SUFFOLK, province maritime d'Angleterre, au fud de celle de Norfolk & dans le diocèse de Norwich. Elle a pour bornes au midi la Stoure, qui la sépare du comté d'Effex; au couchant la même riviere, & une autre petite, qui la séparent de la province de Cambridge; au nord les deux rivieres de Litll Oufe (la petite Oufe) & de Waveney, qui, fortant près l'une de l'autre, tiennent une course toute opposée, l'une à l'occident, l'autre à l'orient, & la séparent du duché de Norfolk. Cette province fait un carré long, qui finit par un cone. Elle a vingt-cinq milles dans sa plus grande largeur du nord au sud, quarante-cinq de long de l'orient à l'occident, & cent quarante de circuit. Les anciens Icéniens habitoient cette province, & celle de Norfolk & de Cambridge. Les Saxons firent un royaume de tout cela, auquel ils donnerent le nom d'Est-Angles. On compte dans la province de Suffolk vingt deux hundreds ou centaines, vingt huit, tant villes que bourgs à marché, sept châteaux & cinq cents foixante quinze paroilles. Elle comprend près d'un million d'arpens de terre, & trente-quatre mille quatre cents vingt-deux maifons, entre lesquelles il y en a plusieurs magnifiques, dans les campagnes qui appartiennent à divers feigneurs, comme Bromehall ou Broomhall, & Culford-hall, Denham-hall, Townsend, Toftock, Grey, Sudbornhall & Sohemlodge, Euftondhall, Brightwel. Il s'y trouve fept villes ou bourgs à marché qui ont droit de députer au parlement. L'air de la province elt fort doux, fort sain, & paffe même pour l'un des meilleurs d'Angleterre, fur-tout aux environs de Bury; c'est pourquoi les médecins de Londres ordonnent à leurs malades, attaqués du poumon, d'aller respirer l'air de cette province pour y rétablir leur santé. Le terroir est trèsfertile, étant pour la plupart d'argile & de marne. On y fait le meilleur beurre d'Angleterre, & d'excellens froma ges: en un mot, il n'y manque rien de ce qui est nécessaire à la vie. En 1557, comme l'Angleterre souffroit une grande difette, & une extraordinaire cherté de vivres, on vit croître inopinément des pois, sans culture, sur les rochers qui font le long de l'Océan, entre Oreford & Albo. rough; & ce qu'ily a de plus merveilleux, l'on y en trouva une fi grande quantité, qu'on en recueillit plus de cent mefures à l'entrée de l'automne, & les fleurs qui restoient, sembloient en promettre encore autant. Si le fait est, on ne fauroient nier que ce ne fut un effet de la providence, puisqu'enfuite de cette récolte inesperée, on vit baisser le prix des denrées. Les seigneurs qui portent le titre de comtes de Suffolk, sont de la maison des Howards, descendus de Thonias Howard, second fils du duc de Norfolk, honoré de cette dignité par le roi Jacques I, il y a environ un fiécle. Il y a dans cette province beaucoup de manufactures de draps & de toiles. Les villes on bourgs où l'on tient marché font : folk, SUFICULA, fiége épiscopal d'Afrique, dans la Byzacene. Privatianus son évêque, assista au concile tenu sous saint Cyprien l'an 255. Ne feroit ce pas le même siége que celui de Sufis ou à Sufibus? C'est la même province: on peut avoir mis Privatus pour Privatianus. Le concile auquel on dit qu'ont afsisté ces deux évêques est le même. Cependant le pere Hardouin les diftingue. SUFIS OU SUFIBUS, fiége épiscopal d'Afrique, dans la Byzacene. Privatus qualifié episcopus à Sufibus, louscrivit au concile tenu sous faint Cyprien. * Hardouin, Collect. conc. t. 1, p. 166. SUGABARRITANUS, siége épiscopal d'Afrique, dans la Mauritanie Césariense, selon la notice des évêchés de cette province. Dans la conférence de Carthage, n°. 135, Maximianus eft dit episcopus plebis Sugabbar. ritana. Ce fiége est le municipium Sugabarritanum d'Ammien Marcellin, & la ville Zuchabari de Ptolomée. 1. SUGAMBRI, peuples de l'Inde, felon Justin, 1. 12, c. 9, qui les met au nombre de ceux que fubjugua Alexandre le Grand. Mais il y a apparence que cet endroit de Juftin est peu correct, car les peuples qu'il nomme Ambri & Sugambri, font nommés par Arrien & par Quinte-Curfe Malli & Oxydraca. 2. SUGAMBRI. Voyez SICAMBRI. SUGDA. Voyez PHULA. 1. SUGDIA, fiége archiepiscopal, dans la Mæsie, connu par les sanctions des pontites orientaux, & par Curopalate. * Ortel. Thef. 2. SUGDIA. Voyez SOGDIANA. SUGDIANA. Voyez SOGDIANA. SUGDII MONTES, montagnes de la Sogdiane: Prolomée, 1.6, c. 12, dit qu'elles s'étendent entre deux fleuves. Le manuscrit de la bibliotheque palatine lit Sogdii pour Sugdii. SUGDIUS. Voyez TAURUS. SUGEN, ville de la Chine, dans la province de Quangsi, au département de Kingyuen, troifiéme métropole de la province. Elle est de 104 21' plus occidentale que Pekin, sous les 25d 5' de latitude septentrionale. * Atlas Sinenfis. SUGGITANUS, siége épiscopal d'Afrique, dans la Numidie, selon la notice d'Afrique, où il est fait mention de Victor Suggitanus. * Hardouin, Collect conc. t. 2, p. 870. SUGULMESSE OU SEGELMESSE, province d'Afrique, dansla Barbarie, au Biledulgerid. Elle est bornée par la province de Dara au couchant, celle de Rerel au levant, le Zaara au midi, & les montagnes du grand Atlas au septentrion. Elle prend son nom de sa capitale, & est arrofée de la riviere de Zis. La longueur de ce pays est de plus de quarante lieues. Ceux qui l'habitent sont des Bérebéres, qu'on