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Vous vous souvenez avec quelle vivacité, en Angleterre, les orateurs du gouvernement et de l'opposition ont stigmatisé les actes du Sultan. A ces paroles véhémentes, il n'y avait qu'une suite logique, envoyer une flotte à Constantinople et détròner le Sultan. Pourquoi ne l'a-t-on pas fait? Et pourquoi nous reproche-t-on de n'avoir pas fait ce que d'autres n'ont pas cru devoir faire? Voilà toute la question. (Trés bien! très bien! au centre et à gauche. - Bruit à l'extrême gauche.)

Notre diplomatie est-elle restée indifférente? Non! Tandis que d'autres puissances de l'Europe demeuraient impassibles, dès la première affaire, celle de Sassoum, elle se met à l'œuvre: avec le concours de la diplomatie russe et de la diplomatie anglaise, elle sonde les plaies, les met à nu, poursuit une enquête approfondie, et elle élabore un plan de réformes qui, quoi qu'on ait dit, est le premier signe d'attention que l'Europe ait donné à ces peuples malheureux et qui sera pour eux le véritable fondement du régime plus libéral qui les abritera dans l'avenir.

De nouveaux massacres surviennent. Ce sont ceux qui ensanglantent l'Arménie pendant l'hiver 1895-1896. L'écho en arrive lentement en Europe. Vous nous accusez d'avoir organisé le silence. Le cabinet actuel n'a qu'un mot à répondre: il n'était pas aux affaires à cette époque. (Interruptions à l'extrême gauche.)

M. MARCEL HABERT. La France est au-dessus des partis!

M. LE PRÉSIDENT. - Les deux orateurs qui ont précédé M. le ministre des affaires étrangères à la tribune ont été scrupuleusement écoutés. Je réclame le silence pour lui.

M. LE MINISTRE. En mai 1896, le Cabinet se constitue. C'est en arrivant au quai d'Orsay que je lis les récits poignants adressés par nos consuls, les lettres si humaines et si fortes de notre ambassadeur. Or, depuis cette date, le Livre jaune en témoigne, ne voit-on pas s'établir entre le Gouvernement et l'ambassade une collaboration active?... (Interruptions à l'extrême gauche.) M. LÉON BOURGEOIS. A vous entendre, on croirait que cette collaboration n'existait pasavant votre arrivée

au ministère! Est-ce vous ou nous qui avons envoyé la

flotte là-bas? (Applaudissements à gauche.)

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Monsieur Bourgeois, je n'ai natu

rellement à répondre que sur mes actes.

M. PIERRE RICHARD. Vous devriez avoir honte!

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M. PIERRE RICHARD. rieure à la politique étrangère! M. LE PRÉSIDENT. Je vous rappelle à l'ordre avec inscription au procès-verbal. (Réclamations à l'extrême gauche.) M. LE MINISTRE. une collaboration active pour apaiser, réprimer, améliorer?

Ne mêlez pas la politique inté

...

On vante ce qu'ont fait d'autres puissances; pourquoi se montrer si dédaigneux pour ce qu'a fait la France : l'ouverture des prisons, la reconstitution du patriarcat arménien, la suppression du tribunal extraordinaire, la nomination de gouverneurs chrétiens dans les provinces? Sur uue quantité de points particuliers, on relève la trace de l'action incessante de notre diplomatie et de notre ambassade. Pourquoi ne pas reconnaître des efforts auxquels les gouvernements étrangers eux-mêmes ont rendu hommage? (Très bien ! très bien! au centre.)

En réalité, Messieurs, si vous allez au bout des reproches qu'on nous adresse, ils se résument en un seul, toujours le même : pourquoi ne pas être intervenu par la force? (Interruptions à l'extréme gauche.)

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A l'extréme gauche. Personne n'a dit un mot de cela.

M. PIERRE RICHARD.
M. LE MINISTRE.

A quel discours répondez-vous? A cette question, je réponds d'un mot: parce que non seulement le Gouvernement français, mais tous les Gouvernements européens ont mis au premier rang de leurs soucis celui du maintien de la paix. (Très bien! très bien! au centre.)

Vous avez, avec juste raison, soulevé l'indignation et l'horreur par le récit des abominations qui ont eu lieu

en Orient. Ne songez-vous pas à l'étendue des misères dont une initiative imprudente eût pu couvrir tout l'Occident? (Applaudissements au centre.)

Vous auriez voulu, monsieur Millerand, voir forcer les Dardanelles et saisir dans son palais d'Yldiz l'homme responsable de tant de calamités ! Cette proposition, elle a été faite par une des puissances au début, à l'heure où peut-être elle eût pu réussir. C'était à la fin de novembre 1895; les puissances n'ont pas cru devoir adhérer alors à la proposition qui leur était faite et je demande, dans ces conditions, si un homme d'Etat en France, malgré l'horreur du sang versé en Arménie, eût voulu, eût osé, même sous l'impression immédiate d'aussi graves événements, agir isolément et assumer une pareille responsabilité. (Applaudissements au centre.)

En tout cas, à cette époque décisive, personne, en Europe, n'a cru devoir le faire. (Très bien! très bien! sur les mêmes bancs.)

