investir et désarmer par un gros d'ennemis, voici par quelles marques d'infamie il le châtia. Il l'obligea de se tenir, couvert d'une toge dégarnie de franges, d'une tunique sans ceinture, pieds nus, du matin au soir, à la tête du camp, pendant toute la durée de la campagne; il lui interdit même tout commerce avec ses compa-gnons d'armes, ainsi que l'usage des bains. Quant aux escadrons qu'il avait sous ses ordres, il leur ôta leurs chevaux, et les incorpora dans des compagnies de frondeurs. Pison se fit beaucoup d'honneur en réparant ainsi celui de sa patrie. Grâce à une telle mesure, des soldats à qui l'amour de la vie avait fait livrer leurs personnes, pour servir de trophées à des rebelles mille fois dignes de la croix; des soldats qui n'avaient pas rougi de laisser imposer sur leurs têtes libres, par des mains d'esclaves, un joug ignominieux, éprouvèrent toutes les amertumes de la vie, et furent réduits à désirer en hommes une mort qu'ils avaient redoutée comme des femmes. (An | de R. 620). 10. Q. Métellus ne montra pas moins de sévérité que Pison. A l'affaire de Contrébie, cinq cohortes auxquelies il avait confié la garde d'un poste s'en étant laissé chasser par les forces ennemies, il leur commanda d'y retourner surle-champ. Il n'espérait pas qu'elles reprendraient cette position perdue, mais il voulait les punir de la lâcheté de leur première défense par le péril manifeste d'un nouveau combat. Il ordonna même de tuer, comme ennemi, quiconque s'en échapperait pour revenir au camp. Sous le coup de cet ordre impitoyable, les soldats, malgré leur fatigue et la certitude désespérante de ne pas survivre à cette lutte, triomphèrent à la fois du désavantage de leur position et du nombre des ennemis. Ainsi, le plus sûr aiguillon de la faiblesse humaine, c'est la nécessité (An de R. 612). 11. Dans la même province (1), Q. Fabius Maximus, voulant abattre et humilier l'orgueil d'un peuple indomptable, dut faire violence à l'excessive douceur de son caractère et renoncer quel. que temps à la clémence, pour déployer une sévérité cruelle. Il fit couper les mains à tous ceux des transfuges de l'armée romaine qu'il avait repris, afin que la vue de leurs bras mutilés épouvantât les troupes sur les suites de la désertion. Ces mains rebelles, séparées des corps et éparses sur la terre ensanglantée, apprirent au reste de l'armée à ne pas suivre un pareil exemple (An de R. 612). 12. Personne n'égala en bonté le premier Africain. Cependant, pour affermir la discipline militaire, il crut devoir emprunter quelque chose de cette cruauté, si éloignée de son naturel. S'étant fait livrer, après la soumission de Carthage, tous ceux des nôtres qui avaient passé dans les rangs ennemis, il sévit plus rigoureusement contre les transfuges romains que contre les latins. Il punit les premiers du supplice de la croix, comme déserteurs de la patrie, et il frappa les autres de la hache, comme de perfides alliés (An de R. 552). Je ne m'étendrai pas davantage sur ces rigueurs, et parce qu'elles sont de Scipion, et parce qu'il ne faut pas insulter à des citoyens romains condamnés, quoique avec raison, au supplice des esclaves. Nous pouvons d'ailleurs bellum adversus fugitivos gereret, et C. Titius, equitum præfectus, fugitivorum multitudine hostium circumventus arma iis tradidisset, his præfectum ignominiæ generibus affecit. Jussit eum toga laciniis abscissis amictum, discinetaque tunica indutum, nudis pedibus, a mane in noctem usque ad principia per omne tempus militiæ adesse. In terdixit etiam ei convictum hominum, usumque balnearum: turmasque equitum, quibus præfuerat, ademptis equis in funditorum alas transcripsit. Magnum profecto dedecus patriæ magno Pisonis decore vindicatum est: quoniam quidem id egit Piso, ut qui, cupiditate vitæ ad ducti, cruce dignissimis fugitivis tropæa de se statuere concesserant, libertatique suæ servili manu flagitiosum imponi jugum non erubuerant, amarum lucis usum experirentur, mortemque, quam effeminate timuerant, viriliter optarent. 