ARCHIVES PARLEMENTAIRES. TRIBUNAT. PRÉSIDENCE DU CITOYEN COSTAZ. Séance du 7 floréal an XI (mercredi 27 avril 1803). Le procès-verbal de la séance d'hier est adopté. Le Tribunat procède au scrutin sur le projet de oi relatif aux soldes de retraite, aux invalides, ux traitements de réforme, aux secours à accorder nux veuves et aux orphelins des militaires tués lans les combats, ou morts à la suite de leurs bles sures. Les orateurs chargés de porter ce vœu au Corps égislatif sont les tribuns Daugier, Savoye-Rollin Jaucourt. Mallarmé fait un rapport sur le projet de loi elatif aux bois des particuliers, des communes et les établissements publics. Citoyens tribuns, ce n'est pas en vain qu'en oignant son vœu à la proposition du Gouverneneut pour la réorganisation de l'administration forestière, le Tribunat a conçu l'espérance et témoigné, par l'organe de ses orateurs, le désir de voir substituer de nouvelles lois aux anciens et nombreux règlements relatifs à la police et à la conservation des forêts. Ces règlements, dont la multiplicité étonne utant qu'elle embarrasse, abrogés en partie, subistants dans toute leur force, différents dans es différentes parties du territoire, ne peuvent plus guère aujourd'hui être appliqués que par induction. Les temps, les circonstances dans lesquels ils ont été faits diffèrent d'ailleurs si essentiellement les temps et des circonstances dans lesquels nous ous trouvons, qu'il est impossible d'en attendre encore les avantages qu'ils promettaient lors de eur rédaction. L'intérêt de l'Etat, celui des citoyens, demandent qu'il y soit apporté les changements qu'indiquent otre position et nos besoins actuels, et qu'il existe dans cette partie de l'administration pulique, comme dans toutes les autres, un régime bien conçu, qui arrête les abus naissants et répare, autant qu'il sera possible, les maux occasionnés par les abus invétérés. Sans doute les lois relatives à l'administration at, comme celles qui établissent les droits civils et politiques des citoyens, un caractère de perpéuité qu'il importe de leur reconnaître et de leur conserver. Mais autant il y a d'inconvénient, quelquefois même de danger, à porter à celle-ci es plus légères modifications, autant il est utile meme nécessaire d'ajouter à celles-là les disositions que réclament les événements, ou d'en etirer ce dont l'expérience a montré le vice. Ainsi, tout en accordant de justes éloges aux èglements faits jusqu'à ce jour sur la police et conservation des forêts, nous devons avouer ue tous ne peuvent être maintenus; qu'il est eme devenu indispensable d'abroger ou de moifier ceux qui, dans l'état actuel des choses, peuent entraîner la perte ou ne pas assez assurer la onservation de cette partie importante de nos ropriétés territoriales. T. V. Lorsqu'ont paru l'ordonnance de 1669, les règlements postérieurs, et même la loi du 29 septembre 1791, on n'était pas menacé de voir disparaître une forte portion de nos forêts, et s'élever à un prix exorbitant les bois de construction, ceux même destinés à la consommation journalière des citoyens. Ce qui ne semblait pas à craindre, ce qui peutêtre ne paraissait pas possible, est cependant arrivé. Un excès de confiance dans nos ressources nous a conduits rapidement à une pénurie réelle, dont le Gouvernement vous annonce que les arts n'auraient pas moins à souffrir que les consommateurs, si des mesures pressantes et efficaces n'étaient adoptées pour en arrêter les funestes progrès. Dans une position si critique, le devoir du Gouvernement était de chercher les moyens les plus sûrs pour assurer la conservation de celles de nos forêts qui ont échappé à la hache meurtrière de l'imprévoyance et de la cupidité, et pour assurer encore, autant qu'il est en son pouvoir, la repro duction. Déjà, citoyens tribuns, il vous a été proposé un moyen qui doit nous aider à obtenir ce double avantage, et vous vous êtes empressés de l'adopter, en concourant par votre assentiment à la loi relative aux droits d'usage dans les forêts nationales. Les nombreux abus qui s'étaient introduits dans l'exercice de ces droits ont causé dans les forêts de grands ravages, des ravages qu'un siècle de bonne administration