appelle Xenetes, Zinagiens, Haoares, sur la frontiere des Morabitains ou Almoravides. Cet état avoit autrefois un prince particulier. Les Almoravides le conquirent, & ensuite les Almohades, puis les Benimerini, sous lesquels ces peuples s'étant révoltés, leur Seigneur, nommé Joseph, fut tué, & leur capitale fut ruinée, avec tout ce qu'il y avoit de plus considérable dans la province. Quelques-uns attribuent la fondation de cette capitale à un capitaine Romain, qui venant de la Mauritanie conquit toute la Numidie, jusqu'à la ville de Messe, & bâtit celle de Sugulmesse, à l'endroit où la riviere de Zis entre dans cette province. Il la nomma Sigillum Messe, comme qui diroit le sceau de la victoire. Quelques uns disent qu'Alexandre le Grand bâtit cette place pour mettre les malades de son armée: mais on fait qu'il n'a jamais palle en Afrique, au delà du lieu où étoit l'oracle d'Amnon. La ville de Sugulmesse est dans une plaine, sur le bord de la riviere, & on voit encore les vestiges de ses murailles, qui étoient hautes & belles. Elle appartenoit aux Zenetes, avant que Jofeph-Abu-Techifien la conquit. C'étoit une ville très-peuplée, où abordoient beaucoup de marchands de la Barbarie, & du pays des Négres. Elle étoit embellie de plusieurs temples, palais & colleges, & avoit grand nombre de fontaines, qu'on élevoit de la riviere par des roues, & qui se déchargeoient dans des réservoirs fort hauts, d'où elle fe répandoient par toute la ville. Les peuples de la province s'étant ralliés après la destruction de Sugulmesse, bâtirent quelques forteresses, entr'autres Tenequent, Tebuaçant, Mamuin, & s'y retirerent. Il y a dans chacune un chef de parti qui y commande. Les habitans sont perpétuellement en querelles les uns avec les autres. Ils rompent les canaux & les machines dont ils arrosent leurs terres avec beaucoup de travail & de dépense, coupent les arbres par le pied, & s'entrepillent à la faveur des Arabes. Ces seigneurs battoient monnoie d'or & d'argent; les doublons étoient de bas or, & la monnoie étoit d'argent fin. Ce qui s'en tiroit étoit pour le seigneur, aussi bien qu'une partie du revenu, avec le tribut qu'on faisoit aux Juifs; mais la douane étoit pour les Arabes, qui couroient jusqu'aux portes de Garcyluyn, & qui faisoient plus de fix mille chevaux & cinquante mille hommes de pied. Tout est présentement au chérif, à qui cette contrée appartient. Ce font gens groffiers, à la réserve de quelques riches marchands qui trafiquent au pays des Négres, & en rapportent de l'or & des esclaves pour des marchandises de Barbarie. Leur principale nourriture est de dattes & un peu de bled. Il y a plusieurs grands villages, où il y a quantité de scorpions; mais on n'y voit point de puces. La chaleur est si grande l'été, que les habitans ont toujours les yeux enflés. Quand la riviere tarit ils n'ont pour boire que de l'eau falée de certains puits. Ces peuples étant de concert firent une cloture de plus de trente lieues autour de leur état, pour arrêter les courses de la cavalerie, ce qui les rendit libres, tant qu'il demeurerent bien unis; mais leur désunion recommença, on laissa ruiner cette cloture: les Arabes y entrerent & s'emparerent du pays. * Marmol, Descript. de l'Afrique, t. 3, c. 22 & 23. SUHALI, village de l'Inde orientale, à deux lieues de la ville de Surate, à laquelle il sert de havre. Les navires y déchargent leurs marchandises, & on les porte par terre de là à Surate. L'entrée de ce havre n'est pas bien large, & à la haute marée on n'y trouve que sept brasses d'eau, & cinq seulement à la basse. Le havre même n'a que cinq cents pas de large devant le village, & le fond de fable, & la plupart des bancs demeurent découverts & fecs au reflux, & font tellement escarpés, que la seconde y est entierement inutile. On y est à couvert de tous les vents, à la réserve de celui du sud-ouest; mais depuis le mois de mai jusqu'en septembre on eft obligé de quitter cette côte, à cause des vents & des orages mêlés d'éclairs, & de tonneres effroyables qui y regnent. * Mandesto, Voyage des Indes, 1. 1. Tavernier, Voyage des Indes. SUHI, DI, BASA. Ce font trois petites ifles, qu'on trouve à trois licues ou environ au nord ouest de celle d'Asturi, dans l'Euripe ou golfe de Négrepont, entre lesquel. les trois ifles, les galeres & les petits bâtimens peuvent commodément donner fond, y ayant beaucoup d'eau & de profondeur. * Dapper, Descript. de l'Archipel, P.339. SUHOEI, ville de la Chine, dans la province de Quangtung, au département de Chaoking, fixićme métropole de la province. Elle est de 4d 40' plus occidentale que Pekin, sous les 23d 45' de latitude septentrionale. Atlas Sinenfis. > * SUI, ville de la Chine, dans la province de Huquang, au département de Tegan, quatriéme métropole de la province. Elle est de 4d 25' plus occidentale que Pekin, sous les 32d 5' de latitude septentrionale. La ville de Sui est défendue par une forteresse. * Atlas Si. nenfis. SUIATSKI, selon Olearius, voyage de Moscovie, & SWIATZK, felon de l'isfle, ville de l'Empire Ruffien, au royaume de Cazan, à la gauche du Volga, entre Cokchaga & Cazan. Cette petite ville, située sur une colline trèsagréable, a un château & quelques églises bâties de pierres. Tous ses autres bâtimens sont de bois, aussi bien que ses tours & ses remparts. SUICHANG, ville de la Chine, dans la province de Chekiang, au département de Chucheu, septiéme métropole de la province. Elle est de 2d 6' plus orientale que Pekin, sous les 27a 52' de latitude septentrionale. * Atlas Sinenfis. SUIDIADA, contrée de l'Asie, & arrosée par le fleuve Oxus, felon Tzetzés, Chilliad. 