les prétextes ont été bons pour le battre en brèche et, si l'on ne pouvait l'empêcher de vivre, pour le condamner dn moins à s'user misérablement dans une lutte quotidienne et stérile pour l'existence. Vains efforts et vaine tactique : le cabinet Méline a résisté à tous les assauts. Au sortir d'une bataille aussi rude que celle qu'il avait fallu livrer pour arracher leurs portefeuilles aux ministres radicaux, tous les modérés n'avaient point vu sans quelque inquiétude M. Méline placé à la tête de leur parti et investi du redoutable honneur de gouverner en son nom. L'honorable député des Vosges, longtemps spécialisé dans l'étude des questions économiques, semblait n'avoir d'autre ambition que d'approcher du plus près possible la réalisation de son idéal protectionniste. A poursuivre ce but, on l'avait vu du moins faire preuve d'une force de volonté et de ténacité bien remarquable. Mais sa situation incontestée de chef du groupe protectionniste, de « général en chef du protectionnisme », comme on l'a par raillerie appelé, pouvait être de nature à éloigner de lui un certain nombre de modérés chez qui les sympathies du politique ne parviendraient pas à faire taire la rancune de l'économiste. A l'expérience, on a constaté que M. Méline est un homme d'État. Toujours prêt à faire front à ses adversaires, il a la riposte prompte et l'habileté d'un tacticien parlementaire de premier ordre; nul mieux que lui ne sait mettre un interpellateur en contradiction avec lui-même. La lutte de chaque jour et la pratique incessante de la tribune ont assoupli et fortifié sa parole, l'ont armé d'une éloquence qui ne s'est point encore trouvée en défaut et qui lui a valu des triomphes mémorables. Enfin, sa droiture, sa loyauté politique auxquelles s'allie la réputation d'une conduite privée pure de toute compromission lui assurent le respect de ses amis et des autres. En un mot, M. Méline est un des rares chefs de gouvernement qui aient grandi au pouvoir. C'est que s'il a eu le bonheur de ne se laisser battre en aucune rencontre, il n'a pas été seulement préoccupé de l'idée de conserver son portefeuille. Un pareil souci a au contraire toujours paru secondaire chez lui et non principal: il a mis en pratique la formule de M. Bourgeois, vivre pour agir. Et parce qu'il n'a point condamné sa majorité à une énervante et perpétuelle défensive, d'un peu indécise et flottante qu'elle était au début, il l'a faite compacte et solide en quelques mois. Il est juste de reconnaître que si le rôle du Président du Conseil a : été prépondérant et son action décisive, ses collaborateurs l'ont puissamment aidé tant par leur valeur propre que par l'entente parfaite qui n'a cessé de régner entre eux. Malgré tout le temps perdu en débats inutiles, le travail législatif accompli, durant les deux sessions de 1897, est loin d'être négligeable: successivement les deux Chambres ont discuté et voté les projets ou propositions de loi relatifs au régime des sucres et des mélasses pour la distillerie, à la réglementation des bureaux de placement, aux sociétés de secours mutuels, au cadenas, à la prorogation du privilège de la Banque de France, à la réforme de l'instruction criminelle, à la suppression des droits d'octroi sur les boissons hygiéniques, aux accidents dont les ouvriers peuvent être víctimes dans leur travail, etc. L'année finit sans que les projets fiscaux du gouvernement aient pu être entièrement étudiés et adoptés; même il a fallu recourir à l'expédient des douzièmes provisoires, l'examen du budget n'étant pas terminé en temps utile; mais le dégrèvement de l'impôt foncier reste acquis, grâce à l'énergique ténacité du ministre des finances. En somme, les deux sessions de 1897, surtout la session ordinaire, auront été : INTRODUCTION. V : fécondes. Cela prouve que si la Chambre consentait à réformer son règlement intérieur, comme le demandent quelques-uns de ses membres les plus éminents, et à adopter une méthode de travail sévère, les sessions extraordinaires pourraient cesser d'être aussi ordinaires que les autres sans qu'aucune loi utile restât en souffrance. Tout le monde y trouverait son compte, le pays qui s'énerve et souffre de tant de vaines agitations, le gouvernement qui pourrait employer à gouverner une partie du temps qu'il lui faut consacrer à défendre son existence toujours menacée, le Parlement lui-même enfin où pourraient entrer des hommes laborieux et compétents qu'en éloigne à cette heure l'impossibilité d'abandonner leurs affaires pendant presque toute l'année. Au point de vue extérieur, la proclamation officielle de l'alliance franco-russe a été l'événement capital de 1897. Sans doute, ceux-là seuls qui fermaient obstinément les yeux pouvaient encore douter de l'existence d'un accord étroit entre les deux nations après les fêtes de Cronstadt et de Toulon, et après le séjour en France des souverains russes. Mais en présence du scepticisme intéressé de tant d'incrédules volontaires, on aurait malaisément compris que les deux gouvernements gardassent un silence , 1 plus long sur les liens qui les unissent. La reconnaissance du pacte était la suite naturelle des manifestations enthousiastes auxquelles venaient de se livrer le peuple français et le peuple russe; elle était aussi la réponse nécessaire aux appréciations d'une partie de la presse étrangère qui refusait d'attacher un intérêt politique au voyage du Président; elle était enfin la condition indispensable pour l'avenir d'une politique féconde basée sur l'action combinée des deux diplomaties. Ces divers motifs expliquent, et légitimement, l'enthousiasme provoqué par les toasts du Pothuau. Avec sa loyauté ordinaire, M. Méline a été le premier à reconnaître que l'alliance francorusse est due non point aux efforts de son seul ministère, mais à la fixité des principes qui ont guidé notre politique étrangère sous tous les cabinets successifs qui, depuis vingt-cinq ans, ont exercé le pouvoir. Cette appréciation très juste ne saurait trouver de contradicteurs et de fait n'en a pas trouvé. Mais, si l'on s'accorde à admettre que les grands résultats de notre politique étrangère sont dus à une suite inflexible dans les idées, ne pensera-t-on point que des résultats semblables seraient atteints au dedans par des moyens semblables? Et n'est-on pas en droit d'espérer |