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publiques se disent dépendantes du sultan. Ce monarque en fait plus de cas qu'elles ne méritent, parce que leurs pirateries tiennent principalement en sujétion l'ifle de Malte. D'ailleurs, fi elles envoient leurs vaisseaux pour grossir la flotte ottomane, elles sont bien payées. Encore arrivet-il qu'ayant reçu l'argent, leurs escadres ne sortent point de la Méditerranée, ce qui n'augmente pas le trésor public.

Tout le pays qui est aux bords de la mer Noire, depuis Azac jusques presque à Trébifonde, ne procure d'autre avantage à sa hautesse que celui de jouir de quelques ports, de recouvrer les bâtimens qui échouent fur ces plages, & par le moyen du fort de Taman, d'être maître du détroit de Caffa, pour entrer dans les Palus Méotides, & de-là passer à Azac. Depuis ce fort jusqu'à celui de Taman en-delà, d'où cominence la ligne du Caucase, la plaine est habitée par les Tartares Nogais, les plus cruels de toute la Tartarie. Ceux-cine reconnoiffent en aucune maniere le kan de Crimée, & quand il a besoin d'eux, il est obligé de les enroller à force d'argent que la Porte lui fournit. Les Circassiens sont ensuite plus voisins du Caucase. On trouve de plus la mer Noire & le sommet de cette haute montagne couverte de forêts de buis, les provinces de l'Abaflée qui confinent à la Mingrelie, subdivisée dans les principautés d'Iméréte & de Guriel. A cause du peu de foin qu'on a de cultiver ces contrées, des coutumes barbares des peuples qui les habitent, de la difficulté d'arriver dans les endroits les plus affreux du Caucase où sont leurs retraites, & de la proximité de la Géorgie, dont partie est sujette, & partie tributaire de la Perse, elles ne laissent au Turc d'autres avantages, comme on vient de le dire, que de côtoyer la mer Noire depuis Azac jusqu'à Trébisonde. Ils ont même l'incommodité, sur-tout la nuit, de se tenir, toujours sur leurs gardes, pour ne pas être surpris dans les forêts par les habitans du pays. Ces peuples font un trafic considérable en esclaves, tant hommes que femmes d'une extrême beauté; & les Turcs les achétent à beaux deniers comptans des mains des freres & des peres de ces malheu

reux. La contrée d'Azac jusques aux forts du Boristhène est un véritable désert, entre la Moscovie & la TattarieCrimée. On n'y trouve d'autre habitation que celle du château d'or, situé au bout de l'isthme de la presqu'isle de Crimée habitée par les Tartares, qui, loin de payer un tribut, reçoivent des sommes allez fortes, pour servir dans les troupes du grand seigneur, quoiqu'ils foient obligés de lui fournir dix mille hommes pour les terres dont ils jouissent. Comme ces Tartares ont cependant l'esprit séditieux, le sultan entretient des garnisons en plusieurs places pour les tenir en respect, & il les paye de l'argent de l'épargne.

Les pays de l'Ukraine de la dépendance de Bender, & Caminietz, dans la Polodie, jusqu'à la riviere de Bog, sont totalement ruinés. La Porte y entretient cependant de fortes garnisons, quoiqu'elle n'en tire aucun fecours. Car, par exemple, dans l'angle inférieur que forment dans le Budziack, le Danube, le Niester & le Bog jusqu'à la Moldavie, ce sont des terres habitées par les Tartares qui relevent de la Crimée, & ainsi elles n'apportent rien à l'épargne de Constantinople; au contraire, les garnisons d'Oczakow & d'Ismaël, destinées à tenir ces Tartares dans leur devoir, pour rendre libre & atsurée la communication avec ceux de la Crimée, sont payées de l'argent de ce trésor. Les provinces tributaires de la Moldavie & de la Valachie font gouvernées par des sujets du rit grec. Le tribut qu'on en tire est plutôt au profit des ministres de la Porte que du trésor public, & elle est obligé d'y avoir des garnisons pour contenir ces peuples, puisqu'il est arrivé qu'ils ont souvent pris les armes contre le sultan.

L'exercice des loix & de la justice est confié à des juges de différens ordres, dont les moins considérables sont les cadis, ensuite les mullas, & enfin les cadilesquers, dont les jugemens sont portés devant le mufti en derniere instance. Ces juges font distribués dans tout l'empire par départemens, qui portent le nom de judicature; & la haute dignité de cadilesquer est partagée en deux; l'une pour l'Europe, & l'autre pour l'Afie. Ce corps de juges, qui a le mufti pour président, est nommé ulama; & les affaires conside rables, qui regardent la religion & l'état, sont de son reffort. On parvient au grade de cadilesquer après avoir passe par les offices subalternes de la judicature. Le mufti est choisi

parmi les cadilesquers, par la faveur du sultan, & encore plus par celle du visir; & lorsque ces deux grands officiers font anis, ils peuvent faire la loi au grand seigneur même. L'ordre pour le maniement des finances est si bien établi, soir pour les charges, soit pour les régistres, que quelque puissance chrétienne que ce foit trouveroit de quoi s'instrui. re, en retranchant quantité d'abus qui s'y glissent. Le gouvernement militaire politique est divisé en deux parties principales ; savoir, l'Europe & l'Afie, sous le nom de Romélie & de Natolie, & même d'Obecada, c'est-à-dire, de de-là, par rapport à Constantinople qui est en deçà de la mer. On a conservé dans chacune de ces deux parties du monde les mêmes divisions qu'elles avoient lorsque la Porte les conquit. Ce qui étoit royaume l'est encore; ce qui n'étoit que province, que département, est encore aujourd'hui sur le même pied. Ces grands gouvernemens ont le titre de bachalas, dont quelques-uns portent nécessairement le caractère de visir, d'autres de simples bachas, qui peuvent quelquefois être du rang des visirs ou des beglerbegs, qui, tant qu'ils font en charge, prennent le nom de la capitale où est leur résidence, & qui est ordinairement la même que du tems des chrétiens. Ces royaumes & ces provinces font partagés en plusieurs départemens gouvernés par un officier qu'on nomme beg ou fangiac, & ceux-ci ont sous eux un certain nombre de zaims & de timariots; ils font tous également subordonnés au bacha de la province, aux beglerbergs, ou aux visirs des royaumes, qui donnent audience publique une fois la semaine, accompagnés des premiers officiers de la judicature, des finances & de la milice, pour entendre les plaintes, principalement des zaims & des timariots, des autres soldats, de quelque rang qu'ils foient, & des sujets chrétiens, qu'on nomme indifferemment raja, c'est à dire, sujets, & des Juifs qu'on appelle Gifrit.

