorum sine tribunalium fastigio, sine apparitorum ministerio, potens in sua amplitudine obtinenda; grato enim et jucundo introitu animis hominum illabitur admirationis prætexta velata : quam recte quis dixerit longum et beatum honorem esse sine honore. 1. Nam quid plus honoris tribui potuit consuli, quam est datum reo Metello? qui quum causam repetundarum diceret, tabulæque ejus ab accusatore expostulatæ ad nomen inspiciendum circa judicium ferrentur, totum consilium ab earum contemplatione oculos avertit; ne de aliqua re, quæ in his relata erat, videretur dubitasse. Non in tabulis, sed in vita Q. Metelli argumenta sincere administratæ provinciæ legenda sibi judices crediderunt: indignum rati, integritatem tanti viri exigua cera et paucis litteris perpendi. stare non dubitavit? Siquidem rex Antiochus bello, quod cum Romanis gerebat, filium ejus a militibus suis interceptum, honoratissime excepit, regiisque muneribus donatum ultro et celeriter patri remisit : quamquam ab eo tum maxime finibus imperii pellebatur; sed et rex lacessitus, majestatem excellentissimi viri venerari, quam dolorem suum ulcisci, maluit. Ad Africanum eumdem, in Liternina villa se continentem, complures prædonum duces videndum eodem tempore forte confluxerant. Quos quum ad vim faciendam venire existimasset, præsidium domesticorum in tecto collocavit; eratque in his repellendis et animo et apparatu occupatus. Quod ut prædones animadverterunt, dimissis militibus abjectisque armis, januæ appropinquant, et clara voce nuntiant Scipioni, «< non vitæ ejus hostes, sed virtutis admiratores venisse : conspectum et congressum tanti viri quasi cœleste aliquod beneficium expetentes. Proinde securum se spectandum præbere ne gravetur. Hæc postquam domestici Scipioni retulerunt, fores `reserari, eosque intromitti jussit. Qui postes januæ tamquam religiosissimam aram sanctumque templum venerati, cupide Scipionis dexteram apprehenderunt; ac diu deosculati, positis ante vestibulum donis, quæ deorum immortalium numini consecrari solent, læti 2. Sed quid mirum, si debitus honos a civibus Metello quod Scipionem vidisse contigisset, ad lares reverterunt. |