Nous croyons utile de remettre sous vos yeux les termes du procèsverbal de la séance dans laquelle le décret a été rendu. « Le Président propose à Assemblée la formation d'une commission d'enquête, sans caractère judiciaire, prise dans le sein de l'Assemblée Nationale, et chargée d'étudier les causes, les modes d'action de l'insurrection qui depuis trois jours ensanglante Paris; chargée en même temps d'étendre ses investigations à tout ce qui est relatif à l'attentat du 15 mai. »> L'Assemblée Nationale décrète : « Art. 1o. Une Commission de quinze membres sera nommée dans les bureaux, à l'effet de rechercher par voie d'enquête, et par tous autres moyens qui lui paraîtront utiles et nécessaires, les causes de l'insurrection, qui, depuis trois jours, ensanglante Paris, et de constater les faits qui se rattachent, soit à sa préparation, soit à son exécution. « Art. 2. La même Commission sera autorisée à étendre ses investigations à tout ce qui est relatif à l'attentat du 15 mai. << Art. 3. Tous pouvoirs lui sont conférés pour ce double objet, soit pour mander ou faire comparaître auprès d'elle les personnes en état de donner des renseignements, soit pour se faire délivrer et communiquer toutes les pièces de nature à éclairer sa religion. « Art. 4. Rapport sera fait à l'Assemblée des résultats de cette information. » L'Assemblée Nationale, immédiatement consultée, déclare l'urgence de ce projet, et passe à la discussion'des articles qui sont adoptés. Ainsi l'enquête dont nous sommes chargés est politique; elle n'est pas judiciaire. Dans votre omnipotence, vous avez respecté le principe sacré de la division des pouvoirs. Nous nous sommes aidés du concours des magistrats pour nous éclairer; mais nous n'avons pas substitué notre autorité à la leur. Nous nous sommes arrêtés au moment où il nous a paru que nous sortirions de l'œuvre politique et parlementaire qui nous a été confiée pour entrer dans le domaine de la justice. L'enquête a été provoquée par l'insurrection du 23 juin, et cependant vous l'avez étendue au 15 mai; vous avez pensé qu'il pouvait exister une corrélation entre ces deux attentats, et que vous n'étiez pas suffisamment éclairés sur le premier. Nous avons cherché cette corrélation, en réunissant les éléments de l'instruction déjà faite, soit devant la justice, soit devant le pays, sur le 15 mai, à ceux que nous avons obtenus sur les évènements du 23 juin. Vous avez voulu, en outre, que l'enquête révélât au pays les causes de ces grandes catastrophes, non-seulement pour qu'à chacun fût faite la part de responsabilité qui lui appartient, mais parce que, dans un pays libre, le peuple a le droit de tout savoir, et que la publicité est déjà une réparation. D'ailleurs, faire ressortir les causes du mal, n'est-ce pas déjà en indiquer le remède ? Vous nous aviez investis de tous vos pouvoirs; nous n'avons reculé devant aucune des nécessités de notre mission. C'est un bonheur pour nous, et le pays y verra sans doute une espérance pour luimême, de pouvoir vous dire que, partout, cette autorité, qui était la vôtre, a été religieusement obéie. Tous les hommes politiques, tous les citoyens auxquels nous avons dû nous adresser, nous ont prêté le concours le plus empressé; tous se sont inclinés devant votre souveraineté : heureux symptôme, qui annonce que le respect de la volonté nationale, représentée par l'Assemblée, principe fondamental de toute République, est définitivement consacré. Toutefois, les documents de l'enquête vous donneront à penser qu'un certain nombre de témoins n'ont pas révélé tout ce qu'ils savaient; nous devons ajouter que d'autres n'ont eu de communications avec nous que sous le voile de l'anonyme, tant était profond le sentiment de terreur imprimé par les derniers évènements! Toutes ces hésitations, toutes ces réticences cesseront, grâce à la fermeté persistante de l'Assemblée Nationale et du Gouvernement. En reparaissant à la face du pays, la justice reprenant tous ses droits, ranimera le courage des bons citoyens, et les factieux comprendront que, devant elle, ils n'ont plus qu'à désespérer et à sé soumettre. Nous devons, avant tout, caractériser nettement les deux attentats sur lesquels devaient porter nos investigations. Chacune des grandes crises de notre première Révolution avait été annoncée, expliquée, ou par des résistances téméraires, ou par l'agression de l'étranger, ou par une de ces questions politiques qui renferment en elles les destinées d'un pays et même de l'humanité. Les tentatives sacrilèges qui viennent de menacer violemment la Représentation Nationale et l'ordre social tout entier, ont cela de remarquable, qu'autant elles ont été criminelles dans le dessein, odieuses dans les moyens d'exécution, autant elles sont dépourvues de causes, de prétextes même ; il n'y a pas un autre exemple d'une telle agression dans l'histoire du monde. L'Assemblée Nationale était appelée par tous les vœux. On la regardait unanimement comme le salut du pays; on comptait les jours qui devaient s'écouler