3, no 224. Cette circonstance fait voir que ce mot Suidiada est corrompu de Sugdiana; car c'est dans la Sogdiane que coule le fleuve Oxus, & le même auteur met le fleuve Oxus chez les Sugdii, habitans de la Sogdiane. SUIGAN, ville de la Chine, dans la province de Chekiang, au département de Niencheu, quatriéme métropole de la province. Elle est de 1d 28' plus orientale que Pekin, sous les 29d 28' de latitude septentrionale. * Atlas Sinenfis. SUIKI, ville de la Chine, dans la province de Quangtung, au département de Luicheu, neuviéme métropole de la province. Elle est de 6o 20 plus occidentale que Pekin, sous les 224 18' de latitude septentrionale. * Atlas Sinenfis. SUILLATES, peuples d'Italie, dans l'Umbrie, felon Pline, 1. 3, c. 14. Ils habitoient, à ce que croit Cluvier, Ital. l. 2, p. 617, le quartier où est aujourd'hui Sigello, aux confins dela Marche d'Ancone. SUILLI-EN-DUCHÉ, paroisse de France, dans la Bourgogne, recette d'Autun. La fituation en est fort belle. Il y a une petite riviere & un pont. C'est pays de plaines & de vignes; les hameaux qui en dépendent sont Vesvrote, Morlensei, Grosno & Boutan. SUILLI-EN-ROYAUTÉ, paroisse de France dans la Bourgogne, recette de Châlon. Elle eft auprès d'une montagne, sur la riviere de Grifon. SUILSKERAYA, ifle de la mer d'Ecoffe, & l'une des Hebrides ou Westernes, à l'occident de Rona. Suilskeraya est une petite ifle déserte, ou plutôt un rocher stérile, qui peut avoir mille pas de longueur. Les habitans de Lewis y vont tous les ans passer huit jours à la chasse d'une espece d'oiseaux rares, qu'on ne voit que là, & qu'ils nomment dans leur langue Colca. Ils font un peu plus gros qu'une oye, & leurs plumes n'ont aucun tuyau, ce n'est qu'un duvet moû & doux attaché à leur peau. Ce duvet leur tombe quand ils ont élevé leurs petits; & ils vont se jetter dans la mer, pour ne plus paroître jusqu'au printems suivant. * Délices de la Grande Bretagne, p. 1443. SUIN, paroille de France, dans la Bourgogne, recette de Charolles. Ce lieu est situé dans les bois. Il fait partie du pays de montagnes. Vaux, Tillet, Charantigny, Vauzelle, Ruére & Monts, partie en Mâconnois, en dépen dent. Selon le Bœuf ce village s'appelloit autrefois Pseudunum. Saint-Florentin & Saint-Hilier y faifoient lear demeure. SUINIBROD, ville de Boheme. Voyez NYMBOURG. 1. SUINING, cité de la Chine, dans la province de Suchuen, au département de Tangchuen, premiere grande cité de la province. Elle est de 11d 26 plus occidentale que Pekin, sous les 304 so de latitude septentrionale. * Atlas Sinenfis. 2. SUINING, cité de la Chine, dans la province de Huquang, au département de Chingchieu, premiere grande cité de la province. Elle est de 7 o' plus occidentale que Pekin, sous les 27d 35' de latitude septentrionale. * Atlas Sinensis. SUINUM, fleuve d'Italie, dans le Picenum, selon Pline, 1.3, c. 13. Mais le pere Hardouin a trouvé que ce passage étoit corrompu dans Pline, où au lieu de Flumina Albulates, Suinum Helvinum quo finitur Praputiana Regio, & Picentium incipit, il lit avec les meilleurs manuscrits, Flumen Albula, Tervium, quo finitur, &c. SUIONES, peuples septentrionaux, dont parle Tacite, Germ. c. 16. Après avoir décrit la côte de la mer Suévique, aujourd'hui la mer Baltique, il fait mention des Suions; Suionum, dit-il, hinc civitates, ipfo in Oceano; par le mot civitates il faut entendre des peuples; & quand il dit ipfo in Oceano, cela signifie dans une ifle de l'Océan, savoir la Scandie ou Scandinavie, que les anciens ont prise pour une ille, quoique ce ne soit qu'une péninsule. C'est là qu'habitoient les Suions, partagés en divers peuples ou cités. Dans un autre endroit Tacite, c. 45, donne les Suions pour voisins des Sitons, Suionibus Sitonum gentes conti nuantur. SUIPING, ville de la Chine, dans la province de Honan, au département d'luning, huitiéme métropole de la province. Elle est de 3d 16 plus occidentale que Pekin, sous les 34d 3' de latitude septentrionale. * Atlas Sinenfis. SUIPPE, riviere de France, dans la Champagne, élec. tion de Rheims. Elle prend sa source aux confins de l'élection de Châlons & de l'Argone, près de Somme Suippe, d'où coulant vers le nord occidental, elle arrose Suippe la Longue, grand Saint Hilier, Auberive, petit Saint-Hilier, Pont Faverge, Warmeriville, Boul, après quoi elle va se perdre dans l'Aisne, à la gauche, entre Neuchâtel & Rouci. * De l'Ifle, Atlas. SUIPPE LA LONGUE, bourg de France, dans la Champagne, élection de Rheims, au bord de la Suippe qui lui donne son nom. Ce bourg situé sur la route de Sainte-Menehould à Rheims, à une lieue au dessous de la source de la Suippe, a plusieurs métiers de drapperie. SUISMONTIUM, montagne de la Ligurie. Tite-Live, 1.39, c.2, & l. 40, c. 41, la joint avec celle de Balista, Tettiij autre montagne de la Ligurie. On l'appelle aujourd'hui, il monte Cerrara. SUISSA, ville de la petite Arménie. Elle est marquée dans l'itinéraire d'Antonin, sur la route de Nicopolis à Satala, entre Arauraci & Satala, à vingt-quatre milles du premier de ces lieux, & à vingt-fix milles du second. Au lieu de Suissa quelques manuscrits lisent Suisa, & d'autres Soiffa. La premiere de ces ortographes paroît préférable, parce qu'elle est suivie par la notice des dignités de l'Empire, où on lit, Sub dispofitione ducis Armenia de minore Laterculo, Ala prima Ulpia ducorum Suiffe. SUISSATIUM, ville d'Espagne. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route d'Afturica à Bourdeaux, entre Belleia & Tullonium, à sept milles du premier de ces lieux, & à égale distance du second. Les manuscrits varient pour l'ortographe de ce nom: il y en a qui lisent Suiffatium, & d'autres portent Suifatium on Duissatium. Il y a grande apparence que c'est la ville Suestasium de Ptolomée. SUISSE, (la) pays d'Europe, entre la France, l'Allemagne & l'Italie. Ses bornes ne font pas aujourd'hui les mêmes que dans le tems que ce pays étoit connu sous le nom d'Helvétie. Voyez HELVETII. 4545 (4) 4d de Si ce que dit Céfar de la Suisse ancienne, ou Helvétie, est juste, la Suisse moderne est plus étendue qu'elle ne l'étoit autrefois. L'étendue du pays occupé présentement par les Suisses, par les Grifons & leurs autres alliés, est proprement entre les terres de l'Empire & de la France; car il confine vers l'orient avec le Tyrol, vers l'occident avec la Franche Comté, vers le nord avec le Sungtgaw, avec la Forêt Noire, & avec une partie de la Suabe, & vers le midi avec le duché de Savoye, la vallée d'Aoste, le duché de Milan & les provinces de Bergame & de Bresce. Ce pays, en le prenant dans sa plus grande largeur, s'étend environ l'espace de deux degrés de latitude, depuis le jusqu'au-delà du 47 & demi, & il comprend environ 4 longitude; c'est-à-dire depuis le 24 jusqu'au 28. A ce compte sa longueur est d'environ quatre-vingt-dix lieues de France, & fa largeur de cinquante. De cette façon, aujourd'hui comme autrefois, la Suisse est bornée au midi, par le lac de Genève, par le Rhône & par les Alpes, qui la séparent des Vallaisans & du pays des Grifons; mais à l'occident elle ne se trouve bornée qu'en partie par le mont Jura, qui s'étend du sud-ouest au nord-est, depuis Genéve jusqu'au Botzberg, en latin Vocetius, comprenant audela du Jura le canton de Bâle, & les terres de l'évêque de ce nom, avec deux petits pays, qui autrefois étoient hors de la Suiffe, & dont les habitans portoient le nom de Rauraci. A l'orient & au nord, elle est encore bornée aujourd'hui par le Rhin, à la réserve de la ville & du canton de Schaffhouse, qui font au-delà de ce fleuve, & dans la Suabe. * Etat & Délices de la Suiffe, t. 1, p. 14 & fuiv. Les anciens historiens nous apprennent que les Suisses ont été réputés une nation celtique ou gauloise : cela est fondé sur le témoignage de Céfar, Bello Gallico, l. 1, qui dit que les Suiffes furpassent en valeur le reste des Gaulois, & fur celui de Tacite, qui les appelle gens Gallica, hift. 1. 1, c. 67, & German. c. 28. Mais pour remonter encore plus haut j'ajouterai qu'il y a grande apparence que les anciens Helvetii étoient grecs d'origine, & paffés de la Gaule Narbonnoise dans l'Helvétie. Voici sur quoi je fonde cesentiment. On convient affez généralement que les premiers habitans de Marseille & de la plus grande partie de la Gaule Narbonnoise étoient venus de la Gréce. Les peuples de la Phocide sur tout y avoient envoyé des colonies; & presque personne ne doute que la ville de Marseille elle-même n'ait été une colonie de Phocéens. Qui empêche de dire qu'à mesure que le nombre de ces peuples s'accrut, ils s'étendirent insensiblement dans la Gaule Narbonnoise des deux côtés du Rhône, & qu'enfin, avec le tems & la force de s'avancer dans le pays, ils parvinrent jusqu'à habiter l'Hel. vétie? Cette pensée n'est pas fans fondement. On ne peut ignorer que les premiers noms de l'Helvétie avoient une origine grecque; car la premiere division du pays fut faite en Pagi, cantons, mot qui vient du grec πηγαί, qui, dans l'idiome dorique, signifie une source, une eau qui fort de la terre; & l'on donna anciennement ce nom au canton qu'un même peuple ou une portion d'une nation habitoit, parce qu'ils ufoient de la même eau. Lorsque les Helvétiens se furent multipliés au point de ne pouvoir plus de meurer tous au bord des rivieres, ils furent forcés de s'étendre dans les terres, & d'habiter même les hauteurs. Alors ils eurent des noms nouveaux, & leurs terres, qui étoient divisées en certains cantons, furent appellées Geuw & Goa, du mot grec Γ, qui veut dire terre. Les forteresses qu'ils éleverent sur les montagnes furent nommées Burgen, nom qu'elles confervent encore aujourd'hui ; car il n'est pas difficile de voir que Burgen vient du grec Πύργος. D'ailleurs Céfar, Bel. Gel. l. 1, 6. 