C'est un embarras pour un empire d'avoir à gouverner un peuple composé de nations différentes, & par rapport au langage, & par rapport à la religion. Cet embarras eft beaucoup plus grand dans l'empire ottoman qu'il ne le sea roit encore ailleurs. Le mahométisme a pour maxime fondamentale la destruction du christianisme. Les Turcs n'appellent les chrétiens que par le nom de Giaur, c'est-à-dire, infidéles; cependant ce sont ces derniers qui peuplent l'empire. On pourra facilement comprendre que de ce grand nombre de nations différentes, on ne fauroit tirer des milices pour défendre solidement l'empire, à moins qu'à chaque fois les bachas n'enrollent dans leurs départemens la plus vile populace, & tout ce qu'ils peuvent trouver à bas prix, prenant même des chrétiens faute d'autre monde. Pour ce qui est des troupes de la Moldavie & de la Valachie, les Turcs ne s'en fervent qu'à groffir leur armée, & à dispenser les braves soldats de certains emplois désagréa bles, & même pour conserver l'ancien usage d'avoir ces troupes d'infidéles hors de leurs pays sous les yeux d'une armée, lorsque la Porte est en guerre avec les puissances chrétiennes.

Les Turcs qui étoient au timon des affaires, virent bien qu'il falloit déroger à la sévérité de l'alcoran. Ils comprirent la néceffité de laisser vivre les chrétiens, & reçurent même les Juifs, qui, chaflés de l'Espagne, se réfugioient dans l'empire ottoman. La liberté de s'établir fut de même accordée à toute autre nation, pour en tirer un service utile à l'empire; car les Turcs n'auroient jamais pu suffire seuls à peupler les villes & à faire la guerre en même tems. Mahomet II, conquérant de Constantinople, après s'être placé sur le trône des empereurs Grecs, commença le premier à changer les loix & les priviléges des Grecs. Cette entreprise avoit été touchée par les sultans fes prédécesseurs, dans le tems qu'ils régnoient à Burse. Ils modererent un peu les réglemens barbares qui avoient été faits d'abord; & enfin Soliman le Grand y mit la derniere main, & fervit de modéle à ses successeurs. Quoique l'avarice des sultans, & bien plus encore celle des visirs, ait enfreint ces réglemens, les sages Turcs ont toujours détetté cette condaire. Tant de peuples différens opposés au gouvernement des Tures, obligerent les empereurs d'en changer la forme. Selon les plans de Mahomet II & de Soliman le Grand, ils ne se font jamais mêlés de religion; & le feul réglement qu'ils ayent fait sur ce sujet, est que si le feu prend à une église, elle foit convertie en mosquée, ou qu'on paye une somme fort considérable, si on vent s'en servir comme auparavant. Les Turcs n'usont d'aucune violence envers les femmes des chréziens & des Juifs. Les impôts ordinaires & extraordinaires font fort supportables chez eux. Les élections des dignités ecclésiastiques sont très libres en apparence, & on observe fort religieusement l'exemption à leur égard; les revenus des églises & ce que produisent les impositions, que les patriarches & les archevêques mettent sur le peuple ; tout ce détail est contenu dans les patentes que le sultan accorde, & qu'on nomme Berat. On y voit un réglement politique trèsentendu, & bien différent des préceptes de l'alcoran, qui ordonne l'entiere destruction des chrétiens. Les principaux tributaires, même les sujets qui sont dans la Valachie, la Moldavie & la Tartarie Crimée sont environnés par des forteresses, dont les Turcs sont les maîtres. Quoique libres dans l'intérieur de leurs états, ces peuples sont cependant toujours renfermés au milieu des garnisons des places fortes de l'empire. Tous les villages qu'on donne à ceux qui s'en sont rendus dignes, sous le titre de ziamets & des timars, soit que leur valeur ou la faveur les leur fassent obtenir, sont autant de gardes qui veillent à la conservation de l'obéissance & de la fidélité due au sultan, & à l'entretien de ces mêmes villages, sauvegardes & petits gouvernemens. Outre cela, un grand nombre de Turcs ont fait bâtir des maisons dans les endroits les plus considérables, où ces différentes nations font leur demeure. Ces peuples ne peuvent porter des armes, sans une permission particuliere, encore n'est-ce qu'à l'occasion de quelque voyage, & on les veut modestes dans leur habillement. Enfin, ce fut à l'instance des timariots, des zaims, des begs & des beglerbegs qu'on leva ce cruel tribut, pour lequel ces nations chrétiennes devoient donner un certain nombre d'enfans. Ceux qui étoient chargés d'en faire la levée les menoient à Constantinople, où ils étoient distribués par ordre du sultan, entre les mains des Turcs les plus opulens; ceux-ci en devoient prendre soin jusqu'à un certain age; ils les habilloient tous de rouge, pour les diftinguer, & les mettoient ensuite dans le corps des agemoglans, d'où ils les faisoient passer dans celui des janissaires.

