A cette proposition de transformation de taxe d'enregistrement sur la prime en une taxe sur la valeur assurée, proportionnelle à cette valeur quelles que soient sa nature et sa situation dans l'espace, on a fait des objections que je voudrais refuter en deux mots. Dans la discussion qui eut lieu en 1889 devant la Chambre M. Amagat objectait à la proposition de M. Bourgeois (Jura): 1o Qu'elle constituerait un impôt sur le capital assuré, ce qui pouvait créer un précédent dangereux pour ceux qui redoutaient un impôt sur le capital non assuré; 2o Qu'elle allait grever davantage les mutuelles, puisque ces sociétés ayant des tarifs moins élevés, leurs assurés payaient moins de prime et moins d'impôt; 3o Qu'elle créerait un déficit dans le budget; 4o Dans le même débat M. Rouvier, alors ministre des finances reprenait les mêmes arguments, y ajoutant que la proposition était contraire aux règles générales en matière d'enregistrement. Aucune de ces objections ne paraît sérieuse: 1o Impôt sur le capital, dit-on! Nous ne nous effrayons pas des mots, si la réalité qu'ils couvrent est bienfaisante! Et nous avons démontré qu'elle l'était! Au demeurant, tous nos droits d'enregistre ment sont au même titre et davantage «impôts sur le capital". Il suffit à cet égard de se reporter à la loi organique de l'enregistrement du 22 frimaire an VII: les bases de perception des droits d'enregistrement sont presque toujours pour chaque nature de contrat le capital engagé. VII. article 14. Loi du 22 frimaire an La valeur pour la perception du droit proportionnel est déterminée ainsi qu'il suit: 2o Pour les créances à terme, leurs cessions et transports et autres actes obligatoires, par le capital, exprimé dans l'acte et qui en fait Tobjet. • 3o Pour les quittances par le total des capitaux dont le débiteur se trouve libéré. 4o Pour les créations de rentes soit perpétuelles, soit viagères ou de pensions, aussi à titre onéreux par le capital constitué et aliéné; • Pour les rentes et pensions' créées sans expression de capital, leurs transports et amortissement, à raison d'un capital formé de vingt fois la rente perpétuelle et de dix fois la rente viagère ou la pension, et quel que soit le prix fixé pour le transport ou l'amortissement. » Donc, la généralité de nos droits d'enregistrement est basée sur le capital qui fait l'objet du contrat et lorsque ce capital n'apparaît pas distinctement on le constitue par des règles fixes. Au surplus la proposition de M. Paul Bertrend constitue bien un impôt sur le contrat d'assurance et non un impôt sur le capital de l'assuré: la taxe de remplacement qu'elle édicte est en effet basée non seulement sur les valeurs qui lui appartiennent, mais aussi, à raison du risque locatif et du recours des voisins que l'assurance couvre, sur des valeurs appartenant à des tiers, IMPÔT actuel. francs. 1 à 150 francs. 10 à 15 0 25 25 2 50 1 100 10 500 50 3 Quand on a en 1898 établi la taxe des sapeurspompiers sur les sociétés d'assurance, taxe qu'elles se sont empressées de répéter sur les assurés, on l'a basée sur la valeur assurée (6 fr. par million de valeur assurée). Le droit de timbre est lui aussi basé uniquement sur la valeur assurée. Considérée comme plus équitable pour le droit de timbre, pour la taxe sur les sapeurs-pompiers comment cette base aurait-elle perdu ce caractère lorsqu'il s'agit de la taxe d'enregistrement. Messieurs, la réforme s'équilibre elle-même, elle fait cesser une véritable iniquité fiscale, elle dégrève la France productrice (industrielle et agricole); c'est une modeste mais utile réforme démocratique; nous espérons que vous aurez à cœur de la sanctionner. (Session extr. - 2a séance du 26 novembre 1903.) RAPPORT fait au nom de la commission de l'agriculture (1) chargée d'examiner la proposition de loi de M. Gaston Galpin et plusieurs de ses collègues ayant pour objet de proroger pour une durée de six années la loi du 9 avril 1898 accordant des encouragements à la culture du lin et du chanvre, par M. L.-L. Klotz, député. Messieurs, le 10 novembre dernier, au cours de la discussion du budget de l'agriculture, l'honorable M. Galpin montait à la tribune et vous demandait, sous forme d'amendement, l'inscription immédiate d'un crédit de 2,500,000 francs à titre d'encouragement à la culture du lin et du chanvre. Il consentait ensuite à retirer cet amendement sur la promesse de l'honorable ministre de l'agriculture, de déposer incessamment un projet de loi en ce sens et sur les exhortations de M. le président de la commission du budget, de M. le président de la commission de l'agriculture et de M. le président de la commission des douanes, qui s'engageaient à l'appuyer quand la question reviendrait en discussion. Aujourd'hui, votre commission, adoptant la proposition de M. Galpin, en date du 19 janvier 1903, vous propose de maintenir le statu quo et de proroger, pour une nouvelle période de six années, la loi du 9 avril 1898. Cette solution se justifie, et par les précédents historiques et par des considérations d'intérêt actuel. En 1891, lors du vote du tarif général des douanes, la Chambre reconnut la nécessité de protéger la culture du lin et du chanvre. L'accord ne se fit qu'au bout d'une année.. entre la commission des douanes et le Gouvernement, sur la nature de la protection à accorder. La commission voulait imposer les textiles étrangers; le Gouvernement se montrait disposé à allouer des primes d'encouragement à nos cultivateurs. La commission admit qu'il était également impossible de frapper les lins, les chanvres et les cotons étrangers, sans porter atteinte à la prospérité de la filature et du tissage en France et de frapper les lins et les chanvres seuls, sans octroyer par là même aux cotons une véritable prime d'importation. C'est alors, après les concessions de la commission, que fut décidé le régime des primes. Il y eut de nouveaux débats sur la question. de quotité jusqu'au moment où, se ralliant à la proposition d'un crédit de 2,500,000 fr. à titre d'encouragement, faite par l'honorable ministre de l'agriculture d'alors, M. Develle, la commission « à la suite d'un véritable contrat intervenu en son sein », accepta à l'unanimité ce crédit que la Chambre considéra comme une « transaction forfaitaire >>> et sanctionna sans discussion avec le reste du projet du Gouvernement, le 12 janvier 1892. Quelle a été avant 1892, quelle fut depuis cette date la situation de la culture du lin et du chanvre? En 1840, ces textiles couvraient une superficie de 276,000 hectares. Nos toiles de fil, très renommées, répandues en France et à l'étranger, surtout en Amérique, n'étaient pas encore concurrencés par les toiles de coton, Notre corde❘rie aussi, était en pleine prospérité. (1) Cette commission est composée de MM. Dujardin-Beaumetz, président; Decker-David, Augé, de La Batut, L.