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Ce n'est pas la France cependant qui a inauguré le système dės primes sucrières. Bien avant elle l'Allemagne est entrée dans cette voie, et avec plein succės puisque la production de nos voisins, qui était de 250.000 tonnes en 1873, passait à plus de 500,000 en 1883 et atteignait à peu près le million, en 1893, malgré notre loi de 1884, tandis que notre production diminuait à ce point que du premier rang nous tombions au troisième ou quatrième et que d'exportateurs il nous fallait devenir importateurs. Le but de la loi du 29 juillet 1884 fut de rétablir l'équilibre rompu sur nos propres marchés et d'assurer à la production nationale la vente de tout le sucre nécessaire à notre consommation intérieure. On adopta pour cela un système de détaxes, d'après lequel, au lieu de soumettre à l'impôt la totalité du sucre produit par la betterave, on ne faisait porter la taxe que sur un rendement fictif inférieur au rendement réel et laissant, par suite, un surcroît de bénéfice au fabricant. A l'encontre des tarifs protectionnistes ordinaires, ce système, au lieu d'encourager la routine, offrait l'avantage de provoquer de continuels progrès et d'incessants perfectionnements, puisque à chaque augmentation de rendement correspondait un nouveau bénéfice net pour le producteur1. En même temps qu'elle était ainsi directement aidée et encouragée, l'industrie nationale recevait un autre appui indirect sous forme de relèvement des droits de douanes sur les sucres étrangers. La loi de 1884

1. Les lois des 27 mai 1887, 24 juillet 1888, 5 août 1890 et 29 juin 1891 ont successivement et dans des proportions diverses limité le bénéfice résultant pour le producteur de l'écart entre le rendement légal et le rendement réel. Ce bénéfice n'en reste pas moins considérable.

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eut les effets heureux qu'on attendait d'elle. Sous sa protection l'industrie sucrière a prospéré et la quantité de sucre extraite des betteraves n'a pas cessé d'augmenter. De nouveau, notre industrie a pu suffire à tous les besoins de la consommation intérieure. Même elle les a dépassés. Et comme la consommation ne saurait augmenter à cause des droits très lourds qui la grèvent1, à mesure que le stock grossissait, le problème des débouchés extérieurs est devenu de plus en plus urgent à résoudre. Il est aussi des plus difficiles, car tous les pays ont renforcé et perfectionné leur système de défense. En réponse à la loi française de 1884, l'Allemagne, en même temps qu'elle diminuait progressivement jusqu'à la suppression totale ses primes de fabrication, augmentait ses primes d'exportation. Nos voisins de l'Est, il est vrai, n'auraient pas demandé mieux que d'en finir avec ce régime de guerre, et le gouvernement impérial a essayé de provoquer la réunion d'une conférence internationale pour la suppression de toutes les primes; mais cette tentative a échoué et la loi allemande du 27 mai 1896, qui augmente à peu près de moitié les primes d'exportation, a pu être très justement qualifiée par ses promoteurs mêmes de loi de guerre (Kampfgezetz). L'Autriche-Hongrie, à son tour, s'est mise en mesure de se mieux défendre, non point en augmentant ses primes, mais en assurant leur paiement intégral. Jusqu'alors, en effet les primes sucrières n'étaient payées que jusqu'à épuisement du crédit qui leur était affecté. Il en résultait qu'une partie seulement du sucre non consommé

1. Le droit de consommation est de 60 centimes par kilogramme, pour une marchandise qui en vaut 25!

à l'intérieur pouvait être exportée. La nouvelle législation remédiait à cet état de bonne choses en élevant de 4 millions à 9 millions de florins le crédit affecté aux primes.

Le résultat immédiat de ces diverses mesures devait être d'arrêter presque totalement nos exportations et même de menacer notre marché intérieur, malgré nos tarifs douaniers. Le Gouvernement se préoccupa de cette situation, et comme les Chambres s'étaient séparées sans avoir pu discuter le projet de loi qu'il avait déposé le 9 juillet 1896, il se hâta de fixer ainsi qu'il suit, par un décret du 26 du même mois, les surtaxes applicables << aux sucres bruts étrangers importés des pays d'Europe et aux sucres raffinés étrangers de toute origine >> :

10 fr. 50 par 100 kilogrammes de poids effectif net sur les sucres bruts d'origine européenne ou importés des entrepôts d'Europe;