On peut s'imaginer quelle doit être la crainte de la Porte, malgré les précautions qu'elle prend, ayant sous sa domination tant de peuples différens, qui ont chacun leur religion & leur langue particuliere; elle en a eu des preuves à l'égard des Esclavons, qu'on nomme aujourd'hui Rafciens; & fi elle en vouloit agir autrement, elle risqueroit d'avoir la guerre avec les puissances voisines, & même avec ses propres sujets; de voir les terres incultes, & de ne pouvoir exiger les tributs qui rempliffsent son trésor. En Turquie on ne voit guères de paysans Turcs, fi ce n'est quelques-uns dans la Bosnie, & dans les plaines de Dobra, pays situé entre le Danube, la mer Noire, le mont Hémus & la riviere de Jantra, & où les Turcs ont envoyé d'Afie des paysans pour le peupler, de peur que les Tartares de Budziack ne s'en * emparaffent. Toutes ces considérations ont rendu le gouvernement des provinces, aristocratique.

Le sultan, comme tous les despotes qui ne tiennent leur puissance que de la force, est toujours exposé à perdre le trône, même la vie. La milice, qui est auprès de sa personne, & qu'on nomme capiculy, a le pouvoir de le mettre en prison, de le faire mourir, & de lui donner pour fuccefleur un de ses freres ou de ses enfans. Lorsque tout le corps de cette milice de Constantinople est réuni sous les ordres de l'Ulama, le sultan, ce monarque despotique, passe du trône au fond d'un cachot, fi on ne l'étrangle pas lui & son visir..

La nation turque en général est fort sobre dans le manger. Les loix obligent les Turcs à faire leur priere dès le point du jour, & par conféquent à se lever matin; après cette priere ils déjeûnent fort légerement; à midi ils mangent quelques fruits; trois heures avant le coucher du soleil ils goûtent, & avant une heure & demie de nuit ils foupent. Ils ont ainsi réglé les heures des repas, parce que les autres font employées à la priere & aux exercices de leurs professions, soit qu'ils regardent leur commerce ou d'autres affaires à la Porte, & à différens divans. Les Turcs mangent du pain sans levain, qui est rond, & tout au plus épais d'un demi-pouce. Le mouton est leur viande ordinaire: ils ne mangent que fort peu de bœuf, point de veau, & très rarement du poisson; mais le riz, le froment mondé, les pois, les lentilles, le miel, le sucre & toutes fortes d'épiceries, particulierement le poivre, font leur commune nourriture; ils mangent beaucoup de fruits, tant

nouveaux que secs, & fur-tout du jardinage. Il n'entre dans leurs cuisines que la chair des animaux qui ont été égorgés avec de certaines cérémonies. Ils apprêtent en général leurs viandes, ou en les faisant simplement bouillir, ou en les taillant par morceaux & les mettant étuver, ou les faisant rôtir. C'est de cette derniere façon qu'ils mangent principalement les poules & les agneaux qu'ils laissent entiers, les farcissant d'autre chair hachée avec quantité d'épiceries. Ils font aussi une espèce de tourtes feuilletées; ils font bouillir dans l'eau le riz & le froment mondé, le faisant égouter lorsqu'il est cuit, & l'accommodant ensuite avec du beurre; c'est la véritable nourriture des foldats elle est bonne, légere, facile à digérer & fort aisée à apprêter; enfin ils mangent tous les mêmes viandes, toutes très nourrissantes, & le rôti n'est guères en usage que chez les grands. Leurs tables font bien-tôt dressées, tout le monde sait qu'ils mangent à terre.

Après le repas chacun se remet à sa place autour de la chambre, pour rendre graces à Dieu, & on se salue ensuite mutuellement; c'est alors qu'ils boivent, car ils ne le font point pendant le repas, & ils y suppléent par les viandes liquides & les fruits cuits. Lorsque quelque chrétien, qui n'est point sujet du sultan, mange chez eux, on lui fert à boire, s'il le veut, ou de l'eau ou du vin. Les Turcs ufent de différentes boissons pour compenser le vin qui leur est défendu par l'alcoran, quoique nonobstant cette défense plusieurs en boivent en secret. Ces boissons font l'eau de puits, de riviere & de fontaine ou du laitage de plusieurs animaux & des liqueurs froides & chaudes; les plus ordinaires de celle-ci sont le caffé & le saleppe qu'ils font avec de la racine de satirion. Leur plus exquise boiffon froide est le sorbec, composé du suc de cérises & d'autres fruits. Ils boivent toujours assis, à moins que la nécessité ne les oblige à se tenir debout. Ils mettent en été l'eau commune à la glace, lorsqu'ils peuvent en avoir, ou en jettent dans les vases de verre & de porcelaine, dans lesquels ils boivent. Il croyent beaucoup mériter auprès de Dieu, lorsqu'ils pratiquent des fontaines sur le grand chemin, & qu'ils font conduire des eaux dans les villes, soit pour boire, soit pour se laver avant leurs prieres. C'est sur ce préjugé que Soliman fit rétablir le grand aqueduc qui conduit l'eau à Constantinople, & qui se partage en neuf cents quarante-sept fontaines.

