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jusqu'à la ville de Milet, où les Miléfiens, qui avoient déja gouté les douceurs de la liberté, ne voulurent pas le recevoir; de forte qu'il fut contraint de repaffer à Chios. Après qu'il y eut fait quelque féjour, & qu'il eut tenté inutilement de porter fes hôtes à lui fournir quelques vaisfeaux, il s'embarqua pour l'ifle de Lesbos, où les habitans de Mytiléne équiperent en fa faveur huit galeres à trois rangs, avec lesquels il fingla du côté de Bylance. Il furprit fur la route les vaiffeaux marchands des loniens, qui venoient de la mer Noire, s'en empara, à la réferve de ceux qui voulurent se ranger de fon parti. Cependant ayant eu connoillance du fuccès qu'avoit eu le combat qui s'étoit donné devant la ville de Milet, il commit la conduite des affaires de l'Hellespont à Bifalte d'Abydéne, fils d'Allophanes, & fit voile vers l'ifle de Chios, dont il ravagea toute la campagne, tuant tout ce qui fe préfentoit devant lui, parce que la garnifon qui étoit dans la ville ne vouloit pas le recevoir. Il foumit bien tôt la ville même; mais il ne jouit pas long-tems de fa conquête, car en fe retirant de l'ifle de Chios, il fut furpris par les Perfes, qui le crucifierent fur le continent de l'Afie mineure.

L'ifle de Chios tomba enfuite fous la puiffance du tyran Strattes, environ quatre cent foixante-dix-neuf ans avant la naiffance de Jefus-Chrift. Sept Ioniens, entre lesquels étoit Hérodote, fils de Bafileïdes, conspirerent contre lui; mais lorsque leur deflein étoit fur le point d'être mis à exécution, un des conjurés révéla le complot; & les fix autres, qui en furent avertis à tems, s'enfuirent à Lacédé mone, & delà dans l'ifle d'Ægine, où fe trouvoit alors la flotte des Grecs, de cent dix voiles, fous la conduite de Léotychide, roi des Lacédémoniens, & de Xantippe, capitaine des Athéniens. Ces fix habitans de Chios folliciterent les Grecs de faire voile vers les côtes de l'lonie, pour met tre les Perfes à la raifon; mais les Grecs craignoient la flotte des Perfes, & ceux-ci redoutoient celle des Grecs. Cette mutuelle crainte les porta à jurer un traité de paix.

Dans la fuite, les habitans de Chios, à la follicitation des Lacédémoniens, fecouerent à diverfes reprifes le joug des Athéniens, avec des fuccès divers, jusquà ce que Memnon le Rhodien, amiral de la flotte de Darius, roi de Perfe, s'empara, par trahison, avec une flotte de trois cents vaiffeaux, de l'ifle de Chios, environ trois cents trente-trois ans avant l'ére chrétienne, & foumit toutes les villes de Lesbos, à la réserve de Mityléne, devant laquelle il fut tué. Cependant Darius ayant été vaincu trois ans après par Alexandre le Grand, les habitans de Chios, & les autres infulaires leurs voifins, recouvrerent leur liberté. Quatre-vingt-fix ans avant la venue du Meffie, Mithridate, roi du Pont, ayant été battu par les Romains dans un combat naval, fut tellement irrité contre les habitans de Chios, de ce qu'un de leurs vaiffeaux étoit allé imprudemment choquer fon vaiffeau-amiral dans le fort du combat, & avoit manqué de le couler à fond, qu'il fit vendre au plus offrant les biens des citoyens de Chios, qui s'étoient retirés vers le dictateur Sylla, & bannit enfuite ceux de ces infulaires qu'il crut les plus portés pour les Romains. Enfin Zenobius, général de ce prince, prit terre à Chios avec une armée, & s'empara de l'ifle pendant la nuit : il força tous les habitans à lui porter leurs armes, & de lui donner en ôtage les enfans des principaux, qu'il fit conduire à la ville d'Erythrée, dans le royaume du Pont. Mithridate lui envoya ordre d'exiger deux mille talens des infulaires pour y fatisfaire, ils vendirent les ornemens de leurs temples, & les joyaux de leurs femmes. Ils n'en furent pas quittes pour cela : Zenobius, prétextant qu'il manquoit quelque chofe à la fomme, fit embarquer les hommes à part dans des vaiffeaux, & les femmes avec les enfans dans d'autres, & les fit conduire vers le roi Mithridate, divifant leurs terres & leur pays entre les habitans du Pont. Mais les habitans de la ville d'Héraclée, qui avoient toujours entretenu une étroite amitié avec ceux de Chios, ayant appris cette nouvelle, mirent à la voile, & attaquerent au paffage & à la vûe du port d'Héraclée les vaiffeaux qui menoient ces infulaires prifonniers; & les ayant trouvés mal pourvûs de troupes, pour les défendre, ils les amenerent fans réfiftance dans leur ville, & les conduifirent enfuite dans leur patrie, où ils les rétablirent. Le dictateur Sylla ayant fait la paix avec Mithridate, environ quatre-vingts ans avant la naiffance de Jefus Chrift, remit en liberté les habitans de Chios, & divers

autres peuples, en reconnoiffance du fecours qu'ils avoient donné aux romains.

Ces Infulaires, devenus alliés du peuple romain, demeurerent en paix fous fa protection, & celle des empereurs Grecs, jufqu'au tems de Manuel Comnène, qui, ayant maltraité les Européens qui alloient en pélerinage à la Terre Sainte, perdit l'ifle de Chios, que lui enleverent les Vénitiens. Elle revint au bout de quelque tems fous la domination des empereurs de Conftantinople, qui quelques années après, l'engagerent à un feigneur Européen fort riche. Michel Paléologue fit depuis préfent de cette ifle aux Génois en reconnoiffance du fecours qu'ils lui avoient donné en plufieurs occafions. Les Génois en chafferent les héritiers de ce feigneur Européen auquel les empereurs l'avoient engagée, & en reiterent maîtres à titre de feigneurie, en 1216.

