les sommes dont le montant est inscrit vis-à-vis de chaque nom. La concordance entre les mentions relevées sur ces documents, concernant les personnes visées par la présente demande, imprime à ces mentions le caractère d'indices graves. Ces indices trouvent déjà sur certains points une confirmation dans d'autres éléments de la procédure. Ils visent trois députés faisant partie de la Chambre actuelle, et il est nécessaire que ces députés puissent être, dès maintenant, appelés à présenter devant le magistrat instructeur leurs explications, dans les formes prévues par la loi. J'ai l'honneur, en conséquence de demander à la Chambre de vouloir bien lever l'immunité parlementaire en ce qui concerne: MM. Antide Boyer, Henry Maret, Alfred Naquet. Veuillez agréer, Monsieur le président, l'hommage de mon respect. Le procureur général, Signé: BERTRAND. Tandis que le Sénat procédait avec calme et laissait à la commission nommée dans ce but le temps d'examiner à loisir la demande de poursuites contre M. Levrey, la Chambre, incapable de se maîtriser, agissait avec une fâcheuse précipitation. Suspendue à 2 h. 1/2, pour la nomination dans les bureaux de la commission des poursuites, la séance fut reprise à 6 h. 1/2 pour entendre le rapport de cette commission, lequel n'étant pas prêt un nouveau renvoi à 10 heures du soir fut décidé. Aussitôt après sa constitution, la commission s'était réunie, avait choisi M. Théophile Goujon pour président, M. Le Hérissé pour secrétaire et demandé à entendre le garde des sceaux. M. Darlan déclara alors aux commissaires que les demandes rédigées par le procureur général étaient conformes aux décisions du juge. Puis il fit l'exposé de la marche générale suivie jusqu'à ce jour par l'instruction. Le juge avait établi soit d'après les déclarations d'Arton, soit d'après les pièces les corroborant, deux catégories de parlementaires : d'une part, ceux qui étaient accusés d'avoir directement reçu de l'argent d'Arton; de l'autre, ceux qui étaient accusés d'en avoir reçu par des intermédiaires. Le juge avait estimé qu'il devait tout d'abord s'occuper des parlementaires rentrant dans le premier cas et qui étaient ceux visés par les poursuites, réservant pour plus tard le soin de s'occuper des autres. Au total, Arton avait accusé treize membres du Parlement. Prié de compléter ces explications sur certains points, interrogé notamment sur le point de savoir si, au sujet des parlementaires seuls en question, il y avait d'autres éléments de preuves que les accusations d'Arton ou les énonciations de ses carnets, le ministre de la justice parut confirmer l'existence de pièces complémentaires, mais ne crut pas pouvoir en promettre la communication sans avoir, au préalable, consulté le juge d'instruction par l'intermédiaire du procureur général, ce qu'il fit aussitôt. M. Le Poittevin s'empressa de faire savoir qu'il n'y avait pas d'inconvénients à ce qu'une partie du dossier fût communiquée, mais il ajoutait que toutes les pièces étant enfermées dans un coffre dont son greffier emportait chaque soir la clef en rentrant chez lui hors Paris, cette communication ne pourrait avoir lieu le jour même. L'incident de la clef conté à la tribune provoqua un assez vif tumulte; MM. Antide Boyer et Henry Maret protestèrent énergiquement contre la situation qui leur était faite et amenèrent ainsi de nouveau le garde des sceaux à la tribune. Après ses très loyales explications, la Chambre prit le seul parti raisonnable et qu'elle aurait dû prendre tout de suite : elle s'ajourna au surlendemain lundi. La cominission eut ainsi le temps de recevoir et d'examiner les pièces du dossier que le magistrat instructeur avait cru pouvoir mettre à sa disposition, c'est-à-dire : le rapport adressé le 26 mars, par M. Le Poittevin au procureur général sur les premiers résultats de l'instruction, le carnet d'Arton, le brouillon de la liste dressée par Arton et l'agenda dont il s'était servi en 1888; enfin la déclaration générale faite par Arton sur la manière dont il aurait procédé visà-vis des parlementaires. Mais cependant quelques journaux annonçaient que les trois députés et le