10. Nec minus Pisone acriter Q. Metellus: qui quum apud Contrebiam res gereretur, collocatas a se in quadam statione quinque cohortes, atque ex ea viribus hostium depulsas, repetere eamdem stationem e vestigio jussit: non quod speraret ab iis amissum locum recuperari posse, sed ut præteritæ culpam pugnæ, inseguentis certaminis manifesto periculo puniret; edixit etiam, ut si quis ex his fugiens castra petiisset, pro hoste interficeretur: qua severitate compressi milites, et corporibus fatigatis, et (1) Dans la Celtibérie, où était située Contrébie. animis desperatione vitæ implicatis, loci tamen iniquitatem, multitudinemque hostium superarunt. Humanæ igitur imbecillitatis efficacissimum duramentum est necessitas. 11. In eadem provincia Q. Fabius Max. ferocissimæ gentis animos contundere et debilitare cupiens, mansuetissimum ingenium suum, ad tempus deposita clementia, sæviore uti severitate coegit: omnium enim, qui ex præsidiis Romanis ad hostes transfugerant, captique erant, manus abscidit, ut trunca præ se brachia gestantes defectionis metum reliquis injicerent: rebelles itaque manus a corporibus suis distractæ, inque cruentato solo sparsæ, cæteris, ne idem committere auderent, documento fuerunt. 12. Nihil mitius superiore Africano: is tamen, ad firmandam disciplinam militarem, aliquid ab alienissima sibi crudelitate amaritudinis mutuandum existimavit. Siquidem devicta Carthagine, quum omnes, qui ex nostris exercitibus ad Pœnos transierant, in suam potestatem redegisset, gravius in Romanos, quam in Latinos transfugas animadvertit. Hos enim tamquam patriæ fugitivos crucibus affixit, illos tamquam perfidos socios, securi percussit. Non prosequar hoc factum ulterius, et quia Scipionis est, et quia Romano sanguini, quamvis merito perpesso, servile supplicium insultare non attinet; quum præsertim passer à des faits dont le récit ne rouvre pas les blessures de la patrie. 13. Le second Africain, après la destruction de l'empire carthaginois, exposa aux bêtes, dans les spectacles qu'il donna au peuple, les étrangers déserteurs des armées romaines (An de R. 607). 14. Aussi sévère que lui, L. Paullus, après la défaite du roi Persée, fit fouler aux pieds des aucune considération, tirée ou de ce désastre ou de ce service, ne put, aux yeux des sénateurs, prévaloir sur la discipline (An de R. 541). Ils se rappelaient l'énergique sévérité déployée par leurs aïeux dans la guerre de Tarente, qui avait abattu, épuisé les forces de l'empire. Le roi Pyrrhus leur avait, de lui-même, renvoyé un grand nombre de leurs concitoyens devenus ses prison éléphants les soldats étrangers, coupables duniers. Ils décrétèrent que ceux d'entre eux qui même crime; exemple que j'appellerai nécessaire, s'il m'est toutefois permis, sans encourir le reproche de témérité, d'exprimer humblement mon avis sur les actions de nos grands hommes. La discipline militaire a, en effet, besoin de chatiments durs et prompts, parce que la force de l'empire est dans le soldat, qui, une fois affranchi des règles du devoir, devient oppresseur, s'il n'est réprimé (An de R. 586). 