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Deflors l'isle de Chios commença à devenir puiffante & riche. Elle fut gouvernée en forme de république, fous l'autorité des Mahons, autrement Maunèfes, premiers nobles de la maifon de Juftiniani, qui l'avoient achetée de la république de Gènes où ils tenoient eux-mêmes les premiers rangs: & l'on voit encore leurs armes fur plulieurs maifons de la ville de Scio. Ces Mahons, ou Maunèfes, confiftoient principalement en vingt quatre perfonnes, qui avoient foin du gouvernement de l'isle. On en choififfoit tous les deux ans un pour podestat ou chef de juftice: il préfidoit pour les affaires civiles & criminelles de toute l'isle, & il avoit un jurifconfulte pour lieutenant. On choifilfoit aufli entre eux, tous les fix mois, quatre préfidens directeurs, qui, conjointement avec le podeftat prenoient connoiffance de toutes les affaires civiles de l'isle, & prononçoient fur toutes les affaires criminelles, qui devoient indifpenfablement être portées devant eux. Il y avoit en outre douze confeillers établis, que les présidens confultoient comme leurs ajoints, & néanmoins comme foumis à leurs jugemens & à leurs décifions. Les affaires de peu d'importance étoient portées devant deux autres juges, établis pour connoître de tout ce qui ne paffoit pas vingt écus. Il y avoit quatre officiers établis fur les vicux & les nouveaux bâtimens, & fur les affaires de peu de conféquence: deux de ces officiers étoient pris entre les Mahons, le troifiéme étoit un Grec, & le quatrième un bourgeois de la ville. Deux feigneurs Mahons avoient en outre la furintendance du maftic: de forte qu'il étoit défendu, fous peine de la vie, d'en ramaffer, ni d'en vendre fans leur permiffion. Enfin il y avoit un capitaine du guet, pour la garde de la nuit, & quelques autres moindres officiers.

On avoit établi plufieurs loix & conftitutions particulieres pour le bien de la république. Par exemple : une femme qui demeuroit veuve après la mort de fon mari, étoit obligée de payer aux magiftrats une certaine amende, appellée argomimotico, c'est-à-dire de la nature inutile, ou qui n'eft d'aucun ufage. Si une fille avoit commerce avec un homme avant d'être mariée, elle étoit obligée, pour avoir la liberté de continuer ce commerce, de donner, une fois pour toutes, un ducat au capitaine de la garde de la nuit.

Le gouvernement de l'isle étant demeuré ainfi à la maifon des Mahons ou de Juftiniani l'efpace de deux cents ans, pendant lefquels un grand nombre de Génois s'y étoient venus habituer, les Mahons réfolurent de faire un traité avec les Turcs, pour fe maintenir dans la poffeffion de leur ifle. Ils offrirent de payer tous les ans au grand Seigneur un tribut de dix mille ducats, outre deux autres mille qu'ils promettoient de payer aufli annuellement aux vifirs & aux bachas. Ces propofitions plurent au grand feigneur, & on conclut le traité à la faveur duquel les Mahons jouirent paifiblement de l'ifle de Scio ; & pendant ce tems le négoce s'y établit avec tant de fuccès qu'on y voyoit aborder quantité de vaiffeaux étrangers principalement des Anglois. Il arriva dans la fuite que les Mahons laifferent paffer deux ou trois années fans payer le tribut, & qu'ils permirent que leur ifle fervit de retraite aux efclaves Turcs qui s'échapoient des fers; de plus les Génois avoient fourni du fecours aux chevaliers de Malthe contre les Turcs, qui avoient fait defcente dans leur ifle, & affiégé inutilement leur ville. Tout cela irrita le fultan Soliman II, qui mit, en 1566, en mer une flote de foixante & dix voiles, fous la conduite du bacha Piali, qui fut

chargé de fe rendre maître de l'isle de Scio, & d'en dépoffeder les Mahons. Pour venir à bout de fon deffein, le bacha attira par fineffe fur fon bord le podeftat, & les principaux officiers, qui avoient en main le gouvernement de l'isle; & quand il les eut en fa puiffance, avec leurs femmes & leurs enfans, il fit voile pour Conftantinople, d'où ils furent tranfportés en d'autres places. Le gouvernement de l'isle fut ainfi ôté à la famille des Mahons, & paffa entre les mains des Turcs, qui y établirent un gouver& démolirent prefque toutes les églifes des Chrétiens, ou les changerent en mofquées. Ce changement ne pourtant que pour un tems. Les Mahons, qui avoient été tirés de l'isle, y furent ramenés à la follicitation du roi de France, & rétablis de maniere qu'en retenant quelque apparence de leur ancien gouvernement, ils relevoient de la puiffance & de l'autorité des Turcs. Les chrétiens y étoient traités alors affez doucement; les Turcs les laifferent en poffeffion de leurs biens, & permirent même qu'ils gardalfent le château.

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Cette forme de gouvernement dura jufqu'en 1595, que les Florentins, avec quelques galéres du grand duc, vinrent donner un affaut au château de Scio, qu'ils emporterent fous la conduite de Virginio Urfino. Mais une tempête s'étant élevée, leurs galéres furent contraintes de fortir du port, & de remettte en mer, après avoir laiffé environ cinq cents hommes pour la garde du château Les Turcs profiterent de leur retraite. Dès le lendemain ils reprirent le château, firent paffer au fil de l'épée tous les Florentins qu'ils y trouverent, & poferent leurs têtes fur les murailles. Les Turcs s'imaginant que les chrétiens avoient eu quelque part à l'entreprife des Florentins, les dépouillerent de tous leurs biens. Ils auroient même changé toutes les églifes en mofquées, fi Breves, ambaffadeur de France à la Porte, n'eûr détourné le coup par fes follicitations. Depuis ce tems les chrétiens eurent beaucoup moins de liberté à Scio. Une forte garnifon s'empara d'abord du château, & le grand feigneur a toujours eu foin d'y en entretenir une. Les Turcs fe font même accrus en fi grand nombre dans l'isle, qu'on y en compte à préfent plus de fept mille. Outre cela, pour la fureté de l'isle, il y a toujours neuf ou dix galéres dans le port.

