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Un bon ministre acquiert du crédit sur un roi sage: us courtisan habile à satisfaire les goûts du prince, gagne sa faveur. On gagne la faveur du peuple, qui aime sans raison: on acquiert du crédit dans une compagnie où la justice est consultée.

Le crédit appartient de droit au mérite: la faveur n'exclut pas le mérite.

On n'a point de crédit sur la Fortune, elle est aveugle et folle; mais on a sa faveur, car elle est aveugle et folle.

Le crédit ne donne pas la faveur; mais la faveur donne toujours du crédit.

Richelieu, avec tout crédit, ou plutôt toute puissance sur l'esprit de son maître, était bien éloigné de la faveur. Luynes, Cinqmars, et autres favoris, avaient, par la faveur, beaucoup de crédit.

Il est vrai que quelquefois le crédit l'emporte sur la faveur. Le crédit de Sully triompha souvent de la faveur des maitresses; mais son maître était Henri IV.

Le crédit est une épreuve pour la vertu ; il enfle et ébranle. La faveur est la plus fatale des épreuves; elle enivre et corrompt. (R.)

327. CREUSER, APPROFONDIR.

L'un et l'autre, dans le sens propre, marquent l'opération par laquelle on parvient à l'intérieur des corps, en écartant les parties extérieures qui y font obstacle; mais approfondir, c'est creuser plus avant, parce que c'est creuser encore, pour parvenir à donner plus de profondeur à l'excavation.

Dans le sens figuré, il y a entre ces mots la même analogie et la même différence; ils marquent tous deux l'opération par Laquelle on parvient à découvrir ce qu'il y a dans une matière de plus abstrait, de plus compliqué, de plus caché : mais creuser a plus de rapport au travail et à la progression lente des découvertes; approfondir tient plus du succès, et désigné mieux le terme du travail.

On doit d'autant moins creuser les mystères de la religion, qu'il est impossible de les approfondir, parce qu'il est à craindre que, piquée de l'inutilité de son examen, la raison, par orgueil, n'aime mieux les juger faux que de les croire incompréhensibles.

J'ai creusé autant que j'ai pu les principes généraux du langage: je ne croirai pas ma peine perdue, quand elle ne servirait qu'à prouver que l'on doit et que l'on peut les approfondir. (B.) 328. CRI, CLAMEUR.

Le cri est une voix haute et poussée avec effort par une

personne.

La clameur est un grand cri, souvent tumultueux. Clameur ajoute à cri une idée de ridicule par son objet ou par son excès. Le plus graud usage de ce mot est au pluriel. La clameur publique est un soulèvement du peuple contre quelque scélérat. Le sage respecte le cri public et méprise les clameurs des sots. (Gat., Encyclop.. IV, 461.)

329. CRITIQUE, CENSURE.

Critique s'applique aux ouvrages littéraires; censure aux ouvrages théologiques, ou aux propositions de doctrine, ou aux mœurs. (Encyclop., IV, 490.)

Il me semble qu'une critique est l'examen raisonné d'un ouvrage, de quelque nature qu'il puisse être; et qu'une censure est la répréhension précise et modifiée de qui blesse la vérité ou la loi. Ainsi la critique peut s'étendre jusqu'aux ouvrages théologiques, et la censure peut tomber sur des ouvrages purement littéraires.

Dire d'un systême qu'il est mal lié ou démenti par l'expérience; d'un principe de grammaire, de poétique ou de rhéthorique, qu'il est faux, ou moins général qu'on ne prétend e'est censure: prouver que la chose est ainsi, c'est critique. Il fant critiquer avec goût, et censurer avec modération. (B.)

330. FAIRE CROIRE, FAIRE ACCROIRE.

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Au jugement de Vaugelas, accroire est un excellent mot; et faire accroire est, selon l'Académie, une fort bonne maniere de parler. Il y a, dit l'auteur des Remarques, cette différence entre faire croire et faire accroire, que faire croire se dit toujours pour des choses vraies, et faire accroire pour des choses fausses. Par exemple, si je dis, il m'a fait accroire qu'il ne jouait point, je fais entendre qu'il ne m'a pas dit la vérité; mais si je dis, il m'a fait croire une telle chose, je donne à entendre qu'il m'a fait croire une chose véritable. »

Il est certain que faire accroire ne se dit que des choses fausses: il est faux que faire croire ne se dise que des choses vraies. Croire signifie ajouter foi, donner croyance, prendre pour véritable, tenir pour vrai. Or, vous pouvez ajouter foi à une chose fausse; on peut vous la faire croire ou vous la persuader. Vous direz fort bien: il m'avait fait croire qu'il parlerait pour moi, et il n'en a rien fait.

