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lent les endroits qui promettent le plus; s'ils font trompés dans leur attente, & que d'autres y ayent été auparavant, ils gagnent ordinairement affez de briques & de décombres, pour se rembourser des frais de leur recherche; parce que les architectes estiment plus ces matériaux anciens que les nouveaux. Mais on suppose que le lit du Tibre est le grand magasin de toutes ces fortes de trésors. Il y a tout lieu de croire, que quand les Romains appréhendoient de voir leur ville saccagée par les barbares, ils ne manquoient pas de jetter dans la riviere ce qu'ils avoient de plus précieux, & qui devoit le moins souffrir de l'eau, sans parler de cet ancien égout qui se rendoit de tous les côtés de la ville dans le Tibre, ni de la violence & des fréquens débordemens de cette riviere, qui ont emporté plusieurs ornemens de ses bords, ni de la quantité de statues, que les Romains mêmes y jettoient, quand ils vouloient se venger d'un méchant citoyen, ou d'un tyran mort, ou d'un favori disgracié. A Rome l'opinion est si générale des richesses de cette riviere, que les juifs ont autrefois offert au pape de la nétoyer, pourvu qu'ils eussent pour récompense ce qu'ils trouveroient au fond. Ils propoferent de faire un nouveau canal dans la vallée près de Ponte-Molle, pour recevoir les eaux du Tibre, jusqu'à ce qu'ils euffent vuidé & nétoyé l'ancien. Le papene voulut pas y confentir, craignant que les chaleurs ne vinssent avant qu'ils eussent fini leur entreprise, & que cela n'apportât la peste. La ville de Rome recevroit un grand avantage d'une telle entreprise; on releveroit ainsi les bords du Tibre, & par conféquent on remédieroit aux débordemens ausquels il est à présent si sujet; car on observe que le canal de la riviere est plus étroit dans la ville, qu'il n'est audeflus & au-dessous.

Après les statues, ce qui surprend le plus à Rome, c'est la grande variété des colonnes de marbre. Comme l'on peut bien supposer que la plupart des anciennes statues ont moins couté à leurs premiers maîtres, qu'à ceux qui les ont achetées depuis, il y a au contraire diverses colonnes qui sont assurément estimées beaucoup moins aujourd'hui qu'elles ne le furent autrefois. Sans parler de ce qu'une grosse colonne, ou de granite ou de marbre serpentin ou de porphyre, doit couter dans la carriere, ou pour son port d'Egypte à Rome, on peut considérer seulement la grande difficulté de la tailler, & de lui donner sa forme, sa proportion & son poli. Tout le monde fait, comme ces marbres résistent à tous les instrumens qui font aujourd'hui en usage. Il vaut mieux croire que les anciens avoient quelque secret pour durcir les taillans de leurs outils, que de recourir aux opinions extravagantes, que l'on a communément, ou qu'ils avoient le secret d'amolir la pierre, ou qu'elle étoit naturellement plus molle au fortir de la roche, ou, ce qui est encore plus abfurde, que c'étoit une composition, & non pas la production naturelle des mines & des carrieres. Quant à la forme de ces anciennes colonnes, Godet a observé, que les anciens n'ont pas suivi les proportions avec tant d'exactitude que les modernes. Quelques-uns, pour excuser ce défaut, le rejettent sur les ouvriers d'Egypte, & des autres pays, qui envoyoient à Rome la plupart des anciennes colonnes toutes travaillées: d'autres disent que les anciens, sachant que le but de l'architecture est principalement de plaire à l'œil, prenoient soin seulement d'éviter des disproportions affez grossieres pour être observées par la vue, sans regarder fi elles approchoient de l'exactitude mathématique. D'autres soutiennent que c'est plutôt l'effet de l'art, & de ce que les Italiens appellent il gusto grande, que de quelque négligence de l'architecte. Les anciens, ajoutent-ils, considéroient toujours l'assiete d'un bâtiment, s'il étoit haut ou bas, dans une place ouverte, ou dans une rue étroite, & ils s'écartoient plus ou moins des régles de l'art, pour s'accommoder aux diverses distances & élévations, d'où leurs ouvrages devoient être regardés. Quand je parle des colonnes, je comprends sous ce mot les obélisques. Ils font tous quadrangulaires, & finissent en pointe aiguë. C'étoit comme autant de rayons du soleil, cette grande divinité que les Egyptiens adoroient sous le nom d'Ofiris, & dans lequel ils faifoient habiter les êtres, les génies & les ames de l'univers. Les quatre angles regardoient les quatre coins du monde, & fignifioient les quatre élémens. Quelques-uns ont supposé que les hiéroglyphes de ces obélisques contenoient des éloges des rois, ou des histoires de quelques faits mémorables ; & que ces monumens n'étoient érigés que dans la double vue de fervir d'ornement & d'honorer les héros de la nation.

Mais ceux qui ont fouillé plus avant dans ces recherches, ont fort bien prouvé que c'étoient des livres ouverts qui exposoient aux yeux du public les mystères de la théologie, de l'astrologie, de la métaphysique, de la magie & de toutes les sciences que les Egyptiens cultivoient. Ces obélisques font tous de granite, espéce de marbre d'une dureté extrême.

Quant aux fontaines, on peut dire que Rome chrétienne a eu les mêmes vues que Rome païenne. On ne peut rien ajouter aux soins qu'elles se sont données, pour faire venir de l'eau en abondance dans cette grande ville. Les dépenses excessives qu'il fallut faire pour construire des aqueducs de vingt & trente milles de longueur, & pour les entretenir, ont paru très-peu de chose en conmparaison de la commodité qu'on en retire. En cela & en bien d'autres chofes, les Romains ont fait voir la supériorité de leur genie, & leur attention pour le bien public. Ces dépenses immenfes pour apporter de l'eau, étoient d'autant plus nécessaires dans cette ville, que le Tibre, ce fleuve d'ailleurs si célébre, n'est bon à rien. Son eau étoit presque toujours bourbeuse; la moindre pluie la trouble; elle est toujours chargée d'un limon, qu'on assure être d'une qualité pernicieuse. On dit même, que les poissons du Tibre ne font ni sains, ni de bon goût.