Antoine Zeno, capitaine général de l'armée venitienne, parut devant la ville de Scio, le 28 avril 1694, avec une armée de quatorze mille hommes, & commença d'attaquer le château de la marine, feule place de réfistance dans tout le pays : il ne tint pourtant que cinq jours, quoique défendu par huit cents Turcs, & foutenu par plus de mille hommes bien armés, qui pouvoient s'y jetter fans oppofition du côté de terre. L'année fuivante, le 10 de février, les Vénitiens perdirent la place avec la même facilité qu'ils l'avoient prife, & l'abandonnerent préci& l'abandonnerent précipitamment après la défaite de leur armée navale aux isles de Spalmadori, où le Capitan Bacha Mezomorto commandoit la flotte des Turcs. L'épouvante fut fi grande dans Scio, qu'on y laila le canon & les munitions. Les troupes fe fauverent en défordre, & l'on dit encore aujourd'hui dans l'isle, que les foldats prenoient des mouches pour des turbans. Les Turcs y rentrerent comme dans un pays de conquête; mais les Grecs eurent l'adreffe de rejetter fur les Latins la faute de tout ce qui s'étoit paffé. On fit pendre quatre perfonnes des plus qualifiées du rit latin, & qui avoient paffé avec honneur par les principales charges; favoir Pierre Juftiniani, Francefco Drago Burghefi, Dominico Stella Burghefi, Giovanni Caftelli Burgheli. On défendit aux Latins de porter des chapeaux : on les oblide fe faire rafer, de quitter l'habit génois, de defcendre de cheval à la porte de la ville, & de faluer avec refpect le moindre Mufulman. Leurs églifes furent abbattues ou converties en mofquées. L'évêque latin Leonardo Babarini, & plus de foixante familles de plus apparentes fuivirent les Vénitiens à la Morée. * Tournefort, voyage du Levant, t. 1, p. 140.

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Cette isle a produit anciennement de grands hommes, qui fe font rendus célébres parmi les Grecs. De ce nombre font Théopompe l'hiftorien, & Théocrite le fophifte, qui ont écrit l'un & l'autre fur la politique. Les habitans de Scio s'attribuent auffi la naiffance d'Homére. On voit à une lieue de la ville de Scio, au bord de la mer, & près d'un village, entre plufieurs mafures, une grande pierre qu'on reconnoît avoir été taillée d'un roc, & qui eft prefque

toute ronde, mais plate & un peu creuse par en haut. Au deffus & au milieu de cette pierre, il y a des efpeces de fiéges taillés dans la pierre même, & un de ces fiéges, qui eft un peu élevé au deffus des autres, a la figure d'une chaire. Les habitans de Scio tiennent, par tradition, que c'étoit l'école, où le poëte Homére enfeignoit fes difciples où dictoit les vers. On appelle encore cet endroit l'école d'Homére. Ils prétendent même que ce poëte avoit pris naiffance dans un village de leur isle nommé Cardamila; & difent qu'on voit encore fon tombeau fous quelques masures, dans un lieu appellé faint Helie. Mais l'isle de Scio n'eft pas la feule qui s'attribue l'honneur d'avoir produit ce grand homme: Cume, Smyrne, Colophon, Pules,. Argos, & Athènes, lui ont difputé cet avantage. Les habitans de Scio alleguent pour plus grande preuve de la naiffance d'Homére dans leur isle, que les excellens vins qu'on y recueille, font eftimés appartenir à ce poëte, & que c'eft pour cela que ceux de leurs ancêtres, qui ont approché le plus du temps qu'il a vécu, les ont appellés Vins d'Homére.

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Les habitans de Scio conviennent que leur isle a cent vingt milles de tour: Strabon lui donne neuf cents stades de circonférence, c'est-à-dire, cent douze milles & demi : Pline va jufqu'à cent vingt-cinq mille pas. Tout cela peut être vrais car outre que la diftance de ces mefures eft confidérable, la maniere de mefurer une isle, est toujours peu exacte, à caufe de l'inégalité des côtes, dont on ne juge fouvent que par eftimation. L'isle de Scio s'étend du nord au fud; mais elle eft plus étroite vers le milieu. Elle eft terminée au fud par le Cabo Maftico ou de Catomeria, & au nord par celui d'Apanomeria. La ville de Scio & le Campo font vers le milieu à l'eft, fur le bord de la mer. Cette ville eft grande, riante & mieux bâtie qu'aucune du Levant : les maifons en font belles, commodes, terminées par des combles de charpente couverts de tuiles plates ou creufes : les terraffes font enduites d'un bon ciment en un mot, fi l'on fait attention aux autres villes de l'Archipel où l'on ne voit que des maifons de boue, la ville de Scio paroît un bijou, quoique mal percée & pavée de cailloux comme les villes de Provence. Les Vénitiens dans la derniere guerre embellirent Scio, en faisant razer les maifons des environs du château, où l'on voit préfentement une belle esplanade.

Ce château eft une vieille citadelle conftruite par les Génois fur le bord de la mer : il bat la ville & le port; mais il paroît dominé par une partie de la ville. On prétend qu'il y a quatorze cents hommes de garnifon; il en faudroit plus de deux mille par rapport à fon enceinte défendue par des tours rondes, & par un méchant foffé: le dedans de la place eft prefque tout rempli de maifons fort ferrées, habitées feulement par des Mufulmans, ou occupées par la nobleffe latine, comme le marquent encore en plufieurs endroits les armes des nobles Juftiniani, Burghefi, Caftelli & autres: les Turcs en rétabliffent tous les jours les maifons détruites par les bombes des Vénitiens, & l'on y a bâti une mosquée affez propre.

Le port de Scio eft le rendez-vous de tous les bâtimens qui vont à Conftantinople, ou qui en reviennent, pour aller en Syrie & en Egypte : cependant ce port n'eft pas des meilleurs, quoique Strabon affure qu'il peut contenir jufqu'à quatre-vingts vaiffeaux ; il n'y a préfentement qu'un méchant mole, ouvrage des Génois formé par une jettée à fleur d'eau, & dont l'entrée eft affez étroite, & dangereufe par les rochers des environs, qui font à peine couverts d'eau, & que l'on éviteroit difficilement, fans le fanal élevé fur l'écueil de faint Nicolas.

