projet de loi voté par le Sénat sur l'admission temporaire des blés et commença la discussion d'une proposition de loi tendant à limiter à huit heures la journée de travail dans les mines, discussion qu'elle continua pendant le mois de février. (Voir le compte-rendu de ce mois.) Le Sénat se réunit, au lendemain de l'élection de son bureau, le 17 janvier, pour entendre le discours de remerciements de M. le Président Fallières. Il tint une autre séance, le 21 janvier, pour la discus-sion d'une interpellation de M. l'amiral de Cuverville, sénateur républicain catholique du Finistère, sur l'arrêté du ministre de la marine relatif au service de la messe à bord des bâtiments de la flotte. Cet arrêté, qui supprimait l'usage du pavillon de la messe, la garde d'honneur constituée auprès de l'autel, les conférences religieuses et la prière, fut l'objet des vives critiques de l'interpellateur qui affirma que, dans toutes les marines du monde, en Angleterre, en Amérique, en Allemagne et en Russie, le culte était pratiqué, honoré et imposé. Aucun ministre de la marine en France, ni M. Barbey, protestant, ni M. Burdeau, libre-penseur déclaré, ni M. Lockroy, radical socialiste, n'avait touché à ces usages religieux en honneur de tout temps dans la marine française. M. de Lanessan, ministre de la marine, répondit brièvement qu'il avait entendu assurer sur tous les navires de la République la liberté de conscience, en supprimant l'obligation des cérémonies religieuses pour ceux des marins qui voulaient s'abstenir d'y participer. Après une réplique de l'amiral de la Jaille, sénateur conservateur de la Loire-Inférieure, le Sénat adopta un ordre du jour par lequel il se proclamait respectueux de la liberté de conscience et approuvait les déclarations du gouvernement. L'approbation des déclarations du gouvernement fut votée par 184 voix contre 53. Le Sénat discuta, les 23 et 24 janvier, une interpellation de M. Farinole, sénateur républicain progressiste de de la Corse, sur la situation de cette île. M. Farinole, et après lui son collègue, M. de Casabianca, signalèrent la grave crise économique et la récente aggravation des impôts qui avaient frappé la Corse. Ils déclarèrent qu'il était urgent de doter la Corse de services maritimes postaux et de voies de communication et de chemins de fer qui développeraient sa richesse. Ils demandèrent, avec leur collègue M. Jacques Hébrard, la nomination d'une commission d'enquête qui étudierait les causes du mal et rechercherait les remèdes. M. Waldeck-Rousseau, Président du Conseil, après avoir donné diverses explications sur la situation de la Corse, s'opposa à la nomination d'une commission d'enquête et le Sénat lui donna gain de cause en repoussant l'ordre du jour présenté par les trois sénateurs de la Corse. Le Sénat vota, sans discussion, le 21 janvier, la proposition de loi adoptée déjà par la Chambre et interdisant l'affichage électoral sur les édifices et monuments ayant un caractère artistique. Le 28 janvier, le Sénat aborda la discussion de la proposition de loi relative au placement des ouvriers et employés des deux sexes. La Chambre avait voté un texte supprimant les bureaux de placement payants dans un délai de cinq années. La commission sénatoriale n'avait pas accepté ce texte et en présentait un nouveau qui organisait la coexistence des bureaux de placement gratuits et des bureaux payants. M. Poirrier, sénateur républicain ministériel de la Seine, proposa une autre rédaction, en vertu de laquelle les bureaux payants pourraient être maintenus même au delà de cinq ans, sauf, le droit, pour les municipalités, de les exproprier suivant des formes déterminées. Il estimait que ce système respectait la propriété, maintenait une concurrence salutaire et tenait compte de tous les intérêts en présence. M. Strauss, sénateur radical de la Seine, appuya ce système qui permettait aux municipalités de supprimer les bureaux payants lesquels avaient, à son avis, cet inconvénient d'exploiter les travailleurs et de pratiquer la sélection rurale en attirant à la ville les habitants des campagnes. M. Rolland, sénateur républicain du Tarn-et-Garonne et président de la commission, soutint le texte de celleci, que