15. Mais il est temps d'exposer aussi ce qui a été fait, non par nos généraux individuellement, mais par le corps entier du sénat, pour fonder et maintenir la discipline des armées. L. Marcius, tribun militaire, après avoir, avec un avaient servi dans la cavalerie seraient enrôlés dans l'infanterie; que les fantassins passeraient dans les rangs des frondeurs auxiliaires, et qu'aucun d'eux ne pourrait reposer sous un abri dans l'intérieur du camp, ni fortifier de fossés ou de palissades le lieu qui leur serait assigné au dehors, ni avoir une tente couverte de peaux. Une seule voie fut laissée à chacun pour regagner le rang qu'il occupait dans l'armée : c'était de rapporter la dépouille de deux ennemis. Tel fut l'effet de ce châtiment, que ces soldats, don humiliant de Pyrrhus, en furent, par la suite, les ennemis les plus redoutables (An de R. 475). Le sénat s'arma de la même rigueur contre ceux qui, courage admirable, rassemblé les débris disper- | à la journée de Cannes, avaient abandonné la sés des deux armées de P. et de Cn. Scipion, détruites en Espagne par les armes carthaginoises, reçut des soldats le titre de général, et commença par ces mots la lettre qu'il écrivit, à ce sujet, au sénat: L.MARCIUS, PROPRÉTEUR. Les sénateurs désapprouvèrent l'usurpation de cette qualité, parce que la nomination des généraux appartenait au peuple et non aux soldats. Dans une conjoncture si pressante et si grave, après l'horrible échec éprouvé par la république, on devait ménager même un tribun militaire, puisqu'aussi bien il avait relevé seul les affaires de tout l'État. Mais cause de Rome. Il les bannit par un décret terrible, qui les réduisait à une condition pire que la mort. Ayant même reçu de M. Marcellus une lettre par laquelle il demandait à les employer au siége de Syracuse, il répondit qu'ils étaient indignes d'entrer dans un camp; qu'il lui était toutefois permis de faire, à cet égard, ce qu'il jugerait utile à la république, à condition qu'aucun d'eux ne cesserait d'être sous les armes, ne recevrait de récompense militaire, et ne paraîtrait en Italie, tant que les ennemis y seraient: tant le courage a de haine pour la lâcheté! (An de R. transire ad ea liceat, quæ sine domestico vulnere gesta | tamque gravi, propter immane reipublicæ damnum etiam narrari possunt. 13. Nam posterior Africanus, everso Punico imperio, exterarum gentium transfugas, in edendis populo spectaculis, feris bestiis objecit. 14. Et L. Paullus Perse rege superato, ejusdem generis et culpæ homines elephantis proterendos substravit; uti lissimo quidem exemplo, si tamen acta excellentissimorum virorum humiliter æstimare sine insolentiæ reprehensione permittitur: aspero enim et absciso castigationis genere militaris disciplina indiget; quia vires armis constant: quæ ubi a recto tenore desciverunt, oppressura sunt, nisi opprimantur. tribunus militum adulandus erat, quoniam quidem ad statum totius civitatis corrigendum unus suffecerat; sed nulla clades, nullum meritum, valentius militari disciplina fuit; succurrebat enim illis, quam animosa severitate Tarentino bello majores eorum usi fuissent; in quo quassatis et attritis reipublicæ viribus, quum magnum captivorum civium suorum numerum a Pyrrho rege ultro missum recepissent, decreverunt, ut ex iis qui equo meruerant, peditum numero militarent, qui pedites fuerant, in funditorum auxilia transcriberentur; neve quis eorum intra castra tenderet, neve locum extra assignatum vallo aut fossa cingeret, neve tentorium ex pellibus haberet; recursum autem iis ad pristinum militiæ ordinem proposuerunt, si quis bina spolia ex hostibus tulisset: quibus suppliciis compressi, ex deformibus Pyrrhi munusculis acerrimi hostes exstiterunt. Parem iram adversus illos senatus destrinxit, qui apud Cannas rempublicam deseruerant; nam