-L. Klotz, vice-présidents; Vigouroux, Octave Vigne (Var), Couyba, Petitjean, Fernand David (Haute-Savoie), Lucien Cornet, secrétaires; Chambige, Bouhey-Allex, Euzière, Amodru, Lesage, Justin Chabert (Rhône), Dauzon, Louis Martin (Var), Theron, Razimbaud, Tiphaine, Plissonnier, Magniaudé, Deshayes, Chaigne, Pavie, Mulac, Compayré, Gé- Pour les assurances contre l'incendie, an- I velot, Poullan, Defumade. - (Voir le n° 617.) PROPOSITION DE LOI Article unique. - Le paragraphe 2 de l'article 6 de la loi du 23 août 1871 est ainsi modifié: Avec l'apparition sur le marché des cotonnades à bas prix, avec l'abandon de la marine à voiles, la culture du lin et du chanvre s'arrêta dans son développement, sans éprouver cependant de dommage profond. En 1860, nous suffisions encore aux besoins de notre consommation. Mais dès l'instant où l'on supprima au lin et au chanvre le droit protecteur de 5 fr. (1862) qui les garantissait, la décadence s'accentua, retardée encore il est vrai par la guerre d'Amérique, qui dressa un obstacle temporaire à l'importation des cotons. En ce qui concerne les textiles, disait à la séance dù 2 juillet 1891 M. Blin de Bourdon, « l'illusion a survécu pendant près de dix ans, entretenue par les événements militaires dont les Etats-Unis ont été le théâtre ». 1 Mais la fin de la guerre civile a amené aux Etats-Unis, un redoublement de production, il semble aujourd'hui que le coton soit devenu la matière type de toutes les étoffes, et son emploi tellement général qu'il paraît devoir se substituer presque complètement aux textiles indigènes. En même temps, l'importation des lins et chanvres étrangers prenait une extension décourageante pour nos cultivateurs, si bien que les surfaces ensemencées réduites en 1888 à 91,000 hectares, ne furent plus en 1892, que de 71,734 hectares. C'était, constate l'honorable M. Galpin, dans son rapport de 1897, une diminution de 5,000 hectares chaque année. Il était grandement temps que le système des primes intervint, sinon cette culture eût fini par disparaître peu à peu de notre sol, à notre grand détriment. Ces paroles peuvent encore être invoquées pour le maintien intégral de la prime, au vote de laquelle concourrait en 1891, M. Blin de Bourdon, Les intérêts qui ont provoqué le vote des lots de 1892 et 1898 militent plus que jamais en faveur d'un nouveau vote de ces dispositions; d'autres même sont venus s'y ajouter. C'est d'abord le caractère aléatoire de la récolte; il suffit d'une trop grande sécheresse au moment des ensemencements, d'un orage ou d'une grêle lorsque les plantes sont en pleine croissance, pour ruiner le cultivateur. La prime en ce cas, ne suffit pas à le dédommager; c'est à peine si elle compense le prix de ses engrais et de sa semence. Il ne faut par non plus oublier la maind'œuvre considérable que nécessitent les cultures du lin et du chanvre. Dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi de 1890, M. Blin de Bourdon nous en fournit la preuve; il dit: L'arrachage d'un hectare de lin exige 20 journées de travail, son battage et son raclage 20 journées, le rouissage et le teillage une moyenne de 300 journées, soit 340 journées, sans compter les travaux de culture proprement dits. Au taux moyen de 3 fr. la journée, un hectare de lin procure ainsi 1,020 fr. de salaire. « Ne vaut-il pas mieux conserver de pareilles ressources à nos nationaux, que de les porter à l'étranger?» La culture des textiles est l'unique ressource des terrains d'alluvion, et notamment des vallées de la Loire, de la Sarthe et de la Mayenne. Les autres régions linières ou chanvrières dont le sol s'accommoderait d'une culture différente, ne peuvent s'y livrer à cause des prohibitions ou des conséquences de nos lois. C'est ainsi que les départements du Morbihan, de la Creuse, de la Haute-Vienne, de la Manche, par exemple, ne peuvent se livrer à la culture interdite du tabac: c'est ainsi que d'autres dé Depuis 1902, la situation s'est modifiée; en 1895, on constatait que les emblavements restaient stationnaires (71,270 hectares). La prime, trop faible, n'avait pu décider ceux qui avaient abandonné la culture de ces textiles, à les reprendre. En 1898, par 124 voix de majorité, vous prorogiez pour une durée de six années la loi de 1892, reconnaissant une seconde fois l'op-partements de l'Ouest, ne pourraient sans com portunité d'une protection à la culture du lin et du chanvre. Et si depuis cette époque, le chiffre des surfaces ensemencées s'est restreint encore jusqu'à tomber en 1900 à 48,000 hectares suivant une moyenne pourtant moins désastreuse qu'avant 1892, c'est qu'accidentellent, en raison des conditions climatériques défavorables que vous vous rappelez. Nos cultivateurs ont été durement éprouvés. Dans certains départements, les ensemencements du chanvre n'ont pu avoir lieu; dans d'autres, notamment dans la Sarthe, nous dit M. Galpin, les cultivateurs de ce textile ont été obligés d'abandonner sur pied la totalité de la récolte. Quant à l'importation, elle s'est maintenue pour le chanvre : 22.753.000 kilogr. en 1895 19.659.900 kilogr. en 1896 mettre une dangereuse imprudence tenter la culture betteravière, depuis que sont devenues exécutoires les les dispositions de la conférence de Bruxelles. Il y a peu d'espoir, disait en 1891, l'honorable ministre de l'agriculture, M. Develle, de voir les prix de la filasse se relever et nous sommes portés à croire que le seul moyen de relever cette culture, est d'arriver à baisser les prix de revient des lins produits. Mais la prime de 70 fr. à l'hectare, n'apporte t-elle pas précisément un remède a cet avilissement, en plaçant les cultivateurs français de lin et de chanvre et les producteurs étrangers de ces textiles sur un pied d'égalité ? Un dernier intérêt se présente enfin, en faveur du maintien du crédit actuel: c'est l'intérêt de la défense nationale. Pourquoi demander à l'Allemagne et à l'Italie, pour les cordages dont se sert encore notre marine de guerre, des chanvres inférieurs en mais elle s'est abaissée, pour le lin, dans des qualité aux nôtres, alors qu'il ne dépend que de proportions considérables: r 87.522.900 kilogr. en 1895 La prime d'encouragement de 2,500,000 fr. à la culture du lin et du chanvre s'impose aujourd'hui plus que jamais. Même avec l'aide de cette prime, la situation faite aux cultivateurs de ces textiles est loin d'être privilégiée. En effet, alors que par exemple les primes allouées aux sériciculteurs, alors que les droits sur les tissus de soie, sur les blés et sur les vins représentent respectivement une protection de 18 р. 100 (1897), 20 p. 100, 25 р. 100, 35 р. 100, 40 р. 100, ad valorem, la prime d'encouragement de 2,500,000 fr. qui se résout actuellement en une prime de 70 fr. à l'hectare, équivaut seulement à une protection de 9 р. 100 ad valorem pour le chanvre et d'un peu plus de 6 p. 100 ad valorem, pour le lin. M. Blin de Bourdon, dans son discours du 2 juillet 1891 tendant à l'établissement d'un droit de douane sur les lins et chanvres étrangers, disait: « Le cultivateur se lasse de produire et de vendre au prix du libre-échange, et d'acheter au prix de la protection. protection. Tout ce dont il se sert, machines-outils, est grev grevé de droits de douane fort élevés; comme il supporte