M. Millerand, ministre du commerce, vint combattre. Il reconnut que le bureau payant était parfois utile, même nécessaire, mais toujours regrettable, car il donnait à un courtier le droit de percevoir un impôt que l'ouvrier ne pouvait refuser sans renoncer à trouver du travail. Comment pouvait-on remplacer le placement payant par le placement gratuit? Là était la seule question. Le ministère reprocha à la commission sénatoriale de demander le maintien des bureaux payants au nom de la liberté. C'était, à son avis, un sophisme, car le bureau payant par cela seul qu'il existait était quasi-obligatoire. Les patrons en effet s'y adressaient, l'ouvrier était donc obligé d'y aller. Les conseillers municipaux étaient les organes les mieux qualifiés pour juger de l'utilité et de la nécessité des bureaux de placement payants. On ne pouvait d'ailleurs pas dire que les municipalités qui les supprimeraient porteraient atteinte à la liberté du travail, car les bureaux payants n'existaient qu'en vertu d'une autorisation administrative. Le ministre du commerce répondit à ceux qui craignaient que la suppression des bureaux de placement payants ait pour effet de livrer patrons et ouvriers aux syndicats tout-puissants. Le placement gratuit pourrait être fait, dit-il, par toutes sortes d'associations. Et d'ailleurs, il y avait intérêt à ce que les syndicats s'occupassent de plus en plus de fonder des bureaux de placement gratuits. C'était le meilleur moyen de les faire demeurer dans leur vrai rôle. M. Millerand conclut en demandant au Sénat d'accepter la solution transactionnelle de M. Poirrier. M. Prevet, sénateur républicain progressiste de Seine et-Marne et rapporteur du projet, répondit au ministre du commerce. Il rappela que le projet de la commission était celui adopté déjà par le Sénat en 1898 à une grosse majorité. Il posait le maintien des bureaux payants, en face de la suppression des bureaux payants votée par la Chambre à une petite majorité et sans enquête préalable auprès des intéressés. « Nous sommes d'accord avec le ministre pour désirer << l'extension des bureaux gratuits. Nous obligeons les <«< municipalités à en ouvrir. Mais nous ne voulons pas « du système qui consiste à supprimer le concurrent. << Le but que vous poursuivez c'est d'embrigader l'ou<«<vrier dans le syndicat. » M. Prevet affirma la nécessité de maintenir les bureaux payants pour ceux qui veulent s'en servir. Puis il conclut en critiquant le système transactionnel de M. Poirrier, car « quelle serait la situation, dans une <«< commune où une municipalité aurait supprimé les bu<< reaux de placement payants et où une autre munici<< palité voudrait les rétablir ». « Nous sommes pour la liberté, conclut M. Prevet, et <<< nous voulons le maintien des bureaux payants. » En présence de l'accueil très chaleureux fait par la grande majorité du Sénat au discours de M. Prevet, M. Millerand, ministre du commerce, s'efforça de réduire la question à ce point: convient-il de donner aux municipalités le droit de supprimer les bureaux payants. Il demanda au Sénat de répondre affirmativement. MM. Expert-Bezançon et Poirrier, sénateurs de la Seine, présentèrent diverses observations, puis M.FranckChauveau, sénateur républicain progressiste de l'Oise, dans un discours énergique, montra que, parmi les municipalités à qui le ministre voulait donner le droit de supprimer les bureaux payants, il en était trop qui regardaient du côté des syndicats et par suite perdaient leur liberté d'appréciation. Les journaux socialistes ne cachaient d'ailleurs pas que les syndicats devraient mettre en demeure les conseils municipaux de supprimer les bureaux payants si la loi était votée. Le but principal poursuivi était donc, par le projet en discussion, la domination exclusive des syndicats. L'article 1er du projet de la commission sénatoriale, combattu par le gouvernement, fut ensuite mis aux voix et adopté par 190 voix contre 80. Les autres articles et l'ensemble du projet furent adoptés sans discussion à la séance du 30 janvier. A cette même séance fut adoptée la proposition de loi réglant la situation des sociétés de prévoyance en général, et, en particulier, des « Prévoyants de l'Avenir ». |