De quelque côté qu'on arrive à Rome, on apperçoit toujours le dôme de saint Pierre qui surmonte les clochers, & tout ce qu'il y a de plus exhauslé dans la ville, où le Tibre fait une petite ifle. Le cours de cette riviere dans Rome est du nord au sud, & la partie de la ville qui est à la droite, & qu'on appelle Trastevere, est cinq ou fix fois moins grande que l'autre. Du premier abord à regarder Rome en général, on n'y trouve point de beauté surprenante, fur-tout quand on a vu plusieurs autres villes fameuses. Mais plus on y séjourne, plus on y découdes chofes qui méritent d'être considérées. Tout eft plein dans Rome & aux environs, des restes de son ancienne grandeur.

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Le Ponte Sant'-Angelo, par où quelques voyageurs ont commencé à décrire la ville de Rome, est celui qu'on appelloit anciennement Pons-Ælius, du nom de l'empereur Ælius Adrianus, qui le fit bâtir. Il a pris celui de Ponte Sant'Angelo, qu'il porte aujourd'hui, à cause que saint Grégoire le grand, étant fur ce pont, vit, à ce qu'on dit, un Ange sur le Moles Adriani, qui remettoit son épée dans le fourreau, après une grande peste qui avoit désolé toute la ville. On voit fur ce pont une belle balustrade de fer, avec douze statues de marbre que le pape Clément IX fit faire; & en jettant les yeux sur la riviere, on découvre à gauche, les ruines du pont Triomphal, qui fut ainsi appellé, à cause que tous les triomphes passoient par-dessus pour aller au capitole, ce qui fit que ce passage ne demeura plus libre, & que par un décret du sénat, il fut défendu aux payfans.

Le château Saint-Ange est au bout du Ponte Sant'-Angelo. C'est ce qu'on appelloit Moles Adriani; & ce château avoit a pris ce nom, parce que l'empereur Adrien y avoit été enterré. Il est bâti de grandes pierres. Sa figure est ronde, & on y monte par trois différens dégrés, qui vont toujours en rétrecissant jusqu'à la pointe, sur laquelle étoit la pomme de pin de cuivre doré, qu'on voit encore aujourd'hui dans le jardin de Belvedere. Les papes en ont fait un vrai château de guerre. Boniface VIII, Alexandre VI, & Urbain VIII, le rendirent régulier. Ils en firent une place à cinq bastions, fur lesquels il y a de bons canons, dont le plus grand nombre a été fait de plusieurs statues des faux dieux & autres ornemens du panthéon. Ces fortifications ont été renforcées de trois enceintes de murailles & de boulevards, qui en font une place importante, & un lieu de refuge pour les papes, s'il arrivoit quelque trouble dans la ville. C'est dans ce château qu'on enferme les prifonniers d'état, & qu'on garde les cinq millions, que Sixte V y déposa avec une bulle, qui défend, sous peine d'excommunication, de s'en servir, que dans la nécessité la plus pressante. On garde aussi dans ce château la triple couronne, appellée Triregno. avec les principales archives de l'église romaine.

Au sortir de là on entre dans le Borgo, d'où l'on tourne vers l'église de saint Pierre. En y allant on trouve l'église des carmes, appellée Sancta Maria Transpontina. On y voit dans une chapelle, à main gauche, deux colonnes de pierre enchassées dans du bois, ausquelles on dit que faint Pierre

Tome V.

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& faint Paul furent attachés, quand on les fastigea avant que de les faire mourir. On passe ensuite devant le palais Campeggio, bâti par le fameux Bramante. Il a été autrefois au cardinal Campeggio, qui fut légat du pape auprès d'Henri VIII, qui le lui donna. Les ambassadeurs d'Angleterre y logeoient autrefois ; & c'étoit alors un des plus beaux palais qui fussent à Rome. Vis-à-vis est une petite place ornée d'une belle fontaine, & tout auprès on voit la petite église de saint Jacques de Scozza Cavalli, où l'on montre sur un autel à main droite, la pierre fur laquelle Abraham devoit facrifier son fils Ifaac; & fous un autre, à gauche, la pierre fur laquelle on mit notre Seigneur quand il fut présenté au temple. On arrive enfin à la place & à l'église de S. Pierre.

Cette église est le plus vaste & le plus superbe temple du monde. Pour en bien juger il y faut aller souvent; il faut monter sur les voutes, & se promener par-tout, jusques dans la boule qui est sur le dôme ; il faut voir aussi l'église fouterreine. D'abord on ne trouve rien qui paroisse bien étonnant : la symmetrie & les proportions bien obfervées ont si bien mis chaque chose en son lieu, que cet arrangement laisse l'esprit dans sa tranquillité; mais plus on confidére ce vaste bâtiment, environ d'un tiers plus long que S. Paul de Londres, plus on l'admire. Le Bramante, sous Jules II, & Michel-Ange, sous Paul III, en ont été les principaux architectes. On n'y trouve rien qui ne ressente la grandeur & la majesté. La chaire de saint Pierre, foutenue par les quatre docteurs de l'église latine, dont les statues, plus grandes que nature, font de bronze doré, est d'une beauté & d'une magnificence achevée. Elle a été faite fur le dessein du chevalier Bernin. On voit dans les registres que tout cet ouvrage a couté cent sept mille cinq cents cinquante-un écus romains. Les tombeaux d'Urbain VIII, de Paul III, d'Alexandre VII, & de la comtesse Matilde, font les plus dignes d'être remarqués entre les superbes monumens qui se voyent dans cette église. Au tombeau de Paul III, il y a deux statues de marbre, qui représentent la prudence & la religion : elles sont revêtues d'une draperie de bronze. Orne voit dans cet admirable édifice que dorures, que rares peintures, que bas-reliefs, que statues de bronze & de marbre; & tout cela dispensé d'une maniere si sage & fi heureuse, que l'abondance n'y cause point de confufion. Le dedans de la coupe est de mosaïque; la voute de la nef est de stuc, à compartimens en relief & doré; le pavé est de marbre rapporté en diverses figures; & l'on achevera d'en revêtir les pilaftres, auffi bien que tout le reste du dedans de l'églife. Le grand autel est précisément au-dessous du dôme, au milieu de la croix. C'est une maniere de pavillon foutenu par quatre colonnes de bronze, torses, ornées feuillages & parfemées d'abeilles, qui étoient les armes du pape Urbain VIII. Au-dessus de chaque colonne, il y a un Ange de bronze doré, haut de dix-fept pieds. On estime infiniment cette piéce faite fur les desseins du chevalier Bernin. La hauteur du tout est de quatre-vingt-dix pieds. On descend par un escalier sous cette autel, pour aller à la chapelle, où l'on conferve la moitié du corps de saint Pierre, & de celui de faint Paul, & pour visiter les autres lieux faints qui font en divers endroits dans les caves de cette église. On remarque à l'entrée de ces grotes une bulle gravée sur du marbre, par laquelle il n'est permis aux femmes d'y entrer qu'une feule fois l'an, savoir le lundi de la pentecôte; & défendu aux honimes de s'y présenter ce jour-là, sous peine d'excommunication. Ces lieux sont obscurs; mais il y a cent lampes d'argent qui brûlent perpétuelle

