inquiétante, du moins digne de leur attention. La majorité qu'ils possédaient au Sénat n'était en rien modifiée, mais tous les sièges perdus par la droite étaient gagnés par les radicaux ou les radicauxsocialistes. Parfois, assurément, il était arrivé que les conservateurs, sentant leur défaite assurée, avaient de toutes leurs forces contribué au succès des candidats les plus avancés, attendant « le bien de l'excès du mal ». Mais il n'en allait pas ainsi partout, et dans certains départements les radicaux avaient triomphé sans aucun secours des anciens partis. La session ordinaire du Parlement pour 1897 s'ouvrit le 12 janvier. Les deux Assemblées réunies sous la présidence de leurs doyens d'âge, MM. Wallon et le comte Lemercier, procédèrent à la constitution de leurs bureaux, qui furent ainsi composés, à peu près tels qu'ils étaient durant l'année écoulée : Vice-présidents: MM. Scheurer-Kestner, Bérenger, Magnin et Peytral. Questeurs: MM. Cazot, Gayot et Tolain. Secrétaires: MM. Pazat, Durand-Savoyat, Rathier, Ollivier, Prévet, Decauville, Maxime Lecomte, BonnefoySibour. CHAMBRE. - Président : M. Henri Brisson; Vice-Présidents: MM. Sarrien, Poincaré, Deschanel et Isambert; Questeurs: MM. Bizarelli, Royer, Guillemet; Secrétaires: MM. Mougeot, Codet, Henri Cochin, Abel, Dejean, Néron-Bancel, Decker-David et Jourde. Dans son discours d'installation, le président du Sénat, après avoir souhaité la bienvenue aux nouveaux élus du 3 janvier, rappela à ses collègues, au début d'une session qui paraissait devoir être des plus laborieuses, que « si les questions purement politiques importent à un haut degré, et s'il faut à tout prix combattre le scepticisme précurseur d'une éclipse de la liberté, l'équilibre financier, le souci de ne pas surcharger les contribuables déjà lourdement frappés, la volonté de ne pas compromettre la richesse publique et atteindre par là les sources de la production nationale et le bien-être des travailleurs s'impose au plus haut point aux préoccupations ». Il profita enfin des remerciements qu'il avait à adresser au président d'âge, M. Wallon, pour le féliciter de la verte vieillesse qui lui permet d'assister au fonctionnement régulier et normal d'une constitution, dont on a dit qu'il est le père, et « qui, depuis vingt deux ans, a assuré la paix à l'intérieur et la grandeur de la France au dehors ». A la Chambre, M. Brisson remercia de son côté le bureau provisoire et fit de son président M. le comte Lemercier un vif éloge que la presse d'extrêmegauche critiqua amèrement. Tout comme son collègue du Sénat, M. Brisson termina son allocution par un appel au travail et par des conseils très sages sur la nécessité de faire un emploi utile de la fin de la législature. L'œuvre législative de janvier ne fut cependant pas très intéressante; les deux semaines qui restaient à courir pour atteindre la fin du mois, n'étaient, il est vrai, qu'une période de mise en train. En dehors de la question des sucres dont la Chambre ne termina pas l'étude, et du projet de loi sur les récompenses nationales voté par les deux assemblées : du Parlement, les séances du Luxembourg et du Palais-Bourbon furent surtout consacrées à des interpellations dont il serait exagéré de dire qu'elles répondaient toutes à un besoin sérieux. Le Gouvernement eut tout d'abord à s'expliquer sur des nominations de fonctionnaires. A la Chambre, M. Carnaud critiqua la nomination de M. Paul Doumer au gouvernement général de l'Indo-Chine, et accusa le cabinet de n'avoir obéi en ( débarquant » cet adversaire de sa politique qu'à de mesquines considérations d'intérêt ministériel et au désir de discréditer le parti radical, en pleine période électorale. Au Sénat, M. Maxime Lecomte demanda compte au ministre de l'intérieur du remplacement du préfet du Nord, M. Vel-Durand, nommé récemment conseiller d'Etat. MM. André Lebon et Barthou répondirent aux interpellateurs et revendiquèrent en excellents termes pour le Gouvernement le droit de choisir ses fonctionnaires