( anciennes pièces qui le mériteraient et qui en auraient besoin, les libelles périodiques n'épargnaient rien pour m'en dégoûter à jamais. Je laisse à des lecteurs tranquilles le soin de voir et de juger; et de toutes les corrections que j'ai faites au Venceslas, il n'y en a qu'une sur laquelle je me permettrai d'insister: c'est le dénoument de l'intrigue. On me fit dans le temps une sorte de violence pour renoncer à ce changement. Je me défiais de moi-même; et quoiqu'au spectacle de la cour on m'eût félicité d'avoir fini par un coup de théâtre qui remplissait l'idée du caractère de Cassandre, et qui, en punissant Ladislas, donnait à l'action plus de moralité, et au dénoûment plus de vraisemblance; cependant, comme au spectacle de Paris le public, par un froid silence, avait paru ou surpris ou fâché de ne pas retrouver l'ancien dénoûment, je cédai aux instances qu'on me fit pour le rétablir. J'y ai réfléchi depuis, et au bout de quinze ans, j'y ai réfléchi de sang froid. Or il répugne encore à présent et à mon âme et à mes principes, que Ladislas sorte du théâtre, impuni, couronné, heureux dans son amour, par l'espérance révoltante qu'on lui donne d'épouser Cassandre; au lieu qu'il est également et dans le caractère de Cassandre, et dans la vérité de sa situation, et dans la bonté théàtrale des mœurs, qu'elle se tue, et mette au désespoir le conpable impuni qu'on vient de couronner. Voilà sur quoi j'insiste. Par le crime arriver au bonheur, est une chose monstrueuse à présenter sur le théâtre. Je reviens donc à ma première idée, et je supplie le lecteur de comparer avec réflexion ce dénoûment à celui de Rotrou. SCÈNE DERNIÈRE. VENCESLAS, LADISLAS, LE DUC, THÉODORE, CASSANDRE, OCTAVE, ET LE PEUPLE. VENCESLAS. Peuple, dans Venceslas ne voyez plus qu'un père. CASSANDRE. Lui mon roi! des forfaits le trône est le refuge! VENCESLAS. Cassandre, la justice a ses droits limités : LADISLAS. J'ai, pour vous, accepté la vie et la couronne, CASSANDRE. Que dis-tu, Ladislas? te serais-tu flatté Que du sang de ton frère encor toute fumante, Ta main pourrait charmer les yeux de son amante? LADISLAS. Ma grâce est en vos mains. CASSANDRE, en se frappant. Voilà donc ton supplice. LADISLAS, au désespoir, et voulant se tuer. VENCESLAS, en l'embrassant. Dieux! Mon fils! LADISLAS. Je vivrai; je vous dois cet effort. Coupable et malheureux je subirai mon sort. REMARQUES SUR LE VENCESLAS DE ROTROU. Acte I. Scène I. J'AURAI le tort. - Avoir le tort, n'est pas français. On dit avoir tort. 2. Que me désirez-vous? - On dit dans ce sens-là, que désirezvous de moi ? 3. Ciel, prépare son sein. L'organe de la sensibilité est dans le sein, mais n'est pas le sein même, et dans ce sens-là, sein n'est pas synonyme de cœur. 4. Oyons les beaux avis qu'un flatteur lui conseille. - Oyons est vieux ; nous n'avons conservé du verbe ouir, que l'infinitif et le participe. On ne conseille point des avis, on en donne. Préter le 5. Prétez-moi, Ladislas, le cœur avec l'oreille. cœur, ne se dirait pas seul ; avec l'oreille, le fait passer, en conciliant les deux termes. 6. Ce portrait qu'elle s'était tracé. - Se tracer un portrait, ne dit pas faire sa ressemblance. 7. Plus l'ennui de sa mort commence à me renaître. naître, renaître à moi, n'est pas français. 8. Je n'y vois rien d'auguste et digne de mon sang. veut que l'article de soit répété. Me re La règle 9. Vous n'avez rien de roi. - Il fallait dire d'un roi. Rien de signifie rien qui soit ; il ne s'emploie que devant un adjectif. Si l'on doit le nom d'homme à qui n'a rien d'humain. (CORNEILLE.) Rien de, devant un nom indéfini, exige l'article: il n'a rien de l'homme que la figure. 10. Et ce désir, etc. - Un désir qui souffre avec ennui: mauvaise espèce de métaphore, qu'on prenait autrefois pour de la poésie. 11. Je suis vieil. - On dit, je suis vieux; vieil ne s'est conservé que devant les noms qui commencent par une voyelle : un vieil homme, un vieil usage, un vieil abus. 12. S'il pardonne il est mol. - Le style noble a conservé molle au féminin, en parlant des choses: la molle arène, la molle oisiveté; il a rejeté mol et mou. 13. Jettent un mauvais sens. - On dit jeter dans les esprits des soupçons, de l'inquiétude; mais on dit, présenter un sens. Sens est pris là pour l'aspect et pour l'apparence des choses. 14. Que le règne succède. - On ne dit point indéfiniment le règne, pour l'action de régner. 15. Et qui serfs de leurs sens. - Serf, n'est plus du langage poétique: l'usage ne l'a retenu que pour exprimer au propre l'état des peuples en servitude. 16. Votre caprice. - C'est violence qu'il fallait dire. Caprice est faible, et ne va point au caractère impétueux de Ladislas. 17. Le duc par sa faveur. - La faveur dont jouit le duc, est la faveur du roi, non pas la sienne propre. Il fallait dire, par son crédit. 18. Ma créance réponde. - Créance, n'est plus en usage qu'en parlant des opinions religieuses. Réponde, manque de justesse : la croyance peut se fonder sur des rapports; mais y adhérer, ce n'est pas y répondre. 