la plus grande part des charges publiques, il a le droit de revendiquer l'égalité devant la douane, et une même protection, pour toutes les matières qu'il crée.. nous de conserver l'indépendance où nous avons déjà la suprématie? Pour ces divers motifs, et sans vous demander aucun subside nouveau, nous avons l'honneur de vous soumettre la proposition de loi suivante : protection du travail national; 2o la proposition de loi de M. Georges Grosjean, ayant pour objet de protéger la main-d'œuvre nationale contre la concurrence étrangère; 3o la proposition de loi de M. Jules Coutant (Seine) et plusieurs de ses collègues, relative aux salaires des ouvriers étrangers; 4o la proposition de loi de M. Defontaine, ayant pour but de compléter la loi du 8 août 1893 sur la protection du travail national; 5o les amendements de MM. Dubuisson et Carnaud au projet de loi portant fixation du budget de l'exercice 1903, tendant à établir une taxe sur les patrons qui emploient des ouvriers étrangers, par M. Mas, député: - (Urgence déclarée.) Messieurs, vous avez chargé votre commission du travail d'étudier une question qui préoccupe depuis longtemps le législateur, et qui dans ces derniers temps, a soulevé des incidents répétés à la Chambre. C'est une question délicate s'il en fût, qui, au premier examen, soulève de graves objections de sentiment et de principes, et qui paraît ensuite d'autant plus insoluble qu'elle a été mieux étudiée. Il s'agit de la protection de la main-d'œuvre nationale, ou plutôt des moyens susceptibles d'empêcher l'invasion de l'étranger dans le travail déjà si difficile et si onéreux du prolétariat français. i! I Expliquons-nous d'abord sur les objections de sentiments et de principes. Elles sont de plusieurs sortes. Il paraît d'abord contradictoire à l'heure où les relations internationales deviennent plus faciles et plus humaines qu'on songe à fermer les frontières ou à les entr'ouvrir à peine à la partie la plus malheureuse de l'humanité. Les capitaux pourront circuler d'un bout du monde à l'autre, les heureux de la fortune échangeront leur prospérité et leurs plaisirs de pays à pays; la science sera universelle et par ellemême et par ses applications. Le prolétariat sera, lui, parqué à l'endroit même où il ne trouve pas les moyens de vivre. Il est vrai que, par un de ces contrastes qu'il n'est pas rare de rencontrer dans l'histoire, au moment même où la facilité des communications ouvrait ou plutôt abaissait les frontières les nations ont senti le besoin de s'entourer des hautes murailles de la protection, derrière lesquelles leurs industries, leur commerce, leur agriculture s'abritent contre la concurrence venue du dehors. On élève ainsi le prix des produits pour favoriser, dit-on, l'activité nationale et maintenir une rémunération suffisante du patron qui dirige et du salarié qui produit. Mais à ce protectionnisme des produits faut-il encore, par une contradiction plus choquante, ajouter le protectionnisme s'étendant aux producteurs, d'autant plus vexatoire qu'il porte atteinte non plus à la libre jouissance des choses, mais à la personne humaine, restreignant non seulement sa liberté, mais encore son droit à la vie, conquis par le travail, là où ce travail est plus fàcile et plus rémunérateur. Considérons de plus que dans l'état actuel, nous sommes convaincus de la nécessité du frottement permanent des hommes pour le bien même de l'humanité. Les races, au lieu de se heurter, tendent à se pénétrer par un contact permanent, unissant pensées, leurs aspirations, leurs besoins et leurs intérêts. Les prolétaires des différents pays n'ont-ils pas le droit de tirer profit d'un échange de sen timents et d'idées, d'amours et de haines, de qualités et de défauts, de mœurs et d'idiomes, pour leur instruction d'abord, pour l'union ensuite qu'ils rêvent et d'où sortira leur émancipation? Notre patriotisme ne doit pas s'alarmer du séjour de l'étranger parmi nous. Il n'est pas aussi étroit qu'on voudrait le faire, ni surtout aussi aveugle et ignorant qu'on le prétend. Notre patrie qui tire sa force originelle du mélange indissoluble des différentes races qui la constituent, n'a-t-elle pas toujours été la tans (Allier), Cazeneuve, Petit, Lamendin, François Fournier, Bagnol, Tavé, Chambon, Sarrazin, Bénézech, Henri Michel (Bouches-du-Rhône), Le Troadec, Abel-Bernard, Selle, Dejeante, Barthou, Desfarges, Dron. (Voir les nos 71-312-448529-1308 et l'amendement no 100 aux impre sions nos 308-622.) terre hospitalière par excellence? Et sans pousser notre démonstration, nos dernières lois ne portent-elles pas la trace de ce génie humain et généreux qui la caractérise, précisé ment sur ce point particulier qui nous occupe? N'avons-nous pas admis les étrangers, comme nos nationaux, au bénéfice de l'assistance judiciaire? En cas d'accidents de travail, n'ont-ils pas droit aux garanties de la loi du 9 avril 1998? Allons-nous, maintenant, en nous donnant un démenti à nous-mêmes, exclure le prolétariat étranger qui veut prendre sa part de notre civilisation et de notre lumière; lui dirons-nous sous l'empire d'une sorte de chauvinisme cynique: « Ote-toi de notre soleil! » Voilà certes des arguments qui ont de la force pour sonores qu'ils soient. S'il n'est pas possible de les écarter d'un mot ou d'un geste, sachons, si vous le voulez bien, nous en dégager par un effort nécessaire, pour ne considérer que les faits qui ont provoqué l'intervention de nos collègues, et qui expliquent les projets de lois soumis à notre examen. Ils émanent de MM. Grosjean, Chauvin, Dubuisson, Carnaud, Jules Coutant et Defontaine. Il a fallu que les faits aient paru saisissants et pitoyables, pour associer ainsi les représentants d'opinions si dissemblables et si souvent en lutte presque violente. Ce qui nous frappe surtout, c'est que des représentants du parti socialiste aient cru devoir faire fléchir leur libre-échangisme intransigeant pour les produits, en un protectionsans mais, jusqu'à un cer vent ajouter à l'avantage du salaire un bénéfice | mais elles ne sont que passagères. Les tra appréciable sur les produits qu'ils consomment, la vie étant pour eux moins coûteuse que pour les ouvriers français, leurs rivaux et leurs voisins. Quelques chiffres seulement et l'écart sur ce point même est frappant. Telles sont les raisons que l'on fait valoir, gère. On nous donne comme conclusion des qui frustre nos nationaux d'un milliard de sa- impingexoreute de humbles risque de provoquer les observations des puis des producteurs. II Tous les auteurs des propositions que nous avons à examiner on fait remarquer que le nombre des ouvriers étrangers, travaillant en France, est allé croissant pendant une longue période. Ils sont attirés, disedt-ils, par de nombreuses raisons qui ont un empire trop puissant sur les hommes pour que l'effet en soit brusquement entravé ou même ralenti. D'abord les étrangers sont exempts des charges qui pèsent sur nos ouvriers nationaux; ils ne font pas de esrvicé militaire; les périodes de treize ou de vingt-huit jours ne les