sonne. Ce n'est pas à l'ampleur exagérée du plan qu'il faudrait attribuer ou certaines hésitations ou l'âpreté croissante de certaines oppositions; mais l'heure n'est pas venue de juger des faits qui sont encore trop près de nous pour être impartialement appréciés. Au premier rang de « ces promesses républicaines restées en souffrance » et que l'action du gouvernement avait réalisées, M. Waldeck-Rousseau cita la loi du 1er juillet 1901 sur les associations, « utile, essentielle, déclara-t-il, à la paix morale de ce pays ». Il ajouta : Au commencement du siècle, on a jugé que le clergé séculier suffisait à assurer complètement l'exercice du culte Il ne mérite pas aujourd'hui d'éveiller moins de confiance. L'Etat trouve en lui les garanties que donne une hiérarchie soumise à son contrôle, une nationalité certaine dont le sentiment n'est pas moins vif, j'en suis assuré, chez le prêtre que chez le citoyen, et si la loi actuelle est en effet dirigée contre ceux que j'ai appelés les moines ligueurs et les moines d'affaires (rires), non seulement elle n'est point une menace pour lui, mais elle constitue une garantie qui commence déjà d'être comprise. La loi de 1901 envisage les congrégations au point de vue des services qu'elles peuvent rendre à l'utilité publique; elle exclut l'intrigue, mais elle n'exclut pas la charité (vifs applaudissements); elle n'a pas d'ostracisme non plus contre ceux dont l'ambition consiste moins à régenter la société qu'à secourir la misère. Puis le Président du Conseil passa en revue les autres lois ou projets de lois votés ou présentés sous son ministère: lois sur l'armée coloniale et sur les boissons, projet sur les retraites ouvrières et sur la durée des heures de travail dans les mines. Du socialisme, il ne dit pas un mot, il n'en prononça pas même le nom. Enfin, il prophétisa le triomphe nouveau de la Répu blique aux élections législatives de 1902 et la défaite de ce qu'il appela « les vaines parodies, les contrefaçons « grossières ou du patriotisme sincère, ou du véritable << esprit de la Révolution ». Par ce discours, le corps électoral était, en somme, invité, dans l'absence de tout plan d'avenir, à prendre parti sur la politique ministérielle à l'exclusion de tout autre sujet. Les radicaux et radicaux socialistes, peu enclins à agiter le programme de leur parti à la veille des élections, saluèrent avec joie cette continuation de l'équivoque qui leur avait largement profité pendant trois années et préconisèrent pour la lutte électorale la formation de combat en deux blocs : le « bloc » ministériel, qualifié, bien entendu, de bloc républicain, contre le bloc anti-ministériel, dénommé « réactionnaire ». La grande majorité des socialistes se rallia aussi à cette combinaison. M. Millerand, qui avait accompagné le Président du Conseil à Saint-Etienne, avait indiqué dans un discours qu'il prononça à Firminy, le 13 janvier, que c'était là la meilleure méthode à suivre. Devant un auditoire presque exclusivement composé d'ouvriers mineurs socialistes il se montra courageusement opportuniste. Le socialisme doit « mêler sans cesse, dit-il, à la pour<< suite des fins idéales le souci des contingences prati«<ques. Il ne lui est permis ni d'ignorer les obstacles «< qu'oppose à son essor l'intérêt ou le préjugé, plus fort « que l'intérêt, ni d'oublier que le dédain des transac«<tions n'est que le dédain de l'action et de la vie. » Le ministre du commerce ne craignit même pas d'ajouter, à l'adresse des membres de son parti qui lui reprochaient d avoir accepté son portefeuille des mains d'un << bourgeois » comme M. Waldeck-Rousseau, que: « Ce <«< serait se leurrer étrangement que de tenir le fait pour << un accident ou un incident sans lendemain comme << sans précédent. » Pendant que M. Millerand tenait ce langage à Firminy, dans les Vosges, à Remiremont, M. Méline, ancien Président du Conseil, développait les raisons qui l'avaient conduit, lui et le parti républicain progressiste, à combattre la politique ministérielle. Voici comment il s'exprima : Je reste ce que j'ai toujours été : j'ai défendu la liberté parce qu'elle est dans mes principes, et non avec l'intention d'être agréable à qui que ce soit : je ne demande rien pour cela aux conservateurs. Ils sont parfaitement libres de ne m'en savoir aucun gré et de voter contre moi dans l'avenir si cela leur plaît. Ils ne me doivent rien. (Applaudissements.) L'opposition, qui n'est pour rien dans mon attitude, ne la changera pas davantage. Républicain, je défendrai toujours la liberté, qui est la raison d'être et l'honneur de la République. Je la défendrai sous toutes ses formes, liberté politique, liberté de conscience. liberté d'enseignement, liberté du travail. L'arbitraire, la persécution, dont j'ai horreur, m'auront toujours pour adversaire. Patriote, j'aime l'armée comme j'aime ma patrie, dont elle est l'incarnation vivante; je ne cesserai pas de m'opposer à tout