Les Turcs sont dans le fond plus portés au repos qu'a l'activité; cependant ce naturel fait plus ou moins d'inpression sur eux, à mesure qu'ils habitent sous de différens climats. Les Turcs Asiatiques aiment fur-tout beaucoup leurs commodités. Au contraire, ceux de l'Albanie & de quelques autres parties de l'Illyrie, trouvent une vie active & laborieuse plus à leur goût. Ceux de Constantinople se plaisent à avoir quantité de couffins pour s'y affeoir & pour s'appuyer; ils font fort paresseux, languissans dans cette molle oisiveté. La plus grande partie des Turcs se repose ainsi la nuit & la meilleure partie du jour; les artisans même vivent de cette maniere, & tâchent à se procurer la commodité de travailler assis. Ils n'agiffent que par pure nécessité; la chasse est fort peu en usage parmi eux, encore ne confifte-t-elle qu'à faire courre le lievre par des chiens; ils ne savent point tirer en vol. Ils montent à cheval lorfque la néceflité l'exige, & se rasseyent ensuite le plutôt qu'ils peuvent. Les grosses fatigues sont pour ces miferables qui font réduits à une extrême pauvreté, comme les Grecs & les paysans Arméniens qui viennent de la campagne chercher à gagner leur vie dans les villes, & enfin pour les esclaves. Les jeunes gens, sur tout ceux qui veulent embrasser le genre de vie des janissaires, se divertisfent à la lutte & à se défier entr'eux à qui portera sur la paume de la main une pierre plus pésante, & courant quelques pas, à qui la jettera plus loin. Les enfans s'exercent dans les places de Constantinople, à se lancer avec la main les uns contre les autres, des dards qu'ils nomment gerit, longs de deux pieds & demi; ils font paroître leur adresse à en parer les coups. Cet exercice se fait quelquefois à cheval dans le ferrail, parmi les pages du sultan, comme encore parmi des bachas, pour divertir leurs maîtres, & ils représentent alors, quoique très-imparfaitement & affez mal en ordre nos carrousels. Leurs larges étriers sont attachés fort courts, afin qu'ils puissent se lever debout & lancer le dard avec plus de force & de dextérité, & parer en même tems le coup que l'adversaire porte.

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Le sommeil est réglé parmi eux, de même que les veilles, par la distribution des heures pour les prieres. Après la priere du soir, qu'on nomme jaczi, & qu'on fait un peu après la premiere heure de la nuit, chacun a la liberté d'aller reposer jusqu'à demi-heure avant le jour, & en hiver jusqu'à deux heures. Ils se retirent pendant ce tems d'auprès des femmes avec lesquelles ils ont paffé la nuit, & se lavent pour se préparer à la priere; on les y appelle du haut des tours des mosquées, & on employe ordinairement à cet office des jeunes gens qui ont la voix forte; ces crieurs s'appellent movedins ou movezzins. Quoiqu'ils cherchent toute leur commodité pour dormir, ils ne se deshabillent pourtant jamais tout-à-fait; ils gardent leur habillement de dessous, & fe couvrent la tête avec une écharpe plus grosse que celle qu'ils portent de jour.' Ils veillent facilement, leur frugalité dans le boire & le manger y contribue. Ils dorment quelquefois durant le jour un quart-d'heure en été; mais ils auroient honte de passer l'heure, & on les regarderoit comme des ivrognes ou comme des gens qui ont le défaut de prendre des pilules d'opium préparé. Ce vice est fort commun aux maîtres des langues dans les mosquées, & cette forte d'ivrognerie les rend fous, & leur donne une couleur pâle & jaunâtre, qui les fait d'abord reconnoître; cependant rien n'est plus commun parmi les Turcs de Con stantinople, qui abregent par-là leur vie, parce qu'ils mangent peu, & qu'ils contractent l'habitude de ne pouvoir dormir sans ce remede.

Les Turcs ne croyent pas, que pour conserver la santé, il y ait de meilleurs remedes que ceux qui procurent la transpiration. Ils font usage des bains sudorifiques, les uns trois, les autres quatre fois la semaine, & joignent le motif de leur santé à celui de la préparation qu'exige la priere parfaite, quoique pour s'y préparer, il ne soit pas néceffaire de se procurer une sueur violente. Il y a dans Conftantinople trente-trois bains somptueusement bâtis, & qui pendant le jour ont des heures marquées pour les hommes, & d'autres pour les femmes; ainsi on peut juger si l'usage de se baigner n'est pas exceffif parmi les Turcs. Des bains si fréquens ne peuvent qu'affoiblir & efféminer le tempérament des hommes, en tenant les pores ouverts. De-là vient le fréquent usage des pélisles, & même la néceflité de s'en servir; il faut qu'ils soient toujours bien couverts, tant de nuit que de jour, & ils aiment mieux souffrir le chaud que le froid. Lorsqu'ils se sentent la moindre incommodité, ils vont chez le chirurgien pour se faire saigner, & ne font pas difficulté de se faire ouvrir la veine au milieu de la rue; ils se font appliquer des ventouses, & veulent des purgatifs & des vomitifs très-violens. Plus le reméde opere, plus on vante l'habileté du médecin, qui, pour les contenter, doit pousser les choses à l'excès. Si le malade meurt, le médecin ne perd jamais, tout au plus, que son salaire; du reste les héritiers se consolent aifément, attribuant toutes choses à la destinée & à la volonté de Dieu. Ils n'épargnent rien pour fomenter chez eux la lubricité; ils se servent sans discrétion des remedes violens. Ils fument tellement du tabac, qu'ils s'endorment la pipe à la bouche. Ils ne crachent jamais & avalent toute leur salive, ce qui leur cause à la barbe, à la tête, aux sourcils & aux autres parties du corps où il croît du poil, certains feux volages qui s'étendant peu à peu, font tomber le poil, sans qu'il puisse ensuite revenir. Il est inouï que les Turcs lâchent des vents, ce seroit pour eux une extrême honte, & la compagnie prendroit cette action pour un outrage; mais en récompense ils rotent sans aucun egard; & quoique cela ne soit pas fort honnête, cependant ils ne le tiennent pas pour indécent, puisqu'un Turc ne pourroit pas faire sa priere sans s'être auparavant purifié. L'hypocrisie regne beaucoup parmi eux; on ne les entend parler que de la grandeur & de l'unité de Dieu, à qui ils rendent de continuelles actions de graces; mais excepté un petit nombre, qui avec une foi fincere mêlent les larmes à leurs prieres, la plus grande partie ne prie que du bout des levres, pour plaire à la populace, & s'acquérir par-là la réputation d'homme pieux, quoique dans le fond ils n'ayent point de foi. Les grands & les courtisans sont ordinairement de ce nombre. Ils ont coutume, lorsqu'ils en ont le moyen, de faire bâtir des mosquées, des fontaines sur le grand chemin, des ponts, des hôtelleries publiques qu'on nomme kans ou caravanserais, & ils assignent des fonds pour leur subsistance. Ils établissent dans les vil