enlèvent pas à leur travail. N'ayant en France ni propriété, ni famille, en général, ils ne payent aucun impôt direct. Ajoutez qu'habitués d'ordinaire à une nourriture et à une vle plus rudimentaires, ils se contentent d'un salaire moindre; ils ont de plus cet avantage d'être plus disciplinés et plus disciplinables par la perspective d'une expulsion toujours menaçante. Par suite, ils trouvent plus facilement à s'embaucher, grâce à ce désir de sécurité ou de tranquillite qui amène les patrons à préférer des ouvriers genes dans leurs revendications, grâce aussi à cette loi de concurrence qui pousse ces mêmes patrons à rechercher la main-d'œuvre moins chère pour écouler les produits à meilleur marché, grâce aussi à l'appât du gain qui les conduit à profiter du prix minimum dans la production. L'écart des salaires payés dans d'autres pays, par rapport aux salaires du nôtre est encore une amorce souvent irrésistible. Quelques exemples peuvent être cités: en Seine-et-Oise les briquetiers belges s'embauchent pour six mois. Le salaire de Belgique est pour ce travail et pour cette durée de 480 fr.; en France, 960. Dans la région d'Armentières et d'Allevain, pour le travail de chromolithographie, la comparaison donne les chiffres suivants pour un travail de semaine. Cet écart si considérable permet aux patrons, comme aux ouvriers, des bénefices trop facilement réalisables pour qu'ils n'aient pas la tentation de les réaliser. On fait observer de plus que grâce à la proximité de la frontière, les ouvriers qui se retirent sances étrangères; les recrues qui nous arrivent par ce moyen, ne sont pas après tout si négligeables; car au lieu d'altérer l'esprit national, elles le fortifient par une assimilation prompte et complète. Mais enfin, en 1902, 4,946 majeurs seulement ont été naturalisés et quelle est encore, dans ce nombre, la proportion des ouvriers? On s'explique des lors l'agitation qui s'est produite. On peut cependant la trouver excessive et déclarer que malgré tout, elle n'est pas absolument justifiée. Il est inexact de dire en effet que le nombre des ouvriers étrangers sur le sol français va toujours croissant. Pour la France entière il reste à peu près stationnaire, entre 1,001,090 et 1,051,907 de 1881 à 1896. Dans le département du Nord qui à lui tout seul attire plus du quart des étrangers travaillant en France, la décroissance est très marquée. Il semble donc que l'argument tiré de l'accroissement continu ne puisse être invoqué sans exagération. Ces chiffres comprennent prepoque d'ailleurs Tensemble des étrangers et non pas seulement les ouvriers que l'on cherche à atteindre par des mesures particulières et jusqu'à un point contraires à l'égalité et à l'équité. Il résulte d'une statistique établie d'après le recensement de 1896, que dans le million d'étrangers, il y en aurait environ 500,000 rentiers, banquiers, etc., qui ne pourraient être atteints par les prescriptions des projets de loi pré sentés par nos collègues, puisque l'on ne compte dans l'ensemble que 109,000 chefs d'établissements, et 430,000 employés et ouvriers qui seuls sont visés et pourraient être atteints. Les départements où la proportion des ouvriers étrangers est la plus considérable sont situés à l'est de la Saône et du Rhône, et dans la région des chemins de fer du Midi. Un dehors de ces départements il ne reste à signaler que le Nord, la Meurthe-et-Moselle, les Vosges, Belfort, la Côte-d'Or et l'Yonne. Dans l'ensemble des autres départements, l'emploi de la maind'œuvre étrangère est insignifiant. On peut calculer en somme que, pour le travail des particuliers, la proportion doit être à peu près la même que pour les travaux publics, d'après la statistique de 1396. On obtenait alors un nombre compris entre 11 et 12 p. 100 d'ouvriers étrangers, inégalement répartis dans les diverses régions de la France: ce qui revient à dire qu'une loi de protection du travail national ne pourrait être d'un caractère général et que ses effets seraient plutôt régionaux ou locaux et même temporaires. On observe en effet que l'invasion des ouvriers étrangers en France, devient surtout menaçante dans la période des grands travaux qui exigent la mise en mouvement, pour une pé riode limitée, d'une main-d'œuvre abondante et extraordinaire. De là, des crises qui motivent le soir en Belgique, la journée terminée, peu- | les cris d'alarme que nous avons entendus; CHAMBRE ANNEXES. - S. E. - 13 mars 1904. vailleurs avant de se décider à retourner dans leur pays d'origine contribuent à provoquer la baisse des salaires, et c'est là que réside le véritable danger qu'on devrait conjurer. Mais il n'est pas vrai de dire que les patrons poursuivent toujours un but économique en employant des ouvriers étrangers. Il arrive bien souvent que le salaire qu'ils leur allouent est égal à celui des ouvriers français. C'est la nécessité, il faut le reconnaître, qui oblige, dans bien des cas, les patrons à recourir, faute de mieux, à la main-d'œuvre étrangère. Il n'est un mystère pour personne que la population française est loin d'augmenter dans la proportion qu'exigerait le développement de notre activité productive. Il serait donc excessif de faire les étrangers seuls responsables des chômages et des pénuries de travail, tant de fois signalés. Ces maux tiennent à d'autres causes d'ordre plus général, qu'il conviendrait d'envisager avec courage, plutôt que de s'attarder à susciter des jalousies et des haines après tout impuissantes. Avouons au contraire que la main-d'œuvre étrangère est un complément. utile et souvent indispensable. Les ouvriers étrangers apportent un concours précieux au développement de l'industrie nationale, et par suite à la prospérité dont profite la maind'œuvre locale. Il convient enfin de ne pas oublier que l'invasion de la main-d'œuvre étrangère est en partie consequences qui frappe les produits manufacturés à l'étranger. En les imposant, le législateur n'a pas entendu interdire en France la production de ces produits. Il était plutôt dans ses intentions d'attirer en France l'industrie étrangère, avec tous ses moyens de production, et parmi ces moyens, la main-d'œuvre étrangère doit être considérée comme un des facteurs importants. im Est-il donc sage, dans un pays comme la France qui a le souci de sa prospérité, qui désire voir grandir son industrie, étendre son commerce, tirer parti des richesses de son sol, de repousser l'aide qui lui vient de l'étranger? Par ces considérations, nous avons essayé de ramener le mal signalée à de justes proportions Nous ne prétendons pas que des précautions ne sont pas nécessaires, dans la mesure que nous vous indiquerons. Mais il ne faut pas perdre de vue que l'agitation produite n'est pas en général suscitée par les milieux où elle serait naturelle. Sauf de très rares exceptions, les syndicats ouvriers et les bourses du travail n'ont pas exprimé leurs doléances. Ils obéissent sans doute aux raisons de sentiment et de principes que nous avons exposées. chambres commerce celles de Lille, de Cambrai, de Versailles, de