Athénée a raifon de dire que Scio eft une ifle montagneule & rude; cependant les bois rendoient ces montagnes plus agréables dans ce tems-là ; au lieu qu'elles font aujourd'hui affez ftériles. La campagne eft affez belle en certains endroits, & l'on n'y voit qu'orangers, citroniers, oliviers, meuriers, myrtes, grenadiers, fans compter les lentifques, & les terebinthes. Le pays ne manque que de grains: l'orge & le froment, qu'on y recueille, fuffifent à peine à la nourriture de fes habitans pendant trois mois; on eft obligé d'en tirer de terre ferme le refte de l'année ; c'eft pourquoi les princes chrétiens ne pourroient pas conferver cette ifle long-tems s'ils étoient en guerre avec les Turcs. Cantacuzéne rapporte que Bajazet affama toutes les

ifles en défendant qu'on y transportât des grains : il feroit mal aifé de fe bien établir dans l'Archipel, fans pofféder la Morée ou la Candie, d'où l'on tireroit des vivres. Le village de Gefme, fitué vis-à-vis de Scio, en deçà du cap de Carabouron, & qui eft l'ancienne ville d'Erythrée, suivant quelques-uns, fournit des grains à Scio.

Pour du vin, Scio en fournit aux ifles voifines: il eft agréable & stomachal. Théopompe, dans Athénée, dit que ce fut Oenepion, fils de Bacchus, qui apprit aux Sciotes à cultiver la vigne; que ce fut dans cette ifle que fe but le premier vin rofé, & que fes habitans montrerent à leurs voifins la maniere de faire le vin. Virgile & Horace s'accommodoient fort des vins de Scio : Strabon, qui en parle comme des meilleurs vins de Gréce, vante fur-tout celui d'un quartier de l'isle opposé à celle de Pfyra ou Pfara comme l'on prononce aujourd'hui, & Pfara n'eft connue dans le Levant que par cette liqueur. Les troupes de Mezomorto ont détruit les vignes d'Antipfara, qui rapportoient auffi beaucoup de vin. Pline parle très-fouvent des vins de Scio, & cite Varron, le plus favant des Romains, pour prouver qu'on l'ordonnoit à Rome dans les maladies de l'eftomac. Varron rapporte auffi qu'Hortenfius en avoit laiffé plus de dix mille piéces à fon héritier. Céfar, ajoute Pline, en régaloit fes amis dans fes triomphes, & dans les feftins qu'il donnoit au grand Jupiter & aux autres divinités; mais Athénée entre dans un grand détail fur la nature, & fur les qualités des vins de Scio. Ils aident, dit-il, à la digeftion; ils engraiffent; ils font bienfaifans, & l'on n'en trouve point de fi agréables, fur-tout ceux du quartier d'Ariufe où l'on en fait de trois fortes, continue cet auteur; l'un a tant fait peu de cette verdeur qui fe convertit en féve moelleux, nourriffant, & paffant aifément; l'autre, qui n'eft pas tout-à fait fans liqueur, engraiffe & tient le ventre libre ; le dernier participe de la délicatesse & de la vertu

des autres.

A Scio l'on cultive la vigne fur les coteaux, & l'on y coupe les raifins dans le mois d'Août pour les laiffer fécher pendant huit jours au foleil, après quoi on les foule, & on les laiffe cuver dans des celliers bien fermés. Pour faire le meilleur vin, on mêle parmi les raifins noirs une efpéce de raisin blanc, qui fent comme le noyau de pêche; mais pour faire le nectar, qui porte encore aujourd'hui le même nom, on employe du raifin, dont le grain a quelque chofe de ftiptique, & qui le rend difficile à avaler. Les vignes les plus eftimées font celles de Mesta, d'où les anciens tiroient ce nectar; on en recherche les crossettes, & Mefta eft comme la capitale de ce fameux quartier que les anciens appellent Ariousia.

On peut juger de là pourquoi l'on voit dans Goltzius des grapes de raifin fur quelques médailles de Scio ; on y repréfentoit auffi des cruches pointues par le bas, & à deux anfes vers le col; cette figure étoit propre pour en faire féparer la lie, qui fe précipitoit toute à la pointe après qu'on les avoit enterrées enfuite on en pompoit le vin; mais il n'eft pas fi aifé de rendre raison pourquoi on repréfentoit des Sphinx, fur les revers de ces médailles, fi ce n'eft que le Sphinx eût fervi de fymbole aux Sciotes, de même que la chouette aux Athéniens.

On ne recueille pas beaucoup d'huile dans Scio: les meilleures récoltes n'en donnent qu'environ deux cents muids; chaque muid pefe quatre cents oques, & l'oque n'eft à Scio que de trois livres deux onces. Les François tirent affez de miel & de cire de cette isle; mais la fove eft la marchadise la plus confidérable du pays: on y en fait tous les ans, fuivant leur maniere de compter, plus de foixante mille maffes où trente mille livres, la maffe ne pefant que demi-livre de notre poids: prefque toute cette foye eft employée dans l'isle aux manufactures de velours, de damas, & autres étoffes, deftinées pour l'Afie, l'Egypte & la Barbarie.

On mêle quelquefois de l'or & de l'argent dans ces étoffes : chaque livre de foye doit à la douane quatre timins, c'est-à-dire vingt fols de notre monnoye: en 1700 elle fe vendit jufqu'à trente-cinq timins la livre; celui qui l'achete eft obligé de payer la douane. Les Turcs & les François payent trois pour cent. Cette douane eft affermée ving-cinq mille écus au profit du grand tréforier de Conftantinople.

Les autres denrées de l'isle font la laine, les fromages,

les figues & les maftics : le commerce de la laine & des fromages n'eft pas fi confidérable que celui des figues : outre celles que l'on confume à faire de l'eau de vie, on en charge encore des bateaux pour les isles voifines: ces figues y viennent par caprification; mais pour les conferver on eft obligé de les paffer par le four, où elles perdent leur goût. Il n'y a point de falines dans Scio; on va chercher le fel à Naxie ou à Fochia.