quum eos gravitate decreti ultra mortuorum conditionem relegasset, acceptis a M. Marcello litteris, ut eorum sibi opera ad expugnationem Syracusarum uti liceret, rescripsit, indignos esse, qui in castra reciperentur; cæterum se ei permittere, ut faceret, quod expedire reipu 15. Sed tempus est, eorum quoque mentionem fieri, quæ jam non a singulis, verum ab universo senatu pro militari more obtinendo defendendoque, administrata sunt. L. Marcius, tribunus militum, quum reliquias duorum exercituum P. et Cn. Scipionum, quos arma Punica in Hispania absumpserant, dispersas mira virtute collegisset, earumque suffragiis dux esset creatus, senatui de rebus actis a se scribens, in hunc modum orsus est: M. MARCIUS PROPR.: cujus honoris usurpatione uti eum patribus conscriptis non placuit; quia duces a populo, non a militibus creari solerent; quo tempore tam angusto, I blicæ judicasset, dum ne quis ex eis munere vacaret, aut leur châtiment. Seulement, afin de rendre l'exé- DE LA DISCIPLINE MILITAIRE, CHEZ LES 537, 541). Quelle ne fut pas aussi l'indignationcitoyens romains, il ne laissa pase poursuivre du sénat quand il apprit que, dans un combat | contre les Ligures, où le consul Q. Pétilius avait fait des prodiges de valeur, ses soldats l'avaient laissé tuer! Il défendit de compter à cette légion ses années de services et de lui payer la solde, pour ne s'étre pas offerte aux traits de l'ennemi, afin de sauver son général. Ce décret d'une assemblée si auguste devint pour Pétilius un glorieux et éternel monument, à l'ombre duquel repose sa cendre, pour l'illustration du champ de bataille, où il est mort et du sénat où il a été vengé (An de R. 577). Les mêmes sentiments animaient cette assemblée, lorsqu'Annibal lui offrant le rachat de six mille Romains qu'il avait en son pouvoir, elle rejeta cette proposition, per suadée qu'un si grand nombre de soldats armés ne se seraient point laissé faire honteusement prisonniers, s'ils avaient voulu mourir avec hon2. Cléarque, général des Lacédémoniens, neur. Je ne saurais dire ce qu'il y a de plus hon-maintenait la discipline parmi ses troupes par le teux pour eux, d'avoir inspiré si peu d'estime à leur patrie ou à l'ennemi si peu de crainte, que l'une ait compté pour rien de les avoir pour défenseurs, et l'autre pour adversaires (An de R. 537). Mais, parmi les nombreux exemples qui attestent la sévère attention que le sénat donnait à la discipline militaire, je ne sais s'il en est de plus remarquable que le châtiment infligé aux soldats qui s'étaient emparés de Rhégium contre les lois de la guerre, et qui, après la mort de Jubellius, leur chef, s'étaient d'eux-mêmes donné pour général M. Césius, son secrétaire. Le sénat les fit mettre en prison, et, malgré l'opposition du tribun du peuple M. Fulvius Flaccus, lequel invoqua en leur faveur l'antique privilége des 1. Cette conduite du sénat romain semblera de l'indulgence, si l'on considère la barbarie du sénat carthaginois, jugeant des opérations militaires. Les généraux qui, dans une campagne, avaient suivi de mauvais plans, lors même que la fortune s'était déclarée pour eux, étaient punis du supplice de la croix. On attribuait leur succès à la protection divine; on leur imputait à crime leurs mauvaises mesures. pouvoir d'un mot admirable: il leur répétait sans cesse que le soldat doit craindre son général plus que l'ennemi. C'était leur déclarer ouvertement qu'ils perdraient dans les supplices une vie que leur valeur n'aurait pas su défendre sur le champ de bataille. Ce langage de leur chef n'étonnait point des hommes encore pleins du souvenir des måles adieux de leurs mères, qui, en