lation pour la vertu, de ces exercices laborieux et guerriers, il n'en resta point la moindre trace; Cyrus qui avoit été si bien élevé, ne prit pas assez de soin pour donner une éducation semblable à la sienne à Cambyse son fils, successeur d'un si vaste empire. Darius, fils d'Hystaspe, qui d'une vie privée fut élevé sur le trône, apporta de meilleures dispositions à la souveraine puissance, et fit quelques efforts pour réparer les désordres; mais la corruption étoit déjà trop universelle, l'abondance avoit introduit trop de déréglemens dans les mœurs; Darius n'avoit pas luimême conservé assez de forces pour être capable de redresser tout-à-fait les autres; tout dégénéra sous ses successeurs, et le luxe des Perses n'eut plus de mesure. Mais encore que ces peuples devenus puissans eussent beaucoup perdu de leur ancienne vertu, en s'abandonnant aux plaisirs, ils avoient toujours conservé quelque chose de grand et de noble. ce Que peut-on admirer davantage que l'horreur qu'ils avoient pour le mensonge, qui passa toujours parmi eux pour un vice honteux ! après le mensonge qu'ils trouvoient de plus lâche étoit de vivre d'emprunt, une telle vie leur paroissoit honteuse, fainéante, servile, et d'autant plus méprisable, qu'elle portoit à mentir: l'ingratitude étoit regardée comme un vice indigne d'une belle ame; la générosité leur étoit naturelle; ils traitoient honnêtement les rois qu'ils avoient vaincus, et pour peu que les enfans de ces princes fussent capables de s'accommoder avec les vainqueurs, ils les laissoient commander dans leurs états avec toutes les marques de leur ancienne grandeur; les Perses étoient honnêtes, civils envers les étrangers; les gens de mérite étoient connus parmi eux et ils n'épargnoient rien pour se les attirer. : Il est vrai qu'ils ne sont pas arrivés à la connoissance parfaite de cette sagesse qui apprend à bien gouverner; leur grand empire fut toujours régi avec quelque confusion; ils ne surent jamais trouver ce bel art d'unir toutes les parties d'un grand état, et d'en faire un tout parfait, aussi n'étoient-ils presque jamais sans quelques révoltes considérables; ils n'étoient cependant point sans politique. Les règles de la justice étoient connues parmi eux ; ils ont eu de grands rois qui les faisoient observer avec une exactitude admirable; les crimes étoient sévèrement punis; ils avoient grand nombre de belles loix, venues presque toutes de Cyrus et de Darius Histaspe, ils avoient des maximes de gouvernement, des conseils réglés pour les maintenir, et une grande subordination dans tous les emplois. Les ministres devoient être instruits des anciennes maximes de la monarchie; le registre que l'on tenoit des choses passées servoit de règle à la postérité; on y marquoit les services que chacun avoit rendus, de peur qu'à la honte du prince et au grand malheur de l'Etat, ils ne demeurassent sans récompense. Un des premiers soins du prince étoit de faire fleurir l'agriculture, et les satrapes ou gouverneurs dont le pays étoit le mieux cultivé, avoient la plus grande part aux graces; comme il y avoit des charges établies pour la conduite des armes, il y en avoit aussi pour veiller aux travaux domestiques; c'étoient deux charges semblables dont l'une prenoit soin de garder l'Etat, l'autre de le cultiver et de le nourrir. Après ceux qui avoient remporté des avantages à la guerre, les plus honorés étoient ceux qui avoient élevé beaucoup d'enfans; le respect que l'on inspiroit aux Perses dès leur enfance pour l'autorité royale, alloit jusqu'à l'excès, puisqu'ils y mêloient de l'adoration; et ils paroissoient plutôt des esclaves que des sujets soumis par raison à un empire légitime; c'étoit l'esprit des orientaux, et peut-être que le naturel vif et violent de ces peuples, demandoit ce gouvernement ferme er absolu. La manière dont on élevoit les enfans des rois est admirée par Platon, et proposée aux Grecs comme le modèle d'une éducation parfaite; dès l'âge de sept ans on les tiroit des mains des eunuques pour les faire monter à cheval, et les exercer aux fatigues de la chasse ; à l'âge de quatorze ans, lorsque l'esprit commence à se former, on mettoit auprès d'eux quatre hommes des plus vertueux et des plus sages de l'Etat, le premier leur apprenoit le culte des dieux; le second les accoutumoit à dire la vérité et. à rendre la justice; le troisième leur apprenoit à ne se pas laisser vaincre par la volupté, afin d'être toujours libres et