On diftingue les villages de l'isle en trois claffes; favoir, ceux del Campo, ceux d'Apanomeria, ceux où l'on cultive les lentifques, arbres qui donnent le maftic en larmes. Les villages del Campo, ou ceux qui font aux environs de la ville, s'appellent Bafilionica, Thymiana, Charkios, Neocorio, Berberato, Ziphia, Batili, Daphnona, Caries & Petrana; ce dernier eft prefque abandonné.

Les villages d'Apanomeria font faint-George, Lithilimiona, Argoui où l'on fait le charbon, Anobato, Sieroanta, Piranca, Purperia, Tripez, Sainte Hélène, Caronia Keramos, Aleutopoda, Amarca, Fita, Cambia, Viki Amalthos, Cardamila, Pytios, Majatica, Volislo fur la côte duquel on dir que l'on voit la mer bouillir; apparemment que ce font des bouillons d'eau chaude, femblables à ceux de Milo. Spartonda eft encore un village dans le même quartier, au pied du mont Pelincé, la plus haute montagne du pays, & connue aujourd'hui fous le nom de la montagne de Spartonda. On a bâti fur le fommet de cette montagne la chapelle de faint Hélie, auprès d'une excellente fource, mais on ignore ce que c'est les ruines d'un vieux château fitué fur la même montagne : il y a des fources d'eaux chaudes proche le village de Calantra.

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Les villages aux lentisques s'appellent Calimatia, Tholopotami, Merminghi, Dhidhima, Oxodidhima, Paita, Cataracti, Kini, Nenita, où eft la fameufe chapelle de faint Michel, Vounos, Flacia, Patrica, Calamoti, Armoglia, où l'on fait des pots de grez, Pirghi, Apolychni, Elimpi, Elata, Vesta, Mesta, dans le fameux champ Arvitien.

Le cadi gouverne tout le pays en tems de paix : pendant la guerre on y envoye un bacha pour commander les troupes. Le mufti de Conftantinople nomme le cadi de Scio; c'eft un cadi du premier rang: il a cinq cents apres par jour. Il n'y a point de vaivode dans cette ifle, mais un aga, commandant environ cent cinquante janiffaires en tems de paix, & trois ou quatre cents pendant la guerre. Il n'y a pas dans Scio plus de dix mille Turcs, & trois mille Latins; mais on y compte bien cent mille Grecs.

La capitation eft divifée en trois claffes dans cette ille; la plus forte eft dix écus trois parats; la moyenne de cinq écus trois parats; la moindre de deux écus & demi trois parats; les trois parats font pour celui celui qui donne la quittance: les femme & les filles ne payent point de capitation. Pour diftinguer ceux qui la doivent, on prend avec un cordon la mesure de leur cou, après quoi on double cette mefure, dont on met les deux bouts entre les dents de la perfonne en queftion; fi la tête passe franche dans cette mefure, la perfonne doit payer; au contraire, elle ne doit rien, fi la tête n'y paffe pas. Sur cent billets de capitation, ou en met quatre-vingts de cinq écus, dix de dix écus, & les dix autres font de deux écus & demi. On ne paye point de taille réelle, mais feulement quelques impôts arbitraires, pour acquitter les dettes de la ville, dont les affaires paffent par les mains de quatte nouveaux députés, élus tous les ans, élus tous les ans, & de huit des anciens : dans chaque village on élit deux adminiftrateurs & quatre anciens.

Au nord de l'ifle, on voit les ruines d'un ancien temple à cinq milles de Cardamyla, village à dix-huit milles de Scio, au-delà du port Dauphin. Cardamyla & le port Dauphin ont confervé leurs anciens noms. Pour ce qui eft du temple, on ne fait pas à qui il étoit confacré ; on n'y voit aucun refte de magnificence. Il étoit bâti de gros quartiers de pierre cendrée, au fond d'une méchante cale, dans une vallée étroite & défagréable. La fituation du lieu, & les amours de Neptune avec une nymphe de cette ifle, font foupçonner qu'il avoit été dédié à ce dieu; car pour le temple d'Apollon, dont parle Strabon, il étoit au fud de l'ifle, & par conféquent fort éloigné de celui-ci. Au-deffous de ce temple de Neptune, coule une belle fource, qui fort d'un rocher, & qui peut-être avoit donné lieu d'y élever cet édifice. Il n'y a pas d'apparence que cette fource ait été

la fontaine d'Hélène, dans laquelle, felon Etienne le géographe, cette princelle avoit accoutumé de fe baigner. La cascade en eft affez belle: mais on n'y voit plus ces marches de marbre dont parle Thévenot; il ne paroît pas même qu'il y en ait eu de femblables.Ce voyageur avoit confondu, dans le manuscrit d'où il a tiré fa principale description de Scio, la fource de Naxos avec la fontaine de Sclavia, qui coule fur le marbre dans le quartier le plus délicieux de l'ifle, & que l'on fait voir aux étrangers comme une des merveilles de Scio. Tout le monde croit que Sclavia eft la fontaine d'Hélène, dont Etienne le géographe a fait

mention.

De Tournefort dit : Nous n'ofâmes demander des nouvelles d'une autre fontaine de Scio, qui, au rapport de Vitruve, faifoit perdre l'esprit à ceux qui en buvoient, & auprès de laquelle on avoit mis une épigramine pour avertir les paffans des méchantes qualités de fes eaux : nous en parlâmes pourtant, en paflant, à Ammiralli qui a étudié à Paris, & qui exerce la médecine avec applaudiffement dans Scio fa patrie; il nous affura qu'on ne parloit plus de cette fontaine dans l'ifle, ni de la terre de Scio, dont Dioscoride & Vitruve ont parlé : il eft vrai que perfonne ne s'attache à l'hiftoire naturelle dans ce pays; le grec littéral même y eft très négligé.