les envoyant au combat, leur disaient de ne reparaître devant elles que vivants, leurs boucliers en main, ou morts, sur leurs boucliers. C'était avec ce mot d'ordre, reçu dans le sein de leurs familles, que les soldats de Sparte marchaient à l'ennemi. Mais c'est assez de ce coup d'œil sur les exemples étrangers, puisque Rome peut se dono militiæ donaretur, aut in Italiam, donec hostes in ea essent, accederet: sic enerves animos odisse virtus solet. Age, quam graviter senatus tulit, quod Q. Petilium consulem fortissime adversus Ligures pugnantem occidere milites passi essent? legioni enim neque stipendium anni procedere, neque æra dari voluit; quia pro salute imperatoris, hostium telis se non obtulerant. Idque decretum amplissimi ordinis, speciosum et æternum Petilii monumentum exstitit, sub quo in acie, morte, in curia, ultione, clari cineres ejus acquiescunt. Consimili animo, quum ei Annibal sex millium Romanorum, quæ capta in castris habebat, redimendorum potestatem fecisset, conditionem sprevit; memor, tantam multitudinem arma. torum juvenum, si honeste mori voluissent, turpiter capi non potuisse. Quorum nescio utrum majus dedecus fuerit, quod patria spei, an quod hostis metus nihil in his reposuerit; hæc pro se, ille ne adversus se dimicarent, parvi pendendo. Sed quum aliquoties senatus pro militari disciplina severe excubuerit, nescio an tum præcipue, quum milites, qui Rhegium injusto bello occupaverant, mortuoque duce Jubellio, M. Cæsium scribam ejus sua sponte imperatorem delegerant, carcere inclusit, ac M. Fulvio Flacco trib. pl. denuntiante, ne in cives Romanos adversus morem majorum animadverteret, nihilominus propo id perageretur, quinquagenos per singulos dies virgis cæsos, securi percuti jussit, eorumque corpora sepulturæ mandari, mortemque lugeri vetuit. DE DISCIPLINA MILITARI OBSERVATA AB EXTERNIS. 1. Leniter hoc patres conscripti, si Carthaginiensium senatus in militiæ negotiis procurandis violentiam intueri velimus; a quo duces bella pravo consilio gerentes, etiamsi prospera fortuna subsequuta esset, cruci tamen suffigebantur: quod bene gesserant, deorum immortalium adjutorio; quod male commiserant, ipsorum culpæ imputantes. 2. Clearchus vero, Lacedæmoniorum dux, egregio dicto disciplinam militiæ continebat, identidem exercitus sui auribus inculcando, a militibus imperatorem potius, quam hostem, metui debere. Quo aperte denuntiabat futurum, ut spiritum pœnæ impenderent, quem pugnæ acceptum ferre dubitassent; idque a duce præcipi non mirabantur, maternarum blanditiarum memores, quæ exituros eos ad præliandum monebant, ut aut vivi cum armis in cons. pectum earum venirent, aut mortui in armis referrentur. Hoc intra domesticos parietes accepto signo, Spartanæ acies dimicabant. Sed aliena prospexisse tantummodo satis est, cum propriis, multoque uberioribus et feliciori situm exsequutus est. Caterum, quo minore cum invidia | bus exemplis gloriari liceat. glorifier d'en offrir de plus nombreux et de plus beaux. CHAPITRE VIII. DU DROIT DE TRIOМРНЕГ. La discipline militaire, maintenue avec sévérité, acquit à l'empire romain la suprématie dans l'Italie, lui assujettit une infinité de villes, des rois puissants, de valeureuses nations, lui ouvrit l'entrée du Pont-Euxin, lui livra, bientôt renversées, les barrières des Alpes et du Taurus, et fit de l'humble chaumière de Romulus le centre et l'appui du monde. Puis donc que la discipline a été la source de tous les triomphes, je dirai maintenant ce qui constituait le droit de triompher. 