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Il est mille peines en amour; j'en ai déjà éprouvé le plus grand nombre, et, pour mon malheur, je puis en parler d'après ma propre expérience. Si j'ai affirmé autrefois, et si maintenant je soutiens, dans mes écrits ou dans mes discours, que telle dou leur d'amour est légère, que telle autre est cruelle, croyez-en mon jugement. Je le dis, je le répète, et je le dirai jusqu'aux derniers jours de ma vie : l'amant d'une beauté digne de lui, fût-elle rebelle à ses désirs, et quand même il ne pourrait obtenir le prix dû à sa persévérance et à ses transports, cet amant, consumé par une passion brûlante ne doit jamais se plaindre, s'il a noblement placé son cœur. L'esclave de séduisants regards, d'une magni

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fique chevelure, qui cachent une ame vile et perverse, a seul le droit de gémir; il voudrait prendre la fuite, mais il ressemble au cerf blessé, qui emporte avec lui le trait fatal; honteux de lui-même, l'amant infortuné n'ose avouer sa faiblesse : il essaie vainement de briser ses liens.

Le jeune Grifon, victime de ce funeste sort, reconnaît son erreur, et il ne peut s'en corriger; le guerrier voit combien il s'avilit en aimant l'infidèle et coupable Origille; cependant, un penchant déplorable, une habitude malheureuse, asservissent son esprit et sa raison; une puissance secrète le pousse à rechercher partout une femme ingrate et perfide. Poursuivant le récit de cette belle histoire, je dirai que Grifon sortit secrètement de la cité sainte, à l'insu de son frère, qui avait fait souvent de vains efforts pour l'éloigner de sa maitresse. Il prit la route la plus facile et la plus fréquentée, à gauche, du côté de Rama, et, après six jours de marche, il aperçut Damas de Syrie; ensuite il se dirigea vers Antioche.

Près de Damas, Grifon rencontra le chevalier à qui Origille avait donné son cœur. Véritablement, la fleur n'est pas assortie à sa tige mieux que ces deux amants ne se conviennent l'un à l'autre; également traîtres, inconstants et perfides, tous deux, pour le malheur d'autrui, savent cacher leurs vices sous un extérieur agréable. Ce chevalier, accompagné de l'astucieuse Origille, vêtue d'une robe tissue d'or et d'azur, était couvert d'armes brillantes, et monté sur un cheval de bataille, afin de paraître avec splendeur aux joûtes de Damas:

deux écuyers le suivaient, portant son casque et son bouclier.

Le roi de Damas ayant fait publier une fête somptueuse, plusieurs chevaliers s'y rendaient équipés le plus richement qu'il leur était possible. A l'aspect de Grifon, la coupable Origille, sachant que son nouvel amant n'a pas assez de courage pour se défendre, craint le ressentiment et la juste vengeance du jeune prince; en proie à la frayeur, elle compose son visage et son maintien avec tant d'art, qu'on ne remarque sur ses traits aucun signe de trouble. Exécutant alors un perfide projet arrêté d'avance, elle feint la joie la plus vive; elle s'approche de Grifon, l'enlace de ses bras, le presse sur son cœur, et reste long-temps suspendue à son cou.

Joignant à mille caresses la douceur de ses paroles: << Est-ce donc là, lui dit-elle en pleurant, ce que tu devais à celle qui te chérit, qui t'adore? Tu m'as abandonnée pendant douze mois entiers; une autre année commence son cours, et tu ne t'occupes point de ton amante! Si j'eusse attendu ton retour, peut-être je ne t'aurais jamais revu. En quittant la cour de Nicosie, où tu étais allé, j'espérais que tu reviendrais près de ton Origille, dévorée par une fièvre violente, et presque dans les angoisses de la mort. Soudain j'appris ton voyage en Syrie, triste et douloureuse nouvelle ; ignorant de quelle manière je pourrais te rejoindre, je fus plusieurs fois sur le point de m'arracher la vie. La fortune, moins cruelle que toi, m'a doublement favorisée: elle m'a envoyé mon frère, avec

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