Vaugelas continue ainsi sa remarque : « D'autres disent que la différence qu'il y a entre faire croire et faire accroire n'est pas tant que Tun soit pour le vrai et l'autre pour le faux qu'en ce que faire accroire emporte toujours que celui de qui on le dit a eu dessein en cela de tromper. » C'est le sentiment de l'Académie.

Part. I.

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Cette distinction paraît plus vraisemblable, mais je ne la crois pas plus juste, et je m'en rapporte à l'exemple cité par l'Académie. « C'est dans ce sens, ajoute t-elle, qu'on dit qu'un homme s'en fait accroire, pour faire entendre qu'il prend de lui des sentimens trop avantageux, qu'il s'attribue un mérite qu'il n'a pas. » Cet homme-là croit, à la vérité, une chose qui n'est pas; il se trompe, ou plutôt il s'abuse; mais, certes, il n'a pas le dessein, il n'a pas formé le projet de se persuader une chose qu'il croit fausse, de se tromper, de s'abuser; car alors il ne s'abuserait pas, il ne s'en ferait pas accroire; il saurait bien qu'il se ment à lui-même.

Il me semble que la signification du mot accroire n'a point été développée dans toute son étendue. Accroire signifie croire à, croire à quelqu'un, à sa parole, à son témoignage, à son rapport; croire aux songes, aux sorts, aux sorciers, aux fables, aux influences morales des astres; c'est-à-dire, croire sans motif, sans raison, croire sur parole, légèrement, croire par crédulité. Faire accroire, c'est faire croire à quelqu'un tout ce qu'on lui conte, lui persuader, par sa propre autorité, ce qu'on veut; lui faire ajouter foi à des choses qu'il ne doit pas naturellement croire, soit à cause du caractère de la personne qui les dit, soit à raisou des choses mêmes qu'il dit. L'Académie observe fort bien, dans son Dictionnaire, qu'en donner bien à garder, c'est en faire accroire. Or, on en donne à garder, quand on débite des contes, des balivernes, des fariboles, des choses ridicules, puériles, extravagantes, imaginaires. On en 'conte de même à quelqu'un, quand on veut lui en faire accroire, ou lui faire croire des choses indignes de foi. On fait accroire que des vessies sont des lanternes. On s'en fait accroire, lorsqu'on s'abuse sottement ou follement sur son propre mérite. Ainsi faire croire signifie simplement persuader une chose, obtenir la croyance de quelqu'un, lui inspirer de la confiance en vos discours. Faire accroire veut dire persuader des choses non croyables, ou bien abuser du crédit que l'on a sur l'esprit d'une personne, de sa crédulité, de sa sim- . plicité, de sa confiance, de sa bonne foi, etc.

M. Beauzée a très-bien remarqué, dans la nouvelle Encyclopédie, que ces deux expressions signifient déterminer la croyance; mais que faire accroire, c'est la déterminer sans fondement, pour une chose qui n'est pas vraie; et faire croire, c'est simplement déterminer la croyance, avec abstraction de toute idée de fondement et de vérité. Ainsi on ne peut faire accroire que le faux, ou ce qu'on croit faux; on peut faire croire également le faux et le vrai.

Le même auteur fait encore l'observation suivante. « Faire. accroire ne peut s'attribuer qu'aux personnes, parce qu'il n'y

que les personnes qui puissent agir de propos délibéré et avec intention: faire croire peut s'attribuer aux personnes et aux choses, parce que les personnes et les choses peuvent également déterminer la croyance, et que cette phrase fait abstraction de toute intention. Les personnes font accroire le faux; les choses font croire faussement. » Il est certain que la première de ces expressions ne s'emploie qu'à l'égard des personnes, et qu'elle indique du moins l'art ou le talent de persuader. (R.)

331. CROÎTRE, AUGMENTER.

. Les choses croissent, dit M. l'abbé Girard, par la nourriture qu'elles prennent elles augmentent par l'addition qui s'y fait des choses de la même espèce. Les blés croissent; la récolte augmente.

. Mieux on cultive un terrain, plus les arbres y croissent, et plus les revenus augmentent.