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les des séminaires & des écoles, pour y instruire la jeunes se; ils font ces établissemens de maniere, qu'ils puiflent ap. porter un certain revenu à leurs descendans. Ce qui les détermine le plus d'en agir ainsi, c'est que si le capital qu'ils employent pour cela, restoit entre leurs mains, il feroit contisqué au plus tard après leur mort, au lieu que dès qu'il est consacré à Dieu, ni aucune loi, ni tout le pouvoir du sultan ne sauroient l'aliéner. Dans Constantinople, il y a pour la grande priere du vendredi quatre cents quatrevingt-cinq mosquées, dont sept font nommées impériales, parce qu'elles ont été bâties par des empereurs Turcs à grands frais. Toutes ces mosquées ont des revenus très-considérables; il y a de plus dans chaque quartier des endroits particuliers, appellés meschites ou mosquées ordinaires pour la priere, outre celle du vendredi. On en compte quatre mille quatre cents quatre-vingt-quinze, fréquentées uniquement par les Turcs. Les inarets, espéces d'hôpitaux où l'on donne à manger aux pauvres, selon l'ordre prescrit par les fondateurs, sont au nombre de cent, & il y a cinq cents quinze écoles publiques. Les Turcs sont au reste fort charitables envers les étrangers, de quelque religion qu'ils foient. Ceux qui demeurent dans les villages, proche des grands chemins, vont se promener avant midi & vers le foir, pour découvrir s'il ne paroît point de passager : en trouvent-ils quelqu'un, ils l'invitent à loger chez eux, & même ils disputent souvent à qui le recevra.

L'étude fait une de leurs principales occupations, & c'est à tort que le vulgaire les accuse de ne savoir pas lire, & d'entendre à peine l'alcoran. Il n'y a pas un savant parmi eux, qui ne sache à fond ces trois langues; le turc, le persan & Parabe: la langue turque est un composé des deux autres. On étudie premierement, dans les écoles, les élémens de leur fausse religion; on s'y instruit des matieres de la foi, & on on s'y forme le jugement. Ceuxqui veulent ensuite faire des progrès dans les belles lettres, s'exercent continuellement à bien écrire en profe & en vers, & écrivent ensuite leurs histoires, avec beaucoup d'esprit, & une scrupuleuse exactitude, s'attachant à détailler jusqu'aux moindres circonstances. Ils s'appliquent beaucoup à la logique, & à toutes les autres parties de l'ancienne philosophie, & fur-tout à la médecine. L'alcoran ne leur défend que les diflections anatomiques, dans la croyance que l'ame ne fort pas entiere, en un inftant, du corps d'un Mahométan. Elle passe, selon eux, de membre en membre, jusqu'à la poitrine, d'ou enfin, elle l'abandonne, & par conféquent, disent-ils, en disséquant un corps, on tourmenteroit le patient.

L'alchymie leur déplaît infiniment; ils composent leurs remédes suivant les anciennes recettes d'Avicenne & de Dioscoride, & ont quelque connoissance de la botanique. Ils s'appliquent beaucoup à la géométrie, à l'astronomie, à la géographie & à la morale. Ils ne font point imprimer leurs ouvrages; mais ce n'est pas, comme on le croit communément, parce que l'imprimerie leur est défendue, ou que leurs ouvrages ne méritent pas l'impression. Ils ne veulent pas empêcher tant de copistes, qui dans la seule ville de Constantinople, sont à peu près au nombre de quatre-vingt-dix mille, de gagner leur vie ; & c'est ce que les Turcs ont dit eux-mêmes aux Chrétiens & aux Juifs, qui vouloient l'imprimerie dans l'empire, pour en faire leur profit.

On peut dire qu'il n'y a point de gouvernement, dans l'univers, qui ait des registres aussi exacts que les Turcs, en tout ce qui concerne les traités avec les puissances étrangeres; les domaines ; le cérémonial qu'on y observe; l'expédition des ordres; les arrêts; les officiers actuellement à son service; enfin, des finances. D'un autre côté, on peut les blâmer par rapport au luxe, qu'ils poussent à l'excès. Prennent-ils poffeffion d'une charge, que la faveur leur a fait obtenir, ou que quelque belle action leur a procurée ? On leur voit auffi-tot un certain air de gravité & d'autorité, qui les fait paroître ou être nés, ou avoir vieilli dans les emplois. Ont-ils quelque heureux succès ? leur orgueil monte à son dernier période : ils se moquent de toutes les autre nations, & disent que la terre est trop bornée pour étendre leurs conquêtes. Ont-ils au contraire quelque échec ? ils paroissent entierement abattus. Si l'événement n'avoit pas fait connoître jusqu'où va leur confternation, on auroit de la peine à se l'imaginer. Lorsqu'après leurs disgraces, ils voient une lueur de fortune, ils reprenTome V. ZZzzzz

