L'agitation qui se produisait dans les esprits ne tarda pas à gagner la rue. C'est ainsi qu'après une distribution des prix d'une école tenue par des religieuses, avenue Parmentier à Paris, école qui, aux termes de la circulaire ministérielle, devait fermer ses portes, MM. François Coppée, de l'Académie française, Gaston Méry, conseiller municipal de Paris, et Lerolle, député de la Seine, qui avaient pris la parole à cette distribution de prix, furent arrêtés et conduits au poste pour avoir pris part à une manifestation dans la rue, caractérisée surtout par les cris de « Vive la liberté ! >> : Le même jour (23 juillet), une importante manifestation eut lieu avenue de l'Opéra et à la gare Saint-Lazare où se rendirent, pour quitter Paris, les sœurs de l'école de la rue Saint-Roch qui venait de fermer ses portes, se soumettant à la circulaire ministérielle sans attendre les décrets. M. le Président du Conseil sentant, en effet, lui-même devant les protestations et les manifestations qui avaient accueilli sa circulaire, l'insuffisance et peut-être aussi l'illégalité de celle-ci, s'était décidé à procéder, par voie de décrets, à l'égard des établissements d'enseignement libre qui n'auraient pas fermé leurs portes le 25 juillet. A cette date, il présenta à la signature du Président de la République, en Conseil des ministres, un décret ordonnant la fermeture des établissements congréganistes d'enseignement libre qui, formés antérieurement à la loi de 1901, n'avaient pas formulé de demandes d'autorisation. Toutefois, les établissements d'enseignement libre qui pouvaient produire à leur profit un décret de tutelle et tous les établissements congréganistes de bienfaisance, hôpitaux, crèches, asiles, garderies d'enfants, etc..., étaient exceptés de l'application du décret. M. le Président de la République signa, le 25 juillet, deux décrets de fermeture, un pour les établissements du département de la Seine, au nombre de 26, l'autre pour les établissements du département du Rhône. Un décret de fermeture devait être pris par la suite à raison d'un par département, pour les autres établissements d'enseignement libre. Pour un certain nombre de départements, ces décrets n'eurent pas même à être pris, car les établissements situés dans ces départements avaient fermé leur porte dans les délais prescrits par la circulaire. Presque partout l'administration ne se contenta pas de cette soumission et exigea encore des propriétaires des locaux d'enseignement l'engagement écrit de ne plus recevoir, à l'avenir, des congréganistes. Faute de cet engagement, les scellés furent apposés, par mesure administrative, sur ces locaux et les propriétaires expropriés ainsi de l'usage de leur propriété. Toutes ces mesures soulevèrent l'indignation non pas seulement des catholiques, mais de ceux qui étaient demeurés simplement fidèles à la liberté et par conséquent à l'esprit vraiment républicain. M. Gabriel Monod, maître de conférences à l'Ecole normale supérieure, républicain avancé et protestant notoire, s'éleva, dans une lettre rendue publique, contre les actes arbitraires qui s'accomplissaient quotidienne ment. Voici un extrait de cette lettre : Ceux qui, comme moi, sont partisans d'une liberté absolue d'association et en même temps de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, persuadés qu'alors c'est l'Eglise elle-même qui imposerait des limites au développement indéfini des ordres religieux sont effrayés et navrés de voir les anticléricaux d'aujourd'hui manifester à l'égard de l'Eglise catholique des sentiments et des doctrines identiques à ceux que les catholiques ont manifestés naguère à l'égard des protestants et des hérétiques de tout ordre. On lit aujourd'hui dans certains journaux qu'il n'est pas possible de laisser l'Eglise continuer à élever la jeunesse française dans l'erreur; j'ai même lu qu'«< il n'était pas possible d'admettre la liberté de l'erreur ». Comme si la liberté de l'erreur n'était pas l'essence même de la liberté ! Et dire que ceux qui écrivent ces phrases protestent contre le Syllabus, tout en le copiant! Sommes nous condamnés à être perpétuellement ballottés entre deux intolérances, et le cri de « Vive la liberté ! » ne sera-t-il jamais que le cri des oppositions persécutées au lieu d'être la devise des majorités triomphantes? Enfin M. René Goblet développa dans une lettre très importante, qu'on trouvera aux Annexes du présent volume, la protestation qu'il avait déjà sommairement formulée dans sa lettre au journal l'Eclair. Les manifestations dans la rue continuèrent à Paris pendant plusieurs jours. Le dimanche 27 juillet, sur l'initiative de Mmes Reille, de Mun, Piou, Cibiel, les mères de famille furent conviées à se rendre de la place de la Concorde au ministère de l'intérieur pour y déposer des pétitions au Président du Conseil en faveur du maintien des écoles libres. Des manifestations diverses eurent lieu à cette occasion parmi la foule accourue à la place de la Concorde et aux Champs-Elysées. Les manifestants pour la liberté d'enseignement eurent maille à partir à diverses reprises avec les manifestants radicaux et socialistes venus de leur côté pour contre-manifester. Des rixes éclatèrent, mais l'ordre ne fut pas sérieusement troublé. Une élection législative eut lieu le 20 juillet dans la 2e circonscription de Lille (Nord), mais ne donna pas de résultat définitif au premier tour de scrutin. Une élection législative eut lieu, le 27 juillet, dans la 2o circonscription de Montbrison (Loire). Elle donna le résultat suivant : Electeurs inscrits: 21.235. Votants 16.042. Suffrages exprimés: 15.823. MM. Daniel Dorian, rép. ministériel.. Desjoyaux, conservateur libéral. 9.062 Elu. 6.733 (Il s'agissait de remplacer M. Charles Dorian, républicain ministériel, décédé, qui avait été nommè aux dernières élections générales par 10.168 voix contre 7.156 à M. Desjoyaux, qui était déjà candidat.) AOUT SEPTEMBRE Consultation juridique sur le caractère illégal des mesures prises par le gouvernement, rendue par M. Jules Roche, député de l'Ardèche, ancien ministre, et approuvée par la plupart des barreaux de France. Fondation d'une Ligue, dite de la liberté de l'enseignement. Arrêt de la Cour de Lyon sur l'illégalité des appositions de scellés. Vive agitation en Bretagne. Cas du lieutenant-colonel Gaudin de Saint-Rémy et du commandant Leroy-Ladurie. Résistance acharnée dans le département du Finistère et particulièrement dans les villages de Folgoët, Saint-Méen et Ploudaniel. Session des Conseils généraux. Création d'une Ligue pour le refus de l'impôt. Réouverture avec des laïques catholiques de la plupart des écoles congréganistes fermées. Avis du Conseil d'Etat sur l'inutilité de lui transmettre les demandes d'autorisation pour les établissements que le gouvernement n'avait pas l'intention d'autoriser. Comparution d'abord du colonel de Saint-Remy, puis, plus tard, du commandant Leroy-Ladurie devant le Conseil de guerre de Nantes. Jugements rendus. Voyage de M. Camille Pelletan, ministre de la marine, en Corse et en Tunisie. Discours véhéments prononcés par ce ministre. Critiques très vives de la presse étrangère. Discours prononcé à Matha (Charente-Inférieure) par M. Combes, Président du Conseil, pour désavouer les discours du ministre de la marine. Lettre de M. Jean Jaurès, député socialiste du Tarn, à M. Andréa Costa, député socialiste italien, concernant la Triple-Alliance envisagée comme «< contre-poids au chauvinisme français ». Congrès de la fédération nationale des mineurs, à Commentry. Elections sénatoriales et législatives partielles. |