1. Des généraux, après de légers succès, demandèrent le triomphe. Afin de prévenir l'abus, une loi défendit de prétendre à cet honneur, à moins d'avoir tué cinq mille hommes dans une seule bataille. Ce n'était pas sur le nombre, mais sur l'importance des victoires, que nos ancêtres fondaient la gloire future de Rome. Toutefois, pour empêcher que l'appât du laurier triomphal ne rendit illusoire une loi si sage, L. Marius et M. Caton, tribuns du peuple, la fortifièrent par une autre, laquelle établissait des peines contre les généraux qui oseraient, dans leurs dépêches, en imposer sur le nombre des ennemis ou des citoyens tués dans le combat. Ils étaient obligés, dès leur entrée à Rome, de jurer, devant les questeurs de la ville, qu'ils avaient fait au sénat un rapport conforme à la vérité (An de R. 691). CAPUT VIII. DE JURE TRIUMPHANDI. Disciplina militaris acriter retenta, principatum Italiæ Romano imperio peperit; multarum urbium, magnorum regum, validissimarum gentium regimen largita est; fauces Pontici sinus patefecit; Alpium Taurique montis convulsa claustra tradidit, ortumque e parvula Romuli casa totius terrarum orbis fecit columen. Ex cujus sinu quoniam omnes triumphi manarunt, sequitur, ut de triumphandi jure dicere incipiam. I. Ob levia prælia quidam imperatores triumphos sibi decerni desiderabant: quibus ut occurreretur, lege cautum est, ne quis triumpharet, nisi qui quinque millia hostium una acie cecidisset; non enim numero, sed gloria triumphorum, excelsius urbis nostræ futurum decus majores existimabant. Cæterum ne tam præclara lex cupidi tate laureæ obliteraretur, legis alterius adjutorio fulta est, quam L. Marius et M. Cato tribuni pl. tulerunt: pænam enim imperatoribus minatur, qui aut hostium occisorum in prælio, aut amissorum civium falsum numerum, litteris senatui ausi essent referre: jubetque, « eos, quum primum urbem intrassent, apud quæstores urbanos jurare, de utroque numero vere ab his senatui esse scriplum. >>> VALÈRE MAXIME. 2. Ces lois m'amènent naturellement à parler de ce procès fameux où deux illustres personnages se disputèrent avec acharnement le droit de triompher. Le consul C. Lutatius et le préteur Q. Valérius avaient détruit, sur les côtes de la Sicile, une nombreuse flotte carthaginoise. Le sénat, pour cet exploit, décerna le triomphe au consul Lutatius. Valérius prétendit à la même récompense; Lutatius soutint qu'on devait la lui refuser, parce que, disait-il, ce serait rendre les deux dignités égales, que de les confondre dans les honneurs du triomphe. La contestation n'ayant fait que s'animer, Valérius s'engagea, sous caution, à prouver à son adversaire que c'était sous sa conduite qu'on avait écrasé la flotte carthaginoise. Lutatius accepta le défi sans hésiter, et l'arbitre choisi par eux fut Atilius Calatinus. Valérius, plaidant.sa cause, dit que, pendant le combat, le consul était couché dans sa litiére, et hors d'état de se mouvoir; que lui, au contraire, avait rempli toutes les fonctions du commandement. Calatinus, sans attendre que le consul prît à son tour la parole, dit à Valérius : « Si vous eussiez été tous deux d'un avis contraire sur la nécessité de combattre, dites-moi, Valérius, lequel, du consul ou du préteur, aurait dû faire prévaloir sa volonté? >> << Point de doute, répondit Valérius, que le consul n'eût dû être obéi. » « Je suppose encore, dit Calatinus, que vous cussiez pris séparément les auspices et qu'ils eussent été opposés, auxquels s'en serait-on tenu de préférence?