Charleville, ont combattu tous les protection proposes et réclamé le maintien du statu quo. C'est dans les réunions publiques, surtout à Paris, que se font entendre les plaintes des ouvriers français. Depuis longtemps déjà, chaque fois qu'une question intéressant la classe ouvrière se pose devant le Parlement, des propositions sont faites, sous prétexte de porter remède à ce mal que nous ne voulons ration. Ce sont jusqu'ici des antidotes qui proposés un peu compris d'ailleurs que pour des raisons plutôt politiques qu'économiques, propositions dissimuler, si nous repoussons toute exagéqui sont à tort et à travers. Vous avez tendaient moins à ces conjurer le danger qu'à le signaler. Mais la question est posée intégralement devant vous; il vous convient d'en chercher la solution, si elle est possible. III Le Parlement la cherche depuis longtemps. Sans faire un inutile historique de cette question, qu'il suffise de rappeler les propositions de M. Steenackers dès 1887, de M. Castelin, Lalou, Macherez, Brincard, Hubbard en 1889; de MM. Pradon et Maxime Lecomte de 1889 à 1893. Ces diverses propositions aboutirent au vote de la loi du 8 août 1893 qui a pour rubrique: Loi relative au séjour des étrangers en France et à la protection du travail national. C'était une première re satisfaction, une étape franchie. Pendant la sixième législature la question fut reprise. Elle donna lieu à des discussions très intéressantes auprès de la commission du travail; mais ces discussions n'aboutirent à aucun résultat. M. Descubes fut chargé d'un rapport qui réunit 8 voix contre 7 et fut ensuite retiré par son auteur lui-même qui, après les explicaItions du ministre des affaires étrangères M. Ber 1 thelot, déclara qu'il n'avait plus la foi et re- | migration restriction act de 1901 permet aux nonça à tout rapport. La commission, ellemème, convainaue par les raisons des adversaires des projets présentés, ne songea pas à nommer un nouveau rapporteur. A la 7e légisNature, ce fut une série de projets; celui de M. Chiché, de M. Brice, de M. Magniaudé, de M. Holtz et de M. Coutant. Icı un résultat fut obtenu la commission se mit d'accord sur un projet de loi et chargea M. Haussmann d'un rapport qui fut distribué et ne put être discuté par suite du décès du rapporteur. D'ailleurs les décrets du 10 août 1899 donnèrent sur un point satisfaction en limitant pour les travaux publics et les chantiers de 'Etat, des départements et des communes, la proportion des ouvriers étrangers. Mais ni la loi de 1893, ni les décrets du 10 août 1899 n'ont paru suffisants, puisque la question est de nouveau présentée devant nous par le dépôt de trois projets, celui de M. Grosjean, de M. Emile Chauvin, de M. Coutant et de M. Defontaine, sans compter l'amendement à la loi de finances présenté par M. Dubuisson, avec l'addition de M. Carnaud. Tous ces projets, ceux d'aujourd'hui, comme ceux d'hier, aboutissent à peu près aux mêmes conclusions. La difficulté de la question se manifeste par l'indigence ou le manque de variété dans les solutions. Il est vrai que le champ pour les auteurs de projets est devenu de plus en plus limité. C'est ainsi qu'ils ont dû renoncer à la taxe directe sur les ouvriers étrangers. Sur ce point, la discussion qui s'engagea devant la commission de la sixième législature ne fut point stérile. si elle ne put aboutir au dépôt d'un projet. M. Berthelot, alors ministre des affaires étrangères, appelé devant la commission, faisait ressortir que plusieurs traités portent que les ressortissants des puissances contractantes sont soumis aux mêmes traitements que les nationaux. D'autres puissances ont le même avantage en raison de la clause de la nation la plus favorisée. C'était donc exposer nos nationaux à des représailles. Sans doute ils sont moins nombreux que les étrangers chez nous; mais notre colonie dépasse 500,000 personnes parmi lesquelles des ouvriers agricoles, des cuisiniers, et des prolétaires intellectuels comme ingénieurs, professeurs, médecins qui auraient subi le contre-coup violent de la taxe établie en France. C'est ainsi que la taxe directe sur les ouvriers a été abandonnée par les auteurs des projets que nous avons à examiner. IV MM. Grosjean, Chauvin et Dubuisson, se reJettent sur la taxe frappant les patrons et sur la limitation proportionnelle. M. Coutant accepte encore cette dernière mesure, dans son projet, qui contient d'ailleurs une autre proposition que nous aurons à examiner. Mais qui ne voit, à première vue, que les objections d'ordre international soulevées par la taxe directe sur les ouvriers peuvent être faites à n'importe quel projet de réglementation? Sans doute la taxe sur les patrons, et peut-être même la limitation de proportion ne sont pas contraires aux traités. Mais ne donneront-elles pas lieu à des représailles? M. Grosjean la si bien compris qu'il s'efforce de démontrer, dans son exposé des motifs, que les nations étrangères nous ont donné le droit de protéger nos ouvriers nationaux comme elles protègent les leurs. C'est à des représailles qu'il nous convie nous-mêmes, montrant par là que la protection en ces matières aboutit toujours un surcroît de misère pour une partie de la classe prolétarienne, la plus malheureuse, celle qui va au dehors chercher les moyens d'existence que la patrie est impuissante à lui fournir. C'est ainsi que M. Grosjean cite les EtatsUnis qui, adoptant le principe de la limitation des ouvriers étrongers, refusent l'accès de leur territoire à ceux qui, dès avant leur arrivée en Amérique, avaient conclu un contrat de travail doi du 26 février 1885). Voyez, d'ailleurs, en passant la restriction apportée au principe. M. Grosjean ajoute que la Hollande a adopté le même principe de la limitation; que la Prusse (loi du 3 juillet 1876 non abrogée) a établi sur diverses catégories d'étrangers, à raison de leur profession, des taxes variant de 48 à 384 marks (60 à 480 fr.). Il aurait pu ajouter que le gouvernement fédéral de l'Australie a fait sanctionner par une loi l'étrange prétention qui consiste à fermer l'entrée du pays aux nouveaux immigrants, non jugée désirable. Lim autorités compétentes d'imposer à qui que ce soit, comme condition sine qua non de son admission même temporaire sur le sol des Etats, l'exécution d'une dictée de cinquante mots dans une langue européenne quelconque choisie par elles. C'est dire qu'elle ont la faculté d'exclure n'importe qui. A moins d'être polyglotte, il est, en effet, difficile, d'échapper à Tintransigeance de cette loi. Voilà où l'on en arrive dans la voie de la protection qui, en cette matière, se rabat le plus souvent sur des artifices de législation ou des mesures de police plus ou moins ingénieuses. Il resterait à rechercher si les Etats-Unis et la Prusse, comme l'Australie, n'ont pas obéi à des raisons particulières, comme le péril jaune, le péril polonais, le péril causé par le voisinage d'une colonie pénitentiaire ou simplement l'esprit de caste, si ce n'est la nécessité de former ou de renforcer l'esprit national dans des nations jeunes; car