ment.

de

La double colonnade qui fait la clôture de la grande place au-devant de l'église de saint Pierre, & qui conduit à cette même église par un double portique de chaque côté, est un embellissement, dont la maniere est rare, & cause quelque surprise. Il y a dans la place deux magnifiques fontaines, qui jettent de fort groffes gerbes. L'obélisque qui s'éleve au milieu est d'une feule pièce de granite, & la hauteur est de soixante dix-huit pieds, sans compter ni le piédestal, ni la croix que Sixte V fit mettre au dessus de la pointe de l'obélisque, lorsqu'il le releva en 1586. Cet ancien monument pése, sans la base, neuf cents cinquantefix mille cent quarante-huit livres. On dit communement, que la boule d'airain, qui y étoit autrefois, renfermoit les cendres d'Auguste; mais l'architecte Fontana, qu'employa Sixte V, ayant examiné ce globe; trouva qu'il n'avoit pu

fervir à cet usage. Ce n'étoit qu'un simple ornement. Il est vrai que l'obélisque étoit consacré à Auguste & à Tibére, comme on le voit par l'inscription qui s'y lit encore diftinc

tement.

Le palais du vatican est tout joignant l'église de saint Pierre. C'est une commodité pour le pape; mais le trop grand voisinage de ce palais cause une confusion défagréable. Si l'église étoit isolée, & qu'on la pût voir de tous côtés en champ libre, cela produiroit un bien plus bel effer. Du reste, le vatican n'est pas un bâtiment régulier, ce sont de bons morceaux mal attachés ensemble. On y compte douze mille cinq cents chambres, sales ou cabinets. Le belvedére est une partie du vatican. Il a été ainsi nommé à cause de la belle vue qu'on découvre de cet endroit. Ses jardins font magnifiques, & entre les statues qui s'y voyent, on admire principalement le tronc, qui est un corps sans tête, sans bras & fans jambes, l'Antinoüs, l'Apollon & la Cléopatre. Les excellentes peintures de Raphaël, de Michel-Ange, de Jules-Romain, du Pinturicchio, du Polydore, de Jean de Udine, de Daniel de Volterre, & de plusieurs autres fameux maîtres, occupent plus les yeux des curieux, que ne font les autres beautés de ce palais; fur-tout l'histoire d'Attila de l'incomparable Raphaël, n'est jamais fans admirateurs. Celle du massacre de l'amiral Coligni se voit en trois grands tableaux dans la salle, où le pape donne audience aux ambassadeurs. Dans le premier tableau, l'amiral, bleffé d'un coup d'arquebuse, est porté dans sa maison ; & au bas est écrit, Gaspar Colignius Amirallius accepto vulnere do-mum refertur. Greg. XIII. Pontif. Max. 1572. Dans le second, l'amiral ett massacré dans sa propre maison, avec Telignison gendre, & quelques autres. Ces paroles font fur le tableau: Cades Colignii & fociorum ejus. Dans le troifiéme, la nouvelle de cette exécution est rapportée au roi, qui témoigne en être fatisfait: Rex Colignii necem probat. La bibliothéque du vatican a non-feulement été groffie de ceile de Heidelberg, mais encore de la bibliothéque du duc d'Urbin. Les peintures dont elle est remplie, représentent les sciences, les conciles, les plus fameuses bibliothéques, les inventeurs des lettres, & quelques endroits de la vie de Sixte V. L'ancien virgile manuscrit est in-quarto plus large que long en lettres majuscules, sans distinction de mots & fans ponctuation. Le caractère tient un peut du gothique, ce qui ne s'accorde guères avec la premiere antiquité que quelques-uns lui donnent. Spon dit, que le Virgile & le Térence du vatican, ont mille ans. Il y a un volume de lettres de Henri VIII, à Anne de Boulen. C'est un in-quarto épais d'un doigt. Parmi les manuscrits des derniers siècles, on remarque quelques lettres que des cardinaux s'écrivoient, & dans lesquelles il se traitoient de Messer-Pietro, Messer-Julio, sans autre cérémonie. On voit une bible allemande, qu'on prétend de la traduction de Luther, & écrite de sa propre main; mais tout le monde n'en convient pas. De la bibliothéque on passe à l'arfenal, où l'on assure qu'il y a des armes pour vingt mille hommes de cavalerie, & pour quarante mille hommes d'infanterie: mais il s'en faut plus de la motié : : & d'ailleurs toutes ces armes sont en mauvais état. Si d'un côté le pape peut descendre du vatican à l'église de saint Pierre; de l'autre il peut se retirer sans être vu dans le château Saint-Ange, par une galerie qu'Alexandre VI fit bâtir.