ne pourra réparer. La source du mal est du moins tarie à cet égard; et déjà nous pouvons nous féliciter d'avoir, par la loi du 28 ventose, détruit une des causes principales de la dégradation de nos forêts. Deux autres subsistent encore; elles sont aussi funestes, mais plus évidentes que celle dont je viens de parler. Elles sont aussi plus générales, d'autant qu'elles sont, en quelque sorte, la conséquence des lois actuellement en vigueur. La faculté accordée, par la loi du 29 septembre 1791, aux particuliers de disposer de leurs bois à leur volonté, le mode admis par les divers règlements pour la garde de ceux des communes et établissements publics, entrainent la ruine des uns et des autres. Le projet de loi a pour objet de faire cesser ce désordre en restreignant, d'une part, la faculté de défricher les bois des particuliers; en prescrivant, d'autre part, pour la garde des bois des communes et établissements publics, des mesures jusqu'ici inusitées; il contient aussi quelques dispositions relatives au martelage pour le service de la marine dans les bois des particuliers. Ce projet a donc trois parties bien distinctes, que j'examinerai successivement. J'ai dit qu'une des causes, aussi funeste qu'elle est évidente, de la dévastation des forêts, et j'ajoute de la pénurie et de la cherté des bois, est l'abus qu'ont fait depuis douze années les propriétaires particuliers de la faculté qui leur a été accordée, par la loi du 29 septembre 1791, d'administrer leurs bois et d'en disposer à leur volonté. 1 Tolérerons-nous cet abus par un respect aveugle pour la loi que je viens de citer? Voilà la première question que je soumets au Tribunat. L'Assemblée constituante, en rendant, par la disposition dont il s'agit, un éclatant hommage au droit de propriété, n'eut jamais l'intention d'autoriser les défrichements qui en ont été la suite. Plusieurs anciennes ordonnances, qui remontent jusqu'en l'année 1518, avaient toutes établi en principe que la propriété des bois n'emportait pas le droit de les détruire; que la conservation de cette espèce de propriété était de droit public, devant lequel devait plier l'utilité plus ou moins grande, personnelle, ou momentanée des propriétaires. Ces ordonnances anciennes et celle de 1669 avaient même porté l'attention jusqu'à déterminer le nombre et la qualité des arbres que les propriétaires seraient tenus de réserver lors de l'exploitation de leurs coupes ordinaires. Enfin, des arrêts du conseil, postérieurs à l'ordonnance de 1669, avaient renouvelé les dispositions de celles antérieures; en sorte que jusqu'en 1791, non-seulement aucun défrichement ne pouvait avoir lieu dans les bois des particuliers sans une autorisation expresse du Gouvernement, mais les particuliers devaient même souffrir qué des visites fussent faites dans leurs bois par les officiers des maîtrises, pour vérifier si, dans l'exploitation, les règlements étaient observés. L'exercice du droit de propriété se trouvait ainsi extrêmement gêné et circonscrit, et il est aisé de croire que l'Assemblée constituante reçut à ce sujet de nombreuses réclamations. En les accueillant, je le répète, elle ne put vouloir autoriser la destruction des forêts; elle ne put, pour favoriser le propriétaire, vouloir exposer sínon la génération actuelle, du moins celles à venir, au péril imminent et presque certain de manquer d'un objet de première nécessité. Tel a cependant été, citoyens, le résultat inattendu de cette loi de 1791, qu'un grand nombre de propriétaires, ou abusés par quelques succès, et par la comparaison irréfléchie du produit annuel des terres à blé avec celui d'une forêt, ou trop empressés de jouir et de dissiper, ont arraché et défriché leurs bois. Ils éprouveront, la plupart, d'inutiles regrets lorsque, après quelques récoltes, ils verront que le produit de leur terrain ne répond plus à leurs espérances. Mais il est certain que ces regrets n'arrêteraient pas seuls les hommes avides ou les dissipateurs qui pourraient faire de pareilles spéculations; et plus les bois deviendraient chers, parce qu'ils seraient plus rares, plus on en verrait détruire. Il n'est pas besoin, citoyens tribuns, de vous faire l'énumération des