encore jusqu'à sa réunion. Aucun droit n'avait été contesté, la liberté avait été étendue à ses dernière limites, la souveraineté du peuple à ses extrêmes conséquences : il semblait qu'il n'y eût plus à redouter ni collisions, ni révolutions, puisque désormais elles manquaient de prétextes. L'unanime acclamation de l'Assemblée Nationale avait proclamé la République. Ne songeant qu'aux services rendus, elle avait décrété d'entraînement que le Gouvernement provisoire avait bien mérité de la patrie. Elle avait fait plus encore: malgré le besoin d'homogénéité dans le pouvoir, malgré la conscience qu'elle avait des embarras et des dangers qui étaient résultés des dissidences intestines du Gouvernement depuis le 24 février, n'écoutant que ses sentiments de conciliation, et voulant éviter jusqu'à la plus légère apparence de réaction contre le passé, l'Assemblée avait conservé dans le Pouvoir exécutif les principaux éléments du Gouvernement provisoire. Annonçant ainsi ses généreuses intentions, au milieu de l'attente, de l'anxiété publique, l'Assemblée Nationale, seule debout, investie de cette puissance que lui conférait le concours de 10 millions de suf frages, s'apprêtait à remplir sa mission. C'est alors qu'elle est tout-à-coup violemment envahie, et que, pendant trois heures, la majesté de son sanctuaire est profanée par les factions. Malgré cette attaque odieuse, l'Assemblée ne veut cependant pas se départir du système de modération qu'elle a adopté. Elle ne prescrit pas d'enquête, elle renonce à rechercher elle-même sur qui doit porter la responsabilité de cet attentat. Une constitution fondée sur les bases les plus sincèrement démocratiques est préparée; un de ses Comités est spécialement chargé de pourvoir à l'amélioration du sort des travailleurs; les mesures se pressent à la tribune et dans les comités, pour arriver à ce but; on ne recule devant aucun sacrifice; l'Assemblée ne veut pas que la dissolution des ateliers nationaux, commandée plus encore par la dignité et la moralité des travailleurs que par les nécessités financières, laisse un seul instant la misère sans assistance. Et c'est à ce moment qu'éclate au milieu de Paris cette insurrection depuis longtemps préparée, qui a fait de cette grande et noble capitale un champ de bataille, où, pendant quatre jours, on a vu les citoyens d'une même patrie, les habitants d'une même cité, s'armer les uns contre les autres. Vous n'avez que trop conservé le douloureux souvenir de ces sanglantes collisions; nous vous en épargnerons le récit circonstancié. Les deux évènements ont cela de commun, qu'ils étaient dirigés contre la Représentation nationale. Aux deux époques, c'était une minorité factieuse qui voulait s'imposer, par la violence, à la majorité; c'était une attaque de la force brutale contre le droit, contre la souveraineté de la nation. Mais ces évènements different en ce sens, que le but principal de la manifestation du 15 mai était de dissoudre l'Assemblée et d'élever sur ses débris une sorte de Comité de salut public. C'est accessoirement que, dans leurs proclamations et dans leurs décrets, les fauteurs de ce mouvement tendaient les mains au parti prétendu socialiste. Le milliard sur les riches n'apparut que tardivement, et dut, en quelque sorte, céder le pas à la manifestation polonaise; en un mot, on peut dire que cette première crise revêtit une forme plus politique que socialiste. Le 23 juin, au contraire, l'élément communiste, issu des conférences du Luxembourg, sorti tout armé du club des ateliers nationaux, a notoirement pris l'initiative: les affiches, les proclamations, les noms propres mêmes qui servent de drapeau à l'insurrection, tout indique ce caractère. Nous avons fait porter notre information sur tous les indices, sur tous les faits qui paraissaient de nature à impliquer la présence et l'action des anciens partis dans ces criminelles entreprises; nous nous sommes attachés particulièrement à surpendre la trace de distributions d'argent qui auraient été faites au nom de ces partis. Nos recherches sont restées sans résultat, et si des hommes isolés, mécontents du nouvel ordre de choses, se sont mêlés, directement ou indirectement, à ces agitations subversives, on peut affirmer qu'aucun plan, aucune vue d'ensemble ne révèlent l'intervention active des prétentions dynastiques. L'élément politique, dominant au 15 mai, n'a pas été étranger aux évènements de juin, mais il est resté sur le second plan; c'est ainsi que dans toutes les tentatives qui, depuis le 25 février, ont menacé la Représentation nationale et la société, on retrouve toujours ces deux partis combinant leurs forces, unissant leurs passions dans un but commun: celui de faire violence à la majorité de la nation. Mais comme ils partent de principes différents, comme ils répondent à des exigences diverses, que le lendemain même de la victoire ils seraient entre eux à l'état d'hostilité flagrante, ils ne se sont jamais encore complètement mêlés; et, avant qu'une telle fusion puisse s'accomplir, |