comme il l'entendait. Quelques jours plus tard était discutée une proposition de M. Rouanet tendant à l'abrogation de la loi du 24 juillet 1873, qui avait déclaré d'utilité publique la construction d'une église au sommet de Montmartre. Déjà en 1882, 1886 et 1891 des propositions analogues avaient été présentées et toujours repoussées. La proposition de M. Rouanet eut le sort de celles qui l'avaient précédée. Il n'en pouvait être autrement, car ceux-là mêmes qui n'auraient jamais adopté la loi de 1873 se voyaient obligés de voter son maintien ou de se résigner à une manifestation quelque peu ridicule et platonique, à moins qu'elle n'entraînât d'énormes charges pour le budget. C'est ce que M. Goblet, alors ministre de l'intérieur, avait démontré en 1882 et c'est aussi ce que M. Darlan fit observer à la Chambre. M. Goblet ne put s'empêcher de se prononcer contre une proposition reproduisant celle qu'il avait autrefois combattue; mais, laissant bientôt de côté la question spéciale en discussion, il s'attaqua à la politique générale du Gouvernement qu'il jugeait empreinte d'esprit clérical. M. Méline n'eut de peine ni à se défendre ni à ramener sur son véritable terrain ce débat inutile que la Chambre clôtura en repoussant la demande d'urgence par 322 voix contre 196. Au Sénat, M. Fresneau fournit, le 22 janvier, les éléments d'un débat très passionné, avec sa proposition de loi tendant à rendre aux communes le droit que la loi du 15 mars 1880 leur avait reconnu, de confier leurs établissements d'instruction secondaire et primaire, soit à des instituteurs et institutrices laïques, soit à des associations religieuses vouées à l'enseignement, autorisées ou déclarées d'utilité publique. Très vivement combattue par M. Leporché, la proposition semblait à M. de Marcère digne d'être prise en considération et capable de nous faire faire un grand pas vers la paix sociale. Mais le ministre de l'instruction publique estimait au contraire que son adoption constituerait un véritable retour en arrière, parce qu'elle s'attaquait aux deux fondements essentiels de notre organisation scolaire la gratuité et la laïcité, et par 215 voix contre 33, la haute Assemblée affirma qu'elle partageait cette opinion en repoussant la prise en considération. M. le Provost de Launay interpella, le 26 janvier, le ministre de l'instruction publique sur des fraudes qui auraient été commises aux examens du baccalauréat de la faculté de Lille. M. Rambaud répondit qu'aucune fraude n'avait été commise et le débat fut clos sans qu'aucun ordre du jour eût été déposé. Quelques jours plus tard, enfin, M. Antide Boyer posa à la Chambre, une question au ministre de l'intérieur au sujet des mesures prises contre la contagion de la peste. Dans sa réponse, M. Barthou affirma que, pas plus à Marseille que sur aucun autre point du territoire français, on n'avait eu à constater des cas de peste, et exposa les mesures préventives qu'il avait cru devoir prendre. La Chambre en fut satisfaite et l'incident fut clos. Deux faits d'ordre diplomatique sont à noter dans le courant de janvier : la distribution aux membres du Parlement d'un Livre jaune relatif à la revision des « Traités tunisiens », et la visite à Paris de M. le comte Mouravief, le nouveau ministre des affaires étrangères de Russie. Le voyage en France de ce diplomate eut un retentissement considérable, en raison du fait luimême et des circonstances dans lesquelles il se produisit. Représentant de l'empereur de Russie à la cour de Danemark, le comte Mouravief était le candidat de l'impératrice douairière, dont on sait l'absolue fidélité à la politique inaugurée par son illustre époux. Par là même le choix du comte Mouravief pour succéder au prince Lobanof offrait toutes les garanties souhaitables aux partisans de la politique franco-russe. La première impression fut donc excellente et parut de nature à effacer tout souvenir de certains malentendus et de quelques divergences de vues qui s'étaient manifestées, pendant |