Près de l'église de saint Pierre est le grand hôpital du saint Esprit, l'un des plus beaux de l'Europe, tant pour sa grandeur que pour son revenu, qui est immense. Il y a jusqu'à mille lits pour les malades, un prélat qui gouverne tout, plusieurs médecins & autres officiers subalternes. Les religieuses employées à les servir, ont un grand appartement où l'on pourroit en loger cinq cents. Les appartemens d'en haut font pour les pauvres gentils-hommes; & furent fondés par Urbain VIII. Cet hôpital a aussi soin des enfans expofés; & quoique le nombre en soit très-grand, on ne peut ajouter à ce qui est fait pour leur éducation. Il se trouve affez souvent des gens, qui n'ayant point d'enfans en viennent chercher parmi ceux-ci. On les laisse choisir, & quand on est assuré qu'ils en auront soin, & qu'ils les éleveront dans la crainte de Dieu, on les leur abandonne, après avoir pris les précautions convenables pour la sureté de ces enfans. Ordinairement ceux qui en prennent de la forte, les adoptent, leur font porter leur nom, & les déclarent leurs héritiers. Voici ce qui fait la richesse de cet hôpital. Il est fort rare à Rome qu'on garde de l'argent chez soi, au delà de ce qu'il en faut pour le courant de sa dépense. On le met en dépôt au banc du saint Esprit, où l'on est assuré de le trouver toujours & de l'en retirer en tout ou en partie, auffi-tôt qu'on le demande. Cet argent est mort pour le propriétaire, auquel il ne rapporte aucun profit; mais il est hors des atteintes des domestiques, des voleurs, des accidens : & ne coute aucun frais de garde. Ce banc appartient à l'hôpital du Saint-Esprit, qui a fes biens pour la sureté des dépôts, & qui s'est chargé de toute la dépense néceffaire pour l'entretien de la maison. Comme il y a toujours plusieurs millions dans le banc, & qu'il en fort & qu'il en entre à tout moment, l'hôpital fait profiter à ses risques l'argent qui est de relais, & ce profit est si considérable, qu'il est beaucoup plus que suffisant pour les dépenses dont l'hôpital eft chargé.

hypothequé tous

De l'hôpital du saint Esprit, on passe à l'église de saint Onuphre, bâtie sur une petite montagne. On y fait voir le portrait & le tombeau du célébre Torquato Tallo. En allant le long de Longara, on trouve à droite le palais du duc de Salviati, & à gauche la villa de Chigi, qu'on appelle aujour d'hui le jardin Farnèse, où sont quantité de rares peintures, qu'on dit être de Raphaël d'Urbin. En passant à côté de Longara, on arrive à la porte appellée Porta Septimania, à cause que Septimius Severus y fit bâtir des bains. Puis montant une colline, on vient à la porte de S. Pancrace, où est une église de son nom, desservie par des carmes déchausses. Le lieu qu'on appelle Cemeterium Callipoli, est fous cette église, & renferme un grand nombre de corps de martyrs. La villa Pamphilia en est allez proche. Elle est bâtie sur une haute éminence. De la terrasse qui est au-dessus de la maison, on découvre un fort agréable paysage. Cette maison, dont le jardin a une grote & plusieurs jets d'eau, eft ornée de quantité de statues & de tableaux, dont les plus beaux sont saint Pierre attaché en croix, & la conversion de faint Paul par Michel-Ange. L'entrée des animaux dans l'arche de Noé, passe pour une pièce très-rare. Entre les statues on admire celle de Jacob, qui lute avec l'Ange, celle de Senéque, le buste d'Innocent X en porphyre, & sa tête en bronze.

En rentrant dans la ville par la porte de saint Pancrace, on voit la belle fontaine que Paul V tira du lac de Bracciano, pour la faire aller à Rome par un aqueduc long d'environ trente milles. Elle fert comme de réservoir, & de là on distribue de l'eau en plusieurs endroits de la ville. Le couvent des cordeliers, appellé San Pietro in Montorio, parce qu'il est sur une montagne, n'en est pas loin. Saint Pierre fut crucifié dans un endroit de la cour, où il y a présentement une petite chapelle ronde. Lorsqu'on entre dans l'église, on a en face le grand-autel embelli d'un admirable tableau de la transfiguration de notre Seigneur, qu'on dit être le dernier de Raphaël d'Urbin, & celui qu'il estimoit davantage. On voit dans cette église le tombeau du comte de Tyrone, Irlandois, qui se retira à Rome du tems de la reine Elifabeth, & deux belles statues de marbre, l'une de saint Pierre, & l'autre de saint Paul, de la main de Michel-Ange. Du haut de la montagne où est San Pietro in Montorio, & qui fut anciennement le Janicule, on a la vue de toute la ville. C'est dans ce lieu qu'étoit le tombeau de Numa Pompilius. Au pied de cette montagne on trouve l'église & le cou-. vent des carmes déchauffés de la Scala. On y a dans une petite chapelle un pied de sainte Therèse enchassé dans un crystal.

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L'église de Santa Maria Transtevere n'est pas loin de celle-là. C'est la premiere qui ait été bâtie à Rome, au rapport de Baronius. Elle est au lieu même où étoient Taberna Meritoria, où les anciens Romains donnoient tous les jours la pitance aux soldats estropiés. La voute est dorée, & fou. tenue par deux rangs de colonnes de marbre. On voit dans cette église la pierre qui fut mise au col de saint Calixte quand on le précipita dans un puits, & de grosses pierres rondes, qu'on attachoit aux pieds des martyrs pour les tourmenter. Près de là est le couvent des cordeliers, appellé San Francesco in Ripa grande. On y a fait une chapelle de la chambre que faint François occupoit quand il demeuroit à Rome. De Ripa grande on va à l'église de sainte Cecile, bâtie sur le même lieu où étoit sa maison, & où elle fouffrit le martyre. Le grand autel est sur son tombeau, où sa statue eft couchée, & de la même grandeur qu'est son corps, qui fut trouvé du tems de Clément VIII, enveloppé dans des linceuls teints de sang, & couvert d'une robe d'or. Les étu