19. Quelqu'un de vos assassinats. - Ce trait, qu'on pouvait adoucir, peint comme un monstre à étouffer, le personnage intéressant de la pièce. Il est vrai que Venceslas laisse la chose en doute; mais le doute même en est horrible. 20. On vous charge de crime. - Il fallait dire de crimes. 21. Et que vous offensant d'un soupçon éternel. - Offenser quelqu'un d'un soupçon, n'est pas français. On s'offense de; mais on offense par. 22. Efface son estime. - L'estime de quelqu'un, est celle qu'il a pour un autre, et non celle dont il jouit. 23. Que cet amour vous dure. - Façon de parler trop familière. 24. Parce degré, mon fils, mon trône sera vôtre. - Ce degré, annonce une métaphore qui n'est pas suivie; sera vôtre, n'est point du langage noble; il fallait dire, sera le vôtre. 25. Le carnage du cerf se préparant aux chiens. Détail inutile, mal exprimé, et peu digne de la tragédie. 26. Tombés sur les discours... nous en vinmes sur l'art... où chacun à son gré... Tombés sur les discours, est familier et prosaïque; les discours des intéréts, n'est pas français ; en venir sur l'art, ne l'est pas davantage; où, n'a aucun rapport: tout cela ⚫est très-négligé. 27. Et presque aucun avis ne se trouvant conforme. - Un avis seul n'est point conforme; il est conforme à un autre avis. Lors donc que le rapport n'est pas exprimé, avis et conforme doivent être au pluriel: les avis n'étant pas conformes. 28. Je coulai mes avis. - Couler, dans ce sens-là, n'est que du style très-familier. 29. Et mon sein à ma voix s'osant trop confier. pris encore ici mal-à-propos pour le cœur. Le sein est 30. Avant qu'y succomber. - On dit avant d'y succomber. 31. Et de raisonnement. - On apprend à raisonner; mais apprendre du raisonnement, n'est pas français, et ne doit pas l'être. 32. Et selon l'exigence. - Cette expression est d'un usage familier; mais elle n'est pas reçue dans le langage poétique. 33. Etre toujours pareil. - On dit être égal à soi-même; on ne - dit point être pareil à soi-même. 34. Et se croire. - Dans ce sens-là on dit, s'en croire. 35. Votre âme à tous autres obscure. Une âme obscure, ne dit point une ame cachée; et, quoique la métaphore soit juste, le terme ne l'est pas : l'usage y attache un autre sens. Et produit toute pure. - Il fallait dire et se produit. 37. Il vous noircit ma vie. - On noircit aux yeux de quelqu'un; mais on ne noircit pas à quelqu'un quelque chose. 38. S'il ne s'en usurpait, et m'était les emplois. - S'en usurpait, n'est pas français; et, avant le second verbe, il fallait répéter la négative. 3y. Et dont. - - Les emplois, dont il a arrêté les progrès des Moscovites: construction très-vicieuse. 40. Partant pour cette grande et fameuse action, -Partant devrait se rapporter à vous; et au contraire il n'est relatif à aucun des termes de la phrase. 41. Il lui sera frivole. - Il fallait dire, inutile; frivole n'a point ce régime. 42. Je n'ai point sans sujet laché cette parole. - Expression commune. 43. Je ne puis m'emporter à trop de violence. - Il fallait dire me porter. 44. Etourdi. - Terme trop familier. 45. Que puis-je plus tenter ? - Il serait à souhaiter que cette façon de parler fût reçue; mais on est obligé de dire, que puis-je tenter de plus. 46. Réduire à la raison. Cela n'est plus du style noble. 47. Etouffons nos discors. - Discors est vieux; il était énergique, et plus sonore que différens : les poëtes devraient le rajeunir. 48. Commencer à mon âge unrègne de cent ans. - Hyperbole déplacée. Scène II. 49. A quel étrange office, amour, me réduis-tu?- Il s'agit de l'amour paternel, et en l'apostrophant, il eût fallu le caractériser par une épithète. 50. Fléchirons-nous, mon cœur, sous cette humeur hautaine? - L'usage d'adresser ainsi la parole à son cœur, à son âme, à ses pensées, à ses désirs (figure dont Rotrou a si fort abusé dans cette pièce) est heureusement aboli. On regardait cela comme de la poésie, et rien n'est moins poétique que ce qui n'est point naturel. Sans 51. Sans eux, suffit-il pas que le roi vous pardonne? eux, signifie sans mes bras: mauvaise façon de parler. 52. Donnez-les; je l'ordonne. - Les, se rapporte encore aux bras, et donner les bras n'est pas français. 53. Laissez à mon respect vaincre votre courroux. respect, ne dit point au respect que vous me devez. Scène III. 54. Prét d'y remplir ma place. remplir, et prét à remplir. A mon On dit près de 55. Aussi-bien souverain sur vous. - On dit souverain de, et non pas souverain sur. Lors 56. Cette noble faiblesse, et digne d'un grand cœur. que dans notre langue on donne deux épithètes à un mot, elles doivent aller ensemble: jeune et vaillant héros. On ne dirait pas, jeune héros et vaillant. Scène IV. 57. Et d'une étroite ardeur. - Ces deux mots manquent d'analogie. 58. Et le sang et la vie. - On dit bien, perdre la vie ; mais on ne dit pas, perdre le sang. On ne dit pas même dans ce sens-là perdre son sang, mais verser ou donner son sang. 59. Assez d'occasions, de sang et de combats. On dirait assez de combats et de sang; on dirait même assez d'occasions et de |