Même l'Angleterre, dont la puissance navale est si considérable, qui avait à l'égard de l'Arménie une situation particulière et dont les sentiments s'étaient manifestés avec tant d'éclat par la plume de ses publicistes et par la voix de ses hommes d'Etat, l'Angleterre n'a pas cru devoir recourir à d'autres mesures qu'aux moyens pacifiques. L'opposition libérale a reculé devant les conséquences d'une action isolée.

L'Angleterre ne s'est pas séparée du concert européen, et vous n'ignorez pas qu'après quelques mois d'attente, sous le coup des nouveaux massacres qui s'étaient produits à Constantinople, elle en est revenue à la proposition que la diplomatie française avait envisagée la première.

Le 20 octobre dernier, elle proposait la réunion, à Constantinople, d'une conférence d'ambassadeurs chargée_d'établir un programme de réformes. Et c'est cette idée de concert et d'union de toutes les puissances pour la réorganisation et non pour la destruction de l'empire turc qui a fini par l'emporter.

Je dirai un mot en passant d'un reproche qui m'a été

adressé d'autre part. (Bruit à l'extrême gauche.)
M. DENYS COCHIN.
Je demande la parole.

M. LE MINISTRE. Ce reproche, je l'ai rencontré dans tous les journaux qui combattent la politique du Cabinet; il est tout naturel que j'y réponde à cette tribune.

Cette solution pacifique dont vous parlez, dit-on, qui avait été envisagée par vous. Pourquoi avoir fait attendre si longtemps votre adhésion à la proposition de l'Angleterre? Et, parlant de je ne sais quelle subordination de notre politique à celle d'une puissance étrangère, on ajoute : « Votre action n'était pas libre. >>> M. DENYS COCHIN. Je n'ai rien dit de semblable.

(Applaudissements à l'extrême gauche et à droite.)

M. LE MINISTRE. Je n'ai pas prononcé votre nom, monsieur Denys Cochin; j'ai répondu à l'observation faite par M. Millerand. J'ai bien le droit de répondre à droite comme à gauche, puisque c'est à la fois à droite et à gauche qu'on m'attaque. (Applaudissements au centre.)

Il me serait loisible de répondre que deux parties liées l'une à l'autre ne doivent pas marcher l'une sans l'autre, et que le Gouvernement français aurait fait une grande imprudence s'il était entré dans une combinaison diplomatique quelconque sans s'être assuré du concours de toutes les puissances, et notamment de celui de la Russie. N'attendant les réformes que de l'action du concert européen, nous devions nous assurer de l'accord de toutes les puissances. Or, vous avez vu, sur le Livre bleu, que les adhésions furent lentes à venir. Cela ne suffirait-il pas pour expliquer notre réserve? (Très bien! très bien! au centre.)

Nos vues étaient certaines. On savait bien que nous étions pour cette solution pacifique, puisque nous l'avions, les premiers, mise en avant. Mais, avant de nous engager à fond, nous désirions être assurés du concours de toutes les puissances.

Ajouterai-je une dernière raison? Cette conférence n'avait, à notre avis, de chance d'aboutir que si un programme lui était tracé; or, ce programme manquait dans la proposition de lord Salisbury, et dès le premier jour le Gouvernement français, au contraire, a songé à l'établir, à le fixer, et dans la séance du 5 novembre, au cours d'un débat public devant cette Chambre, il l'a formulé dans ses grandes lignes : « Pas de partage, pas d'action isolée, pas de condominium, réformes étendues à tous les sujets de l'empire turc sans distinction de race ou d'origine. »

Ce programme, vous l'avez adopté; vous l'avez fait vôtre par une majorité de 402 voix; il est devenu le programme de la France. (Très bien! très bien! au centre.)

Or, le 3 décembre, un mois après, il était accepté par la Russie et par l'Angleterre, et il servait de base aux délibérations des ambassadeurs.

Ainsi, sans nous mettre en avant, sans nous exposer à des mécomptes, nous avons vu prévaloir auprès des chancelleries l'idée qui a toujours été la nôtre, le programme qui avait été proclamé publiquement à cette tribune. Tenez compte des lenteurs inévitables au travail des chancelleries, tenez compte d'un élément important qui n'apparaît pas au Livre jaune, ces entretiens de chaque jour avec les représentants des puissances; en un mot, allez au fond des choses, vous verrez que, dans ces circonstances, la France est restée fidèle à son système et a tenu la place qui lui appartient dans ce concert où tout le monde se réunissait dans un même esprit d'amélioration et de progrès. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)

Voilà pour le passé, car vous me permettrez de ne pas m'attarder à tous les détails de cette discussion. Et, pour l'avenir, que comptons-nous faire? Messieurs, nous vous devons de vous faire connaître en toute franchise les vues dont nous nous inspirons. Il vous appartiendra d'apprécier ensuite et de dire si, oui ou non, ces vues répondent aux sentiments et aux intérêts du pays.

La France veut la paix (Applaudissements sur un grand nombre de bancs): elle fera tout ce qui dépendra d'elle pour la maintenir. (Très bien! trés bien!) Tenant sa place dans le concert européen, elle doit s'efforcer de le fortifier, de travailler avec lui et, par lui, de rechercher dans cette collaboration les solutions en quelque sorte arbitrales qui, imposant leur autorité aux intérêts et aux convoitises particulières, sont la garantie la

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