il est à remarquer que toutes ces mesures prohibitives ne s'étendent pas à une catégorie d'étrangers comme celles que l'on nous propose, mais à tous les émigrants de toute catégorie; par là, elles rappellent celles qui furent prises contre nos nationaux en Alsace-Lorraine; elles soulevèrent l'opinion publique et répugnent à notre conscience française. On pourrait ajouter qu'outre les représailles auxquelles nous devrions nous attendre, atteignant directement nos nationaux à l'étranger, des mesures de ce genre, dans la période de protectionnisme outrancier où nous sommes, pourraient amener certaines puissances, comme les Etats-Unis, la Suisse et la Belgique à répondre à une loi de protection du travail national par une loi frappant d'impôts nouveaux les produits français. Aujourd'hui, par exemple, bien que le nombre des Anglais (40,000 environ), travaillant en France, ne soit pas considérable par rapport à celui des étrangers d'autres nationalités, ce serait un encouragement et comme un nouvel élan donné aux projets de M. Chamberlain qui est homme à profiter de tous les arguments que nous lui donnerons pour fermer les côtes de son pays à nos produits. Il est inutile d'insister pour montrer l'impossibilité où nous sommes de frapper même indirectement, par les moyens que l'on nous propose, la main-d'œuvre étrangère sans souffrir nous-mêmes de la loi que nous aurions votée. Mais si nous abandonnons le point de vue international, n'y a-t-il pas des arguments d'ordre économique à opposer à la taxe sur les patrons, et à la limitation proportionnelle, en dehors des objections particulières que l'on peut faire à l'un et à l'autre de ces systèmes. Il apparaît d'abord qu'il ne serait pas possi ble de formuler une loi de droit fixe et d'une application facile. Nous ne nous suffisons pas à nous-mêmes pour certains travaux. Il en est de spéciaux pour lesquels nous sommes contraints de faire appel à des compétences particulières. On peut citer les ouvriers peintres italiens et les tuiliers de Belgique, les paveurs, les céramistes, les fumistes, les verriers, etc. Ici, la main-d'œuvre étrangère est absolument indispensable tant que nous n'aurons pas formé d'ouvriers en nombre suffisant pour remplacer le personnel étranger. Serait-il conforme aux intérêts du pays de frapper d'ostracisme des travailleurs qui peuvent apporter en France une industrie ou des procédés nouveaux ? Il faudrait tenir compte aussi de ce fait observé, que la main-d'œuvre étrangère n'afflue que là où manque la main-d'œuvre française. Qui peut affirmer que le commerce, l'industrie et l'agriculture peuvent se contenter de la main-d'œuvre exclusivement nationale? Il est des industries et des régions agricoles dans lesquelles elle est insuffisante, quand elle ne fait pas complètement défaut. Une statistique, entre autres, est curieuse à signaler. La chambre syndicale des entrepreneurs des travaux de batiments de l'arrondissement de Lille rétablit ainsi. Par chef d'entreprise: Terrassiers, aucun onvrier français. Maçons: 45 p. 100 d'étrangers; tailleurs de pierres bleues: 90 p. 100; de pierres blanches: 50 p. 100; menuisiers et charpentiers: 25 p. 100; plafonniers: 60 p. 100; couvreurs et zingueurs: 10 p. 100; peintres: 25 p. 100. On peut ajouter que l'abondance de la main-d'œuvre a été pour certaines régions, comme le Nord, un des grands facteurs de leur puissance industrielle et agricole, et que d'autres régions ont été condamnées à Timpuissance par la difficulté de se procurer la maind'œuvre. Il y a aussi certaines besognes inférieures auxquelles nos ouvriers ne consentent pas volontiers. A Toulon, à Menton, il n'y a que des étrangers pour décharger les navires; les travaux de terrassement sont délaissés par nos ouvriers et dans la plus grande partie de la France, abandonnés aux Piémontais. aux Belges, aux Espagnols. Il y a des travaux de durée limitée; les uns de durée journalière, comme le déchargement d'un navire. Y aura-t-il perception de la taxe pour chaque journée? Faudra-t-il diviser l'impôt par trentieme? Qui tiendra une comptabilité aussi ussi compliquée? Les inspecteurs du travail pourront-ils la vérifier? Et s'il s'agit de la limitation proportionnelle, qui pourra la déterminer d'avance? Il y a enfin des travaux d'une durée de quinzaine ou mensuelle, comme le binage, l'arrachage des betteraves dans le Nord, les vendanges dans le Midi, la moisson en Corse, en Normandie, etc. Il s'agit d'un travail rapide qui ne peut attendre et qui a besoin d'une mullitude de bras. L'invasion momentanée des ouvriers étrangers correspond a une nécessité imposée par l'absence du personnel local. La taxe sera, dans ce cas, vexatoire; ce sera une augmentation de charges pour les sucriers, les viticulteurs et les propriétaires corses. Est-il possible, d'un autre côté, de déterminer d'avance la proportion? N'y a-t-il pas avantage, dans ce cas, d'augmenter le nombre des ouvriers? Ici, la proportion ne peut être établie; il y a une impossibilité absolue. N'y a-t-il pas enfin toute une catégorie de prolétaires difficile à atteindre, comme les domestiques, les employés, les traducteurs, les interprètes, etc., en particulier, par la limitation de proportion? En fin de compte, on ne pourra, par les mesures de la taxe et de la proportion, frapper qu'une catégorie limitée de patrons employant des travailleurs étrangers dans les usines, les chantiers, les exploitations commerciales ou industrielles, où la proportion peut être facilement établie et la taxe rigoureusement appliquée; ce sera, en quelque sorte, une loi d'exception n'atteignant qu'une catégorie déterminée de prolétaires étrangers et par là même impuissante à supprimer le mal et contraire à Téquité. Mais il y a plus; ces mesures inefficaces et arbitraires ne se retourneront-elles pas contre la classe ouvrière tout entière, soit que l'on considère le système de la taxe directe et de la limitation proportionnelle à un point de vue général, soit que l'on les envisage sous un point de vue particulier? Au point de vue général, il est facile de se rendre compte que toute mesure restrictive aura pour conséquence la nécessité de soumettre l'ensemble des prolétaires à une sorte de surveillance attentatoire à leur liberté et à leur dignité. Il ne faudra pas s'étonner que le patron prenne ses précautions pour éviter les pénalités portées contre lui en cas de contravention, soit pour la taxe, soit pour la limitation. Redoutant la supercherie et la fraude dont il serait la victime, il exigera de tous les ouvriers la justification de leur nationalité et aura le droit de se montrer difficile. C'est le retour à un régime justement aboli, le régime du livret, dans des conditions d'autant plus vexatoires que la preuve de la nationalité est toujours difficile à faire, dans les contrats particuliers en dehors de l'intervention des consuls. Que sera-ce quand il s'agira de l'établir sur les pièces généralement sommaires que possèdent des ouvriers nomades? M. Grosjean la bien compris, aussi prévoit-il les cas de fausses déclarations, de