ves, où l'on enferma cette sainte, pour l'y étouffer, se voyent encore au bout de l'église; le feu l'ayant épargnée on lui coupa la tête. L'église de saint Chrysostôme est près de cette derniere. Il y a quatre piliers au grand-autel, qui paroissent comme s'ils étoient de sable & de crystal, pétris ensemble. On va ensuite vers l'isle de faint Barthelemi, où sont un fort bel hôpital & une église de cordeliers. Sous le grand autel est le tombeau de porphyre, dans lequel on dit qu'est le corps de l'apôtre faint Barthelemi. On appelloit anciennement cette ifle Infula Tiberina. On fort de cette ifle par le pont des quatre têtes, nommé anciennement Pons Fabricius, qui la joint avec la ville. A droite est le pont appellé Pons Sublicius, à l'entrée duquel Horatius Coclès soutint lui seul les efforts de l'ennemi, tandis qu'on le rompoit derriere lui. Il étoit alors de bois, Æmilius le fit faire de pierre. Au fortir de ce pont, on voit à gauche la grande porte de derriere du quartier des juifs, qui demeurent tous dans un coin de la ville, où toutes les nuits ont les enferme à la clef. Aquelque distance de leur synagogue, est à gauche le palais du prince Savelli, bâti sur les ruines du théâtre de Marcellus. Il contenoit quatre-vingts mille perfonnes. De-là passant plus avant, on rencontre la grande église de Sancta Maria in Schola Graca, bâtie au lieu où faint Augustin enseignoit la rhétorique avant sa converfion. Elle est voisine de celle de Sanita Maria Egyptiaca, qui fut autrefois un temple du soleil & de Jupiter. Cette église proprement ornée, & foutenue par des pilliers cannelés & tors, appartient aux Arméniens, qui ont aussi un hôpital à Rome pour les pélerins catholiques de ce pays-là. Ils y célébrent la messe, selon leur liturgie, par permiffion du pape. De l'autre côté de la grande place où est l'église des Arméniens, on voit celle de faint Etienne, quia quantité de colonnes cannelées tout à l'entour. C'étoit autrefois le temple de Juno Matutina ou Aba-Dea. Près de là est le grand égout de Rome, qui se décharge dans le Tibre, & qu'on appelloit Cloaca magna. Tarquin l'ancien, cinquiéme Roi des Romains, le fit bâtir magnifiquement de pierres de taille. Il est si grand, qu'une charette y peut aifémenent entrer, & il y a une infinité de canaux voutés par où s'écoulent les immondices. Après avoir marché quelque tems sur le bord du Tibre, on arrive au pied du mont Aventin, sur lequel est l'église de saint Alexis. On y voit l'escalier de bois sous lequel ce faint passa dix-sept ans dans la maison de son pere, fans être connu de perfonne, après en avoir été quinze ans absent. Son corps repose sous le grand autel, avec celui de faint Boniface martyr. Affez près de cette église, & fur la même montagne, est l'église de sainte Sabine, où le pape le mercredi des cendres en procession solemnelle, à cheval & accompagné des cardinaux. Le temple de la liberté, & l'Armiluftrium des Romains, étoient aussi sur cette montagne. Du mont Aventin on va à la porte de saint Paul, & on voit en chemin & à la droite, la petite montagne, qu'on appelle communément il Doliolo, ou le Monte Testaccio, la montagne des pots caffés. Cette petite montagne a environ un demi-mille de circuit, & cent cinquante pieds de hauteur perpendiculaire. Son nom lui vient de ce qu'on ne fauroit y remuer la terre sans trouver des fragmens de vafes; enforte qu'elle semble s'être formée de débris de cette nature entasfés dans cet endroit. On ne débite sur l'origine de ce monticule, que des conjectures, plus ou moins vraisemblables, dans le détail desquelles il feroit trop long d'entrer.

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En approchant de la porte de saint Paul, on apperçoit le mausolée de Caïus Ceftius, qui est une pyramide blanche carrée, & finissant en pointe tout à fait aiguë. Sa hauteur est de six-vingts pieds, & fa largeur dans sa base de quatrevingt-quatorze pieds. La mafle de ce monument est de brique, mais tout est revêtu de carreaux de marbre blanc. Alexandre VII le répara en 1673, de forte qu'elle paroît à peu près dans sa premiere beauté. On peut voir par les inscriptions anciennes qui s'y lisent, qu'elle a été érigée pour C. Ceftius, l'un des sept officiers qui avoient la charge de préparer les festins des dieux. On entre dans ce mausolée par un paflage bas & étroit, qui en traverse l'épaisseur jusqu'au milieu, & l'on y trouve une petite chambre voutée, longue de dix-neuf pieds, large de treize, & haute de quatorze. Cette chambre est toute enduite d'un stuc blanc & poli, sur lequel il reste plusieurs figures de femmes, plusieurs vases & quelques autres ornemens. La maniere dont ces peintures se sont conservées, avec la beauté de leur coloris, paroît quelque chose de remarquable, d'autant Tij

Tome V.

:

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Penduit.

Après que l'on a paffé la porte de S. Paul, anciennement Porta-Tergemina ou Oftienfis, on va à l'église de même nom, & qui est à un petit mille hors de la ville. Cette église est dans le lieu où Lucia dame romaine enterra le corps de faint Paul. Elle est en forme de croix, & a quatre cents foixante-dix-sept pieds de long fur deux cents cinquante-huit de large. Quatre rangs de piliers ronds d'un marbre blanc la soutiennent. Ils font au nombre de cent, & on prétend qu'ils ont été tirés des bains d'Antoniès. Il n'y a dans ce vaste corps ni chapelles ni autres ornemens, si ce n'est à l'entrée près de la grande porte, où est un autel avec ces paroles gravées fur une pierre: Hic inventum eft caput fancti Pauli. Le grand autel est couvert comme d'un dais de pierre, élevé fur quatre colonnes de porphyre, avec quatre statues deflus; & l'on y voit le fameux crucifix qu'on dit avoir parlé à fainte Brigitte. La moitié des corps de faint Pierre & de faint Paul est fous cet autel, & on lit cette inscription à côté : Sub hoc altari requiescunt gloriosa corpora Apostolorum Petri & Pauli pro medietate. La confeflion de faint Paul eft derriere cet autel, semblable à celle de saint Pierre. Sur le haut de la voute de l'église est un rare ouvrage à la mosaïque, qui représente notre Seigneur au milieu des vingt-quatre anciens de l'apocalypse. Ce fut Placidia Galla, fille de Théodose & fœur d'Honorius, qui fit faire cette piéce du tems de faint Léon.

