OU L'AMOUR CONJUGAL, Représentée devant Sa Majesté, à Versailles, le 30 décembre 1773. ARGUMENT. C'EST du septième livre des Métamorphoses d'Ovide (fables 17 et 18) qu'est pris le sujet de ce poëme. Voici comment Céphale y raconte lui-même son aventure. Deux mois n'étaient pas écoulés depuis mon hymen avec Procris, lorsque, du sommet de l'Hymette (1), qui est toujours couronné de fleurs, l'Aurore ayant dissipé les ombres, m'aperçut chassant dans les bois, et m'enleva. (Qu'il me soit permis de dire la vérité sans offenser la déesse.) Quoique son teint ait l'éclat des roses, quoiqu'elle règne sur les confins de la nuit et du jour, et qu'elle s'abreuve de nectar, j'aimais Procris: Procris était sans cesse dans mon cœur, et son nom dans ma bouche. La déesse eut pitié de moi. « Cesse, me dit-elle, ingrat, cesse tes plaintes; va retrouver Procris. Mais si > mes pressentimens ne sont pas vains, tu souhaiteras de ne l'avoir jamais re>>> vue; » et dans sa colère, elle me renvoya.... Je faisais le bonheur de ma femme, elle faisait le mien. Uniquement occupés du soin de nous plaire et de nous aimer, Procris n'eût pas préféré le lit de Jupiter au lit de son époux; Vénus même, avec tous ses charmes, eût-elle voulu me séduire, j'aurais résisté à Vénus. Nos cœurs brûlaient des mêmes feux.... Dès que le soleil éclairait les montagnes, l'ardeur de la jeunesse et l'amour de la chasse me faisaient voler dans les bois... J'avais pour arme un javelot qui ne partait jamais en vain ; mais lorsque j'étais las de le tremper dans le sang des bêtes sauvages, je cherchais la fraîcheur de l'ombre, et j'appelais à moi Aura, ce vent léger qui s'élevait des humides vallons. C'était la douce Aura que j'implorais au milieu de l'ardeur du jour; elle était mon délassement après une course pénible; et dans mes chants, il m'en souvient encore: Viens, lui disais-je, Aura, viens dans mon sein, me soulager, calmer, comme tu fais si bien, l'ardeur du feu qui me consume. Peut-être même ajoutais - je quelques mots plus doux et plus tendres, car j'étais entraîné par mon mauvais destin. Il m'arrivait quelquefois de lui dire: Tu es pour moi la volupté méme; tu me ranimes, tu m'enchantes; tu me fais chérir les bois et leur ombrage solitaire; c'est ton souffle délicieux que ma bouche y vient respirer. Quelqu'un entendit ces paroles, et son oreille y fut trompée; il prit le nom d'Aura, tant de fois répété, pour le nom d'une nymphe dont j'étais amoureux, et alla le dire à Procris.... (1) Montagne de l'Attique. L'amour est naturellement crédule. Procris, à ce récit, tomba évanouie; ει Jorsqu'elle eut repris ses sens, elle s'écria qu'elle était la plus malheureuse des femmes... Cependant elle se flatte encore qu'on a pu la tromper, ou se tromper soi-même: l'indice qu'on lui a donné ne lui suffit pas; elle veut, par ses yeux, s'assurer de mon crime. Le lendemain, les rayons de l'aurore avaient à peine effacé les étoiles, je sors et je vais dans les bois. Après ma chasse, je reviens me reposer triomphant à l'ombrage; et couché sur un gazon frais, viens, dis-je, Aura, viens me délasser, me faire oublier mes travaux. Alors, je ne sais quels gémissemens se mêlèrent à mes paroles; mais je ne laissai pas de répéter, viens done, viens mon aimable Aura. Dans l'instant même un brüit léger se fit entendre à travers le feuillage; je crus que c'était quelque bête féroce, et je lançai mon javelot. C'était Procris, etc. ACTE PREMIER. Le théâtre représente un bois, d'un ombrage agréable. L'AURORE, seule, déguisée en nymphe des bois. C'EST ici que le beau Céphale Se repose au milieu du jour. J'ai quitté, pour le voir, la rive orientale; Soyez favorable au mystère, Gardez les secrets de l'amour. (Les buissons fleurissent et les oiseaux chantent.) AIR. Naissantes fleurs, cessez d'éclore; Ces fleurs, ces parfums, ce ramage, J'entends du bruit. Mon cœur palpite. SCÈNE II. CEPHALE, seul. AIR. (Elle se cache.) De mes beaux jours que le partage est doux! Le plaisir m'appelle à la chasse, Mais plus heureux, quand vient le soir, Je vais revoir, Je vais revoir Ce que j'adore. De mes beaux jours que le partage est doux! SCÈNE III. L'AURORE, CEPHALE. L'AURORE. Jeune chasseur, au fond des bois, N'avez-vous pas vu mes compagnes ? CÉPHALE. Non, depuis que l'Aurore a doré les montagnes, Je chasse, et je n'entends ni le cor, ni la voix. Mais une nymphe si belle, Sans javelot ni carquois? L'AURORE. Hélas! si vous êtes sensible, Mon malheur va vous affliger. CÉPHALE. Parlez. De l'adoucir que ne m'est-il possible! L'AURORE. Un dieu, qui me poursuit, me fait tout négliger. Un dieu! CÉPHALE. Et le puis-je sans l'offenser? L'exemple de Procris me défend d'y penser. De Procris! CÉPHALE. Vous, Céphale? Ah! fuyez un destin si funeste. CEPHALE. C'est en vain qu'il m'est annoncé. Sur le coteau le plus riant, L'Aurore a son palais tranquille. Du dieu du jour Diane est la brillante sœur ; Du dieu du jour l'Aurore a reçu la naissance; Peut-il lui refuser d'être le défenseur De l'amour et de l'innocence? CÉPHALE. Au palais de l'Aurore un mortel introduit! L'AURORE. Où ne pénètre pas le dieu qui te conduit? AIR. Va, crois-moi, va sans plus attendre. Je sais combien son cœur est tendre; Et je te promets son secours. Tu vois ses pleurs baigner les fleurs. |