leur mandat à leurs électeurs sur le territoire allemand, eurent la singulière idée de le faire dans une réunion organisée en France, à Wissembach. Les personnages les plus marquants du socialisme français avaient été conviés à la conférence projetée. Mais à la dernière heure, les héros de la fête manquèrent à l'appel: un commissaire de police, qui muni d'un arrêté d'expulsion les attendait à la frontière, avait invité MM. Bueb et Bebel à rebrousser chemin. C'est sur ce fait, déjà vieux de plusieurs mois, que M. Guesde demandait des explications au ministre de l'intérieur. M. Barthou les lui fournit très claires. Et, malgré un tumulte scandaleux provoqué par l'extrême gauche, la Chambre approuva les déclarations du Gouvernement en votant par 364 voix contre 73 l'ordre du jour pur et simple qu'il réclamait. La question portée à la tribune par M. Vaillant était malheureusement plus digne de l'attention de la Chambre. Elle lui consacra deux séances, au bout desquelles, désespérant de découvrir toute seule les causes du chômage et les moyens capables de le faire cesser, elle vota l'ordre du jour suivant de M. l'abbé Lemire, accepté par le Gouvernement: La Chambre, préoccupée du chômage, invite le Gouvernement à lui faire soumettre, par le conseil supérieur du travail, un rapport d'ensemble sur cette question, décide d'examiner sans retard les projets de loi qui peuvent remédier à la désorganisation du travail, et passe à l'ordre du jour. Le 6 mars, M. Rouanet interpella le garde des sceaux sur les mesures que le Gouvernement comptait prendre pour réprimer et prévenir les dilapidations financières comme celles des chemins de fer : du Sud de la France! Sur ce canevas élastique, l'honorable député de Paris put broder de longues variations dont l'utilité n'était point parfaitement évidente. L'issue de la bataille n'était pas douteuse en effet. Appelé à dire s'il voulait faire toute la lumière sur des affaires scandaleuses déférées à la justice, le Gouvernement ne pouvait que répondre affirmativement, et la Chambre n'avait aucunement le droit de mettre en doute sa parole. Elle vota donc, par 280 voix contre 178, un ordre du jour d'approbation aux termes duquel elle se déclarait convaincue de la fermeté du ministère pour faire respecter la loi. Puis, par 350 voix contre 4, elle prit acte de son engagement de déposer sur le bureau de la Chambre les dossiers des instructions lorsqu'elles seraient closes, conformément à l'ordre du jour voté le 25 octobre 1895. Le Gouvernement eut encore à s'expliquer (8 mars) sur la nomination d'un président de tribunal en Corse, ce qui amena la Chambre à exprimer le vœu très raisonnable que des magistrats ne pussent pas êtrenommés dans des arrondissements où ils auraient été candidats à des fonctions électives; puis un débat eut lieu (9 mars) sur les conditions dans lesquelles s'était produit le décès de plusieurs militaires; le 11 mars, M. Julien Dumas s'éleva contre les abus de la mensuration; le 13, MM. Basly et Lamendin protestèrent contre la réduction des visites faites par les délégués à la sécurité des ouvriers mineurs dans les mines du Pas-de-Calais; le 20, M. Malzac questionna le ministre des travaux publics sur le renvoi de quelques mineurs de Rochebelle, et le 24, M. Gabriel Deville demanda des explications sur les conditions du travail des noirs à Madagascar. Le 22 mars, fut entendue l'interpellation de M. Mirman, dont la Chambre avait précédemment ajourné la discussion, sur la dissolution de l'association des maîtres répétiteurs. Les adversaires du Cabinet fondaient de grands espoirs sur cette affaire qui leur semblait tout à fait propre à le faire trébucher. Le triste récit des malheurs des maîtres répétiteurs n'était pourtant pas entièrement inédit. Déjà M. Mirman avait essayé, le 12 novembre 18961 d'en tirer les éléments d'un réquisitoire contre M. Rambaud : tentative malheureuse dont le souvenir aurait dû, ce semble, engager l'opposition radicale à plus de prudence. A ne point tenir compte de cette leçon du passé, le député de Reims ne réussit qu'à procurer au Cabinet un nouveau triomphe, d'autant plus éclatant qu'on avait plus haut prédit sa défaite. Le même jour, M. Argeliès adressa au garde des sceaux une question sur