Au refte, le féjour de Scio eft fort agréable, & les femmes y ont plus de politeffe que dans les autres villes du Levant. Quoique leur habit paroiffe fort extraordinaire aux étrangers, leur propreté les diftingue des Grecques des autres ifles. On fait bonne chere à Scio. Les huitres qu'on y apporte de Metelin font excellentes, & toute forte de gibier y abonde, fur-tout les perdrix. Elles y font auffi privée que les poules. Il y a des gens, du côté de Vefta & d'Elata, qui les elevent avec foit. On les mene le matin à la campagne chercher leur nourriture, comme des troupeaux de moutons. Chaque famille confie les fiennes au gardien commun, qui les ramene le foir, & on les appelle chez foi avec un coup de fifflet. S'il plait au maître de faire venir pendant la journée celles qui lui appartiennent, on les avertit avec le même fignal, & on les voit revenir fans confufion.

L'exercice public de la religion catholique étoit le plus beau privilége que les rois de France euffent fait conferver aux Sciotes : ils en furent privés à la fin du dernier fiécle, fous ombre de rebellion. On y faifoit l'office divin avec les mêmes cérémonies que dans le centre de la chrétienté. Les prêtres portoient le faint facrement aux malades en plein jour, avec des fanaux. La proceffion de la Fête Dieu y étoit folemnelle ; & les Turcs appelloient cette ifle la petite Rome. Outre les églifes de la campagne, les Latins en avoient fept dans la ville. Le dôme ou la cathédrale eft de venu mosquée, de même que l'églife des dominicains : de l'églife des jéfuites, dédiée à faint Antoine, on en a fait une hôtellerie; celles des capucins, des récollers, de NotreDame de Lorete & de fainte Anne, ont été abbattues. Les capucins avoient encore, à cinq cents pas de la ville, l'églife de faint Roch, où l'on enterroit les François & les protégés; mais elle a eu le même fort que les autres. Les églifes de la campagnes, étoient faint Jofeph, à deux milles de la ville, Notre Dame de la conception, à deux milles & demi, faint Jacques, à un quart de mille, la Madona, à un mille & demi, la Madona d'Elifée, à deux milles & demi, & faint Jean, à un demi-mille. Les prêtres latins avoient auffi la liberté de dire la meffe dans dix ou douze églifes grecques, & quelques gentilshommes avoient des chapelles dans leurs maifors de campagne. Rome donnoit deux cents écus à l'évêque, qui d'ailleurs profitoit d'un cafuel confidérable. Il refte encore à Scio vingt-quatre ou vingt-cinq prêtres, fans compter les religieux François & Italiens, qui ont perdu leurs couvens. Après la prise de Scio, les Turcs mirent les prêtres à la capitation; mais de Riants, vice conful de France, les en fit exempter. Les religieufes n'y font point cloîtrées, non plus que dans le refte du Levant. Les principales font de l'ordre de faint François, ou de faint Dominique ; & les unes & les autres font dirigées par les jéfuites.

L'évêque grec eft fort riche. Il y a plus de trois cents églifes dans la ville; & tout le refte de l'ifle eft plein de chapelles. Les monaftères grecs y jouiffent de gros revenus. Celui de faint Minas eft de cinquante caloyers, & celui de faint George, d'environ vingt-cinq. Le plus considérable

eft à Néamoni; c'est-à-dire, nouvelle folitude, & à cinq milles de la ville. Ce couvent paye cinq cents écus de capitation. Il renferme cent cinquante caloyers, qui ne mangent en communauté que le dimanche & les fêtes, le reste de la femaine chacun fait fa cuifine comme il l'entend; car la maison ne leur doune que du pain, du vin & du fromage. Ce couvent eft fort grand, & ressemble plutôt à un village qu'à une maifon religieuse.

On prétend qu'il pofléde la huitième partie des biens de l'ifle, & qu'il a plus de cinquante mille écus de rente. Outre les acquifitions continuelles que la maison fait par les legs pieux, il n'eft point de caloyer qui ne contribue à l'enrichir; ils donnent cent écus pour leur réception ; & en mourant, ils ne fauroient dispofer de leurs biens, qu'en faveur du couvent ou de quelqu'un de leurs parens, qui ne peut hériter que du tiers, encore à condition qu'il fe fera religieux dans la même maison. Ils ont trouvé par là, le fecret de ne rien perdre. Le couvent eft fur une colline bien cultivée, dans une folitude défagréable, au milieu de grandes montagnes toutes pelées. Quoique l'églife foit mal percée, elle paffe pourtant pour une des plus belles du Levant. Tout y eft gothique, excepté les cintres des voutes. Les peintures en font groffieres, malgré les dorures qu'on n'y a pas épargnées; auffi le nom de chaque faint eft il écrit au bas de fa figure, de peur qu'on ne le confonde avec fon voifin. L'empereur Conftantin Monomaque, qui a fait bâtir cette églife, comme l'affurent les moines, y eft peint & nommé. Les colonnes & les chapiteaux font de jaspe du pays, mais d'un mauvais profil. Ce jaspe n'a rien d'éclatant. Il n'eft pas rare autour du monastère. Celui qu'on a employé dans cette église, a été tiré des anciennes carrieres de l'ifle, assez près de la ville. Strabon, l. 13, a parlé de ces carrieres; & Pline affure qu'on y découvrit le premier jaspe. En bâtiffant les murailles de la ville, on fit remarquer cette pierre à Cicéron: Je la trouverois encore plus belle, dit-il, fi elle venoit de Tivoli; voulant par-là leur faire comprendre, qu'ils feroient maîtres de Rome s'ils poffédoient Tivoli, ou que leur pierre feroit plus eftimée fi elle venoit de loin. C'eft dans ce voyage, fuivant les apparences, que cet auteur apprit qu'on avoit trouvé dans ces carrieres la tête d'un fatyre, deffinée naturellement fur une pierre d'éclat.

