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lit ceux de Corneille... Le poëme de la Pucelle a des endroits inimitables je n'y trouve autre chose à redire sinon que M. Chapelain épuise ses matières et n'y laisse rien à imaginer au lecteur. »> Voilà cependant ce qu'un homme de lettres esme, loué même parmi les bons poëtes, écrivait sous Louis XIV. Saint-Evremont, ce philosophe d'un goût si renommé dans son emps, écrivait à l'abbé de Chaulieu : « Vous mettre au-dessus de Voiture et de Sarasin dans les choses galantes et ingénieuses, c'est vous mettre au-dessus de tous les anciens. Assurément ious sommes plus justes. Sarasin comme Voiture avait bien plus l'esprit que de goût. Il appelait un cygne expirant un cygne abandonné des médecins. Dans ses vers, la Seine menace de ses bátons flottés la fontaine de Forges, pour lui avoir enlevé deux nymphes. Ce n'est pas ainsi que badinent MM. de Voltaire, Bernard, Saint-Lambert. Sarasin disait de l'amour tyrannique de Scudéri, que si Aristote eût vécu de son temps, ce philosophe eût réglé une partie de sa poétique sur cette excellente tragédie. Mais sans aller si loin, le judicieux Despréaux a placé Voiture à côté d'Horace.

Il est certain que le goût n'a jamais été aussi sain qu'à présent : la preuve en est que jamais on n'a tant estimé, dans les ouvrages d'esprit, la vérité, la simple nature. Il n'est pas moins certain, et je le ferai voir, que l'esprit philosophique loin d'avoir mis le génie à l'étroit, en a lui-même étendu la sphère. Celle de la poésie s'est agrandie encore à nos yeux par le commerce de nos voisins, avec lesquels nous communiquons plus que nous n'avons jamais fait. Or c'est de ces lumières répandues autour de moi, bien plus que de mes observations particulières, que j'ai entrepris de former une poétique raisonnée; et ma présomption dans cette entreprise n'est que la bonne opinion que j'ai de mon siècle. J'ai employé plusieurs années à ramasser les matériaux de cet ouvrage, et après l'avoir bien médité, j'ai mis tous mes soins à l'écrire. Je serai diffus pour les gens instruits; mais j'écris pour les commencans. Ceux qui sont versés dans l'étude de l'art peuvent se dispenser de me lire. Mais un avantage de mon travail, s'il approchait de son but, serait d'éclairer le commun des hommes sur les beautés de la poésie, et de les rendre plus sensibles à la douce joie de les apercevoir, qu'au plaisir malin de saisir et d'exagérer des défauts, souvent légers ou inévitables. Quant au plan que je vais suivre, il est tel qu'il se présente naturellement à l'esprit. Je divise ma poétique en deux parties : l'une contient les idées élémentaires et les principes généraux; l'autre en fait l'application aux divers genres de poésie.

Il y a dans les arts productifs quatre objets à considérer : l'ar

tiste, l'instrument, les matériaux et l'ouvrage. Trois sont le moyens de l'art; le quatrième en est la fin; et le meilleur usage possible des uns relativement à l'autre, est le résultat de toute les règles.

Tel est le plan sur lequel j'ai dirigé ma méthode. Commenços par nous former une juste idée de l'art que nous allons étudier.

A MADAME

DE POMPADOUR (1).

MADAME,

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Parmi les arts qui ont ressenti les effets de votre protection. vous avez distingué l'agriculture comme le plus intéressant et le p plus négligé de tous. Vous avez gémi de voir que l'industrie, anjourd'hui si éclairée dans les choses d'agrément et de luxe, le füt si peu sur l'objet essentiel et décisif de la félicité publique; et tout ce qui pouvait tendre à perfectionner les opérations de la culture a fixé votre attention.

Ce n'est point à vos yeux que nos préjugés l'ont avilie, cette profession respectable, cette source vive et féconde des richesses, des forces et des prospérités d'un État. Le ciel en vous donnant une âme élevée et bienfaisante, proportionna vo lumières à vos sentimens: vous aimez le bien de l'humanité, et vous le voyez dans ses grands principes. Les arts même que l'on nomme agréables, ont dû surtout l'accueil qu'ils ont reçu de vous, à leur utilité politique, à leur liaison cachée, mais intime, avec les premières causes d'un règne heureux et florissant.