certificats ou autres pièces écrites fausses ou falsifiées, de suppositions de nom de tout autre procédé frauduleux, contre t des pénalités redoutables ou lesquels il prescrit pour l'ouvrier lui-même, si, sous le coup de poursuités, provoquées par des préventions difficiles à justifier, il n'était sûr d'être couvert, par l'impossibilité où seraient les juges de faire la preuve de son délit, après des enquêtes illusoires et en tous cas injurieuses. Il n'est pas besoin d'insister davantage sur cette conséquence générale découlant d'ailleurs de tout système de protection qui entraîne avec lui les modes les plus variés de surveillance et même d'inquisition. VI Mais voici les conséquences particulières de chacun des deux systèmes. La taxe sur les employeurs a varié, suivant les projets présentés. Les uns demandaient une tare mensuelle de 5 fr., soit 60 fr. par an; d'autres la voulaient de 72 fr. par an, dans les villes d'une population de plus de 100,000 âmes. porte à 60 fr. et à 100 fr., et M. Grosjeau à 172 fr. 50, à raison de 50 centimes par jour. Cette variété même dans la fixation de la taxe montre qu'elle ne peut être établie sur des bases équitables et qu'elle repose sur l'arbitraire, ou la fantaisie de ceux qui la préconisent. Mais cette taxe aussi élevée qu'on la voudra, ou pour mieux dire à mesure qu'elle sera plus élevée pour être efficace, ne se retournerat-elle pas contre l'ouvrier qui sera contraint par les patrons d'en tenir compte dans son contrat de louage et dans l'établissement de son salaire ainsi diminué. M. Coutant l'a démontré dans son exposé des motifs. Notre collègue reprenait, sous une forme plus affirmative, l'argument présenté par M. Develle, ministre ces affaires étrangères dans la séance du 6 mai 1893. « C'est atteindre, disait-il, l'o uvrier étranger d'une façon indirecte que d'imposer une taxe au patron, car, celui-ci pourrait le rejeter sur l'ouvrier; ce serait une taxe indirecte et hypocrite. » C'est une hypothèse dit M. Chauvin; la loi doit tenir compte, quoi quoi qu'il en dise, des évéments incertains qui, dans l'espèce, peuvent trop facilement et pour des raisons impérieuses, devenir des événements certains. Mais, supposons que les employeurs n'hésitent pas à payer par eux-mêmes la taxe imposée, on peut, sans contradiction, soutenir que l'écart des salaires qu'ils payeraient aux étrangers, même avec l'aggravation de la taxe, serait, tel qu'ils auraient encore avantage à employer la maind'œuvre étrangère. Ce qui incite les patrons à occuper des ouvriers étrangers, ce n'est pas seulement le plus ou le moins de bénéfice que cette manœuvre lui procure, c'est le fait seul qu'elle procure un bénéfice, avec plus de sécurité dans le travail. La mesure proposée n'atteindrait donc pas son but; elle serait, au contraire, dangereuse. Et c'est ainsi qu'on peut répondre à la question posée dans l'exposé des motifs du projet de notre collègue Coufant; cette taxe n'aurait-elle pas sa répercussion sur nos compairiotes tant exploités? On peut répondre que cette taxe aurait fatalement pour conséquence l'abaissement du tarif général. Du jour, en effet, où le patron pourra s'abriter derrière un texte de loi, dissiper les scrupules qui peuvent encore le retenir, par le pavement de la taxe imposée, pourquoi ne donnerait-il pas la préférence à l'ouvrier étranger qui lui procure un bénéfice sur l'ouvrier français, à ses yeux toujours trop exigeant? Il faut bien avouer que certains patrons se préoccupent encore, en dehors de leur intérêt égoïste, de favoriser l'élément français, tout en se plaignant des exigences toujours renouvelées qu'il lui prête. Une fois la taxe établie, pourquoi ne profiteraient-ils pas de la tranquillité que donne le respect de la loi, pour donner satisfaction à l'esprit de lucre et obéir aux exigences de la concurrence? Nos collègues savent d'ailleurs qu'un grand nombre d'ouvriers français consentent å travailler au-dessous du tarif moyen; dans certaines régions il n'existe pas d'autres tarifs que ceux qu'il plaît aux patrons d'imposer, tarifs variables à l'infini. En dehors de l'injustice qu'il y aurait à laisser le patron indemné, dans ces cas, ne voit-on pas qu'en lui donnant par une loi le choix légitime entre l'étranger et le français, dans des conditions si défavorables pour le travail, on met entre ses mains une arme dont il saura profiter: « c'est à prendre ou à laisser », dira-t-il à l'ouvrier français qui ne voudra pas accepter le salaire inférieur proposé. L'étranger acceptera et même avec la taxe, le patron sûr d'un embauchage à bénéfice pour lui, n'hésitera plus dans ses préférences. M. Garnaud a prévu cette conséquence de la taxe indirecte et a prétendu y parer par une addition à l'amendement de M. Dubuisson. Il frappe d'un emprisonnement de six jours à un mois ou d'une amende de 100 à 1,000 francs, tout patron convaincu d'avoir retenu sur le salaire des ouvriers français tout ou partie de l'impôt qu'il payera par tête d'ouvrier étranger. Mais le patron n'embauchera que l'ouvrier français acceptant ses conditions, sans considérer les raisons qui les dictent, ou bien il se passera de l'ouvrier français et favorisera l'in échappera aux pénalités prévues par M. Car- | contre-coup fatal, ce sera alors l'abaissement du naud. La limitation proportionnelle, dira-t-on, qui est le corollaire indispensable de la taxe sur les patrons pourra empècher ces abus. Rien de plus juste, si ce système n'offrait pas lui aussi de graves inconvénients qui lui sont particuliers et qu'il nous faut examiner. Plusieurs des auteurs de propositions sont d'accord pour fixer cette proportion oportion à 10 p. 100; or, la proportion de l'élément étranger est de 11 à 12 p. 100, c'est-à-dire que cette limitation donnerait une situation légale à la plus grande partie des ouvriers travaillant en France. Est-ce bien la solution qu'on attendait? on peut se demander encore sur quelle base est établie cette proportion, qui ne répond nullement à la situation économique du pays. Trop forte pour certaines régions et certains travaux, elle ne répond pas aux nécessités des autres La statis tique que nous avons empruntée à la chambre syndicale des entrepreneurs de travaux de bâtiments de l'arrondissement de Lille est significative, sur ce point. Il y a intérêt encore à consulter les rapports des préfets, relatifs à l'application des décrets du 10 août 1899, en ce qui concerne la limitation du nombre des ouvriers étrangers dans les travaux de l'Etat, du département et des communes. Le préfet des Hautes-Alpes fixe cette proportion à 25 p. 100 pour les travaux de terrassement, maçonnerie et platrerie à 10 p. 100 pour les autres travaux. Celui de la Corrèze s'en tient à 20 p. 100. Pour les Côtes-du-Nord, les cahiers des charges prévoient depuis l'année 1900 la limitation à 10 p. 100; elle est de 10 à 20 p. 100 dans la Creuse, de 20 à 25 p. 100 dans l'Isère, de 5 p. 100 dans le Maine-et-Loire, de 30 p. 100 pour les maçons et de 10 p. 100 pour les ouvriers des autres professions, dans le territoire du