Près du cap de Scio, qui regarde au nord-eft, où, entre Scio & le continent de Calaberno, il y a une ifle appellée Agunto ou Spalmentori; & un peu plus vers le midi fur le même parage, il y en a une nommée Pafargo. A l'occident de celle d'Agunto, on en découvre deux ou trois petites toutes baffes, & couvertes de verdure. Le détroit qui fépare l'ifle d'Agunto d'avec le rocher Strovelle, situé près du cap nord-eft de l'ifle de Scio, eft net & fain, & a par tout cinquante ou foixante braffe de profondeur, fur une demi-lieue de largeur. Du côté du midi de l'ifle de Scio & tout près, & à deux lieues au fud-oueft de CampoBlanco, qui eft le cap de l'ifle qui regarde du côté du sud-est, on trouve une fort petite ifle, ou plutôt un grand & haut rocher, appellé dans les cartes marines Venetico ou Venetica, & autour duquel le fond de la mer eft net & fain. On peut en toute fureté faire voile entre ce rocher & le bout méridional de l'ifle de Scio, mais il feroit plus fûr de pren dre fa route au-deffus du rocher, du côté du midi, pour éviter d'y aller heurter en tems de bonace; ce qui pourroit arriver en cinglant entre deux. Directement à l'oppofite de ce rocher, la côte de l'ifle de Scio, qui regarde au fud eft, commence à s'étendre eft-nord- eft. Il y a une petite ifle ou rocher devant le port Delphino, & fur cette ifle appellée dans les cartes marines Saint-George ou Saint Stephano on trouve un phare. Au-devant du port de Cardamille, qui eft à dix milles d'Italie du port Delphino, & à vingt de la ville de Scio, on voit le rocher Strovilli, appellé Strovele, dans les cartes marines. Tout près de Scio eft une isle appellée Suffam. Elle entretient une galere pour le fervice du grand feigneur, & eft destinée à courir fur les corfaires de Malthe & de Livourne. Enfin, on trouve plufieurs isles entre le cap de l'Anatolie, appellé Calaberno ou Calabournez, par les Turcs, & l'isle Scio. Elles paroillent s'ouvrir en plufieurs endroits, pour qu'on puiffe cingier entre deux, quand on fait voile du port de Smyrne ou du cap de Calaberno, vers l'isle de Scio.

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ŚCIOESSA, lieu du Péloponnéfe, dans l'Achaïe propre. Pline, l. 4, c. 5, dit que ce lieu étoit fort connu à

caufe de fes neuf montagnes. Solin ajoute que ces montagnes, auxquelles il ne donne pourtant que le nom de collines, rendoient ce lieu fi fombre, que les rayons du foleil avoient de la peine à y pénétrer.

SCIOLI, ville de Sicile, dans le Val de Noto, en tirant vers le midi, fur le torrent de Sicli, au voifinage de Modica. On l'appelle auffi SICLI. Elle eft à dix milles de la ville de Noto au couchant.* Baudrand, Dict.

SCIONE ou SCION, ville de Thrace, felon Thucydide, 1. 4 & 5, Hérodote, l. 7, Pomponius Mela, l. 2, C. 2, & Etienne le géographe, qui la placent près du promontoire Canafireum. Arrien & Pline, mettent une ville infulaire de ce même nom, fur la mer Ægée; & Strabon en connoît une en Macédoine, dans la Cherfonéfe de Palléne; mais, dit Ortelius, je ferois fort tenté de croire que tous ces auteurs n'entendent parler que d'une feule & même ville. Etienne le géographe dit, que Scione fut bâtie par des Grecs qui revenoient du fiége de Troye; ce qui eft confirmé par Pomponius Mela. On voyoit à Athénes, dans le Precile, des boucliers attachés à la muraille, avec une inscription qui portoit que c'étoit les boucliers des Scionéens, & de quelques troupes auxiliaires qu'ils avoient avec eux. *Paufan. I. 1, c. 15.

SCIOPODÆ, cfpéce d'hommes ou de monftres, dans l'Inde, felon Pline, 1.7, c. 2, qui ne leur donne qu'une jambe. Etienne le géographe & Suidas connoiffent de pareils monftres au bord de l'Océan occidental fous la Zone Torride; mais au lieu de Sciopodes, ils lifent Sciapodes. Philoftrate fuit la même ortographe dans la vie d'Apollonius, mais il en fait un peuple fabuleux.

1. SCIPIONIS-MONUMENTUM, lieu d'Italie, fur la voie Appienne, à un mille de Rome, felon Ortelius, qui cite la chronique d'Eufebe, & ajoute que le poëte Ennius y fut auffi enterré.

2. SCIPIONIS-MONUMENTUM. Voyez l'article qui fuit.

3,

3. SCIPIONIS - ROGUS, lieu d'Espagne : Pline, 1. c. 1, la place au voifinage du fleuve Tader, aujourd'hui Segura. Ce lieu eft appellé Scipionis Monumentum, par Jornandès.

SCIOULE, riviere de France, dans le Bourbonnois. Elle vient d'Auvergne, & arrofe le pays de Combrailles, & les petites villes d'Ebreuil, de Saint-Pourçain, traverse l'élection de Gannat, & fe jette dans l'Allier, vers les Echerolles.

SCIOUX, peuples de l'Amérique feptentrionale, dans la Louifiane, vers le nord de cette contrée. Ils habitent à la droite & à la gauche du fleuve de Miffiffipi, au-deffus de l'endroit où ce fleuve reçoit les rivieres de Saint-Pierre & de Sainte-Croix. On les diftingue à raifon de cette fituation en Scioux de l'eft, & en Scioux de l'oueft. Ces Scioux font les plus cruels de tous les Sauvages. Ils font grands guerriers, mais c'eft principalement fur l'eau qu'ils font redoutables. Ils n'ont que de petits canots d'écorce, faits en forme de gondole, & guères plus large que le corps d'un homme, où ils ne peuvent tenir que deux ou trois tout au plus. Ils rament à genoux, maniant l'aviron tantôt d'un côté tantôt d'un autre, c'est-à-dire, donnant trois ou quatre coups d'aviron du côté droit, & puis autant du côté gauche, mais avec tant de dextérité & de viteffe, que leurs canots femblent voler fur l'eau. * De l'Ifle, Atlas. SCIRA, lieu de l'Attique, felon Ortelius, qui cite Euftache, & qui foupçonne que c'eft le même lieu qui eft appellé Scirus, par Paufanias. Voyez SCIRUS, no. 2. SCIRADIUM, promontoire dont parle Plutarque, in Solone, qui paroît le placer fur la côte de l'Attique, dans le golfe Saronique, près de la ville de Mégare.