nent leur premiere hauteur; elle devient même plus infupportable qu'auparavant. Leur constance à supporter, chacun en son particulier, les revers de la fortune, est sans exemple parmi toute autre nation. Si celui qui étoit hier vilir se trouve aujourd'hui réduit à n'avoir que deux ou trois domestiques, il regarde sa disgrace avec une indifférence extraordinaire, & n'attribue son malheur qu'à la volonté de Dieu, & à son mauvais destin. S'il rentre dans fon premier poste, ce qui arrive très-souvent, il reprend auffi-tôt son ancien faste, comme s'il n'avoit jamais essuyé aucune disgrace. Les Turcs sont fort adonnés aux femmes; mais ils ne perdent pas leur tems avec elles; ils leur commandent en maîtres. L'intérêt est une passion que les Turcs ont fort à cœur; les uns brûlent d'envie d'amafler & de jouir de beaucoup de biens; d'autres ont l'ambition de vouloir donner des festins, & fatisfaire à leur luxe & à Deur lubricité. Cela les oblige à faire des dépenses excefli. ves, pour avoir un grand nombre de femmes chez eux. L'avarice est cause qu'il y a des trésors immenfes, en argent & en joyaux, cachés à Conftantinople. La plupart de ceux à qui ils appartiennent, se laissent souvent manquer du nécessaire, plutôt que d'y toucher, & meurent, fans en donner connoislance à leurs héritiers. La dissimulation leur est presque naturelle; ils trouvent facilement le moyen de se défaire d'une personne qui leur est suspecte, soit par le fer, soit par le poison. Ils ne s'ouvrent jamais à qui que ce foit, & ne font paroître aucun ressentiment, afin qu'on ne puifle deviner leurs intentions. S'ils font menteurs, ils ne peuvent fouffrir le mensonge chez les autres. On les voit rarement rire; leur conversation est très-sérieuse; ils font fort laconiques, en traitant de leurs affaires, & veulent qu'on s'explique avec eux en peu de mots. Ils font encore très-artificieux, & s'expriment toujours problématiquement, soit de vive voix, soit par écrit, afin de laisser matiere à de nouvelles contestations. Lorsque leur commerce ne regarde point la cour, ils sont fort honnêtes, & • se contentent d'un profit médiocre. Ils font religieux dans leur parole, & s'ils jurent qu'une chose vaut tant, ce se. roit un affront pour eux de les convaincre du contraire; mais pour ce qui est des gens de cour, la franchise leur est encore inconnue. Ils s'attachent facilement à la moindre apparence de promesse, quand même elle auroit été faite par maniere de parler; & fi la chose est à leur avantage, ils font tenir parole an tems échu, comme d'une promesse effective. Les belles paroles dont ils usent dans les affaires, contre leur naturel, sont plus à craindre que les mauvaises. Ils emploient ces dernieres pour observer le maintien de celui avec qui ils traitent, avant que de passer aux premieres, qu'ils avoient dessein de donner pour la conclufion d'une affaire. Il n'y a point de nation qui se laisse plus facilement éblouir, par l'espérance d'un changement favorable, que les Turcs. Ils veulent bien un nom fameux, mais ils ne le cherchent pas parmi les chrétiens; ainsi ils ne se font point de scrupule de leur manquer de parole. Rien n'est plus difficile que de leur faire conclure un traité de paix qui faffe mention de leurs disgraces, ou qui les oblige à céder quelques places. Il fera toujours plus aisé de leur faire la guerre, que de conclure avec eux une paix fujette à mille dédits; ou si elle est conclue, on ne pourra guère se garantir de quelque tour de leur part. S'il manque quelque chose à Texécution; par exemple, le réglement des limites, l'échange ou la démolition des places, ils tâcheront toujours d'en empêcher la fin, pour qu'ils puiffent, avec le tems, trouver un prétexte de recommencer la guerre. Si les puissances chrétiennes terminent aisément avec les Turcs mille petits différends, qui peuvent arriver chaque jour, elles ne doivent pas pour cela s'imaginer qu'ils en ont perdu la mémoire, au contraire, ils s'en souviendront en tems & lieu. L'opinion commune est que les Turcs font tout pour de l'argent; on se trompe; quelque avares qu'ils puissent être, on n'achete pas d'eux les services d'une grande importance, & leur offrir en ce cas de l'argent, c'est les rendre plus insolens & soupçonneux. Un ministre, qui voudroit à la porte ottomane se servir de cette voie, pour réussir dans ses négociations, n'y avanceroit pas trop; cependant, si on veut se rendre les choses faciles, il n'y a qu'à leur faire quelque petit présent, dont ils se contentent.

La monnoie particuliere de l'empire commença de paroître l'an de l'hégire 65: Abdilmelik, roi de Damas, fut

le premier de tous les Mahometans qui fit battre monnoie; on ne se servoit, auparavant, que de monnoies étrangeres. La monnoie est de trois fortes de métaux, d'or, d'argent & de cuivre. Elle n'a point d'autre marque que certains caractères, qui désignent le nom du sultan régnant, de son pere, & de quelques mots à sa louange, ou un paslage de l'alcoran. La grande vénération que les Turcs ont pour le grand-feigneur, est cause qu'on ne met point son effigie fur la monnoie. Ils ont un si profond respect pour le portrait du sultan, qu'ils le placent immédiatement après celui de leur prophéte; & jugent qu'il ne convient pas de le voir fur la monnoie, à cause qu'elle passe par les mains de tout le monde. Les villes où l'on bat ordinairement monnoie, font:

