Nous avons laissé derrière nous, ajoutait M. Méline, des projets de la plus haute importance : les assurances agricoles, la représentation officielle de l'agriculture par des chambres d'agriculture ayant la même autorité que les chambres de commerce; la suppression des octrois sur les boissons hygiéniques et la réforme des boissons, qui constituent la véritable solution du problème vinicole. Enfin, il y a encore la réforme fiscale qui repose, selon nous, sur cette double idée: rétablissement de l'équilibre entre la propriété immobilière et la propriété mobilière au point de vue de l'impôt par le dégrèvement de la première, par le dégrèvement des petits contribuables, surtout de ceux qui sont chargés de famille, et cela sans déclaration, sans inquisition d'aucune sorte chez les contribuables. Vous voyez combien le programme est vaste, combien est lourde la tâche qui reste à accomplir. Si la Chambre veut y suffire, elle n'a plus un instant à perdre et il faut qu'elle se décide à faire le plus grand effort. On l'en déclare incapable et nous entendons en ce moment les adversaires du régime parlementaire auxquels se joignent quelques esprits impatients et difficiles à satisfaire nous reprocher de n'avoir rien fait depuis un an, d'être un gouvernement stérile, et proclamer enfin la faillite du régime parlementaire. Certes, nous ne songeons pas à nier que, depuis un an, on a fait à la Chambre plus de politique que de lois d'affaires, et nous sommes les premiers à le regretter; mais est-ce bien notre faute? Est-ce notre faute, si depuis un an il nous a fallu défendre notre existence ministérielle à laquelle on sait bien cependant que je ne tiens guère personnellement contre des assauts répétés, si nous avons dû supporter le choc de soixante-deux interpellations sans parler d'innombrables questions, sans parler aussi des vingt-cinq motions qui ont été introduites dans le budget et qui n'étaient que de véritables interpellations? Est-ce notre faute si la discussion du budget, qui est devenue ainsi une vaste interpellation, a duré plus de quatre mois; est-ce notre faute si les plus simples lois nous sont disputées avec un acharnement inexplicable; si la loi des sucres, par exemple, qui devait durer huit jours tout au plus, a pris à la Chambre trois semaines? Ce que je dis des lois agricoles, je pourrais le dire des lois ouvrières. J'ai demandé moi-même qu'on leur consacrât la séance du vendredi, qu'on mit à l'ordre du jour le projet sur les heures de travail. La loi pouvait aboutir en quelques jours, si la politique du tout ou rien n'avait prévalu, Au lieu de discuter la réforme elle-même, la réduction des heures de travail de douze à onze heures qui constituait un incontestable progrès, on a absorbé toutes les séances par la discussion de cette chimère de la journée de huit heures, qui ruinerait le travail français et dont l'ouvrier serait la première victime, si bien que, après sept longs jours de débat, la Chambre n'est encore parvenue à rien voter, et que tout se trouve ainsi remis en question. Et ce seraient les partisans de cette politique absolue du tout ou rien qui viendraient aujourd'hui nous reprocher de n'avoir rien fait et de n'avoir pas abouti? Le pays ne demande pas que l'on fasse toutes les ré formes à la fois, ni qu'on transforme la société d'un coup. Il sait que c'est une chimère et une pure illusion. Ce qu'il veut surtout, c'est qu'on ne lui présente pas de formules creuses et vides. Ce qu'il demande, ce sont des réformes tangibles et pratiques dont il puisse sentir le profit immédiat. Cette politique-là n'est pas celle du statu quo, dont personne ne veul, et qui serait un anachronisme dans une société en pleine évolution démocratique comme la nôtre; elle est celle du progrès continu par étapes successives, la seule qui puisse conduire sûrement au but. Pour moi, je crois pouvoir me rendre cette justice. Depuis que je suis dans la vie publique, j'ai toujours étudié et discuté les questions en elles-mèmes sans autre considération que celle de la vérité et de l'intérêt général. C'est peut-être pour cela que j'ai pu faire un certain nombre de choses dont je suis fier, parce qu'elles n'ont pas été inutiles à mon pays. Si mon passage aux affaires me permet d'en faire d'autres, ce sera pour moi la meilleure récompense de mes efforts et des dures nécessités du pouvoir. Je n'en désespère pas. Il y a dans la Chambre actuelle trop de bonne