>>> « A ceux du consul,» répondit Valérius. « Eh bien, reprit l'arbitre, puisqu'il ne s'agit, dans la contestation soumise à mon jugement, que du commandement et des auspices, 2. Post has leges judicii illius tempestiva mentio introducetur, in quo de jure triumphandi inter clarissimas personas et actum et excussum est. C. Lutatius consul et Q. Valerius prætor circa Siciliam insignem Pænorum classem deleverant: quo nomine Lutatio consuli triumphum senatus decrevit. Quum autem Valerius sibi eum quoque decerni desideraret, negavit id fieri oportere Lutatius, ne in honore triumphi minor potestas majori æquaretur; pertinacinsque progressa contentione, Valerius sponsione Lutatium provocavit, Ni suo ductu Punica classis esset oppressa. Nec dubitavit restipulari Lutatius. Itaque judex inter eos convenit Atilius Calatinus: apud quem Valerius in hunc modum egit, consulem ea pugna in lectica claudum jacuisse, se autem omnibus imperatoriis partibus functum. » Tunc Calatinus, priusquam Lutatius causam suam ordiretur, « Quæro, » inquit, Valeri, a te, si, dimicandum necne esset, contrariis inter vos sententiis dissedissetis, utrum quod consul, an quod prætor imperasset, majus habiturum fuerit momentum? >>> Respondit Valerius, « non facere se controversiam, quin priores partes consulis essent futuræ. >>> <<< Age deinde, >>> inquit Calatinus, << si diversa auspicia accepissetis, cujus magis auspicio staretur? » Item respondit Valerius : « Consulis. » At judex, « Jam mehercule, » inquit, « quum de imperio et auspicio inter vos disceptationem susceperim, et tu utro. 39 et que, de votre aveu, l'avantage appartient sur ces deux points à votre adversaire, je n'ai plus rien à examiner. Ainsi done, Lutatius, quoique vous n'ayez rien dit encore, je vous donne gain de cause. » Décision admirable, en ce qu'elle empêchait de perdre du temps à discuter l'évidence. Mais, si on doit louer Lutatius d'avoir défendu avec persévérance les droits de la première dignité de l'empire, on ne peut blâmer Valérius d'avoir réclamé le prix d'une victoire due à son courage; prix que la loi lui refusait, mais dont il était digne (An de R. 512). 3. Que penser de Cn. Fulvius Flaccus qui dédaigna, qui repoussa l'honneur du triomphe, si ambitionné par les autres, et que le sénat lui avait décerné pour ses exploits? Déjà, sans doute, il prévoyait le sort qui l'attendait. En effet, à peine entré dans Rome, il fut soumis à un jugement criminel et condamné à l'exil, expiant ainsi l'outrage que son orgueil pouvait avoir fait à la religion (1) (An de R. 542). 4. Qu. Fulvius, vainqueur de Capoue, et L. Opimius, qui avait forcé les habitants de Frégelles à capituler, se montrèrent donc plus sages en demandant au sénat les honneurs du triomphe. Tous deux s'étaient signalés par de beaux faits d'armes: cependant ni l'un ni l'autre n'obtint ce qu'il avait demandé, non que les sénateurs fussent guidés par l'envie (cette passionne pénétra jamais dans cette auguste assemblée), mais ils tenaient à l'observation rigoureuse de la loi, qui accordait le triomphe pour des accroissements de territoire, et non pour des possessions recouvrées sur l'ennemi, et rendues au peuple romain. Car il y a aussi à la réparation d'une injustice (Ans de R. 542, 629). 5. Au surplus, la loi que j'ai citée fut si religieusement observée que l'on ne décerna le triomphe ni à P. Scipion pour avoir reconquis les Espagnes, ni à M. Marcellus pour la prise de Syracuse, parce qu'on leur avait confié le soin de ces expéditions sans les revètir d'aucune magistrature. Que l'on nous vante maintenant ces ambitieux d'honneurs à tout prix, qui, pour des rochers déserts et pour des brigantins surpris à des pirates, ont cueilli sans gloire, et d'une main empressée, quelques branches du laurier des vainqueurs. L'Espagne arrachée à l'empire de Carthage, et Syracuse, la tête de la Sicile, enlevée à ce corps mutilé, ne purent mettre en mouvement le char triomphal. Et pour quels hommes ? pour Scipion et pour Marcellus, dont les noms mêmes sont comme l'emblème d'un triomphe éternel. Mais le sénat, malgré le désir de contempler, sous leurs couronnes, ces illustres modèles d'une véritable et solide vertu, ces hommes qui portaient eneux les destins de la patrie, crut devoir les réserver pour un triomphe plus légitime et plus beau (An de R. 542). 