HautRhin; enfin dans la Seine-Inférieure, le conseil général estime qu'il est inutile de réglementer le nombre des ouvriers étrangers, dans un département où ceux-ci sont en très petit nombre. Comment serait-il possible dans cette confusion d'établir un chiffre quelconque dans la loi, sans se heurter à des impossibilités d'application. M. Grosjean a prévu l'objection; il s'est bien gardé de chiffrer la proposition; il laisse aux conseils du travail, ou à leur défaut aux commissions départementales instituées par l'article 24 de la foi du 2 novembre 1894 sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes, le soin de la déterminer. Les décisions seraient rendues obligatoires par un arrêté préfectoral qui fixerait le délai dans lequel elles entreraient en vigueur. La solution est ingénieuse, bien qu'elle comporte des précautions infinies et des prescriptions d'une application difficile. On pourrait dire encore que M. Grosjean étend singulièrement les attributions des conseils du travail et surtout des commissions départementales. N'est-ce pas encore ouvrir la porte à des interprétations, des abus de pouvoir même, en mettant à la merci d'une décision qui pourrait être trop prompte ou de parti pris le travail des usines, ateliers, manufactures, chantiers, etc.? Ne gênerait-elle pas à l'occasion la rapidité d'exécution des travaux, si elle comporte des recours, dans des cas particuliers ou exceptionnels. Mais nous n'insisterons pas: la limitation proportionnelle, comme la taxe elle-même, aura une répercussion certaine sur le travail national, encouragera l'invasion des étrangers et aggravera ainsi le mal qu'on veut empêcher. Il faut considérer en effet que les patrons, si la limitation était admise, auraient le droit, dans une proportion déterminée, de traiter à des conditions avantageuses pour eux, avec l'ouvrier étranger, si un minimum de salaire n'est pas fixé, et nous ne trouvons pas cette prescription dans le projet de M. Grosjean. En tout cas, les patrons auraient un moyen facile de s'affranchir, dans les limites de la proportion devenue légale, de la tutelle des syndicats, ou même de toute intervention de leurs ouvriers étrangers, puisque l'expulsion, toujours menaçante pour eux, les garantirait contre toute agitation ou toute grève. Et ce n'est pas tout. Non seulement la limitation proportionnelle deviendrait une sorte de garantie pour les patrons désireux d'employer la main-d'œuvre étrangère, mais, par un effet probable, sinon certain, elle serait protectrice vis-à-vis des étrangers qu'elle comptait détourner. M. Grosjean a voulu faire la part du feu; mais, il n'a pas vu que, grâce à ce droit au travail que la loi concédera aux étrangers, dans des proportions variant à l'in vasion des étrangers et, par ces deux moyens | fini, leur salaire pourra augmenter et par un salaire général; les patrons, en effet, ne serontils pas tentés de se recupérer de l'augmenta tion du salaire des ouvriers étrangers, par l'abaissement du salaire de leurs ouvriers, non pas dans les cas particuliers visés par M. Dubuisson, mais dans l'ensemble des contrats de louage? Mais peut-être que le salaire des ouvriers étrangers n'augmentera pas: comment alors empêcher qu'ils aient cette espérance, puisqu'ils auraient une part bien déterminée dans la répartition du travail national? Ce sera, dans ce cas, une invasion plus grande, et l'offre devenue plus abondante avec le chômage accru et la mesure la plus pitoyable, celle du prolétaire chassé de sa patrie par le besoin, déçu dans ses recherches, errant sans attaches, sans relations, dans un pays qu'il ne connaît pas. Et pour les ouvriers français ce sera la perspective de trouver la place prise dans des industries et des régions ou la main-d'œuvre étrangère était inconnue, la limitation lui donnant le droit de s'infiltrer partout à l'heure même où le conflit du travail et du capital encourage le patron à chercher ce qu'il appelle sa sécurité ou sa tranquillité dans cette partie des travailleurs qu'il aurait le droit de croire plus disciplinés, et en tout cas plus menacés par les lois de police qui règlent si facile ment la situation des étrangers. VII Il résulte de cette analyse que le système de la taxe indirecte sur les patrons ne saurait pas plus être admis que celui de la taxe directe sur les ouvriers étrangers; que le système de la proportion ne saurait être appliquée aux travaux des particuliers sans de graves inconvénients qui auraient fatalement leur répercussion sur le travail national. On pourrait en dire autant d'un autre système qui ne nous a pas été présenté, mais qui pourra être proposé à la Chambre. Il s'agirait d'une patente nouvelle qu'on appliquerait aux patrons employant des ouvriers étrangers. Mais en quoi cette patente se différencierait-elle de la taxe sur les patrons ? Elle nous exposerait aux mêmes représailles de l'étranger; elle ne pourrait s'appliquer sans injustice aux patrons qui occuperaient des ouvriers pour des travaux spéciaux, pour les besognes inférieures dont j'ai parlė, pour les travaux de durée limitée, enfin pour ses travaux effectués isolément. Il faudrait, dans ce dernier cas, créer des catégories nouvelles de patentables, pour ceux, par exemple, qui vont chercher à l'étranger des bonnes, des domestiques, des jardiniers, des traducteurs, etc. La patente aurait encore les mêmes répercussions que la taxe sur le travail national, et devrait avoir pour corollaire la limitation proportionnelle dont je me suis efforcé de vous montrer les graves inconvénients qui aboutissent en dernière analyse à une aggravation de la situation actuelle. Faut-il vous parler encore de l'article 1er du projet de M. Grosjean et de l'amendement de M. Dubuisson, qui demandent qu'il soit interdit de travailler sur le territoire de la République à tout étranger qui ne justifiera pas qu'il a rempli ses obligations militaires à l'égard de son pays? En définitive, cet article empêche tout ouvrier étranger de travailler avant l'âge de vingt-quatre ou vingt-cinq ans. Pourquoi cette limite arbitraire? L'accepterions-nous pour nos nationaux à l'étranger? Car il y a bien des raisons qui obligent quelquefois un homme à s'expatrier avant vingt-quatre ou vingt-cinq ans. Est-ce à nous par exemple de rechercher les raisons qui ont poussé un étranger à se dérober au service militaire? Pourquoi ne pas demander l'extradition du déserteur, si l'on ne veut pas lui donner les moyens de vivre par son travail? Ce serait le bouleversement du droit international. Et enfin, cet article, sur lequel je n'insiste pas, empêcherait de travailler les jeunes gens de moins de vingt ans, dont les pères étrangers, avec qui ils sont pourtant. obligés de vivre, auraient satisfait aux obliga tions militaires. VIII Que reste-t-il alors comme remède au mal tant de fois signalé? N'y a-t-il aucune solution à cette question qui est posée devant nous et qui a tant de fois préoccupé le législateur? Il n'y en a qu'une seule, il faut avoir le courage de le dire; c'est la fixation d'un salaire égal pour tous les ou |