l'authenticité des informations, répandues à propos de l'instruction de l'affaire Arton et sur les intentions du Gouvernement. Depuis quelque temps, en effet, le Panama avait repris à l'ordre du jour une place prépondérante. Renvoyé devant le jury de Seine-et-Oise, après cassation de l'arrêt de la cour d'assises de la Seine le condamnant à six ans de travaux forcés dans l'affaire de la dynamite, Arton fut amené à déclarer qu'il avait « résolu de renoncer volontairement au bénéfice du traité d'extradition » et à exprimer le désir d'être jugé sur les affaires du Panama. Une nouvelle instruction judiciaire ne tarda pas à être ouverte; les journaux y trouvèrent une mine d'informations sen 1. Voir Année politique, 1896, p. 345 et suiv. sationnelles faites d'indiscrétions ou d'hypothèses à offrir à leurs lecteurs, et des accusations, d'abord discrètes, se précisèrent; des noms furent prononcés et le bruit courut que des poursuites allaient être dirigées contre un certain nombre de parlementaires dont quelques-uns faisaient encore partie des Chambres actuelles. Interrogé sur ce point, M. Darlan fit à M. Argeliès une réponse très sobre et parfaitement correcte. Il déclara que le Gouvernement n'avait ni à démentir les bruits mis en circulation ni à leur prêter une apparence de fondement, en consentant à les discuter. Après avoir affirmé que M. le juge Le Poittevin poursuivait son œuvre dans la plénitude de son indépendance, le ministre de la justice crut pouvoir annoncer que l'instruction ne tarderait sans doute pas à entrer dans la phase des résultats, et il termina ses courtes explications par ces mots : « Quant à l'honneur du Parlement, il restera, dans tous les cas, au-dessus de toutes les atteintes ». On se demanda ce qu'il avait voulu dire exactement par là. Etait-ce qu'aucun membre du Parlement actuel ne serait impliqué dans les nouvelles poursuites? Ou bien seulement qu'alors même que quelques-uns de ses membres seraient reconnus coupables, une Chambrene peut en être rendue responsable? Les deux interprétations étaient possibles; mais la seconde parut plus vraisemblable, et c'était la vraie. Quelques jours plus tard, en effet, le 27, le procureur général près la cour d'appel de Paris lançait une demande en autorisation de poursuites contre un sénateur et trois députés. La lettre au président de la Chambre était ainsi conçue : MONSIEUR LE PRÉSIDENT, Paris, le 27 mars 1897. L'instruction ouverte contre le nommé Arton, du chef de corruption de fonctionnaires, a démontré que cet inculpé a été chargé par le baron de Reinach de faire les démarches nécessaires pour obtenir, en 1888, le vote par le Parlement d'une loi autorisant la Campagnie de Panama à émettre des obligations à lots, et qu'à cet effet une somme d'environ 2 millions a été mise à sa disposition. Arton a déclaré qu'une partie de cette somme a été employée par lui à rémunérer des concours et qu'elle a été versée, dans certains cas, directement à des membres du Parlement, dans d'autres, à des intermédiaires pour la leur faire parvenir. En ce qui concerne les personnes auxquelles les fonds auraient été remis directement, certains documents saisis fournissent, à l'appui des déclarations d'Arton, des indications qui sont de nature à constituer des éléments de preuve lorqu'elles auront été complétées par l'instruction. Parmi ces documents figurent notamment : 1o Un carnet de poche appartenant à Arton, saisi en 1892, à son domicile, à Paris, après sa fuite. 2o Le brouillon d'une liste, dressée par Arton, saisi chez un sieur Deschamps, en 1892: 3o Un agenda de poche de 1888, appartenant à Arton, récemment rapporté de Londres par M. Le Poittevin. Le carnet et l'agenda auraient servi de memento à Arton, en 1883, à l'époque ou il faisait de la propagande près de certains membres du Parlement, en faveur du projet de loi dont la Compagnie de Panama demandait le dépôt et le vote. Sur le carnet, saisi en 1892, figurent les noms de - plusieurs membres du Parlement, avec mention en regard de sommes d'argent. La liste Deschamps porte des inscriptions de même nature. L'agenda, rapporté de Londres, contient, sous forme de liste récapitulative, des noms de membres du Parlement auxquels Arton déclare avoir remis effectivement |