Si telles ont été vos vues sur des arts de simple décoration, de quel œil considérez-vous cet art de premier besoin; cet art le premier des arts, et qui les tient tous à ses gages; cet art sanslequel les hommes répandus en petit nombre sur la surface de la terre, disputeraient encore la proie aux tigres, et le gland aux sangliers ?

On ne peut sans étonnement comparer l'importance de l'agriculture avec l'abandon où elle est réduite. Vous le savez. madame, vous qui interrogez la vérité, et qui l'encouragez à répondre.

Quelques citoyens éclairés tendent la main au laboureur, et (1) Cette lettre sert d'épître dédicatoire à un ouvrage intitulé: Essai sur l'amélioration des terres (par M. PATTULLO, gentilhomme Ecossais). Paris, Durand, 1765, in-12.

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tâchent de le ranimer par le secours de leurs lumières; mais la spéculation est inutile où la pratique ne peut s'exercer. Ce sont les richesses du laboureur qui produisent les riches moissons. Il n'y a point de secret pour fertiliser les campagnes, sans des travaux qui les préparent, sans des troupeaux qui les engraissent, sans des bestiaux qui les labourent, sans un commerce facile et avantageux, qui assure au cultivateur la récompense de ses soins, la rentrée de ses fonds, et un bénéfice proportionné aux risques de ses avances.

Que ne m'est-il permis, madame, de développer à vos yeux ces idées élémentaires de l'économie politique! Vous verriez les produits de la terre se diviser dans les mains du laboureur en frais de culture et en revenus; les frais se distribuer aux habitans de la campagne; les revenus se répandre, par les dépenses des propriétaires, dans toutes les classes de l'État. Vous verriez ces mêmes richesses, après avoir animé le commerce, la population, l'industrie, retourner dans les mains du cultivateur, pour être employées à la reproduction. Vous reconnaîtriez que c'est à la plénitude de ce reflux périodique des revenus de l'Etat vers leur source qu'on doit attribuer leur renouvellement perpétuel, et que c'est à cette circulation ralentie, interrompue ou détournée, qu'on doit attribuer leur épuisement.

Mais ces détails seraient superflus pour qui embrasse le système du bien public dans tous ses rapports et dans toute son étendue. Il vous suffit d'être pénétrée de ce grand principe de Sully: Que les revenus de la nation ne sont assurés qu'autant que les campagnes sont peuplées de riches laboureurs; que les dons de la terre sont les seuls biens inépuisables; et que tout fleurit dans un État ou fleurit l'agriculture.

Si les temps sont contraires à son rétablissement, jamais les dispositions des esprits ne lui ont été si favorables; mais eussiezvous encore plus d'obstacles à vaincre, les difficultés qui s'opposent au bien sont faites pour exercer une âme ferme, et non pour la décourager. La véritable gloire n'eut jamais d'autres sources que les services rendus à l'humanité. Cette gloire incorruptible est la seule digne de vous: elle est la seule qui vous touche; et vous ne donnez à la renommée que des bienfaits à publier. Puissiez-vous étendre sur l'agriculture une influence qui la vanime! Puisse-t-elle vous devoir son activité et sa vigueur! Elle ose l'espérer, madame; et cet Essai, dont elle est l'objet, en paraissant sous vos auspices, va redoubler la confiance qu'elle a fondée sur votre appui.

J'ai l'honneur d'être, etc.

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LE PEUPLE ET LE SÉNAT,

CE

TRAITÉS COMME ILS LE MÉRITENT.

E ne fut ni la jalousie de Pompée, ni l'ambition de César qui perdit Rome; ce fut l'orgueil, la dureté des patriciens; et la dissolution de la république, presque dès sa naissance, les guerres intestines élevées dans Rome depuis les Gracques, et enfin celles de Pompée et de César prirent leur source dans le sénat, et eurent pour cause première sa dangereuse politique, et son injuste domination.

Rome, sous les consuls, fut d'abord une aristocratie. Le sénat était roi, le peuple était sujet...