A un mille de l'église de saint Paul est le lieu appellé les trois Fontaines, & en y allant on voit l'endroit où saint Zénon fut autrefois martyrisé avec dix mille chrétiens par l'ordre de Dioclétien. Dans le lieu des trois Fontaines est une grande place qu'on appelloit autrefois Aqua Salvia, & où font trois églifes. La premiere porte le nom de S. Vincent & de S. Anastase, à cause de leurs reliques qu'on y conserve. La seconde est de forme ronde & affez petite. On y voit le fameux tableau dans lequel saint Bernard est représenté en extase. Sous cette église commence une cave d'un mille d'étendue, où font plusieurs corps des dix mille chrétiens martyrisés avec saint Zénon. La troisiéme est celle qu'on appelle des trois Fontaines, à cause que lorsque saint Paul fut décapité dans ce lieu, sa tête bondit trois fois, & qu'à chaque fois il fortit une fontaine de la terre. On voit fur un autel à main gauche un excellent tableau du Guide, où faint Pierre eft représenté attaché à la croix, & à droite dans une grille de fer est le billot sur lequel on coupa la tête à faint Paul. De ce lieu on va à travers les champs 'Annunciata, l'une

à l'

des neuf églises que les pelerins visitent, & ensuite on se rend à l'église de faint Sébastien, lieu d'une grande dévotion à cause des catacombes qui font dessous. Le tombeau de ce faint est sous un autel à gauche, & fur un autre à droite, font quantité d'autres reliques. Delà on descend dans une cave, où le pape saint Etienne I, eut la tête coupée dans sa propre chaire de pierre; & où les corps de saint Pierre & de faint Paul furent cachés plusieurs années. Les catacombes s'étendent fous terre à plusieurs milles. Il y en avoit beaucoup dans les premiers tems de l'église, & on leur donnoit différens noms, comme Arenaria, Cripta, Area, Concilia martyrum, Polyandria, & vulgairement Cameteria, c'est-à-dire, Dormitoria, parce que les corps des martyrs reposoient en ces lieux-là. Le plus grand de ces cimetieres étoit celui de faint Calixte, dans lequel on enterra, dit-on, cent soixantequatorze mille martyrs durant les persécutions des empereurs. Il y eut dix-neuf papes de ce nombre. C'étoit dans ces catacombes que les anciens chrétiens faifoient à la dérobée, les exercices de la religion avec leurs pasteurs. Fort proche de l'église de saint Sébastien est une place appellée Campodi-Bove. Il y a un grand bâtiment, dont la face est de marbre. On dit que c'étoit le tombeau de Metella femme de Craffus. Plusieurs têtes de bœuf placées dans la corniche qui regne an haut, & tout le long du bâtiment, ont fait donner ce nom de Campo-di-Bove à la place où il est situé. Ceux qui entrent dedans, admirent l'épaisseur des murailles, qui ont tout au moins huit aunes. On avoit commencé d'en tirer de grandes pierres de marbre pour construire la fontaine de Trevi; mais le cardinal Barberin ne laissa pas continuer. Les ruines du Pratorium sont peu éloignées de cette place. C'étoit le lieu où la garde prétorienne de l'empereur logcoit. Il étoit hors de la ville, afin que les foldats n'y fissent aucun défordre, & qu'ils puffent faire souvent l'exercice dans le cirque de Caracalla, qui étoit au voisinage. Ce cirque, bâti

par cet empereur, est le plus entier de ceux qui restent aujourd'hui à Rome. On y voit le lieu que les Romains nommoient Carceres, d'où partoient les charriots qui couroient dans le cirque; & celui où étoit l'aiguille appellée Meta. Au bout de ce cirque est un vieux temple rond, & un autre petit qui lui sert comme d'entrée. Ce dernier étoit le temple de la vertu & l'autre celui de l'honneur. Ils étoient joints ensemble, parce qu'on ne peut acquerir de l'honneur que par la

vertu.

En rentrant dans la ville par la porte de saint Sébastien, autrefois porta Capena, on va à l'église de saint Nérée & de saint Achille, où leurs corps reposent sous le grand autel. De l'autre côté & presque vis-à-vis, on voit l'église de saint Sixte, qui est un couvent de dominicains Anglois & Irlandois, célébre par la demeure que saint Dominique y fit. On prétend que l'église a été bâtie du tems du grand Constantin, sur le fonds d'une dame appellée Tigris, d'où vient qu'on l'a appellée long-tems S. Sixtus in Tigride. Le pape Honorius III, la donna à faint Dominique. Ce saint la céda depuis aux religieuses de son ordre, qui y demeurerent jusqu'à ce que le saint pape Pie V, les transporta au monastère de saint Dominique à Magna Poli. C'est un titre de cardinal. Il n'y a de beau à voir que ce que le cardinal Bon-Compagno y a fait faire pendant qu'il en étoit titulaire. Elle est dans un air groffier, pesant & mal fain, où l'on ne peut demeurer pendant les chaleurs de l'été sans courir risque de la vie. Le lieu où le couvent a été bâti s'appelloit autrefois Piscina publica, parce que tout le peuple s'y venoit laver.

De là on va à la porte nommée Porta Latina, d'où l'on arrive à l'église de saint Jean de Latran. Cette église est regardée comme la premiere église patriarchale de Rome, & de tout l'univers. Ces deux vers écrits en gros caractères, fur l'architrave de son vestibule, l'annoncent.

Dogmate Papali datur & fimul Imperiali,

Quod fim cunctarum mater caput ecclefiarum.