Le mot de croître ne signifie précisément que l'agrandis sement de la chose, indépendamment de ce qui le produit. Le mot d'augmenter fait sentir que cet agrandissement est causé par une nouvelle quantité qui y survient. Ainsi, dire que la rivière croit, c'est dire uniquement qu'elle devient plus haute, sans exprimer qu'elle le devient par l'arrivée d'une nouvelle quantité d'eau: mais dire que la rivière augmente, c'est dire qu'il y arrive une nouvelle quantité d'eau qui la fait hausser. Cette différence est extrêmement délicate; c'est pourquoi l'on se sert indifféremment de croître ou d'augmenter en beaucoup d'occasions où cette délicatesse de choix n'est de nulle importance, comme dans l'exemple que je viens de citer; car on dit également bien que la rivière croit et que la rivière augmente, quoique chacun de ces mots ait même là son idée particulière. Mais il y a d'autres occasions où il est à propos, et quelquefois même nécessaire d'avoir égard à l'idée particulière, et de faire un choix entre ces deux termes, selon la force du sens qu'on veut donner à son discours. Par exemple, lorsqu'on veut faire entendre, en parlant des passions, qu'elles sont dans notre nature; que ce qui nous sert d'aliment leur sert aussi de nourriture et leur donne des forces, on se sert élégamment du mot croître ailleurs, on emploie celui d'augmenter, soit pour les passions, soit pour les talens de l'esprit.

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Toutes les passions naissent et croissent avec l'homme; mais il y en a quelques-unes qui n'ont qu'un temps, et qui, après avoir augmenté jusqu'à un certain âge, diminuent ensuite, et disparaissent avec les forces de la nature; il y en a d'autres

qui durent toute la vie, et qui, augmentant toujours, sont encore plus fortes dans la vieillesse que dans la jeunesse.

<«< L'amour qui se forme dans l'enfance croit avec l'âge. Le vrai courage n'est jamais fanfaron; il augmente à la vue du péril. L'ambition croit à mesure que les biens augmentent.

Il est aisé de voir, par tous ces exemples, que l'un de ces mots a des places qui ne conviennent point à l'autre : car quelle est la personne assez peu délicate en fait d'expressions, pour ne pas sentir, par goût naturel du moins, si ce n'est par réflexion, qu'il est mieux de dire, l'ambition croit à mesure que les biens augmentent, que de dire, l'ambition augmente à mesure que les biens croissent? S'il n est pas difficile de sentir cette délicatesse, il l'est d'en expliquer la raison : il faut pour cela un peu de métaphysique, et avoir recours à l'idée propre que je viens d'exposer du mieux qu'il m'a été possible. Car enfin les biens consistant dans plusieurs différentes choses qui se réunissent dans la possession d'une seule personne, le mot d'augmenter, qui, comme on l'a dit, marque l'addition d'une nouvelle quantité, leur convient mieux que celui de croitre, qui ne marque précisément que l'agrandissement d'une chose unique, fait par la nourriture. Cette même force de signification est la raison pourquoi le mot croitre figure parfaitement bien en cet endroit avec l'ambition, puisqu'elle est une seule passion à qui les biens de la fortune semblent servir d'alimens pour la soutenir et la faire agir avec plus de force et plus d'ardeur.

« Les choses matérielles croissent par une addition intérieure et mécanique, qui fait l'essence de la nourriture propre et réelle; elles augmentent par la simple addition extérieure d'une nouvelle quantité de même matière. Les choses spirituelles croissent par une espèce de nourriture prise dans un sens figuré; elles augmentent par l'addition des degrés jusqu'où elles sont portées.

« L'oeuf ne commence à croitre dans l'ovaire que lorsque la fécondité l'a rendu propre à prendre de la nourriture, et il n'en sort que lorsque son volume est assez augmenté pour causer de l'altération dans la membrane qui l'y renferme.

« Notre orgueil croît à mesure que nous nous élevons; et il augmente quelquefois jusqu'à nous rendre haissables à tout le monde. » (G)

M. l'abbé Girard craint de paraître trop subtil dans cet article, et M. Beauzée n'en est pas entièrement satisfait. Tâchons donc d'éclaircir, de développer et de confirmer ou de rectifier ses idées.

Croître vient du mot primitif crah, creh, qui désigne tout ce qui est haut, élevé, gros, et qui hausse, s'élève, grossit.

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