Mais les

sénateurs n'étaient que sénateurs, et l'esprit du corps fut toujours
c'abuser le peuple et de l'asservir, de se regarder soi-même
comme l'Etat par excellence, et de faire de la multitude le jouet
de sa politique et l'instrument de sa grandeur. Dès le temps
même qu'on appelle les beaux jours de la république, on voit
le sénat partagé en trois opinions à l'égard du peuple. L'une était
celle d'un petit nombre d'hommes sages, vertueux, pacifiques,
et sans autre ambition que celle du bien public, tels que les Va-
lerius, les Servilius, les Menenius Agrippa, les Cincinnatus, et
tous ces vrais Romains qui, après leurs victoires et leurs triom-
phes, ne laissaient pas de quoi payer leur sépulture. Ces hommes
justes, simples, modestes, ne cessaient de représenter au sénat
que son mépris pour le peuple était insensé; que c'était par le
peuple que l'Etat subsistait; qu'il lui devait la puissance qu'il
avait acquise, et les biens dont il jouissait ; que des hommes libres,
vaillans, sans cesse sous les armes, sans cesse vainqueurs au de-
hors, se lasseraient bientôt d'être esclaves au dedans,
et que,
du
moins par prudence, on devait les ménager.

Une autre opinion était celle des Appius, des Coriolans, de tous les jeunes patriciens, hommes violens et superbes, qui soutenaient que la douceur était un parti dangereux; qu'en flattant la multitude, on la rendait plus insolente; qu'on ne lui aurait pas plutôt cédé, qu'il faudrait lui céder encore; et qu'enfin le peuple était fait pour souffrir et pour obéir.

Le gros du sénat, plus modéré, semblait tenir le milieu entre ces deux partis contraires; mais en usant des ménagemens auxquels l'obligeait sa faiblesse, il ne cédait jamais au peuple que

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lorsqu'il y était forcé, et ne se relâchait que pour le moment de cette domination absolue et tyrannique qui le perdit.

Si le sénat n'eût rejeté que des demandes excessives, injustes, nuisibles à l'Etat, il mériterait les éloges qu'on lui a donnés. Mais quelles étaient les prétentions du peuple? Qu'on retranchât de ses dettes l'usure qui le dévorait, et qu'on lui donnât pour subsister avec ses enfans et ses femmes, une portion des terres qu'il avait conquises et arrosées de son sang. Voilà les sources intarissables des troubles élevés dans Rome entre les pauvres et les riches, entre le peuple et le sénat.

Pour sentir toute la dureté du sénat dans le refus constant de ces demandes, il faut se rappeler qu'à Rome, dans les premiers temps, les incursions fréquentes des ennemis sur les terres de la république, et l'interruption de la culture occasionée par des guerres continuelles, ruinaient le peuple, et rendaient les débiteurs insolvables; que livrés comme des esclaves au pouvoir des créanciers, ils étaient détenus dans d'étroites prisons, et réduits à un état cent fois pire que la servitude; que, d'un autre côté, le peuple n'avait d'autre métier que la guerre et l'agriculture; que les riches s'étant emparés peu à peu de toutes les terres de la république, et les faisant cultiver par leurs esclaves, à l'exclusion des hommes libres, le peuple de la ville et de la campagne se trouva n'avoir pas même pendant la paix la ressource de son travail. C'était lui faire une nécessité d'être sans cesse sous les armes; mais la guerre est un état violent, qui demande au moins du re* lâche, et ce peuple, qui n'allait au combat que librement et par honneur, seutait fort bien qu'il avait le droit de vivre en paix du fruit de ses victoires. Il ne souffrait pas sans se plaindre, mais il se plaignait sans se prévaloir des forces qu'il avait en main; et plus ce bon peuple se montrait patient et modéré, plus le sénat s'enhardissait à le tenir dans l'oppression: Non-seulement on fermait l'oreille à ses plaintes; mais si quelque patricien en paraissait touché, on l'accusait d'ambition, ou d'une lâche complaisance, et on allait jusqu'à lui refuser le triomphe après les victoires les plus signalées.

Un empire si dur révoltait le peuple: il saisissait le moment où l'ennemi était aux portes, et déclarait qu'il ne prendrait les armes qu'après qu'on l'aurait satisfait. Alors on usait de condescendance, on lui envoyait un dictateur ou un consul avec des paroles de paix et des promesses consolantes, qu'on ne manquait jamais de désavouer quand il avait sauvé l'Etat.

La mauvaise foi produit la défiance. Le peuple, las d'être trompé, ne s'en tint plus à des promesses vaines; il s'obstina,

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