volonté, trop d'intelligence, trop de dévouement patriotique pour qu'il n'en sorte pas des résolutions énergiques, pour que la majorité ne trouve pas le moyen de faire les lois nécessaires et de tenir les engagements qu'elle a pris. C'est ainsi seulement, que la législature de 1893, qui a été assaillie par tant de tempêtes et troublée dans sa marche par tant de secousses, pourra se présenter la tète haute devant le pays. Elle aura bien travaillé pour la France et pour la République. Le 6 mai, le duc d'Aumale mourut, d'une attaque de paralysie cardiaque, pendant un séjour qu'il faisait dans ses propriétés de Zucco en Sicile, Le prince vivait depuis longtemps assez éloigné de tout ce qui touche à la politique pour que sa vie fût jugée sans haine et sans rancune de partis. De toutes parts on lui rendit en effet justice et à l'heure où s'ouvrait sa tombe, les journaux de toutes nuances tinrent à honneur de louer les belles qualités de ce bon Français et de rappeler les plus nobles traits de sa longue existence. Ses obsèques ne furent pas officielles, mais n'en revêtirent pas moins un réel caractère de grandeur. Le président de la République, grand-maître de l'Ordre national de la Légion d'honneur s'y fit représenter par le général Tournier. Plusieurs membres du Gouvernement y assistèrent: M. Hanotaux, ministre des affaires étrangères, collègue du prince à l'Académie française; le général Billot, ministre de la guerre et l'amiral Besnard, ministre de la marine, représentant la société de secours aux blessés des armées de terre et de mer; M. Rambaud ministre de l'instruction publique et des beaux-arts, exécuteur testamentaire pour la donation du château et du domaine de Chantilly à l'Institut de France. Enfin, les honneurs militaires furent rendus par des troupes d'infanterie, de cavalerie et d'artillerie placées sous les ordres d'un général. Huit élections partielles eurent lieu en avril et mai, quatre pour le Sénat et quatre pour la Chambre. M. Saint-Romme, ancien sénateur radical de l'Isère battu au renouvellement de janvier, rentra au Sénat. Furent, d'autre part, élus; MM. Vuillod, radicalsocialiste, dans le Jura; Saillard et Renault, républicains, le premier, dans le Doubs et le second, dans l'Aube. A la suite des quatre élections législatives qui eurent lieu dans les Ardennes, le Finistère, la Haute-Garonne et les Côtes-du-Nord, l'arrondissement de Vouziers se trouva représenté à la Chambre par M. Hubert, radical; la première circonscription de Brest, par M. Pichon, républicain libéral; la deuxième circonscription de Saint-Gaudens, par M. Ruau, radical et la première circonscription de Lannion par M. Darrien, monarchiste. JUIN-JUILLET CHAMBRE: Vote d'un projet de loi relatif aux Sociétés de secours mutuels. La question du Cadenas: adoption d'un projet de loi tendant à autoriser le Gouvernement à percevoir les droits de douane nouveaux dès le dépôt des projets de lois les instituant. Discussion. du projet de loi tendant à proroger le privilège de la Banque de France. - Propositions et projets divers. Les projets de réforme fiscale du Gouvernement; vote des quatre contributions directes; le dégrèvement de l'impôt foncier. Le projet de voyage du président de la République en Russie. SÉNAT: Questions diverses. Vote de la proposition de loi ayant pour but de réprimer les outrages aux bonnes mœurs; - Adoption de la proposition relative à la suppression des octrois. Questions et interpellations: SÉNAT: Interpellations de M. Le Play, sur l'insuffisance de l'enseignement agricole dans les écoles primaires et de M. Maxime Lecomte, sur l'intervention du ministre de l'instruction publique dans l'élection sénatoriale de M. Saillard; question et interpellation de M. Aucoin, relatives au voyage du ministre des travaux publics à Auch. CHAMBRE : Interpellations de MM. Basly et Lamendin, au sujet de la grève de la Grand'Combe; séance tumultueuse; application de la censure à M. Gérault-Richard; manifeste socialiste; interpellations de M. Antide Boyer, sur les affaires d'Orient; invalidation de M. l'abbé Gayraud. La commission d'enquête du Panama. La Chambre acheva, le 4 juin, l'étude de la question des sociétés de secours mutuels, depuis si longtemps à l'ordre du jour et tant de fois reprise sans qu'elle aboutît jamais. La proposition adoptée à l'unanimité de 542 voix émanait de l'initiative de M. Audiffred et avait été déposée par l'honorable député |