En outre, ne prétendait-il pas donner des bourses dans les écoles militaires à son choix? Le ministre de la guerre se leva alors et, interrom pant M. Cunéo d'Ornano, annonça qu'il préparait un projet tendant à exclure du bénéfice des bourses les élèves des écoles congréganistes. Cette déclaration valut à son auteur les applaudissements enthousiastes de l'extrême gauche et une protestation énergique de M. Aynard, député républicain progressiste du Rhône, acclamé par l'opposition. Le discours de M. Cunéo d'Ornano achevé, le général André, ministre de la guerre, monta à la tribune. Pour justifier ses décrets, il invoqua l'opinion, émise autrefois par le général Yung, à l'égard des commissions de classement qui «< sacrifiaient les officiers sortant du rang à l'aristocratie de l'armée ». Il reprocha aussi à ces commissions d'écarter systématiquement les officiers républicains pour favoriser les officiers réactionnaires et cléricaux. A quoi un interrupteur lui répliqua par cette question: «< Comment êtes-vous devenu général, alors ? » « A la commission irresponsable, continua le général « André, mon prédécesseur et moi nous avons substitué « le ministre responsable. »> Et il ajouta cette phrase qui provoqua une sensation énorme sur tous les bancs de la Chambre : << Cela veut dire que l'avancement des officiers est en « réalité dans les mains du parlement. >> Les partisans du ministère trouvèrent eux-mêmes que le ministre de la guerre allait un peu trop loin et proclamait avec plus de crudité qu'il ne convenait des projets qui ne gagnaient pas à être mis en lumière. Un peu troublé par le mouvement de séance qui suivit ses paroles, le ministre de la guerre tenta de les expli quer et les répéta ainsi : « L'avancement des officiers, <«< comme tous les actes de l'exécutif, relève forcément « du Parlement. » Cette explication ne parut pas beaucoup plus heureuse et l'assemblée, encore agitée, n'écouta qu'assez distraitement la suite du discours du ministre de la guerre, qui continua ainsi : Les décrets pris par le général de Galliffet et moi ont respecté loi de 1832. Nous avons modifié seulement les prescriptions de l'ordonnance de 1838. Nous avons ainsi usé du droit qui appartient au gouvernement, car l'ordonnance de 1838 n'est pas une loi. En 1888, M. de Freycinet, interpellé, déclarait que le droit dont nous avons usé n'est pas contestable. Il est facile, du reste, de soumettre au Conseil d'Etat les illégalités que j'aurais commises. (Applaudissements à gauche.) On a prétendu que j'avais violé la loi de 1872.Qui vous dit que je n'ai pas une commission de classement? Les titres des officiers, les notes de leur chef ont été examinés, l'année dernière, par une commission d'officiers généraux spécialement convoquée à cet effet. M. CUNÉO D'ORNANO. Voulez-vous lire l'article 2 de la loi de 1872? Le MINISTRE DE LA GUERRE.- Cet article dit simplement que les tableaux d'avancement au choix seront établis par une commission d'officiers généraux. La fin du discours du général André fut consacrée à rappeler qu'il avait écrit le 9 août 1870, étant capitaine d'artillerie à Rennes, une lettre patriotique à M. Paul de Cassagnac, alors directeur du journal « le Pays », tout en s'étant déclaré séparé de lui par ses opinions. politiques. M. Paul de Cassagnac, député du Gers, lui répliqua qu'il avait agi ainsi en officier indiscipliné et que d'ailleurs, s'il avait été aussi hostile à l'Empire qu'il le décla rait, il n'aurait pas demandé à faire partie de la garde impériale. M. Adrien Lannes de Montebello, député républicain progressiste de la Marne, reprit la question posée par M. Cunéo d'Ornano et la traita avec toute l'ampleur qu'elle méritait. Il montra que s'il était possible que les commissions de classement eussent commis des erreurs et des fautes, il restait à savoir si le système du général André devait être exempt de ces erreurs et de ces fautes. Les commissions de classement offraient au moins des garanties. Quelles garanties, au contraire, offrait le choix exclusif du ministre? Le ministre ne pouvait assumer « la formidable tâche << de tout contrôler et n'avait pas les éléments d'un << jugement équitable