6. J'ajouterai une particularité. L'usage était qu'à la veille de triompher, le général invitât les consuls au repas qu'il donnait, et qu'il les fit ensuite prier de ne point s'y rendre, afin de n'avoir à sa table, le jour de cette cérémonie, personne dont le pouvoir surpassât le sien. 7. Si brillants, si avantageux à l'État que fussent les succès obtenus dans une guerre civile, ils ne valurent à aucun général le titre d'imperator, ni le décret d'actions de grâces, ni l'ova loin d'un don à une restitution, que d'un bienfait ❘tion, ni le grand triomphe; parce que de telles victoires, fruit de la nécessité, ont toujours sem (1) On ne sait pas précisément à quel fait l'auteur fait ici allusion. que adversarium tuum superiorem fuisse fatearis, nihil est, quod ulterius dubitem; itaque, Lutati, quamvis adhuc tacueris, secundum te litem do. >>> Mirifice judex, quod in manifesto negotio tempus teri passus non est. Probabilius Lutatius, quod jus amplissimi honoris constanter defendit; sed ne Valerius quidem improbe, quia fortis et prosperæ pugnæ, ut non legitimum, ita se dignum præmium petiit. 3. Quid facias Cn. Fulvio Flacco, qui tam expetendum aliis triumphi honorem, decretum sibi a senatu ob res bene gestas, sprevit ac repudiavit? Nimirum non plura præcerpens, quam acciderunt; nam ut urbem intravit, continuo ipse quæstione publica afflictus, exsilio multatus est, ut si quid religionis insolentia commisisset, pæna expiaret. 4. Sapientiores igitur Qu. Fulvius, qui Capua capta, et L. Opimius, qui Fregellanis ad deditionem compulsis, triumphandi potestatem a senatu petierunt. Uterque editis operibus magnificus; sed neuter petitæ rei compos. Non quidem invidia patrum conscriptorum, cui nunquam aditum in curia esse voluerunt; sed summa diligentia observandi juris, quo cautum erat, ut pro aucto imperio, non pro recuperatis, quæ populi Romani fuissent, triumphus decerneretur. Tantum enim interest, adjicias aliquid, an detractum restituas, quantum distat beneficii initium ab injuriæ fine. 5. Quin etiam jus, de quo loquor, sic custoditum est, ut P. Scipioni ob recuperatas Hispanias, M. Marcello ob captas Syracusas, triumphus non decerneretur; quod ad eas res gerendas sine ullo missi erant magistratu. Probentur nunc cujuslibet gloriæ cupidi, qui ex desertis montibus, myoparonumque piraticis rostris, laudis inopes, laureæ ramulos festinabunda manu decerpserunt. Carthaginis imperio abrupta Hispania, et Siciliæ caput abscisum Syracusæ, triumphales jungere currus nequiverunt; et quibus viris? Scipioni et Marcello, quorum ipsa nomina instar æterni sunt triumphi; sed clarissimos solidæ veræque virtutis auctores, humeris suis salutem patriæ gestantes, etsi coronatos intueri senatus cupiebat, justiori tamen reservandos laureæ putavit. 6. His illud subnectam : moris erat, ab imperatore triumphum ducturo consules invitari ad cœnam; deinde rogari, ut venire supersedeant; ne quis eo die, quo ille triumpharit, majoris in eodem convivio sit imperii. 7. Verum quamvis quis præclaras res, maximeque utiles reipublicæ civili bello gessisset, imperator tamen eo nomine appellatus non est, nec ullæ supplicationes decretæ sunt; neque aut ovans, aut curru triumphavit : quia |