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Les Turcs, en général, savent bien le commerce. Le gouvernement leur donne toute la protection nécessaire, & ne charge point les marchandises de droits exorbitans. Il prend même soin qu'il y ait des ponts dans les grands chemins, où il en est besoin, & fur-tout qu'ils foient fûrs; cependant cette commiffion, qui est donnée à des officiers militaires très-éloignés, & en particulier à ceux du département d'Afie, est mal exécutée, & il se commet très-fréquemment des vols. La Turquie fournit quantité de soie, de laine, de poil de chévre & de chameau, de coton brut & filé, de lin, de cire, d'huile de séné, de bétail, de cendres de toute sorte de bois, pour les manufactures, & de bois même pour la construction des bâtimens. Toutes ces marchandises y font en si grande quantité, qu'outre ce qui se consomme dans l'empire , on en fournit encore beaucoup aux autres nations. La situation de l'empire, qui du côté de l'Asie confine avec la Perse & l'Arabie heureuse, est fort avantageuse au commerce. Les Turcs tirent, de ces pays-là, beaucoup de marchandises; ils les apportent dans les ports de l'Archipel, & de-là les distribuent aux autres nations de l'Europe, après qu'ils en ont rempli leurs magasins. Ces marchandises sont d'un côté des soies, des toiles de Perse & des Indes; des draps d'or, des pierreries & des drogues médicinales; de l'autre ce font toutes fortes de parfums, du baume, du caffé, qu'ils font venir de l'Arabie heureuse, par la mer Rouge. Avant que les Hollandois se rendissent maîtres des isles des épiceries, toute l'Europe alloit faire ses provisions au Caire en Egypte. A ce premier commerce, il faut ajouter les tanneries, les pelleteries, pour toutes fortes d'usage, & les chagrins, qu'on fait palfer en Europe. La teinture, soit pour les foies, soit pour les laines, soit même pour les peaux, y est dans sa derniere perfection, fur-tout pour l'éclat & la durée des couleurs. C'est de ces laines dont ils font leurs tapisseries, & s'ils avoient des desseins bien entendus, on ne pourroit rien voir au monde de plus beau que ces fortes d'ouvrages. On y a introduit depuis peu des fabriques de taffetas, par le moyen desquels les Turcs consomment maintenant leurs foies. Ils font auffi d'autres étoffes, fur des desseins conformes à leur goût, de même que du brocart d'or & d'argent, principalement à Chio. Quoiqu'il y ait peu de fourrures dans le pays; car on les tire du Nord, fur-tout de la Moscovie, on ne laisse pas de les y parer en perfection. L'Italie ne leur fournit guère que des marchandises tirées des manufactures de Venise; savoir, des draps d'or & de laine, du papier & des verres. Les François leur apportent toutes fortes d'étoffes de laine, du papier & de la mercerie. Les Hollandois leurs fournissent aussi des étoffes de laine, des épiceries & leur monnoie. Les Anglois leur apportent des étoffes de laine, du plomb & de l'étaim. Les Turcs tirent, de l'Allemagne, du laiton, du clinquant & de toutes fortes de merceries. Les marchandises que les nations européennes fournissent aux Turcs, ne sont point d'un affez grand prix, pour pouvoir être échangées avec les leurs; aussi sont elles obligées de donner du retour en argent comptant, & même affez considérablement. De-là vient que les Turcs tirent de grosses sommes d'argent de la chrétienté, & quoiqu'ils employent grande quantité de plomb & d'étaim d'Angleterre, les Anglois, qui ont ces métaux en plus grande abondance que toutes les autres nations, conviennent cependant qu'ils font encore obligés de leur donner bien du comptant, & même beaucoup plus que les autres, pour les marchandises qu'ils prennent d'eux, attendu qu'ils ne vient point de soie en Angleterre. Ces marchandises sont des soies, du poil de chevre & de chameau, & du coton, dont ils ne peuvent se passer pour leurs manufactures, dont les ouvrages ont par-tout un grand débit. Enfin, on peut dire que la Turquie fait un commerce plus considérable avec l'Europe, qu'avec toutes les autres parties du monde. D'ailleurs, les manufactures ausquelles ils emploient les pauvres gens, font la maxime fondamentale du gouvernement. Les Hollandois y ont affoibli le commerce de leurs étoffes de laine, parce qu'ils ont recours aux manufactures de France & d'Angleterre. Les François ont besoin des mêmes marchandises que les Anglois achetent des Turcs, nonobstant leurs manufactures de draps & autres étoffes. Ils font leur grande provision de caffé en Egypte, & le font transporter sur la mer Rouge. Ce caffé est bien meilleur que celui qu'on tire des autres lieux où il croît, parce qu'en restant trop sur la mer, il perd beaucoup de sa qualité, en comparaison de celui qu'on embarque en Egypte, & qu'on apporte des ports de la mer Rouge, qui reste peu de tems sur la mer. D'ailleurs, ils dépensent de grandes sommes en Turquie, pour avoir du bled, lorsqu'il se trouve cher en France. Ils en dépensent encore beaucoup pour avoir des huiles communes, qu'on emploie dans les manufactures d'étoffes de laine, & pour des cendres, qui font aussi nécessaires dans les manufactures, pour du séné & de la cire. Tout cela ensemble rapporte aux Turcs des sommes très-considérables. Les Vénitiens y achetent aussi toutes ces différentes fortes de marchandises, & encore une grande quantité de bétail en vie, qu'on prend en Dalmatie, & qu'on apporte à Venife, où la plus grande partie de la viande de boucherie vient de Turquie. Les pierreries sont aussi devenues une forte de marchandise. Les Arméniens en font le premier trafic; ils les tirent de cette partie de la Perse qui confine aux états du Mogol, & les portent dans les différens ports de l'Asie, où ils embarquent les plus belles pour l'Europe, & laissent les moins parfaites pour Constantinople, où on n'étoit autrefois curieux que de la grosseur; cependant, les chrétiens ont mis les Turcs dans le goût des pierreries de belle eau. La porte, ayant reconnu l'avantage qu'il y avoit à tirer tant d'argent des nations de l'Europe, a tâché de faciliter le commerce de ses sujets avec ces nations. Dans cette vue, elle a accordé des priviléges, par les traités qu'elle a faits avec leurs souverains, qui depuis tiennent des ambassadeurs à Constantinople, pour veiller à l'observation de leur contenu. Ces ambassadeurs ont sous eux des confuls de leur nation dans les Echelles, principalement de l'Afie, & depuis le Caire jusqu'à Alep, anffibien dans les villes Méditerranées que dans les ports de mer, comme à Smyrne, à Tripoli de Sourie, à Saïde, à Alexandrie & autres. Les droits d'entrée, pour les marchandises d'Europe, sont fort petits: ils n'excédent point les trois pour cent. Lorsqu'ils font une fois payés, on peut envoyer les marchandises, de quelque nature qu'elles foient, dans toute l'étendue de l'empire, on n'est plus obligé qu'à de petites sommes en certains endroits, où l'on demande la reconnoissance de la douane, dans laquelle les droits ont été acquittés. La porte veut par-là faciliter de plus en plus l'entrée de l'argent qui vient dans l'Empire, & qui passe par les mains des Turcs de tout état, & des chrétiens de toute nation. En effet, lorsqu'elle n'empêche pas la levée des grains & des huiles, les provinces maritimes amassent de grandes sommes. Le trésor de Constantinople se remplit facilement des contributions des sujets, & la porte trouveroit encore bien d'autres moyens de l'augmenter, si la politique ne demandoit qu'elle ménage ses sujets chrétiens. Elle craint qu'ils ne viennent à reconnoître leurs forces & la foiblesse des Turcs; & que se trouvant dans l'oppression, ils ne viennent à secouer le joug.

