à la main, paroissoient ensevelis dans une méditation profonde. Euclide me montra quelques traités sur les animaux, sur les plantes, sur les fossiles. Je ne suis pas fort riche en ce genre, me dit-il; le goût de l'histoire naturelle et de la physique proprement dite, ne s'est introduit parmi nous que depuis quelques années. Ce n'est pas que plusieurs plusieurs hommes de génie ne se solent anciennement occupés de la nature; je vous ai montré autrefois leurs ouvrages, et vous vous rappelez sans doute cé discours où le grand-prêtre de Cérès vous donna une idée succincte de leurs systèmes (1). Vous apprites alors qu'ils chercherent à connoître les causes plutôt que les effets, la matiere des êtres plutôt que leurs formes. Socrate dirigea la philosophie vers l'utilité publique; et ses disciples, à son exemple, consacrerent leurs veilles à l'étude de I'homme. Celle du reste de l'univers, suspendue pendant près d'un siecle, et renouvelée de nos jours, procede avec plus de lumieres et de sagesse. On agite, à la vérité ces questions générales qui avoient divisé les anciens philosophes: mais on tâche en même temps de remonter des effets aux causes, du connu à l'inconnu. En con , (1) Voyez le Chapitre XXX de cet ouvrage, séquence, on s'occupe des détails avec un soin particulier, et l'on commence à recueillir les faits et à les comparer. Un défaut essentiel arrêtoit autrefois les progrès de la science; on n'étoit pas assez attentif à expliquer l'essence de chaque corps, ni à définir les termes dont on se servoit: cette négligence avoit fini par inspirer tant de dégoût, que l'étude de la phy sique fut abandonnée au moment précis où commença l'art des définitions, Ce fut au temps de Socrate. A ces mots, Anaxarque et Méton s'approcherent de nous. Est-ce que Démocrite, dit le premier, n'a pas donné des définitions exactes ? Est-ce qu'Empédocle, dit le second, ne s'est pas attaché à l'analyse des corps! Plus fréquemment que les autres philosophes, répondit Euclide, mais pas aussi souvent qu'ils l'auroient dû. La conversation devint alors plus animée: Euclide défendoit avec vivacité la doctrine d'Aristote son ami; Anaxarque et Méton, celle de leurs compatriotes. Ils accuserent plus d'une fois Aristote d'avoir altéré, dans ses ouvrages, les systèmes des anciens, pour les combattre avec avantage. Méton alla plus loin; il prétendit qu'Aristote, Platon, Socrate même, avoin. puisé dans les écrits des Pythagoriciens d'italie et de Sicile, presque tout ce qu'ils ont enseigné sur la nature, la politique et la morale, C'est dans ces heureuses contrées, ajoutat-il, que la vraie philosophie a pris naissance, et c'est à Pythagore que l'on doit ce bienfait. J'ai une profonde vénération pour ce grand homme, reprit Euclide; mais, puisque lui et d'autres philosophes se sont approprié, sans en avertir, les richesses de ['Egypte, de l'Orient et de tous les peuples que nous nommons barbares, n'avionsnous pas le même droit de les transporter dans la Grece ? Ayons le courage de nous pardonner mutuellement nos larcins; ayez celui de rendre à mon ami la justice qu'il mérite. Je lui ai souvent ouï dire qu'il faut discuter les opinions avec l'équité d'une arbitre impartial; s'il s'est écarté de cette regle, je le condamne. Il ne cite pas toujours les auteurs dont il emprunte les lumieres, parce qu'il a déclaré, en général, que son dessein étoit d'en profiter: il les cite plus souvent quand il les réfute, parce que la célébrité de leur nom n'étoit que trop capable d'accréditer les erreurs qu'il vouloit détruire. Aristote s'est emparé du dépôt des connoissances, accru par vos soins et par les nôtres; il l'augmentera par ses travaux, et, en le faisant passer à la postérité, il élevera le plus superbe des monumens non à la vanité d'une école en particulier, mais à la gloire de toutes nos écoles. Je le connus à l'académie; nos liens se fortifierent avec les années, et depuis qu'il est sorti d'Athenes, j'entretiens avec lui une correspondance suivie. Vous, qui ne pouvez le juger que d'après le petit nombre d'ouvrages qu'il a publiés, apprenez quelle est l'étendue de ses projets, et reprochez-lui, si vous l'osez, des erreurs et des omissions. il La nature, qui ne dit rien à la plupart des hommes, l'avertit de bonne heure qu'elle l'avoit choisi pour son confident et son interprete. Je ne vous dirai pas que, né avec les plus heureuses dispositions, fit les plus rapides progrès dans la carriere des sciences et des arts; qu'on le vit, dès sa tendre jeunesse, dévorer les ouvrages des philosophes, se délasser dans ceux des poëtes, s'approprier les connoissances de tous les pays et de tous les temps: ce seroit le louer comme on loue le commun des grands hommes. Ce qui le distingue, c'est le goût et le génie de l'observation; c'est d'allier dans les recherches, l'activité la plus surprenante avec la constance la plus opiniâtre; c'est encore cette vue perçante, cette sagacité extraordinaire qui le conduit, dans un instant, aux résultats, et qui feroit croire souvent que son esprit agit plutôt par instinct que par réflexion; c'est enfin d'avoir conçu que tout ce que la nature et l'art présentent à nos yeux, n'est qu'une suite immense de faits, tenant tous à une chaîne commune, souvent trop semblables pour n'être pas facilement confondus, et trop différens pour ne devoir pas être distingués. De là le parti qu'il a pris d'assurer sa marche par le doute, de l'éclairer par l'usage fréquent des définitions, des divisions et subdivisions, et de ne s'avancer vers le séjour de la vérité, qu'après avoir reconnu les dehors de l'enceinte qui la tient renfermée. Telle est la méthode qu'il suivra dans l'exécution d'un projet qui effraieroit tout autre que lui: c'est l'histoire générale et particuliere de la nature. Il prendra d'abord les grandes masses, l'origine ou l'éternité du monde; les causes, les principes et l'essence des êtres; la nature et l'action réciproque des élémens; la composition et la décomposition des corps. Là seront rappelées et discutées les questions sur l'infini, sur le mouvement, le vide, l'espace et le temps. Il décrira, en tout ou en partie, ce qui existe, et ce qui s'opere dans les cieux, dans l'intérieur et sur la surface de notre globe; dans les cieux, les météores, les distances et les révolutions des planetes, la nature des astres et des spheres auxquelles ils sont attachés; dans le sein de la terre, les fossiles, les minéraux, les secousses violentes qui bouleversent le globe; sur sa surface, les mers, les fleuves, les plantes, les animaux. |