On voit par cette inscription barbare, que dans le tems qu'elle fut faite, on étoit perfuadé qu'il falloit que l'autorité du souverain concourut avec celle du pape, pour rendre une église la métropole de toutes les autres. C'est dans cette église que le pape nouvellement élu prend possession de son patriarchat. Les papes demeuroient autrefois dans le palais qui est voisin; & ce n'est que depuis leur retour d'Avignon qu'ils ont choisi leur demeure au vatican, & dans les chaleurs à Monte-Cavallo. Sixte V avoit fait réparer le palais de Latran, afin d'obliger ses successeurs à P'habiter quelquefois, & par conféquent à l'entretenir. 11 avoit fait une bulle pour les obliger à y demeurer trois mois chaque année, & lui-même, quoique législateur, s'étoit foumis à la loi qu'il avoit promulguée; mais ses successeurs en ont appellé à eux-même, & ont fixé leur demeure au vatican, ou à Monte-Cavallo.

Quoique l'église porte simplement le titre de saint Jean, elle est pourtant dédiée édiée au Sauveur du monde & aux deux saints Jean, c'est-à-dire, au précurseur & à l'apôtre. Elle fut bâtie par Constantin le grand, sur les fonds d'un sénateur romain, nommé Plautius Lateranus, dont elle a conservé le nom. Elle fut consacrée par le pape S. Sylveftre en 324. Elle a été desservie long-tems par des chanoines réguliers qui se séculariserent vers 1300. Les chanoines réguliers y voulurent rentrer en 1475, & intenterent procès aux féculiers; mais ils furent enfin obligés de s'accommoder, de laisser les séculiers en repos, & de se contenter de conserver le titre de chanoines réguliers de saint Jean de Latran avec l'église & le monastère de la paix qu'on leur abandonna. Cette église est sous la protection de l'empereur & du roide France, qui lui a donné l'abbaye de Clérac. On voit à côté du vestibule une statue de bronze de Henri IV, que les chanoines ont fait faire comme un témoignage éternel de leur reconnoissance pour ce grand prince! Elle est au bout du vestibule, environnée d'une grille de fer pour la garantir des insultes, que la canaille, excitée par les ennemis de France, lui faisoit dans de certaines occasions. L'église est vaste. Elle n'est point voutée. Son plat-fond est à grands compartimens dorés & très-magnifiques. Elle a cinq nefs foutenues & distinguées par de grosses colonnes. Entre celles de la nef du milieu, il y a des niches que l'on estime beaucoup, faites, à ce qu'on dit, sur les desseins de Michel-Ange. Ces niches renferment des statues, dont les quatre plus estimées ont été faites par des sculpteurs françois. Il y a un autel, dans lequel on prétend qu'est enchâslé l'autel de bois sur lequel S. Pierre célébroit la messe. On l'appelle l'autel papal. Il n'y a que le pape seul qui peut y célébrer, à moins qu'il n'en donne une permission par écrit à quelque personne diftinguée, & cela pour une fois seulement. Cet autel est cantonné de quatre colonnes, qui portent une tribune environnée d'une balustrade. C'est là où reposent quantité de précieuses reliques, entre lesquelles les chefs de saint Pierre & de faint Paul tiennent le premier rang. Ils font dans des bustes d'or ou dorés, enrichis de quantité de pierreries données en partie par les rois de France. On voit dans le cloître une chaise de porphyre qu'on met à la porte de l'église lorsque le pape y vient après son élection. Il s'y assied quelque tems, & quand il se releve le cœur chante ce verset du pleaume 112: Suscitans à terra inopem & de stercore erigens pauperem, pour le faire souvenir qu'il n'est que pouffiere, & que les honneurs qu'on lui rend ne doivent point l'éblouir. En sortant de cette église par la petite porte de derriere, on va aux fonts baptismaux, qu'on appelle mal à propos de Constantin; puisqu'il est certain qu'il ne fut point baptifé à Rome par le pape faint Sylvestre. Le lieu où ils sont est rond, & il y a une ouverture dans le milieu où l'on descend par quatre dégrés. L'ouverture est environnée d'une balustrade de marbre; l'édifice est soutenu de colonnes de porphyre, les plus belles qui foient à Rome; & le peuple, étant hors de la balustrade, peut aisément voir la cérémonie quand on baptise quelque juif ou quelque infidéle. Le magnifique portique qu'on voit à S. Jean de Latran, fut fait sous le pontificat de Clément XII. Tout près de cette église est la Santa Scala ou le Sancta Sanctorum. C'est une loge où l'on a transporté vingt-huit dégrés de marbre blanc, fort ufés, & par lesquels on dit que Jesus-Christ monta chez Pilate. Il n'est pas permis d'y monter autrement qu'à genoux ; mais il y a deux petits escaliers à côté par où l'on peut monter comme l'on veut. La chapelle qui eft au haut, de cet escalier est appellée Sancta Sanctorum. On lui a donné ce nom à cause des choses saintes qu'elle renferme ; & on lit ces vers latin sur l'autel : Non eft in toto Sanctior orbe locus.

Après qu'on a repassé par l'église de saint Jean de Latran, on voit le palais que Sixte V y fit bâtir, & ensuite la grande aiguille ou obélisque, qui pese, à ce qu'on dit, neuf cents cinquante-un mille cent quarante-huit livres. Cet obélisque subsiste depuis trois mille ans. C'est le plus grand de tous. Sa hauteur est de cent huit pieds, fans compter ni le piédestal ni la croix. Ce fut Constantin qui le fit apporter d'Alexandrie. En passant le long de la muraille de l'ancien aqueduc de Claudius, on arrive à San Stephano Rotondo, qui est aussi sur le mont Cælius. C'est dans cette église qu'est le séminaire du collége allemand. Vis-à-vis de cette église est celle de Santa Maria de Navicella, appellée ainsi d'un petit navire de pierre qui est devant, & qu'un matelot fit faire pour accomplir un vœu. Les anciens auteurs l'appellent in Dominica ou in Ciriaca, à cause d'une sainte femme qui portoit le nom de Ciriaca. La villa du duc Matthæi est peu éloignée de là. Elle est remplie d'antiquités curieuses parmi lesquelles on remarque les statues de Brutus & de sa femme Porcia d'une seule pièce ; celles de Cléopatre, d'Hercule, de trois petits garçons qui s'embraslent l'un l'autre en dormant; la tête de Ciceron & un rare tableau de pierres précieuses. Dans un autre corps de logis, font la belle statue d'Andromede exposée au monftre marin, une autre d'Apollon fuyant Marfias, & une autre d'un satyre qui tire une épine de fon pied. Il y a aussi de belles allées, des jets d'eau, des grotes & un labyrinthe. De ce lieu-la on descend vers l'ancien amphithéâtre nommé Colisée, à cause d'un coloffe qui étoit auprès. C'est une des plus rares piéces de l'antiquité qui soit demeurée à Rome. Vespasien le commença, & Domitien l'acheva. Il est surprenant que l'on ait pû élever des pierres d'une aussi prodigieuse grosseur que celles dont ce bâtiment est composé. Il est de figure ronde en dehors, quoique l'aréne soit ovale. Il contenoit quatrevingt-cinq mille spectateurs, quatre fois plus que l'amphithéâtre de Vérone. Les colonnes du troisiéme ordre, & les pilaftres du quatrième, ont le chapiteau corinthien.

