volonté ne lui soit pas nécessaire pour bien faire ce qu'il fait c'est la même puissance, quoique moins énergique; sa tâche doit être plus aisée, mais elle seule peut la remplir. La volonté de l'enfant est donc l'intermédiaire sur lequel on ne saurait se dispenser d'agir, si l'on veut qu'il avance dans la route de l'instruction. Cette vérité est assez généralement reconnue de nos jours: cependant, je crois devoir y revenir parce que les vérités, même quand elles sont reconnues, n'exercent pas aussitôt tout leur pouvoir. Il faut qu'elles aient eu le temps de déraciner les habitudes contraires, et ce temps est plus long qu'on ne pense : l'homme agit plus souvent d'après ses habitudes que d'après ses opinions; tout le monde convient de la sagesse et de l'utilité d'un principe, tandis que personne n'en fait encore une application uniforme et soutenue on doit alors revenir constamment sur ce principe, le suivre dans tous les détails, en justifier sans cesse la bonté, et montrer comment on peut s'en servir pour qu'il se change en une habitude salutaire. En éducation comme ailleurs, cette précaution est aujourd'hui de la plus haute importance: c'est le seul moyen de ne pas laisser perdre des vérités récemment mises en lumière dont nous sommes loin d'avoir tiré tous les fruits qu'elles semblent promettre. Voyons donc comment on peut influer sur la volonté de l'enfant. Quels sont les mobiles qui déterminent l'activité des hommes? le besoin d'agir, l'intérêt personnel, le sentiment du devoir. On pourrait en quelque sorte classer les individus selon qu'ils obéissent à l'un ou à l'autre de ces mobiles. Les idiots, les gens ineptes et imprévoyants agissent par un besoin de leur nature, et souvent sans songer à ce qui leur est nuisible ou avantageux. Les hommes plus réfléchis examinent ce qui leur convient, prévoient, combinent, calculent, et se gouvernent selon ce qu'ils croient de leur intérêt. C'est un pas de plus vers le développement de la raison; rien n'est fait encore pour la morale. Viennent les hommes vertueux qui consultent avant tout la conscience, et la prennent pour guide dans toutes les occasions où elle a à parler. La même gradation se fait observer dans l'enfance: le besoin d'agir est la première cause des mouvements et des volontés de l'enfant; à mesure qu'il grandit, il s'accoutume à agir par intérêt, quelle que soit la nature de ce qu'il considère comme tel; le sentiment du devoir naît en lui plus tôt ou plus tard, selon qu'on néglige ou qu'on prend soin d'en favoriser le développement, mais après ces deux premiers mobiles. Comment peut-on et doit-on mettre en jeu ces différents ressorts? Le besoin d'agir a, je crois, une puissance plus forte, plus étendue et plus durable qu'on ne le pense communément. Personne ne peut calculer jusqu'où va son. influence sur la conduite des hommes, et personne, ce me semble, n'a assez insisté encore sur le parti qu'on en peut tirer pour diriger celle des enfants. Comme c'est une cause secrète et tout intérieure, dont celui-là même qui y est soumis ne se rend pas compte et que les autres ne démêlent qu'à force de sagacité, on a trop négligé de l'examiner et de s'en servir. C'est du besoin d'agir que naît l'ardeur que portent les enfants dans leurs jeux ou dans les exercices qui leur plaisent, et c'est parce qu'ils sont libres alors de satisfaire ce besoin qu'ils réussissent si bien dans ce genre d'occupations. Voyez-les au milieu d'une partie de barres : ils sont en grand nombre, ils se croisent dans leurs courses; sont-ils jamais embarrassés pour se rappeler quel est celui qu'ils peuvent faire prisonnier, et celui par lequel ils ont à craindre d'être pris eux-mêmes? Toutes leurs facultés, la mémoire, l'attention, le jugement, se déploient avec une énergie et une rapidité singulières : c'est qu'ils agissent; c'est que toutes les forces de leur esprit et de leur corps s'exercent de concert; c'est que rien ne contrarie et ne gêne ce besoin de leur nature. Que leurs études soient arrangées de manière à leur fournir aussi les moyens de le satisfaire, ils s'y plairont et y feront des progrès. Les Grecs s'entendaient mieux que nous à mettre à profit, en s'y conformant, cette disposition de l'enfance. Chez eux, l'étude était active; ils savaient heureusement allier les travaux de l'esprit et les exercices du corps : c'était en causant, en discutant et en se promenant que les hommes même s'instruisaient. Les enfants ne passaient pas leurs jeunes années, immobiles et muets, à être ennuyeusement endoctrinés; ils vivaient entre eux à l'instar des hommes, et pouvaient toujours faire tourner les connaissances nouvelles qu'ils acquéraient au profit de leur activité. Je suis loin de croire que nous devions imiter servilement les Grecs; tout est différent entre eux et nous; nous avons autre chose à apprendre, à savoir et à faire : nos institutions ne sauraient et ne doivent pas être les leurs; mais les vérités restent les mêmes, quels que soient l'usage auquel elles s'appliquent et la forme qu'elles revêtent. Les Grecs savaient profiter en éducation de ce penchant naturel qui nous porte à agir dès que nous pouvons remuer, et ils ne réussissaient pas mal à former des { hommes. Nous avons à former non des Grecs, mais des Français suivons, sinon la même route, du moins une route parallèle: nous rencontrerons plus d'obstacles, j'en conviens; nous serons obligés de faire plus de sacrifices; mais il faut aller droit, dût-on ne pas espérer d'aller bien loin. Je ne saurais donc trop recommander aux parents et aux instituteurs de consulter avec soin ce besoin d'agir qui se manifeste de bonne heure chez les enfants, et de chercher à faire tourner, au profit des études nécessaires à cet âge, une disposition qui tourne si naturellement au profit de ses jeux. Quand l'enfant commence à se développer, le germe d'activité qui fermente en lui ne s'est encore fixé sur aucun objet : c'est alors qu'il faut lui présenter les objets qui lui conviennent, et donner à tous ceux dont on l'occupe une forme propre à exercer ce penchant à l'action; mobile d'autant plus important à employer, que s'il n'est pas satisfait, il se porte ailleurs, et détourne les forces de ce jeune esprit du point sur lequel on voulait les concentrer. « Les enfants, dit Rousseau, oublient aisé«ment ce qu'ils ont dit et ce qu'on leur a dit, mais « non pas ce qu'ils ont fait et ce qu'on leur a fait1. » Ne pas les appliquer de trop bonne heure à des études où ils n'ont qu'à écouter; prendre soin de les laisser agir eux-mêmes dans les études qu'ils doivent nécessairement faire de bonne heure, telle est la méthode à suivre, si vous voulez que leur volonté, stimulée par le plaisir qu'ils trouvent à déployer leur activité, concoure avec la vôtre à presser et à assurer leurs progrès, Si vous savez donner à ce moyen d'émulation toute l'extension et toute la force dont je le crois susceptible, vous ne serez pas obligé d'avoir sans cesse recours à un mobile dont on se sert communément, parce que c'est le plus commode, l'intérêt. Accoutumés à voir quel 1 Émile, I. 2. |