9, dit qu'on trouva dans le camp des Helvetii, des inscriptions grecques, qui lui furent apportées. Qui porta ces inscriptions grecques dans l'Helvétie, si ce ne fut les habitans de la Gaule Narbonnoise, qui a été habitée par des Grecs? Ce sentiment a au moins quelque probabilité. A l'égard du nom de SUISSE, que le pays porte aujourd'hui, il n'est pas ancien. Les Romains appelloient le peuple Helvetii, & le pays Helvetia. Les Italiens lui donnent encore aujourd'hui le même nom. Il faut avouer qu'on ne fait pas d'où ce mot dérive. Ce qui est surprenant, c'est que l'on ne convient pas fur l'origine du nom moderne. Les écrivains Latins disent Suicenfes, Suitones & Suiceri; les François disent les Suisses, & les Allemands Schweitzer: rout cela a du rapport. Mais comment se perfuader que ce nom leur a été donné par Charlemagne, comme le prétendent, sans fondement, divers auteurs ? Je trouverois plus naturel de dire avec d'autres, que le nom de Suisses vient de celui du canton de Schwitz, parce que ce fut dans ce canton que se donna le premier combat qui assura la liberté helvétique, & répandit la renommée de la valeur du peuple dans l'Europe. En effet, les Suisses depuis le tems de leur confédération ont toujours porté ce nom. La république d'Achaïe donna son nom à tous ceux qui entrerent dans son alliance : la ville de Rome donna le sien à ses alliés; aujourd'hui les Suiffes portent celui du canton de Schwitz, qui jetta les fondemens de l'alliance helvétique. * Pausania, 1. 10, c. 8. Festus, l. 14. La Suisse n'est pas seulement séparée de ses voisins; mais quelques cantons le sont l'un de l'autre par des suites de montagnes, qui leur servent également de limites & de fortifications naturelles. Elle est séparée particulierement de l'Italie, par une si longue chaîne d'Alpes, que l'on ne peut aller d'un pays à l'autre, sans en traverser quelqu'une. Il n'y a que quatre de ces montagnes, par lesquelles on puifle pafler de la Suisse en Italie, ou du moins n'y en a-t-il pas davantage où il y ait des chemins battus, & pratiqués communément par les voyageurs. L'une est le mont Cenis, par lequelle on passe par la Savoye dans le Piémont; la seconde est le S. Bernard, entre le pays nommé le bas Valais & la vallée d'Aoste; la troisieme est le Sampion ou le Simplon, situé entre le haut Valais & la vallée d'Offola, dans le Milanez; & la quatriéme est le S. Godard, qui conduit du canton d'Ury à Bellinzona, & aux autres bailliages suisses en Italie, qui faisoient autrefois partie de l'état de Milan. Mais quoique ce pays soit par-tout montagneux, il est assez fertile. Les montagnes ont jusqu'au fommet de bons pâturages tout l'été, pour de vastes troupeaux de bétail, & l'on voit croître du bled à quelques endroits, où l'on diroit que la terre est trop rapide, pour qu'un homme y pût grimper, & l'air trop froid pour laisser murir le grain. Dans d'autres parties on trouve des collines & des plaines où sont d'excellens pâturages. Le comté d'Argau, dans le canton de Berne, est un pays plat & abondant en grain; & celui qui est situé entre Moudon & Morat, dans le pays de Vaud, est également fertile, & fait une perspective beaucoup plus riante. Je nomme ces deux plaines comme les plus beaux morceaux du canton de Berne, quoique l'on puiffe dire avec vérité, que plus des deux tiers de ce canton en général font un bon pays, qui produit du bled pour ses habitans, même pour ses voisins. Il croît auffi beaucoup de grain dans les cantons de Zurich, de Solleure, de Fribourg, de Lucerne & dans les petits états de Bâle & de Schaffhouse, que l'on peut appeller les plaines de la Suiffe, en comparaison des autres cantons. Cependant dans ces cantons même, la terre est éga lement pierreuse, & de peu de rapport, tellement que ce que les habitans en tirent se doit uniquement à leur travail, & les Suiffes peuvent passer pour les meilleurs laboureurs de l'Europe. Les cantons de Lucerne, Ury, Schwitz, Underwald, Zug, Glaris & Appenzll, ne produisent pas affez de bled pour leurs habitans. La stérilité de ces cantons pourroit être réparée par la fertilité des autres, si l'on n'avoit point d'inconvéniens à craindre comme pluies continues, gelées, &c. Pour prévenir une difette, les Suisses, touJours sages, font des magasins de bleds, & l'entretiennent toujours à bon marché dans leur pays. La Suisse est si féconde en toutes forces de bestiaux, qu'elle peut en pourvoir ses voisins, & ils sont si bons dans leurs différentes espéces, que leur débit fait l'article le plus lucratif de fon commerce. Elle abonde aussi en oiseaux domestiques & fauvages, dont les derniers, étant nourris dans les montagnes, ont un gout beaucoup plus relevé que ceux des pays plats. L'on peut dire la même chose de leur venaison. Sous ce terme général ils comprenner les ours, les cerfs, les daims, & quelques espéces de chevres sauvages qui nous font inconnues, comme les bouquetins & les chamois, dont on travaille la peau, que l'on appelle en anglois schammy. Ce pays produit plusieurs fortes de vins, dont deux font également fains & agréables. L'un est blanc & croît dans le pays de Vaud, sur les bords ou les côtes du lac de Geneve, d'où il a le nom de vin de la côte; l'autre est rouge, & croît, nom dans le comté de Neufchâtel, comme le dit la relation de la Suisse, mais dans le canton de Berne : car le terroir, qui produit le vin de la côte, produit aussi cet excellent vin rouge. Le blanc n'est ni trop foible ou aigre; mais s'il est fait en de bonnes années, c'est un excellent vin de table, & il devient meilleur en vieillissant. Le rouge a quelque chose du gout des vins de Bourgogne; mais ils ne fauroit atteindre à la délicatesse des meilleures fortes de ces vins. L'on fait aussi du vin dans les cantons de Zurich, de