nation; tout ce qui peut se concevoir doit pouvoir se peindre; c'est là surtout à quoi l'on reconnaît ce qui est poétique et ce qui ne l'est pas; et c'est aussi au plus ou moins de vivacité, de variété, de force, de brillant, de vérité, dans le coloris, que se distinguent les hommes plus ou moins doués du talent de la poésie descriptive. Ainsi le style figuré est une fiction perpétuelle, mais qui ne prend de la consistance que lorsque, de la métaphore, on tire des allégories données et reçues pour des réalités. De là s'est formé le système de la mythologie, celui de la féerie, celui de la magie; et dans ce genre, l'imagination épuisée, semble n'avoir plus guère rien de nouveau à enfanter. Tout son jeu se réduit désormais à varier les combinaisons de ces pièces de la machine poétique; encore n'a-t-elle pas la liberté de les employer à son gré, et la fiction même est soumise à la règle des convenances: Convenientia finge. Mais où l'on peut dire avec La Fontaine, que la feinte est un pays plein de terres désertes, c'est dans les tableaux composés d'après la nature elle-même; car la nature est mille fois plus riche, plus féconde et plus inépuisable que l'imagination. L'imagination même n'en est que le copiste; ses créations ne sont que des singeries de ce que la nature a fait en se jouant. Voyez si aucun poëte a su faire un olympe, un ciel passable au-delà du nôtre. Voyez si Virgile a su trouver autre chose dans les enfers qu'un volcan, des fleuves, des ruisseaux, des bocages; et si, pour éclairer cet autre monde, il ne lui a fallu emprunter notre soleil et nos étoiles : pas Ce n'est donc que de la nature même qu'on peut tirer les moyens de renchérir sur elle, de l'embellir et de la surpasser, en formant des ensembles qu'elle n'a pas formés. Or, composer ainsi, c'est feindre; c'est même, en dernière analyse, la seule fiction possible; car la plus bizarre est encore une sorte de mosaïque dont la nature a fourni toutes les pièces de rapport. Feindre, ce n'est donc autre chose qu'imaginer un composé qui n'existe point, afin de rendre le tableau que l'on peint, plus beau, plus animé, plus intéressant qu'aucun de ses modèles. MARMONTEL. FIDÉLITÉ. gar FIDELITÉ. (Morale.) C'est une vertu qui consiste à der fermement sa parole, ses promesses ou ses conventions, en tant qu'elles ne renferment rien de contraire aux lois naturelles, qui, en ce cas là, rendent illicite la parole donnée, les promesses faites et les engagemens contractés; mais autrement rien ne peut dispenser de ce à quoi l'on s'est engagé envers quelqu'un : encore moins estil permis en parlant, en promettant, en contractant, d'user d'équivoques ou autres obscurités dans le langage; ce ne sont là que des artifices odieux. Les vices ne doivent pas non plus donner atteinte à la fidélité, et ne fournissent point par eux-mêmes un sujet suffisant de refuser à l'homme vicieux l'accomplissement de ce qu'on lui a promis. Lorsqu'un poëte, dit admira blement Cicéron dans ses offices, met dans la bouche d'Atrée ces paroles: «je n'ai point donné et ne donne point ma foi à qui n'en a point; il a raison de faire : par ler ainsi ce méchant roi, pour bien représenter son caractère mais si l'on veut établir là-dessus pour règle générale, que la foi donnée à un homme sans foi est nulle, je crains bien que l'on ne cherche sous ce voile spécieux, une excuse au parjure et à l'infidélité. Ainsi, le serment, la promesse, la parole une fois donnée de faire quelque chose, en demande absolument l'exécution; la bonne foi ne souffre point de raisonnemens et d'incertitude. Elle est la source de presque tout commerce entre les êtres raisonnables : c'est un nœud sacré qui fait l'unique bien de la confiance dans la société