ce qui peut l'affaiblir, la diviser; je combattrai tous ceux qui essayeront d'introduire la politique dans ses rangs ou qui laisseront se relàcher les liens de ladiscipline, sans laquelle une armée est battue d'avance. Enfin, partisan du progrès social, je n'entends le réaliser que par la liberté du travail, l'entente raisonnée entre le capital et le travail. Je réprouve la guerre de classes, encore plus funeste aux ouvriers qu'aux patrons. La doctrine collectiviste révolutionnaire m'apparaît comme la plus funeste des utopies parce qu'elle est à la fois séduisante et impraticable et qu'elle donne aux ouvriers des illusions qui leur font perdre de vue leurs véritables intérêts. Aussi ai-je considéré comme une faute capitale l'entrée du chef du collectivisme dans le ministère, et c'est la raison décisive, à laquelle celui-ci en a ajouté beaucoup d'autres depuis, qui m'a empêché de lui donner mon concours dès le premier jour. Puis, à ceux des partisans du ministère qui, dans la presse et au Parlement, opposaient aux critiques dirigées contre la présence de M. Millerand au ministère l'influence déterminante de M. Waldeck-Rousseau qui, comme chef du gouvernement, ne perdait aucune occasion de « proclamer les vrais principes », M. Méline répondit ainsi : Je ne fais aucune difficulté de le reconnaître, et je suis bien convaincu qu'aujourd'hui même M. Waldeck-Rousseau va émerveiller son auditoire de Saint-Etienne par la parfaite correction de son langage. Il aura, malheureusement près de lui son ministre du commerce, qui, il y a moins de quinze jours, déclarait catégoriquement, devant un auditoire parisien, qu'il gardait son programme de Saint-Mandé et qu'il ne voulait pas y changer un seul mot ni en retrancher un seul paragraphe. Eh bien! messieurs, c'est peut-être une infériorité de mon esprit ou la faute de ma conception en matière de gouvernement, mais je ne connais rien de plus désastreux au point de vue moral que ce dualisme gouvernemental qui, selon le temps, les circonstances, le milieu où l'on parle, la clientèle qu'on veut flatter, présente au pays tantôt la face propriété, capital et liberté, tantôt la face suppression de la propriété, du capital, et de la liberté. Il n'y a rien de plus démoralisant pour une nation, rien qui soit plus capable de la jeter dans un scepticisme sans remède qu'un pareil spectacle. (Applaudissements.) Comment veut-on que des ouvriers simplistes et droits comprennent quelque chose au milieu de cette confusion et de ces contradictions déconcertantes? Il est fort probable, d'ailleurs, qu'ils n'écoutent que d'une oreille distraite l'élégante parole de M. le Président du Conseil ils aiment mieux croire celui qu'on leur a présenté comme leur défenseur officiel, et ils se disent sans doute que la doc trine collectiviste, quoi qu'en pense M. Waldeck-Rousseau, n'est déjà pas si mauvaise, ni si impraticable, puisqu'il lui a fait l'honneur de l'introduire dans le gouvernement luimême. Ce serait, d'ailleurs, une grave erreur de croire que le collectivisme est resté dans les nuages depuis qu'il a pris figure gouvernementale, et qu'il n'a pas touché terre. Pendant que M. le Président du Conseil se dépense en magnifiques discours, son ministre du commerce agit, et il poursuit, avec une méthode raisonnée et une persévérance infatigable, la réalisation de son plan, c'est-à-dire l'acclimatation du collectivisme et la préparation de la révolution sociale. Tous les projets de loi qu'il a déposés avec l'autorisation et l'approbation de M. le Président du Conseil lui-même, les fameux projets sur l'arbitrage et la grève obligatoires, sur les conseils du travail, sont à tendance collectiviste; ce sont des infiltrations collectivistes raisonnées. En même temps qu'il opérait dans le domaine législatif, M.Millerand préparait très habilement, sous les yeux de M. le président du conseil, l'armée de la révolution. Il formait et exerçait ses troupes par le moyen des grèves que ses amis suscitaient partout et transformaient en mouvements révolutionnaires. Ceux qui les conduisaient déclaraient hautement qu'ils n'avaient pas d'autre but que de mobiliser et d'entraîner les ouvriers pour les préparer à la grève générale, qui doit coïncider avec la révolution sociale. M. Méline conclut ainsi son remarquable discours : Tout le monde a le sentiment que nous ne pouvons pas rester au point où nous en sommes, qu'il faut ou descendre la pente révolutionnaire au risque de toucher le fond de l'abîme, ou remonter la pente de la politique de liberté, de paix, de progrès démocratique qui a présidé à la fondation de la République et qui peut seule garantir contre le retour offensif de ses adversaires. C'est parce que je suis républicain que je souhaite le triomphe de la politique d'apaisement sur la politique de division, je ne le souhaite pas seulement dans l'intérêt de la République, je le souhaite dans l'intérêt de la France, qui a besoin plus |