vraiment rois, maîtres d'eux-mêmes et de leurs desirs; le quatrième fortifioit leur courage contre la crainte qui en eût fait des esclaves, et leur eût ôté la confiance si nécessaire dans le commandement. Les jeunes seigneurs étoient élevés avec les enfans du roi; on prenoit un soin particulier qu'ils ne vissent ni n'entendissent rien de malhonnête; on rendoit compte au roi de leur conduite, qui ordonnoit en conséquence les punitions ou les récompenses. La jeunesse qui les voyoit apprenoit de bonne-heure, avec la vertu, la science d'obéir et de coinmander. Avec une si belle institurion que ne devoit on point espérer des rois de Perse et de leur noblesses si l'on eût eu autant de soin de les bien conduire dans les progrès de leur âge qu'on en avoit de les bien ins truire dans leur enfance? Mais les mœurs corrompues de la nation, les entraînoient bientôt dans les plaisirs, contre lesquels nulle éducation ne peut tenir, il faut pourtant confesser que malgré cette mollesse ils ne manquoient point de valeur; les Perses s'en sont toujours piqués et ils en ont donné d'illustres marques. L'art militaire avoit chez eux la préférence qu'il méritoit, comme celui à l'abri duquel tous les autres peuvent s'exercer en repos. Mais jamais ils n'en connurent le fond, ni surent ce que peuvent dans une armée la sévérité, la discipline, l'arrangement des troupes, l'ordre des marches et des campemens, et enfin une certaine conduite qui fait remuer ce grand corps sans confusion et à propos; ils croyoient avoit tout fait quand ils avoient ramassé sans choix un peuple im mense, qui alloit au combat assez résolument, mais sans ordre, et qui se trouvoit embarrassé d'une multitude infinie de personnes inutiles que le roi et les grands traînoient après eux seulement pour le plaisir; car leur mollesse étoit si grande, qu'ils vouloient trouver dans l'armée la même magnificence et les mêmes délices que dans les lieux où la cour faisoit sa demeure ordinaire, de sorte que les rois marchoient accompagnés de leurs femmes, de leurs concubines, de leurs esclaves et de tout ce qui servoit à leur plaisir, la vaisselle d'or et d'argent, les meubles précieux suivoient dans une abondance prodigieuse, et enfin tout l'attirail que demande une telle vie. Une armée composée de cette sorte, et déja embarrassée de la multitude excessive de ses soldats, étoit surchargée par le nombre infini de ceux qui ne combattoient point; dans cette confusion on ne pouvoit se mouvoir de concert ; les ordres ne venoient jamais à tems, et dans une action tout alloit comme à l'avanture, sans que personne fût en état de pourvoir à ce désordre ; joint encore qu'il falloit hâter les opérations, passer rapidement 1 dans un pays; car ce corps immense et avide nonseulement du nécessaire, mais encore de ce qui servoit au plaisir, consumoit tout en peu de tems, et l'on a peine à compendre d'où il pouvoit tirer sa subsistance. Cependant avec ce grand appareil les Perses étonnoient les peuples qui ne savoient pas mieux faire la guerre qu'eux; ceux même qui la savoient, se trouvèrent ou affoiblis par leurs propres divisions, ou accablés par la multitude de leurs ennemis, et c'est parlà que l'Egypte toute superbe qu'elle étoit de ses antiquités, de ses sages institutions et des conquêtes de son Sésostris, devint sujette des Perses; il ne leur fut pas mal-aisé de dompter l'Asie mineure, ni même les colonies grecques que la mollesse de l'Asie avoit corrompues; mais quand ils vinrent à la Grèce même, ils trouvèrent ce qu'ils n'avoient jamais vu : une milice réglée, des chefs entendus, des soldats accoutumés à vivre de peu, des corps endurcis au travail, que la lutte et les autres exercices de ce pays rendoient adroits; des armées médiocres à la vérité, mais semblables à ces corps vigoureux où tout est plein d'esprit, où il semble que tout soit nerf, au reste si bien commandées et si souples aux ordres de leur généraux, qu'on eût cru que les soldats n'avoient tous qu'une même ame tant on voyoit d'harmonie dans leurs mouve mens. Mais ce que la Grèce avoit de plus grand étoit une politique ferme et prévoyante, qui savoit abandonner, hasarder et défendre ce qu'il falloit, et ce qui est plus grand encore, un courage que l'amour de la liberté et celui de sa patrie rendoient invincible. : Les Grecs, naturellement pleins d'esprit et de politesse, avoient été cultivés de bonne-heure par des rois, et des colonies venues d'Egypte, qui s'étant établies |