Schasthouse, & en d'autres endroits, que les habitans boivent avec plaisir, mais que les étrangers n'estiment guères plus que du verjus. Si les vignes de ce pays n'étoient pas si souvent gâtées par le dérangement des saisons, elles produiroient allez de vin pour tous les habitans; mais ces dégâts y sont si fréquens, qu'une grande partie du commun peuple est réduite à se conten ter d'eau. * Stanian, Etat de la Suiffe, 1714. y On croit que la Suisse est la partie la plus élevée de l'Europe, & l'on allegue deux raisons principales pour appuyer ce sentiment; l'une est la fubtilité de l'air, & l'autre les diverses vivieres qui ont leur fource. On ignore fi ces qualités de l'a'r viennent plutôt de la hauteur naturelle du pays, que des amas de neige & de glace, qui sont éternelleiment dans les cavernes des montagnes, où le soleil ne peut atteindre, c'est une question que je ne prétends pas décider. Pour les rivieres il est certain qu'il y en a un grand nombre qui sortent des montagnes de la Suiffe. On y trouve à de pedistances l'une de l'autre, les sources de l'Adde, du tites Tesin, de la Lintz, de l'Aar, de la Russ, de l'Inn, du Rhô. ne & du Rhin, auxquelles on peut ajouter le Danube ; car quoiqu'à la rigueur il ait sa source hors des limites de la Suisse, neanmoins elle n'est que peu de lieues éloignée de Schafthouse. L'Ill est une autre riviere, dont la source est près de Bafle; & celle de l'Adige, quoique proprement dans le comté de Tyrol, est pourtant fur les confins des Grifons. Voilà les plus considérables rivieres de l'Europe, qui prennent leurs fources dans la Suiffe ; & outre celles-ci, il y en a un grand nombre de moindre considération; tellement qu'à peine y a-t-il un vallon qui ne soit arrosé de quelque ruisseau. On donne cette quantité extraordinaire de rivieres, à proportion de ce qu'on en trouve en d'autres pays de la même étendue, pour un argument convaincant de la hauteur naturelle de la Suiffe. Je ne dois pas passer sous filence les divers lacs qui s'y trouvent. Je me souviens d'en avoir compté près de trente, dont quelques-uns font assez considérables pour mériter le nom de mer, qu'on leur donne en allemand. Les lacs de Constance & de Genève ont près de dix-huit lienes de longueur, & quatre de largeur, & ceux de Neufchâtel, de Zurich & de Lucerne, ne font guères moins longs. Ces lacs abondent en poiflon, particulierement en truites, d'une grandeur si prodigieuse, qu'on n'est point étonné d'en prendre qui pesent jusqu'à soixante livres; & ce qu'il y a de plus fingulier, c'est que plus elles sont grandes, plus la chair en eft ferine & délicate Outre ces lacs, qui sont dans les plaines & dans les vallées, il n'y a guères de montagnes où il n'y en ait un sur la cime, bien garni de poi fons, dont le débit dédommage en quelque maniere les habitans de la perre du terrein qu'il inonde. Au refle je n'ai jamais vû de pays plus éloigné de la mer, qui abonde tant en eau, que celui. ci: l'on trouve par-tout un nombre infini de sources des eaux les plus pures & les plus douces que j'aye jamais gou. tees; & il n'y a presque point de champ, ni de pré, qu'on ne puisse mettre sous l'eau, toutes les fois que le paysan le juge nécessaire. De tous les côtés de ce pays, sur les montagnes & dans les plaines, il y a un très-grand nombre de bois, de forêts entieres de pins & de sapins, que l'on pourroit vendre à grand profit, pour la construction des vaisseaux, s'ils croiffoient plus près de la mer, mais cette espece de négoce est impraticable, à cause des frais excessifs qu'il y auroit à les voiturer de fi loin par terre. Ils ont aufli quelques bois de chêne, & d'ormes; mais le bois, dont ils te servent communément pour les bâtimens, & pour le feu, c'est celui de sapin; & comme il s'en fait une consommation prodigieuse à ces deux usages, l'on diroit qu'il devroit devenir rare; mais on ne s'apperçoit pas de la moindre diminution dans les arbres. J'ai déja remarqué la fubtilité de l'air de ce pays à proportion de sa latitude. La ville de Berne, où je demeurai, est de tout un dégré plus méridionale qu'Orléans, quoique l'air de ce dernier endroit soit beaucoup plus doux & plus modéré que celui du premier. Cependant j'ai paffé des étés bien chauds en Suiffe. A la vérité le tems passe souvent du chaud au froid en moins de vingt-quatre heures. Les Alpes causent de fréquentes pluies ; & comme il neige ordinairement sur les montagnes, lorsqu'il pleut dans la plaine, il faut nécessairement que l'air se réfroidilfe toutes les fois qu'une pluie dure. Mais quoique l'air de ce pays ne soit pas fort sec, il ett fort sain. Les gens y deviennent généralement fort vieux, & l'on n'y voit régner que trè rarement ces maladies malignes & contagieuses, qui dépeuplent souvent des villes entieres. Enfin des quatre élémens, la terre est ici le moins bon. Elle traite les habitans en rude marâtre: elle leur donne ce qui est absolument nécessfaite pour la vie, mais peu pour le luxe. Ils gagnent avec bien de la peine ce qu'ils en tirent, & femblent le devoir plutôt á leur travail qu'à sa bonté. Jules Céfar est le premier qui ait fait mention de ce peuple comme d'une nation. Il les défit & les foumit comme il est marqué à l'article Helvetii. Ils vécurent sous la domination romaine jusqu'à ce que cet empire même fut