On voit encore près de cet amphithéâtre les masures de brique qui composoient autrefois la belle fontaine qu'on appelloit Meta-Sudans. Elle fournissoit de l'eau à ceux qui se trouvoient à ces spectacles. La façade étoit revêtue de marbre, & fur le haut il y avoit une statue de cuivre qui

représentoit Jupiter. L'arc triomphal de Constantin est aux environs du colifée. Il est encore presque tout entier. Il y a seulement quelques statues dont on a enlevé les têtes; & on en accufe Laurent de Medicis, qui, à ce qu'on dit, les fit porter à Florence. Les connoiffeurs remarquent que les bas reliefs de ce monument ne sont pas d'égale beauté; ce qui fait soupçonner que les meilleurs morceaux furent empruntés quand on l'érigea. L'église de S. Jean & de S. Paul, & celle de S. Grégoire sont proche de ce monument. Dans une chapelle de cette derniere église est une statue de ce saint pape, qui le représente avec ses habits pontificaux. Elle est de marbre, & ce fut Baronius qui la fit faire.

De-là on se rend aux bains, ou thermes d'Antonin. Ils ressemblent plutôt à une ville qu'à des bains. La magnificence en étoit extraordinaire. Ils avoient seize cents fiéges de marbre, pour affeoir autant de personnes qui auroient voulu s'y baigner. Les bancs de quelques-uns de ces bains étoient couverts d'argent, & d'autres avoient des canaux du même métal par où l'eau couloit. Ils étoient d'ailleurs embellis de statues, de tableaux & de pierres précieuses. Aujourd'hui ce n'est plus qu'une place de divertissement pour un séminaire.

Entre le mont Aventin & le mont Palatin, on yoit le lieu où étoit le grand Cirque. Tarquin l'ancien le commença, & Jule-César, aussi bien qu'Auguste, l'augmenterent beaucoup. Il avoit trois stades de longueur & quatre arpens de largeur. Trajan & Héliogabale l'embellirent de statues & de colonnes, & cent cinquante mille hommes pouvoient tenir aisément dans ses trois galleries qui étoient couvertes. L'une étoit pour les sénateurs, l'autre pour les chevaliers & la troisieme pour le peuple. Les obélisques qui sont aujourd'hui à la porte del popolo, & à S. Jean de Latran, étoient dans le cirque. Il y a plusieurs voûtes sous ce bâtiment. C'étoit là que les femmes publiques habitoient. Du grand cirque en allant à l'église de S. George, on voit les ruines du palais des empereurs, appellé Palazzo-maggiore. Il occupoit presque tout le Mont-Palatin. L'église de S. Anastase qui est sur ce mont, étoit autrefois le temple de Neptune. Près de là est l'ancien temple carré qu'on croit être celui de Janus-quadrifons. Il a quatre portes & trois niches dans chaque face de carré; ce qu'on peut prendre pour les quatre saisons & pour les douze mois de l'année. L'eau du Tibre passoit autrefois près de l'église de S. George; & l'on appelloit ce bras de riviere Velatum, à cause que l'on y pasloit en bateau, & quelquefois avec une petite voile, quand le vent étoit bon. On va de là à l'église ronde de S. Théodore, située dans la place qu'on appelle foro Boario. C'étoit anciennement le temple de Romulus & de Remus; & l'on dit que c'est en cet endroit qu'on les exposa, & qu'une louve les allaita. Il faut peu monter pour aller à l'hôpital de Notre-Dame de Confolation, qui fut autrefois le temple de Vesta. De ce lieu on passe au campo vaccino, où sont trois colonnes d'une admirable structure. Elles viennent du temple de Jupiter Stator, que Romulus y fit bâtir en l'honneur de ce dieu. Ce temple est entierement ruiné, & il n'en reste plus aucun vestige. L'église de Santa-Maria-Liberatrice est au pied du mont Palatin, près de l'endroit nommé Locus Curtii. Ce fut là que s'ouvrit un gouffre, d'où sortoit une puanteur insupportable, & qui ne se referma qu'après que Curtius, chevalier romain, s'y fut précipité à cheval, pour le bien de sa patrie. En tournant à droite, on trouve le jardin Farnèse. Il est rempli de jets-d'eau & de grottes ; & au-dessus sont des lieux de promenade d'où l'on découvre le grand cirque. En continuant de marcher à droite, on arrive à l'arc triomphal de Titus, & qui fut érigé pour le triomphe de ce prince, après la prise de Jerufalem. Cet arc est sur-tout remarquable par ses bas reliefs qui représentent le chandelier, la table, les trompettes du grand jubilé & quelques vaisseaux qui furent apportés du temple. Cet arc est dans la rue sacrée, auprès du mont Palarin.

Après avoir fait le tour du Campo Vaccino, on vient à l'église de santa Francesca Romana, appellée par quelquesuns Santa Maria-Nuova. Le tombeau de cette sainte y est élevé en cuivre doré ; & fur l'entrée est représenté en marbre l'histoire du retour des papes d'Avignon à Rome. Le temple de la paix est voisin de ce lieu. On n'en voit plus que des ruines. C'étoit néanmoins le plus superbe temple

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