SCIRAS. Voyez SALAMIS.

SCIRATE, peuples de l'Inde. Il en eft parlé dans Alien, l. 16, Animal. qui dit que leur narines étoient femblables à celles des finges. Il ajoute qu'il y avoit dans leur pays des ferpens d'une grandeur énorme. Voyez CIRRHADIA, car ce font les mêmes peuples.

SCIRITIS, contrée du Péloponnéfe, dans la Laconie: Thucydide, l., fait entendre qu'elle étoit limitrophe du territoire de Pharrafium. Les habitans de cette contrée font appellés SCIRITA par le même hiftorien. Hérodote & Xénophon parlent de la Siridite, ainfi qu'Etienne le géographe, qui, comme Thucydide, nomme les habians Scirita.

SCIRO, anciennement SYROS, isle de l'Archipel, & l'une des Cyclades. Il femble qu'Homére en ait fait mention fous le nom de Syrie, comme le remarque Strabon: les Italiens l'appellent encore Syro, & dans les cartes marines, on la trouve défignée fous le nom de Syra ou de Zyra. Etienne le géographe la fait une isle Ionienne.* Dapper, Descr. de l'Archipel, p. 270.

Elle eft fituée à deux grandes lieues vers le nord-ouest de Delos, & à une directement au nord-oueft de celle de Levata, ayant les isles de Zea, & de Phermina du côté d'occident, celle d'Andros vers le feptentrion, Tene & Levata du côté du nord-eft & d'orient, Paros vers le midi & Mycone du côté d'orient.

Elle étoit anciennement, felon Homére, riche & fortunée; car il rapporte qu'elle étoit abondante en pâturages, en bétail, en bled & en vin, en ajoutant qu'on n'y a ja̸mais vu la famine, & qu'on ne s'eft jamais apperçu que des maladies contagieufes y ayent fait des ravages confidérables.

Les Phéniciens ont anciennement poffédé cette isle l'ayant fouvent fréquentée du tems même de leurs héros. Sur quoi on lit dans Homére, que des marchands Phéniciens, après y avoir féjournée un an, en emmenerent la concubine du roi Crefius, qui étoit native de Sidon en Phénicie, & fille du roi Aribas.

Cette isle eft célébre par la naissance de Phérécide, ancien philofophe grec, qui s'eft acquis une grande ré putation, & qui a le premier enfeigné parmi les Grecs la philofophie, bien qu'il ne l'eut apprife que dans les livres phéniciens, fans aucun maître. Quelques auteurs tiennent qu'il a été précepteur de Pythagore, & d'autres de Thalès Miléfien, qui a été un des fept fages de la Grèce.

On a gardé long-tems dans cette isle un chef-d'œuvre de ce philofophe, qui marquoit affez l'étendue de fon génie, & la pénétration de fon esprit.C'étoit un héliotropium ou tourne fol, ainfi que le nomment les Grecs, c'eft-à-dire, un inftrument fciotérique ou une montre folaire, dont l'aiguille marquoit les tropiques par l'augmentation on la diminution de fon ombre : mais des vers d'Homére, foot croire que cet inftrument étoit déja dans l'isle dès le tems d'Homére. En voici le fens : Il y a une ifle appellée Syrie, fi tu l'as pu entendre nommer. Elle eft fituée au deffus d'Ortygie ou Delos, & c'est là où font les folftices ou les tropiques.

Il y a dans cette isle une petite ville, appellée Asprana; & on trouve, à fon côté oriental, un port raifonnablement bon pour des bâtimens communs, devant lequel font fituées trois ou quatre petites isles, appellées Gadronifi par le moyen desquelles il eft à couvert des vents.

SCIRONIDES PETRÆ ou SCIRONIA-SAXA, rochers de Gréce, au territoire de Mégare, entre la ville de ce nom & l'ifthme de Corinthe, près du chemin appellé Sciron, felon Strabon, 1.9, ineunte: Pomponius-Mela, 1. 2, c. 3, & Paufanias, l. 1, c. ultim. difent que ces rochers étoient odieux, & qu'on les regardoit comme fouillés; parce que Sciron, qui autrefois habitoit dans cet endroit, y exerçoit fa cruauté envers les paffans & les jettoit dans la mer.

SCIRONIS VIA, chemin de Gréce. Strabon, l. 9, ineunte, dit que ce chemin prenoit depuis l'ifthme de Corinthe jufqu'à Mégare, & qu'il conduifoit dans l'Attique. On donna à ce chemin le nom de Sciron, parce que dans le tems que Sciron commandoit les troupes de Mégare il le fit applanir pour la commodité des gens de pied : enfuite par les ordres de l'empereur Hadrien ce chenin fut élargi; de forte que du tems de Paufanias, l. 1, c. ult. il y pouvoit paffer deux chariots de front. A l'endroit où ce chemin forme une efpèce de gorge ou de défilé, continue Paufanias, il eft bordé de groffes roches, dont l'une nommée MOLURIS eft fur-tout fameufe; car on dit que ce fut fur cette roche qu'Ino monta pour le précipiter dans la mer, avec Mélicerte le plus jeune de fes fils, après que le pere eut tué Léarque, qui étoit l'aîné. Cette roche de Moluris étoit confacrée à Leucothoé & à Palemon. Les roches des environs n'étoient pas moins odieufes : on les nommoit SCIRONIDES-PETRA. Voyez l'article qui précéde. Paufanias ajoute : Sur le fommet de cette montagne qui commande le chemin, il y a un temple de Jupiter, furnommé Aphefius, du mot pas, injicere, fe jetter en bas. La raifon que l'on donnoit de ce furnom, c'est que durant une fechereffe extraordinaire, Eacus, après avoir facrifié

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