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La sévérité, la violence & la cruauté sont naturelles au gouvernement politique des Turcs : ce peuple ne s'étant presque jamais occupé qu'à la guerre, il n'est pas étonnant si les loix sont sévéres, & fi pour la plupart elles dépendent de la volonté de ceux qui commandent. On ne doit pas s'étonner non plus de voir que leur empereur soit abfolu & au-dessus des loix. Toute l'étendue du vaste empire de la Turquie appartient en propre au grand seigneur. Il est le maître absolu des terres & des maisons, aussi bien que des châteaux & des armes; de forte qu'il en peut disposer

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comme il lui plaît. Il n'y a que les terres destinées à des usages religieux qui ne lui appartiennent point. Cela s'observe si exactement, que quand un bacha meurt, après même avoir été convaincu de crime de lése-majesté, s'il donne des terres ou des rentes à une mosquée, quelque considérable que puisse être cette donation, elle ne laisse pas d'être valable. Les terres appartenantes ainsi de droit au sultan, les conquêtes n'en furent pas plutôt assurées, qu'il fit le partage des maisons & des métairies entre les foldats, pour les récompenser de leurs travaux & de leurs peines. Ils appellent ces récompenses TIMARS; & ceux qui les ob tiennent sont obligés, à proportion du revenu qu'ils ont, d'entretenir des hommes & des chevaux, pour être prêts en tout tems à servir le grand seigneur à la guerre partout où il voudra les envoyer. Par ce moyen tout le pays étant entre les mains des soldats, les places sont mieux gardées, & les peuples subjugués sont plus aisément retenus dans le devoir. La puissance abfolue de ce monarque se fait encore mieux remarquer par les titres qu'il se donne: de Dieu en terre, d'ombre de Dieu, de frere du soleil & de la lune, de distributeur des couronnes du monde, & autres. Il est vrai qu'assez souvent il consulte le mufti par forme pour s'accommoder à la coutume; mais lorsque les sentences de ce pontife ne s'accordent pas avec les desseins du prince, il le prive de son pontificat, & donne cette charge à un autre, qui fait mieux faire répondre ses oracles aux intentions de son maître. Toutes les fois qu'il y a un nouvel empereur, on le conduit avec pompe à un endroit des fauxbourgs de Constantinople appellé Job, où l'on voit un sépulcre ancien d'un prétendu saint de leur religion. On y fait des prieres folemnelles pour demander à Dieu qu'il veuille fortifier le nouveau sultan, & le remplir de la fagesse qui lui est nécessaire pour exercer une charge si importante. Alors le mufti l'embrasle, & après lui avoir donné sa bénédiction, le grand seigneure promet & jure folemnellement de défendre la religion des Musulmans & les loix du prophéte Mahomet. Aussi-tôt les visirs du banc & les bachas font une profonde inclination, & ayant baifé la terre & le bas de sa veste avec un respect extraordinaire, ils le reconnoiffent pour leur véritable empereur. * Ricaut, Etat présent de l'empire ottoman, 1. 1, c. 1.

Le premier visir est appellé par les Turcs vizir-azem; vizir ou vezir, est un mot arabe qui signifie un conseiller, un homme qui administre les affaires de la république ou de l'empire, ou premier ministre d'état, comme qui diroit celui qui porte le faix de toutes les affaires; car vazar ou vezar lignifie porter, & azem est le comparatif & le super. latif tout ensemble du mot arabe adim ou azim, qui veut dire grand, & adem ou azem signifie très-grand. On l'appelle quelquefois le lieutenant du grand seigneur ou le vicaire de l'empire, parce que toute l'autorité du sultan lui est communiquée. On n'observe point, je crois, d'autre folemnité pour le créer grand visir, que de lui mettre entre les mains le sceau du prince, qu'il porte toujours dans son sein. Il vit avec un éclat qui répond à la grandeur du maître qu'il représente. Il a ordinairement dans la cour deux mille officiers ou domestiques. Quand il paroît dans quelque folemnité publique, il porte sur le devant de son turban deux aigrettes enchâssées dans des basses toutes couvertes de diamans & autres pierres de grand prix, à peu près aussi riches que celles du grand-seigneur, fi ce n'est que le sultan en porre trois. On porte au-devant du grand visir trois queues de cheval attachées chacune au haut d'un long bâton; où il y a un bouton d'or qui brille au-dessus. Il n'y a que trois bachas qui ayent le privilége de se servir de cette marque d'honneur dans l'étendue de leur gouvernement; savoir le bacha de Babylone, celui du grand Caire & celui de Bude. Les autres ne peuvent faire porter qu'une seule queue de cheval. Ces trois bachas dont il vient d'être parlé, ont aussi le privilége d'être visir du banc, & peuvent prendre séance dans le divan, lorsque le tems de leur charge est expiré, & qu'ils ne sont pas mal avec la

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