déchiré par les inondations des nations septentrionales, & qu'il s'é. leva de nouveaux royaumes & de nouvelles principautés de ses ruines. L'un de ces royaumes fut celui de Bourgogne, dont la Suisse fit partie. Il commença avec le cinquiéme siécle, mais il fut bien-tôt réuni à celui de France. Environ l'an 870, il se forma deux nouveaux royaumes de Bourgogne, l'un nommé Burgundia Cisjurana, qui est le même que le royaume d'Arles, & l'autre Transjurana. Le premier ne dura pas plus de cinquante ans. Alors il fut incorporé à la Burgundia Transjurana, par la cession volontaire faite à Rodolphe II, roi de Transjurana, par Hugues, le dernier roi de Cisjurana, environ l'an 926. Dans ce royaume de Burgundia Transjurana fut compris le pays des Suifles, & il en fit partie jusqu'à ce qu'environ 1032 Rodolphe III, le dernier roi de Bourgogne, mourant fans enfans, laissa tout ce royaume à l'empereur Conrad II, surnommé le Salique, dont les successeurs le posséderent près de deux fiécles. Après ce tems-là, foit que les empereurs fussent trop occupés d'autres affaires, pour pouvoir donner toute l'atten tion nécessaire à celles de ce royaume, soit qu'ils ne fussent pas en état de reprimer les divers soulevemens qui s'y firent par la noblesse, il arriva que vers la fin du douziéme siécle, ce royaume fut divisé de nouveau en plusieurs petites fouverainetés, sous les comtes de Bourgogne, de Maurienne de Savoye & de Provence; sous les dauphins du Viennois, & sous les ducs de Zeringue. C'est l'opinion de la plupart de leurs historiens, touchant le fort de la Suisse, depuis le tems de Jules César jusqu'à la fin du douziéme siécle, qu'elle fut unie à l'Empire, quoiqu'il y en ait d'autres qui prétendent que la Suiffe ait fait partie du royaume d'Australie, autrement appellé le royaume de Metz, jusqu'à ce qu'il fut détruit, & ses états annexés à l'Empire. Mais je crois qu'il ne sera pas difficile de concilier ces contradictions apparencar il est trop probable que la Suisse, dans l'étendue qu'elle a aujourd'hui, ne fut jamais entierement jointe, ni au royaume de Bourgogne, ni à celui d'Austrasie, mais que la partie de ce pays, qui parle la langue françoise, ou romande, comme ils l'appellent, appartint au royaume de Bourgogne, & l'autre, qui parle allemand, à celui d'Au trafie. Cette conjecture pourroit être foutenue par plusieurs autres raisons, outre celle de la différence des langues, qui tes; semble lever les difficultés, dans lesquelles leurs historiens s'embarraflent, en faisant la Suifle au même tems partie de deux différens royaumes. Après la dissolution de ces royaumes, je ne trouve plus toute la Suifle réunie sous un même chef. Quelques-unes de ses villes furent faites villes impériales, ne confervant que la simple dépendance de l'Empire : l'empereur Frédéric Barberousse en donna d'autres, avec leurs territoires, pour les posséder en fiefs de l'Empire, aux comtes de Habspourg, desquels la maison d'Autriche est descendue; le reste de la Suisle, ou du moins son gouvernement héréditaire, fut donné au duc de Zeringue, que l'on crut y avoir quelque droit, comme étant issu des rois d'Austrasie. Néanmoins tous leurs auteurs conviennent que ces villes & ces peuples furent en possession de très-grands priviléges, & que le pouvoir de leurs princes étoit tellement limité, que l'on peut dire que ce pays a plutôt été sous leur protection, que sous leur domination immédiate. La race des ducs de Zeringue s'éteignit dans le treiziéme fiécle, ce qui fit jour aux comtes de Habspourg d'agrandir leur pouvoir dans ce pays, plus par intrufion, & par les défordres de ces tems, que par confentement, ou par une foumiflion volontaire. Mais ce qui mit la liberté de la Suisse le plus en danger, ce fut le grand schisme, qui partagea tant l'Empire dans le treiziéme fiécle, lorsque Othon IV & Frédéric II, éroient tous deux empereurs à la fois. Ils furent excommuniés, chacun à son tour, par deux papes qui se succéderent immédiatement, parce qu'ils ne voulurent point reconnoître leur prétendu droit de disposer de la couronne impériaJe, ni mettre en exécution les vœux, que ces papes leur avoient extorqués d'entreprendre une croifade. Cependant après la perte d'une bataille, Othon fut contraint de renon-cer à ses prétentions, & de céder la couronne à fon antagoniste Frédéric. Comme dans cette division de l'Empire les Suilles avoient été atrachés au parti du dernier, & qu'ils lui avoient rendu de bons services, il augmenta leurs priviléges, & fit tout ce qu'il put pour affurer leur liberté. Néanmoins le reste de fon regne fut tumultueux. Il se brouilla avec le pape, qui l'excommunia de nouveau. Et comme l'Empire, & ses dépendances en Italie, se diviserent alors entre lui & le pape, ce fut de cette divition que les noms de Guelphes & de Gibelins furent donnés à ces deux partis, Les historiens de ce tems ne peuvent trouver de termes affez forts pour exprimer les désordres & la confusion qui regnerent dans l'Empire vers la fin du regne de Frédéric, pendant le tems de son excommunication, & après sa mort, durant un interregne de vingt huit ans, jusqu'à ce que Rodolphe de Habspourg, premier empereur de la maison d'Autriche, fut établi tranquillement fur le trône impérial, Alors tout ordre & tout gouvernement fut