Sur les sucres raffinés et assimilés autres que les candis :

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Ce régime établi par décret ne pouvait être que provisoire et le Gouvernement déposa en effet, dès la session extraordinaire de 1896, un nouveau projet de loi; mais la commission des douanes l'examina avec tant de lenteur et si peu de méthode, qu'il ne put venir en discussion qu'en janvier 1897. Il faut d'ailleurs reconnaître que le Gouvernement luimême avait fait preuve d'assez peu de fixité dans ses intentions. D'accord avec lui, la commission pré

senta enfin un projet dont la caractéristique était de combiner le système des primes d'exportation à celui des primes de fabrication et dont la Chambre aborda l'examen le 19 janvier. Défenseur vigoureux de la loi de 1884, à laquelle il avait collaboré avec M. Tirard, M. Ribot s'attacha à démontrer que le maintien des primes de fabrication n'était pas moins nécessaire que la création des primes de sortie. Il était en cela d'accord avec le Gouvernement et la commission. M. Siegfried et après lui M. CharlesRoux se plaçaient sur un tout autre terrain qui paraît bien être celui de la vraie solution. A leur avis, ce n'était point au dehors qu'il fallait chercher le moyen d'écouler l'excédent de notre production, mais à l'intérieur du pays même. Sur les marchés étrangers en effet, nos producteurs ont à soutenir contre leurs concurrents une lutte très rude dont le consommateur français paye les frais. Il serait aisé au contraire de donner une énorme extension à la consommation nationale si on la dégrevait des droits qui l'écrasent et l'on atteindrait ainsi le double but d'assurer à l'industrie sucrière la vente de ses produits et de permettre au consommateur d'obtenir à un prix raisonnable une marchandise qu'il paye actuellement 1 fr.05 le kilogramme, en France pays producteur, alors qu'elle coûte 0 fr. 30 en Angleterre, pays non producteur1.

1. Dans cet ordre d'idées, il nous paraît intéressant de reproduire la lettre suivante adressée aux journaux par le président du Syndicat des fabricants de sucre de France :

Paris, le 16 janvier 1897.

Monsieur le directeur,

L'industrie sucrière est très vivement prise à partie en ce moment dans la presse parisienne.

On lui reproche d'être insatiable, de ne pas se contenter

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Ces idées furent traduites dans un contre-projet déposé par M. Siegfried et qui était ainsi rédigé :

ARTICLE PREMIER. A partir du 1er septembre 1897, les droits sur les sucres de toute origine, livrés à la consommation, sont réduits d'un quart et fixés comme

suit :

Sucres bruts et raffinés, 45 francs par 100 kilogrammes de sucre raffiné; Sucres candis, 48 fr. 15 par 100 kilogrammes de sucre raffiné. ART. 2. A partir de la même date, les sucres français, indigènes et coloniaux, représentant des excédents de rendement ou des déchets de fabrication, sont soumis à une taxe spéciale de 35 francs par 100 kilogrammes de sucre raffiné.

des avantages que lui consent la loi de 1884, avantages que l'on déclare exorbitants, scandaleux et l'on crie: Haro! sur cette éternelle quémandeuse, qui vient toujours et sans cesse à la charge.

A la vérité, nous ne demanderions rien à l'heure actuelle, et le Parlement n'aurait point à s'occuper de la question sucrière si l'Allemagne et l'Autriche, qui ont juré notre perte, n'avaient point établi, tout récemment, un système de primes à l'exportation qui nous ferment nos débouchés à l'extérieur ou nous obligent à y vendre à des prix de ruine. Nous demandons aux pouvoirs publics de nous défendre contre ces deux puissantes rivales, et d'user contre elles des armes dont elles usent contre nous. Nous le demandons au nom de l'agriculture dont la cause est la nôtre, nous parlons au nom de 170 millions de salaires que nous distribuons annuellement dans nos campagnes.

L'industrie sucrière française condamne le système des primes à l'exportation; et si, contrainte et forcée, elle réclame aujourd'hui ces primes, c'est en vue précisément d'annihiler l'effet des primes instituées par l'Allemagne et l'Autriche, et d'amener ainsi ces deux puissances à y renoncer d'elles-mêmes. N'est-il donc point convenu que ces primes cesseraient en France le jour où l'Allemagne et l'Autriche les auraient supprimées?

On nous reproche nos bonis de fabrication, mais on oublie les 200 millions que les sucres rapportent annuelle

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