et sûr ». D'ailleurs, le général André avait remplacé la commission de classement composée des officiers généraux les plus élevés en grade de l'armée française par les officiers, en majorité subalternes, de son cabinet. On verrait ainsi se reformer dans l'armée des clientèles, des clans et des partis. M. Lannes de Montebello conclut qu'on ne pouvait maintenir le système arbitraire qui venait d'être institué. Il fallait améliorer les commissions de classement, modifier leurs attributions, mais maintenir les garanties nécessaires à l'officier. Aussi la conclusion de ce débat devait-elle être une invitation au ministre de la guerre de préparer un projet de loi sur la réforme des commissions de classement. Cette opinion parut rallier la grande majorité de la Chambre, car, après avoir repoussé, par 287 voix contre 243, la priorité pour un ordre du jour de M. de Montebello et, après avoir adopté, par 308 voix contre 214, d'a bord la priorité pour un ordre du jour de M. Chevillon, député radical des Bouches-du-Rhône, approuvant les déclarations du ministre de la guerre, et ensuite, à mains levées, le fond de cet ordre du jour, la Chambre vota la disposition additionnelle suivante : « Et comptant sur le « gouvernement pour préparer la loi réglant l'avance<< ment des officiers. >> Présentée par MM. Dubief et Berteaux, députés radicaux socialistes de Saône-et-Loire et de Seine et-Oise, cette addition fut votée à l'unanimité de 337 votants. M. Lasies, député nationaliste du Gers, présenta une autre addition ainsi conçue : « Et invitant le ministre « de la guerre à réprimer les délations dans l'armée. » Cette addition fut repoussée par 289 voix contre 130. M. Adrien Lannes de Montebello en présenta une nouvelle ainsi rédigée : « Et invitant le ministre à mettre « l'armée à l'abri des délations. » M. de Montebello justifia cette rédaction en peu de mots, affirmant qu'il était nécessaire que le pays et l'armée fussent informés que le ministre de la guerre ne saurait tolérer certaines pratiques. A ces paroles, qui faisaient allusion à des faits dont la presse s'était préoccupée, M. Waldeck-Rousseau, Président du Conseil, répondit que le gouvernement ne pouvait accepter cette motion qui avait un caractère offensant pour le ministre de la guerre. M. Lasies prit alors la parole pour montrer par un exemple l'utilité qu'il y avait à voter l'addition de M. de Montebello. Il cita le fait suivant : Un officier écrivant à un notaire y employa un terme injurieux pour un homme politique. Cette lettre fut communiquée au ministre. Celui-ci, au lieu de rejeter cette délation, mit l'officier en retrait d'emploi avec ce motif : « A, dans une lettre privée, employé un terme injurieux pour un homme politique. » (SenExclamations. Rumeurs au centre. Bruit à sation. gauche). Cris au centre: « Le ministre ! Le ministre! Le ministre ! >> (Longue agitation.) M. BERTRAND. Il me paraît impossible que le ministre reste sans répondre sous le coup de cette accusation. (Vifs applaudissements au centre et à droite. Rumeurs à gauche. Tumulte prolongé.) Le ministre conserva cependant le silence. La Chambre passa au vote sur la disposition additionnelle de M. de Montebello, qui ne fut repoussée que par 241 voix contre 219, soit à 22 voix de majorité. Après ce vote et avant le vote sur l'ensemble de l'ordre du jour, le ministre de la guerre se décida à dire quelques mots à propos du fait incriminé par M. Lasies. Voici comment il s'exprima : Je tiens essentiellement, dit-il, à déclarer que je désapprouve absolument l'introduction de la délation dans l'armée. M. MAGNE. Vous en êtes le complice. (Bruit.) LE MINISTRE DE LA GUERRE. - Mais je ne puis accepter qu'on me pose ainsi de but en blanc des questions sur des faits particuliers qui ont pu sortir de ma mémoire. (Rumeurs à droite.) M. LASIES. Le ministre réprouve la délation. Mais il s'en sert. M. LASIES. Mais, par sa réponse, il reconnaît l'exactitude du fait que j'ai signalé (exclamations à gauche) et le condamne. J'espère qu'après avoir frappé il saura réparer. L'ensemble de l'ordre du jour fut adopté par 314 voix contre 214. L'officier si odieusement dénoncé et si lourdement |