de particulier à particulier; car dès l'instant qu'on aurait posé pour maxime qu'on peut manquer à la fidélité sous quelque prétexte que ce soit; par exemple, pour un grand intérêt, il n'est pas possible de se fier à un autre, lorsque cet autre pourra trouver un grand avantage à violer la foi qu'il a donnée. Mais si cette foi est inviolable dans les particuliers, elle l'est encore plus dans les souverains, soit vis-à-vis les uns des autres, soit vis-à-vis de leurs sujets: quand même elle serait bannie du reste du monde, disait l'infortuné roi Jean, elle devrait toujours demeurer inébranlable dans la bouche des princes. Le Chevalier DE JAUCOURT. La fidélité en amour n'est pas la constance, mais c'est une vertu plus délicate, plus scrupuleuse et plus rare. Je dis que c'est une vertu plus rare. En effet, on voit beaucoup d'amans constans; on trouve peu d'amans fidèles. C'est qu'en général les hommes sont plus aisément séduits qu'ils ne sont véritablement touchés. La fidélité est donc cette attention continuelle par laquelle l'amant, occupé des sermens qu'il a faits, est engagé sans cesse à ne jamais devenir parjure, C'est par elle que, toujours tendre, toujours vrai, toujours le même, il n'existe, ne pense et ne sent que pour l'objet aimé; il ne trouve que lui d'aimable. Lisant dans les yeux adorés et son amour et son devoir, il sait que pour prouver la vérité de l'un, il ne doit s'écarter jamais des règles que lui prescrit l'autre. Que de choses charmantes pour l'amant qui est fidèle ! Qu'il trouve de bonheur à l'être, et de plaisir à penser qu'il le sera toujours! Les plus grands sacrifices sont pour lui les plus chers. Sa délicatesse voudrait qu'ils fussent plus précieux encore. C'est la belle Thétis qui désirait que Jupiter, soupirant pour elle, eût encore plus de grandeur, pour le sacrifier à Pelée avec plus de plaisir. La fidélité est la preuve d'un sentiment très-vrai, et l'effet d'une probité bien grande. Il ne faut qu'aimer d'un amour sincère pour goûter la douceur qu'on sent à demeurer fidèle. Passer tous les instans de sa vie près de l'objet qui en fait les charmes, employer tous ses jours à faire l'agrément et le plaisir des siens, ne songer qu'à lui plaire, et penser qu'en ne cessant point de l'aimer, on lui plaira toujours; voilà les idées délicieuses du véritable amant, et la situation enchantée de l'amant fidèle. Je dis encore que la fidélité appartient à une âme honnête. En effet, examinons ce qu'en amour les femmes font pour nous, et nous verrons par là ce que nous devons faire pour elles. Ce qui est préjugé dans l'ordre naturel, devient loi dans l'ordre civil. L'honneur, la réputation et la gloire, pures chimères pour la femme de la nature, sont pour la femme qui vit en société, dans l'ordre le plus nécessaire de ses devoirs. Instruite dès l'enfance de ce que prescrivent ces derniers et de ce qui les altère, quels efforts ne doit-elle pas faire quand elle veut y manquer? que l'on regarde la force de ses chaînes, et l'on jugera de celle qu'il faut pour les briser. Voilà pourtant tout ce qu'il en coûte à la femme qui devient sensible, pour l'avouer. Ajoutez à cet état forcé les craintes de la faiblesse naturelle, et les combats de la fierté mourante. Quelle reconnaissance ne devons-nous donc avoir pas pour de si grands sacrifices! Ce n'est qu'en aimant bien, comme en aimant toujours, que nous pouvons les mériter; c'est en portant la fidélité jusqu'au scrupule, en pensant enfin que les choses agréables, même les plus légères, que l'on dit à l'objet qui n'est pas l'objet aimé, sont autant de larcins l'on fait à l'amour. On voit assez par là qu'il n'y a l'amour vertueux qui puisse donner l'amour que guère que fidèle. M. MARGENCY. |