suites funestes qu'entraînerait un pareil abus. Vous savez que, si les lois sont nécessaires à toutes les classes de citoyens, elles le sont aussi au Gouvernement; vous savez combien un défrichement peut nuire à l'agriculture, en dénaturant les meilleurs sols et les frappant d'une perpétuelle stérilité. Il suffit, sans doute, que nous nous voyions menacés de manquer un jour de cette production si importante, pour que nous prenions les précautions qui seules peuvent nous garantir d'un si grand malheur. L'Assemblée constituante les eût prises, n'en doutons pas, si elle se fût trouvée dans la situation dans laquelle nous nous trouvons. Elle savait trop que le législateur est le premier administrateur, le premier économe des biens de l'Etat, qu'il doit surtout porter une attention particulière sur ceux de ces biens dont la reproduction est lente, le besoin général, la perte irréparable. Quelque satisfaction que nous puissions éprouver en adoptant les vues de cette Assemblée si justement célèbre, en conservant les principes qu'elle a posés, ne craignons pas de nous en éloigner quand nous nous voyons loin de la position dans laquelle elle était; lorsqu'il nous est prouvé que le résultat de l'application littérale de ses décrets serait évidemment contraire à ses intentions. Et pouvons-nous croire, mes collègues, qu'en autorisant les propriétaires de bois à en disposer à leur gré, cette Assemblée, dont l'unique ambition était de rendre la France heureuse et florissante, ait voulu exposer ses habitants à manquer de l'objet de consommation le plus généralement, le plus absolument nécessaire." Non, j'ose l'assurer sans craindre d'être contredit, telle ne fut jamais la pensée de l'Assemblée constituante; et ce serait abuser des termes de la loi, ce serait outrager le législateur, que de la lui supposer. Consultons un moment la saine raison, la suprême équité. Elles nous diront que les lois antérieures à celle du 29 septembre 1791 restreignaient trop l'exercice du droit de propriété, en ce qu'elles soumettaient les actes de simple jouissance à l'inspection, à la censure des agents forestiers. Elles nous diront aussi que la loi de septembre 1791 donne, au contraire, trop de latitude à l'exercice de ce droit, en ce qu'elle autorise le propriétaire à disposer à son gré de ses forêts; ce qui, en d'autres termes, est l'autoriser à commettre dans la plus précieuse espèce de propriété une dévastation réelle, une dévastation dont la société doit souffrir et n'a déjà que trop souffert. Le projet présenté par le Gouvernement évite l'un et l'autre excès. If laisse le propriétaire libre d'administrer son bien, seul et sans la moindre gêne, Il lui défend seulement de le détruire. C'est le langage que tiendrait à ses enfants un bon père de famille; il est digne d'un législateur du peuple français. Encore cette défense n'est-elle faite que pour un temps, pour vingt-cinq années. Le Gouvernement suppose que, pendant cet espace de temps, les forêts se régénéreront assez pour qu'il ne soit plus aussi dangereux d'en voir abattre et défricher, et qu'il ne soit plus nécessaire de le défendre. Remarquez, au surplus, mes collègues, que la défense n'est pas absolue. Le propriétaire ne souffrira aucune gêne; il pourra, n'écoutant que son intérêt ou son caprice, abuser de son bien, si l'abus ne doit pas causer de dommage à la société; il le pourra même sans y être autorisé formellement. Le silence de l'administration forestière, pourvu qu'elle ait été avertie, emportera autorisation. Ainsi, lorsqu'un particulier voudra défricher un bois, il ne sera plus astreint, comme il l'état avant la loi de 1791, à solliciter, à attendre du Gouvernement une permission expresse. Il n'aura à remplir qu'une simple formalité, qu'une déclaration à faire sur les lieux, sans déplacement pour ainsi dire; et si, dans le délai fixé par la loi, il n'en reçoit la défense du Gouvernement même, il pourra effectuer son défrichement. Remarquez encore que ces dispositions ne s'ap pliquent ni aux parcs clos et attenant à une babitation, ni aux petits bois contenant moins de deux hectares. L'utilité publique ne prescrit d'une manière impérieuse que la conservation des bois |