sénateur en cause ne seraient pas seuls poursuivis, et ils citaient les noms de ceux qui, d'après leurs informations, devaient figurer sur une seconde liste. Au début de la séance du 29, ces députés tinrent à s'expliquer et à provoquer les explications du garde des sceaux sur leur cas. MM. Jullien, Clovis Hugues, Salis, Goirand, Rouvier prirent successivement la parole, ce dernier notamment avec une admirable éloquence, pour protester de leur innocence, quelques-uns demandant même que l'immunité parlementaire fût levée à leur égard, satisfaction qu'il ne fut pas possible de leur accorder. Après les explications du garde des sceaux, d'où il résultait que jamais Arton n'avait prononcé le nom de M. Salis, qu'en ce qui concernait MM. Clovis Hugues, Rouvier et Jullien ses dénonciations n'avaient été appuyées d'aucune preuve, qu'enfin l'accusation portée contre M. Goirand était trop formellement contredite par l'attitude de ce député, la Chambre adopta les conclusions de sa commission tendant à l'autorisation des poursuites avec cette indication qu'elles ne préjugeaient en rien du fond de l'affaire et ne pouvaient porter aucune atteinte à l'honneur de ceux qui en étaient l'objet. MM. Girault et Argeliès « considérant que l'accusation de corruption portée contre un certain nombre de membres du Parlement jette sur la représentation nationale la plus grande défaveur; que l'opinion publique ne sera apaisée que lorsque toutes les pièces d'accusation seront entièrement publiées; que les innocents faussement accusés n'auront pas de difficulté à se défendre >>; demandaient qu'une commission d'instruction fût nommée par la Chambre, et qu'elle appelât les parlementaires suspectés, dont les noms étaient entre les mains du juge d'instruction, à venir se disculper à la tribune. M. Rouanet, de son côté, proposait à la Chambre de décider qu'il y avait « lieu de reprendre et de compléter l'enquête parlementaire ouverte en 1892, à l'occasion des affaires de Panama, de discuter les conclusions du rapport fait au nom de cette commission, et de nommer une commission chargée de faire les recherches jugées nécessaires ». Mais la Chambre préféra s'en tenir au projet suivant de résolution proposé par M. Lavertujon : La Chambre, approuvant les déclarations du Gouvernement et prenant acte de son engagement de lui communiquer le dossier de l'instruction judiciaire (adopté par 307 voix contre 228), décide qu'il y a lieu de surseoir, jusqu'au moment de cette communication, à la nomination d'une commission d'enquète. (Adopté par 270 voix contre 268). Sur la demande de M. de Ramel ce texte, fut complété par ce paragraphe additionnel : Toutefois, il sera procédé à la nomination de cette commission au plus tard dans trois mois. Enfin la réimpression du rapport Vallé et sa publication au Journal officiel, furent ordonnées à mains levées. Le travail législatif de la Chambre en février et mars se résume, en dehors de la question des sucres et des mélasses et du budget, au vote des divers projets ou propositions de lois notamment, d'un projet relatif à la propriété foncière en Algérie; d'un projet tendant à modifier l'article 174 du code d'instruction criminelle; du projet ayant pour objet d'autoriser des dérogations à l'article 4 de la loi du 15 juillet 18451, en ce qui concerne les clôtures et barrières de chemins de fer. Déposé au Sénat le 23 mars 1896, ce projet avait pour but de permettre au ministre des travaux publics d'étendre la dispense de clôtures aux lignes qui ne pouvaient en bénéficier aux termes de la loi du 27 décembre 1880. L'application de la loi devait procurer une économie annuelle de plus de 600.000 francs. La Chambre adopta également un projet de loi autorisant la colonie de Madagascar à convertir l'emprunt contracté en 1886 et à procéder à l'émission d'obligations amortissables en soixante ans garanties par le gouvernement de la République française. Enfin, elle aborda l'examen de deux grosses questions d'ordres très différents, celle des bureaux de place 1. Art. 4 de la loi du 15 juillet 1845 : « Tout chemin de fer sera clos des deux côtés et sur toute l'étendue de la voie. » |