bouleverfé, & l'Empire se trouva dans une parfaite anarchie. Les villes de la Suiffe en particulier sentirent les effets fâcheux de cette confufion; car comme ce pays étoit rempli de noblesse & d'ecclésiastique puislans, chacun tâcha de fubjuguer quelque ville voifine, sous prétexte qu'elle étoit du parti de l'empereut, qui fut excommunié, & les terres de tous ses adhérans données en proye, par la bulle du pape, à quiconque dit pas non plus à leur attente. Rodolphe eut d'autres occupations, pour donner à ces villes la protection qu'il leur destinoit, & qu'elles s'en promettoient. Ainsi les Suifles furent exposés de nouveau aux insultes de ces petits tyrans, qui à la fin leur devinrent si insupportables, que tout le peuple prit les armes, & démolit les châteaux des principaux de la noblesse, en chassa plusieurs hors du pays, dans une guerre de près de douze ans. Lorsque Rodolphe devint empereur, la noblesse accusa les Suisses de rebellion au sujet de cette guerre; mais après avoir entendu les deux parties, il prononça en faveur du peuple, &, en considération des services que les Suiffes lui avoient rendus dans ces guerres, il leur envoya des baillis, non pas au nom de la maison d'Autriche, mais en celui de l'Empire en général. Il les gouverna avec douceur pendant qu'il vécut, & augmenta leurs priviléges, afin d'affermir leur liberté für un fondement durable. Avant de passer au gouvernement tyrannique de l'empereur Albert, fils de Rodolphe, qui donna occafion à la révolte de ce pays contre l'Empire, il seroit à propos de tracer, pour ainsi dire, une carte politique de tous ses états, & de diftinguer les villes de la Suiffe, qui étoient sous la domination de la maison d'Autriche, & d'autres souverains, de celles qui étoient libres, & ne reconnoilloient d'autre dépendance que celle de l'Empire en général, de spécifier encore les priviléges dont jouissoient celles qui étoient sujetles à la maison d'Autriche, & les dégrés de pouvoir, dont leurs gouverneurs, ou souverains, étoient revêtus. Un pareil plan de leur état politique, avant leur révolte, seroit nécessaire pour bien juger de la justice de leur cause, & des moyens dont ils se fervirent pour recouvrer leur liberté. Mais leurs histoires font si obscures & fi défectueuses dans ces circonstances, qu'il est impossible de contenter sa curiosité à cet égard. Tout ce qu'on peut en recueillir en général, c'est que la plupart de leurs villes étoient libres & impériales, & celles qui ne l'étoient pas, poslédoient de grands priviléges. Les villes de Berne & de Fribourg furent bâties par un duc de Zeringue, & le dernier de cette race leur permit de se gouverner elles-mêmes, & les unit à l'Empire après sa mort. Cependant, contre la disposition de son teftament, Fribourg tomba, je ne fais comment, entre les mains des comtes de Kiboug, l'un desquels les vendit à l'empereur Rodolphe, & il continua sous la domination de la maison d'Autriche près de deux cents ans, jusqu'à ce qu'il entra dans l'alliance des cantons, & devint un de leur membre. Les villes & pays, qui furent donnés en fiefs à la maison d'Ar triche, comme Lucerne, Zug & Glaris, avec leurs territoi res, jouilloient de si grandes immunités, que le pouvoir du souverain en fut extrêmement borné. Zurich, Bafle & Schafthouse, étoient des villes impériales, & je ne trouve point qu'elles ayent jamais été sous aucun prince particulier. A la vérité Bafle avoit un évêque, qui s'arrogea le titre de fouverain, & qui agit quelquefois comme tel; mais il le fit plutôt par ufurpation, que par une autorité légitime. Et il en paroît pas que les trois cantons d'Ury, de Schwitz & d'Underwald, ayent jamais dépendu de la maison d'Autriche, avant de choisir Rodolphe de Habspourg pour leur protec pourroit s'en rendre maître. Cette espèce d'oppreffionteur, comme firent la plupart des villes de la Suille, de la luisant donna lieu à une coutume, qui s'établit alors parmi plusieurs villes d'Allemagne & de la Suiffe, d'entrer ensemble dans une confédération pour leur défense mutuelle. Nous en avons un exemple dans l'histoire de Simler, où il rapporte au long l'alliance conclue entre Zurich, Ury & Schwitz, en 1251. Mais cet union des villes ne produifant pas les bons effets qu'on en attendoit, , ou du moins n'étant pas une barriere suffisante contre la puissance de la noblesse, elles te mirent sous la protection de quelque puissant prince voisin; ensuite de quoi la plupart des villes libres de la Suiffe eurent recours, dans cette conjoncture, à Rodolphe de Habspourg, le plus puissant de leurs voisins, qu'elles déclarerent leur protecteur. Elles las donnerent pour cela une rente annuelle, & lui permirent de leur envoyer des baillis ou des gouverneurs, avec le pouvoir d'y exercer la haute justice, ou de juger dans les caufes criminelles, se réservant leus droits & les franchises en tous les autres points. Particuherement les trois cantons d'Ury, de Schwitz & d'Underwald, qui jusques-là avoient été libres de toute autre dépendance, excepté celle de l'Empire, trouverent à propos de faire, dans ce désordre général, comme le reste de la Suisse, & fe mirent fous la protection de Rodolphe avec les mêmes restrictions que les autres. Mais ce projet ne répon , maniere, & pour les raisons dont je viens de parler. Il faut |